Corrigé
Introduction
[Analyse du sujet et problématisation] Le patrimoine entretient une relation très forte avec les idéologies, qui sont un ensemble d'idées politiques, religieuses ou philosophiques qui organisent l'action et la pensée de groupes humains. Loin d'être un objet apolitique, le patrimoine est en effet une construction sociale en lien avec les mouvements politiques et idéologiques qui traversent la société.[Annonce du plan] L'émergence du patrimoine comme préoccupation nationale est ainsi un effet de l'essor des nationalismes. Les régimes totalitaires apportent, au xxe siècle, une nouvelle vision du patrimoine, davantage tournée vers l'avenir.
I. Le patrimoine comme ciment du nationalisme
Le nationalisme est une idéologie qui exalte le sentiment d'appartenir à un même ensemble politique, culturel, historique et éventuellement ethnique. Il se développe très fortement en Europe à partir du xixe siècle, en lien avec le morcellement des grands empires, la colonisation et certaines révolutions. Le nationalisme est à l'origine d'un nouveau regard des sociétés européennes sur leur passé : pour la première fois, le patrimoine devient un souci généralisé, une affaire publique.
1. Le patrimoine au service de la création du sentiment national aux xviiie et xixe siècles
En Europe, les romantiques recherchent dans le patrimoine la légitimation du sentiment nationaliste en construction. Ainsi, les frères Grimm, au xixe siècle, contribuent en collectant et en fixant par écrit les contes traditionnels germaniques à forger l'identité allemande. Le nationalisme s'exprime aussi dans le domaine musical : en écrivant des mazurkas, Chopin s'ancre dans une tradition polonaise à une époque où le pays est divisé entre ses puissants voisins. Aux xviiie et xixe siècles, on redécouvre et on construit ainsi un patrimoine traditionnel sur lequel appuyer le sentiment national en construction dans les pays européens.2. Révolutions et patrimoine
Les nationalismes fondés sur la redécouverte et la mythification des patrimoines nationaux débouchent sur de puissants mouvements sociaux en Europe, comme le carbonarisme en Italie, qui vise à libérer le pays et à unifier l'Italie, et sur des révolutions. Les révolutions européennes des xviiie et xixe siècles impliquent l'idée de créer un monde nouveau et de refonder la société, tout en renforçant l'autonomie et la liberté nationales. On parle ainsi en 1848 de « printemps des peuples » pour qualifier les multiples révolutions européennes, dont beaucoup visent à l'autodétermination. Le patrimoine apparaît donc comme un outil au service de la construction de l'avenir, et se trouve paradoxalement à l'origine de ruptures politiques importantes.II. Patrimoine et idéologies totalitaires
La question patrimoniale se pose de façon particulière pour les régimes totalitaires que sont le nazisme en Allemagne, le fascisme en Italie, le stalinisme en URSS ou le maoïsme en Chine. Tournés vers l'avenir et la création d'un monde nouveau, ils ont pour ambition affirmée de créer le patrimoine de demain. Leur relation au patrimoine passé est ambivalente et rend compte de leur positionnement idéologique : rejet violent du patrimoine jugé contraire à leur projet de société, exaltation des racines raciales ou idéologiques proclamées. Enfin, une fois les régimes tombés, le patrimoine qu'ils laissent derrière eux constitue un héritage encombrant pour les régimes qui les remplacent.
1. Le rejet du patrimoine comme obstacle au changement : la révolution culturelle en Chine
En 1966, en Chine, commence la révolution culturelle, lancée par Mao Zedong pour réaffirmer son pouvoir. L'un des objectifs de ce mouvement est la destruction des « quatre vieilleries », les pensées, coutumes, mœurs et cultures anciennes. Cela passe notamment par la destruction des livres, des objets d'art antérieurs à la révolution de 1949, mais aussi par des violences envers les intellectuels et les artistes. La révolution culturelle constitue ainsi un effort pour faire table rase du patrimoine. Le maoïsme se constitue ainsi comme une idéologie fondamentalement opposée à toute notion de patrimoine, car le passé serait un obstacle pour construire l'avenir socialiste.2. L'héritage ambigu du patrimoine totalitaire : l'exemple de l'art soviétique
En 1991, le déboulonnage de la statue de Félix Dzerjinski, fondateur de la Tchéka, en 1991 a contribué à marquer la chute du régime soviétique. Mais l'URSS a laissé un important patrimoine artistique dont la valeur est aujourd'hui l'objet de débat. Julie Deschepper a étudié le destin du pavillon soviétique de l'Exposition internationale de Paris en 1937, surmonté d'une immense statue représentant un ouvrier et une kolkhozienne, caractéristique du réalisme socialiste. Longtemps abandonné, le pavillon a été reconstruit à Moscou et la statue restaurée le surplombe de nouveau, ce qui rend compte du réinvestissement de l'héritage soviétique par le régime de Poutine. La préservation du patrimoine soviétique est également encouragée par des mobilisations d'habitants qui souhaitent la protection de l'architecture d'avant-garde russe. Le patrimoine soviétique constitue ainsi un patrimoine ambigu, dont le rejet cède aujourd'hui la place à la réappropriation politique et sociale.III. Religion et destructions du patrimoine
Les religions se rapprochent des idéologies politiques par leur désir de façonner les représentations du monde en passant par l'art : elles ont ainsi été un artisan majeur d'élaboration du patrimoine architectural et artistique mondial. Elles peuvent aussi favoriser un rejet très fort du patrimoine qui renvoie à d'autres religions, allant jusqu'à l'organisation de destructions. À l'inverse, le patrimoine religieux a parfois fait l'objet de destructions lorsque des sociétés s'efforçaient de rompre avec l'héritage religieux, comme pendant la Révolution française.