Balzac, La Peau de chagrin : dissertation, sujet de métropole, juin 2023
Énoncé
Peut-on lire La Peau de chagrin comme le tableau d'un monde exténué ?
Vous répondrez à cette question dans un développement organisé en vous appuyant sur La Peau de chagrin, sur les textes que vous avez étudiés dans le cadre du parcours associé, et sur votre culture personnelle.
Vous répondrez à cette question dans un développement organisé en vous appuyant sur La Peau de chagrin, sur les textes que vous avez étudiés dans le cadre du parcours associé, et sur votre culture personnelle.
Corrigé
Introduction
Au début du roman, Raphaël de Valentin est décrit ainsi : « La morne impassibilité du suicide donnait à ce front une pâleur mate et maladive […]et la physionomie exprimait une résignation qui faisait mal à voir. ».Commencez l'introduction de manière dynamique, avec des connaissances historiques ou littéraires, une citation, etc. en lien avec le sujet.
Raphaël semble être, dès le début du roman, l'emblème d'une jeunesse sans énergie et prête à mourir avant d'avoir vécu. L'univers peint par Balzac est donc « exténué », dans le sens où il ne semble pas y avoir d'avenir pour de nombreux personnages. Cette « fatigue » de vivre s'explique grandement par la société de 1830 telle que Balzac la présente, s'abîmant dans une déchéance morale et idéologique qui ne permet pas l'épanouissement des idéaux d'une jeunesse romantique
Ici, nous venons de justifier l'intérêt du sujet par la définition du terme clé.
Cependant, Balzac place au centre de cette société un objet magique qui réveille les désirs et redonne paradoxalement de l'énergie à Raphaël, même si celle-ci est limitée et le mène à sa perte
Présenter un paradoxe permet de nuancer la thèse et donc de justifier un développement.
Dès lors, en quoi La Peau de chagrin, tout en peignant le tableau réaliste d'une société moribonde, affirme également la permanence d'une énergie créatrice ?
Il faudra répondre à cette problématique tout au long du devoir : chaque paragraphe doit ainsi apporter un élément de réponse clair à la question.
Dans un premier temps, nous verrons que la société peinte par Balzac est « exténuée » en ce qu'elle semble aller vers sa destruction. La seconde partie montrera que le roman présente également des solutions créatrices.
L'annonce de plan présente un projet clair au correcteur et facilite donc sa lecture. Intégrer des mots-clés permettra d'éviter le hors-sujet.
Le développement rédigé
Le monde dans lequel évoluent les personnages est, à bien des égards, « exténué », peine à se renouveler. Balzac peint un monde social marqué par la destruction morale, idéologique, et dans lequel les idéaux artistiques semblent voués à l'échec.
Quelques lignes d'introduction permettent d'annoncer avec clarté l'idée globale défendue dans une grande partie.
En effet, le roman met en scène un conflit générationnel opposant la société de la monarchie de Juillet et la jeunesse
La première phrase d'un paragraphe annonce l'idée qui va être défendue.
Ce conflit est mis en scène lors de l'échange entre l'antiquaire et Raphaël. L'âge du vendeur, cent deux ans, peut ainsi être lu comme la métaphore d'une génération refusant de laisser place à une jeunesse d'emblée étouffée dans ses aspirations, et Balzac montre leur caractère irréconciliable. Quand l'antiquaire vante un idéal d'économie, Raphaël affirme son refus d'une telle leçon et en prend le contre-pied radical : « je veux vivre avec excès […]. J'avais résolu ma vie par l'étude et par la pensée ; mais elles ne m'ont même pas nourri ».
Les exemples peuvent prendre plusieurs formes : la citation, l'évocation d'un extrait, etc.
Il affirme ainsi la caducité de la philosophie de l'ancienne génération et le désir d'une vie intense, bien que courte. Le roman met ainsi en place un monde doublement exténué : une génération usée fait face à une jeunesse préférant se vouer à une destruction rapide.
En fin de paragraphe, rédigez une phrase qui reprend explicitement les termes du sujet.
Par ailleurs, Balzac montre que ces deux philosophies mènent à une destruction morale. Les tenants de l'économie d'énergie sont moins moraux qu'ils ne se donnent à voir : l'antiquaire est aussi un être tentateur et Balzac le compare explicitement à Méphistophélès. De même, le « vieux Taillefer », incarnant en sa qualité de banquier le système économique bourgeois, organise des fêtes orgiaques comblant ses appétits immoraux.
Pour montrer une bonne connaissance de l'œuvre, il est bon de convoquer les personnages secondaires.
Plus jeune, mais incarnant ces valeurs, Fœdora reste indifférente aux souffrances qu'elle cause, n'accordant d'importance qu'à l'argent. Face à cette mentalité cynique, la génération faisant l'apologie d'une vie intense verse aussi dans une idéologie destructrice. Rastignac, par exemple, pousse Raphaël à écrire des mémoires mensongers et donc à sacrifier son honneur. Les deux philosophies qui composent la société se rejoignent de ce fait dans la destruction morale : le monde est exténué dans le sens où il a perdu tout idéal.
En effet, rien ne semble pouvoir contrer ce monde cynique, pas même l'art. C'est ce qu'illustre la carrière avortée d'écrivain de Raphaël. Notons que, pour se livrer à une activité créatrice, Raphaël fait le choix de se couper du monde : tout se passe comme s'il fallait s'extraire de cette société « exténuée » pour créer, que ce soit de l'art ou de la philosophie. Le retour au monde, cependant, est implacable, et les deux œuvres sont un échec : la comédie n'attire aucun public, et personne ne lit le Traité de la volonté. L'art est alors réduit au rang de marchandise, ce qui est incarné par Finot, « proxénète littéraire » prêt à toutes les escroqueries. Ainsi, le monde peint par Balzac est celui d'une société « exténuée » dans le sens où tout ce qui permet de penser l'avenir (les idéaux, l'art, la philosophie…) est en proie à une philosophie mortifère imposée par des personnages moribonds mais s'accrochant pourtant à la vie et à leurs pouvoirs, condamnant la génération de Raphaël à l'autodestruction ou au parjure.
En effet, rien ne semble pouvoir contrer ce monde cynique, pas même l'art. C'est ce qu'illustre la carrière avortée d'écrivain de Raphaël. Notons que, pour se livrer à une activité créatrice, Raphaël fait le choix de se couper du monde : tout se passe comme s'il fallait s'extraire de cette société « exténuée » pour créer, que ce soit de l'art ou de la philosophie. Le retour au monde, cependant, est implacable, et les deux œuvres sont un échec : la comédie n'attire aucun public, et personne ne lit le Traité de la volonté. L'art est alors réduit au rang de marchandise, ce qui est incarné par Finot, « proxénète littéraire » prêt à toutes les escroqueries. Ainsi, le monde peint par Balzac est celui d'une société « exténuée » dans le sens où tout ce qui permet de penser l'avenir (les idéaux, l'art, la philosophie…) est en proie à une philosophie mortifère imposée par des personnages moribonds mais s'accrochant pourtant à la vie et à leurs pouvoirs, condamnant la génération de Raphaël à l'autodestruction ou au parjure.
Pensez à finir une grande partie sur une phrase de conclusion provisoire.
Génération d'« illusions perdues », certains personnages acceptent leur déchéance morale et embrassent une vie courte. Ils ne sauraient cependant être qualifiés « d'exténués », et sont au contraire porteurs d'une grande énergie. Il est en effet possible de s'extraire de cette société pour échapper à son caractère mortifère ou encore de puiser dans sa déchéance même une source d'énergie.
En effet, si la société parisienne est largement « exténuée », le monde n'est pas sans offrir des sources d'énergie vivifiante. Le cas le plus évident est celui de la retraite au Mont-Dore : « [Raphaël] sentait instinctivement le besoin de se rapprocher de la nature, des émotions vraies ». La vie en marge permet en effet de sortir de la violence de la société et du conflit générationnel mortifère : « La santé débordait dans cette nature plantureuse, la vieillesse et l'enfance y étaient belles. » Il y a donc bien un monde en dehors de la société « exténuée » dans La Peau de chagrin, qui redonne de l'énergie et mène à la création, les paysages du Mont-Dore présentant des « âpres et sauvages attraits [qui tentent] les pinceaux de nos artistes ». Des considérations similaires et programmatiques se trouvaient déjà dans le cabinet de l'antiquaire, où les objets évoquent à Raphaël « la vie simple de la nature » et « les joies de son âge ». Balzac peint donc également un monde qui peut être revigorant et inspirant.
Ce regain d'énergie se trouve aussi au sein même de la société. Pauline, par exemple, parvient à échapper à la perte d'énergie. Pauvre, et donc exclue (y compris par Raphaël, qui refuse de concevoir « l'amour dans la misère »), elle échappe à la déchéance en faisant preuve de la « générosité de ceux qui ne possèdent rien ». Cette façon d'échapper à la décrépitude était annoncée dans le cabinet de l'antiquaire, véritable condensé du monde balzacien, dans un tableau du Christ : « L'Évangile était traduit par la simplicité calme de ces adorables yeux où se réfugiaient les âmes troublées. » La doctrine catholique qui trouve son écho dans la figure de Pauline serait donc un moyen de revivre dans la société déliquescente. Une autre façon de retrouver de l'énergie au sein de la société est, au contraire, d'embrasser sa vicissitude. « Nous vivons plus en un jour qu'une bonne bourgeoise en dix ans », dit Euphrasie, quand Aquilina affirme : « J'aime mieux mourir de plaisir que de maladie. » Il est paradoxal de voir que Pauline tient un discours similaire : « Qu'importe le nombre de jours, si, dans une nuit, dans une heure, nous avons épuisé toute une vie de paix et d'amour ? […] Mourons jeunes tous deux. » Il semblerait que dans les deux cas, les personnages prennent acte de ce monde exténué et retrouvent de l'énergie dans l'acceptation de la mort.
Ainsi, dans ce « monde exténué », Balzac propose une vision de l'énergie qui n'est pas seulement celle de la longévité incarnée par l'antiquaire. Au contraire, celle-ci est la source de l'épuisement de cette société qui n'en finit pas de mourir. Le monde peint dans La Peau de chagrin est paradoxal : ceux qui s'accrochent à la vie sont plus exténués que ceux qui acceptent la mort. Balzac lui-même cherche à tirer de cette société une source de création, et malgré les échecs de Raphaël, l'art reste sans doute le seul moyen d'échapper à la déliquescence. L'omniprésence de la musique en témoigne : elle apparaît comme une puissance énergique circulant entre les personnages, de l'air siffloté par Raphaël à l'opéra chanté par Fœdora, ou encore en étant figurée par le théâtre des Italiens qui réunit tous les protagonistes. C'est encore dans une loge d'opéra que Raphaël retrouve Pauline dont la respiration « se communiqua soudain à Raphaël comme une étincelle électrique ». Derrière l'art total qu'est l'opéra, il faut sans doute lire le projet d'écrire avec La Peau de chagrin, une œuvre mêlant rêverie orientaliste, fantastique et réalisme : une façon de revivifier le genre littéraire en s'inspirant d'un monde « exténué ».
En effet, si la société parisienne est largement « exténuée », le monde n'est pas sans offrir des sources d'énergie vivifiante. Le cas le plus évident est celui de la retraite au Mont-Dore : « [Raphaël] sentait instinctivement le besoin de se rapprocher de la nature, des émotions vraies ». La vie en marge permet en effet de sortir de la violence de la société et du conflit générationnel mortifère : « La santé débordait dans cette nature plantureuse, la vieillesse et l'enfance y étaient belles. » Il y a donc bien un monde en dehors de la société « exténuée » dans La Peau de chagrin, qui redonne de l'énergie et mène à la création, les paysages du Mont-Dore présentant des « âpres et sauvages attraits [qui tentent] les pinceaux de nos artistes ». Des considérations similaires et programmatiques se trouvaient déjà dans le cabinet de l'antiquaire, où les objets évoquent à Raphaël « la vie simple de la nature » et « les joies de son âge ». Balzac peint donc également un monde qui peut être revigorant et inspirant.
Ce regain d'énergie se trouve aussi au sein même de la société. Pauline, par exemple, parvient à échapper à la perte d'énergie. Pauvre, et donc exclue (y compris par Raphaël, qui refuse de concevoir « l'amour dans la misère »), elle échappe à la déchéance en faisant preuve de la « générosité de ceux qui ne possèdent rien ». Cette façon d'échapper à la décrépitude était annoncée dans le cabinet de l'antiquaire, véritable condensé du monde balzacien, dans un tableau du Christ : « L'Évangile était traduit par la simplicité calme de ces adorables yeux où se réfugiaient les âmes troublées. » La doctrine catholique qui trouve son écho dans la figure de Pauline serait donc un moyen de revivre dans la société déliquescente. Une autre façon de retrouver de l'énergie au sein de la société est, au contraire, d'embrasser sa vicissitude. « Nous vivons plus en un jour qu'une bonne bourgeoise en dix ans », dit Euphrasie, quand Aquilina affirme : « J'aime mieux mourir de plaisir que de maladie. » Il est paradoxal de voir que Pauline tient un discours similaire : « Qu'importe le nombre de jours, si, dans une nuit, dans une heure, nous avons épuisé toute une vie de paix et d'amour ? […] Mourons jeunes tous deux. » Il semblerait que dans les deux cas, les personnages prennent acte de ce monde exténué et retrouvent de l'énergie dans l'acceptation de la mort.
Ainsi, dans ce « monde exténué », Balzac propose une vision de l'énergie qui n'est pas seulement celle de la longévité incarnée par l'antiquaire. Au contraire, celle-ci est la source de l'épuisement de cette société qui n'en finit pas de mourir. Le monde peint dans La Peau de chagrin est paradoxal : ceux qui s'accrochent à la vie sont plus exténués que ceux qui acceptent la mort. Balzac lui-même cherche à tirer de cette société une source de création, et malgré les échecs de Raphaël, l'art reste sans doute le seul moyen d'échapper à la déliquescence. L'omniprésence de la musique en témoigne : elle apparaît comme une puissance énergique circulant entre les personnages, de l'air siffloté par Raphaël à l'opéra chanté par Fœdora, ou encore en étant figurée par le théâtre des Italiens qui réunit tous les protagonistes. C'est encore dans une loge d'opéra que Raphaël retrouve Pauline dont la respiration « se communiqua soudain à Raphaël comme une étincelle électrique ». Derrière l'art total qu'est l'opéra, il faut sans doute lire le projet d'écrire avec La Peau de chagrin, une œuvre mêlant rêverie orientaliste, fantastique et réalisme : une façon de revivifier le genre littéraire en s'inspirant d'un monde « exténué ».
Conclusion
Ainsi, Balzac peint une société à bien des égards « exténuée », ne parvenant pas à se renouveler et livrant une génération soit à la mort, soit à l'ennui. Le monde dans La Peau de chagrin propose cependant des solutions créatrices d'énergie en réponse à l'avilissement : il est possible de sortir de cette société ou de trouver dans sa dimension mortifère un regain d'énergie. En refusant de guider le choix du lecteur, il semblerait que Balzac apporte sa propre réponse : l'énergie se regagne par l'art, l'écriture et la lecture, lui qui écrivait dans La Physiologie du mariage : « Lire c'est peut-être créer à deux. »
L'ouverture, outre qu'elle permet de montrer des connaissances, peut également ouvrir un nouvel aspect, dans la continuité du sujet.