Dissertation, « La science peut-elle satisfaire notre besoin de vérité ? », sujet de métropole, juin 2024
Corrigé
Introduction
Selon l'opinion commune, la science et la vérité sont intrinsèquement liées : quand on pense science, on pense à des preuves, des chercheurs qui s'écrient « eurêka » en résolvant un problème. On imagine que cette résolution est définitive, qu'elle a établi une idée vraie. Ainsi, on conçoit la science comme la manière de satisfaire notre besoin de vérité. Mais ne parle-t-on pas de « chercheurs », et donc de personnes n'annonçant pas tant des vérités que des questions et objets de recherche ? Alors, la science ne serait plus tant une manière d'étancher la soif de vérité, mais ce qui l'alimenterait. Ainsi, la science peut-elle satisfaire notre besoin de vérité ?
Pour commencer une analyse philosophique, on peut partir de l'idée courante, de l'opinion commune autour d'un objet donné (ici l'idée que l'on se fait de la science) pour ensuite complexifier l'analyse, la confronter à des perspectives plus réfléchies (ici l'idée de recherche) et ainsi faire émerger la raison derrière la question posée dans le sujet.
L'enjeu est alors de comprendre ce qu'est la science, et si elle peut adéquatement satisfaire notre besoin de vérité. Or, la science peut se comprendre selon deux définitions : la première, plus antique, relèverait de la connaissance en général. La seconde, plus moderne, la définirait comme un ensemble de méthodes de recherche. On voit donc la question se renouveler : dans le premier sens, la science résout notre quête de vérité, mais la définition moderne questionne cette résolution : peut-on vraiment se fier à elle ? N'est-elle pas seulement une méthode ? Il faut alors comprendre ce qu'on entend par « besoin de vérité ».
La vérité, c'est l'adéquation entre une idée et la réalité. On peut la distinguer de l'erreur, ce qui est faux par confusion, par obscurité, par mauvaise compréhension mais aussi la distinguer du mensonge, de la tromperie volontaire. Or, s'il n'est pas au cœur du sujet, le problème du mensonge permet de comprendre notre besoin de vérité : vivre ensemble et se confronter au monde supposent de pouvoir s'appuyer sur des fondements solides. On pourrait les trouver dans la science, si elle est capable de les fournir.
La vérité, c'est l'adéquation entre une idée et la réalité. On peut la distinguer de l'erreur, ce qui est faux par confusion, par obscurité, par mauvaise compréhension mais aussi la distinguer du mensonge, de la tromperie volontaire. Or, s'il n'est pas au cœur du sujet, le problème du mensonge permet de comprendre notre besoin de vérité : vivre ensemble et se confronter au monde supposent de pouvoir s'appuyer sur des fondements solides. On pourrait les trouver dans la science, si elle est capable de les fournir.
Le sujet permet d'aborder de nombreux aspects, car la science peut être questionnée dans ses différents pôles (sciences de la vie, sociale…), dans ses méthodes, et la vérité aussi. Il faut prendre parti et décider de définir certains axes du problème. C'est aussi l'occasion de mentionner des aspects que vous déciderez de ne pas ou peu traiter pour signaler que vous ne les avez pas oubliés, ici par exemple, la distinction entre la vérité et le mensonge.
Ainsi nous pouvons faire apparaître les axes du problème. Premièrement, la science apparaît comme un ensemble de propositions vraies ou de méthodes pour les chercher, ce qui lui permettrait de constituer une médiation entre nous et la vérité, qui étancherait notre besoin de vérité. Mais cette dernière pose un problème : au-delà des questions de méthode qui doivent être posées, est-ce que la science a la capacité, voire la légitimité, pour résorber l'obscurité et l'étrangeté du réel ? Peut-elle élucider les discours faux des menteurs comme résoudre les mystères du plus petit et du plus grand aspect de l'univers, de l'Histoire, du moi ? Ou ne serait-elle pas limitée à un champ donné de problèmes, laissant de côté d'autres aspects de notre besoin de vérité ?
Pour poser un problème, il s'agit de faire émerger les éléments contradictoires entre les différentes idées et définitions. Pour ce sujet, on peut dégager deux axes de réflexion : questionner si la science accède à la vérité par ses méthodes et donc si elle est capable de vérité, mais aussi si elle peut s'étendre à l'ensemble des questions de vérité. Si on peut réduire « la vérité » à la « vérité scientifique », on engagerait alors des réflexions sur la vérité selon la religion, la conscience, la philosophie…
Comment donc penser que la science peut satisfaire notre besoin de vérité si, tout d'abord, elle construit une analyse du réel, analyse dont il nous faudra évaluer la validité, et si le réel est irréductible à la science et donc introduit des vérités inaccessibles à la science ?
Pour répondre à ce problème, nous dégagerons ce qui fait obstacle à la science comme réponse adéquate à notre besoin de vérité, notamment en montrant qu'une part des expériences humaines échappe à la science, pour pouvoir introduire à quel besoin de vérité la science peut répondre. Pour finir, nous pourrons alors proposer de définir la place qu'occupe la science dans notre besoin de vérité.
Pour répondre à ce problème, nous dégagerons ce qui fait obstacle à la science comme réponse adéquate à notre besoin de vérité, notamment en montrant qu'une part des expériences humaines échappe à la science, pour pouvoir introduire à quel besoin de vérité la science peut répondre. Pour finir, nous pourrons alors proposer de définir la place qu'occupe la science dans notre besoin de vérité.
Le plan doit former une construction logique et cohérente : il faut que chaque argument qui le compose soit cohérent, soit défendable et forme peu à peu un approfondissement de l'analyse. Pour ce sujet spécifiquement, l'approche consiste à rejeter la science de la satisfaction du besoin de vérité pour ensuite le réintroduire, dans une dimension spécifique, qui sera alors précisée par rapport aux limites soulevées dans le premier temps.
I. Que la science réponde à notre besoin de vérité, c'est un rêve illusoire
1. Le besoin de vérité et le mythe scientifique
Pourquoi a-t-on besoin de la science ? Pour répondre à notre besoin de vérité ? Et pourquoi aurait-on besoin de vérité ? Pour mieux vivre ? Se rassurer ? Contrôler ce qui nous affecte ? Si on parle de besoin de vérité, il faut prendre l'expression au sérieux. Un besoin désigne quelque chose de nécessaire, sans lequel il est impossible de vivre. C'est une condition pour l'existence d'une chose. Faire de la vérité un besoin, c'est en faire quelque chose de nécessaire dans l'existence humaine. Toutefois, cette nécessité, si elle peut paraître abstraite, vague, obscure, se retrouve dans les différents pans de l'existence en société. Si on prend un cas précis : le besoin du processus judiciaire serait de connaître la vérité avec une certitude absolue. Le juge voudrait pouvoir savoir. Or, les gens mentent. On a alors inventé une fiction : le sérum de vérité, rendant impossible le mensonge. La science viendrait alors au secours de la confusion et du mensonge. On retrouve la même démarche dans le détecteur de mensonges : la science permettrait de dire si, oui ou non, quelqu'un ment. Mais ce sont des mythes : la vérité obtenue par ces moyens est en fait peu fiable. Le réel continue de résister à la justice, de nous résister, il garde une part obscure. Toute l'affaire de la vérité est donc là, comme nous l'avons dit plus haut : elle consiste en l'adéquation entre une idée et le réel. Ce qui pose problème, c'est donc ce réel qui nous échappe. Cependant, nous ne ressentons non pas seulement une vague curiosité, mais un besoin impérieux de savoir ; l'ignorance est inconfortable voire intolérable. Alors, on espère trouver une solution à l'angoisse de l'ignorance. Par exemple, quand on est malade, il est courant de s'imaginer tout un tas de pathologies jusqu'à avoir une réponse. Quand on a agi, étrangement ou non, on interroge les profondeurs de notre conscience, pour connaître le motif de notre action. On rêve d'une science omnisciente et omnipotente, capable de tout expliquer. Or, s'il y a des pans du réel qui lui échappent, alors la science, comme satisfaction de notre besoin de vérité, n'est qu'un doux rêve, et non une réalité. Ainsi, dans quelle mesure la science peut-elle assurer la validité de ses affirmations ?
On peut repréciser les enjeux du sujet à l'aide d'un exemple ou de cas précis pour aider à cerner le problème. De plus, ajouter une question en fin de partie permet de clarifier la logique et la progressivité du raisonnement.
2. Une histoire de la science : elle déçoit notre besoin de vérité en essayant d'y répondre
Ainsi, si on analyse l'histoire de la science, notre besoin de vérité peut être rapidement déçu. La vérité semble nous échapper, que la science intervienne ou non. C'est ce que montre Montaigne dans Les Essais, en s'appuyant sur le cas de l'astronomie. Le philosophe souligne que le « ciel et les étoiles ont bougé pendant mille ans » dans les différentes théories scientifiques émises. Ainsi, dans l'Antiquité, les scientifiques construisent, suite à Ptolémée, une théorie géocentrique du système planétaire : la Terre était au centre de différents cercles sur lesquels se mouvaient le Soleil, les planètes, les étoiles… Puis, vint le temps de la révolution scientifique et Copernic émit une nouvelle théorie : héliocentrique, le Soleil était au centre du système, la Terre n'était qu'un des astres se déplaçant autour de l'étoile. Or, Montaigne ne conclut pas de cette révolution qu'il y a eu progrès vers la vérité mais se place plutôt dans une perspective sceptique : nous ne pouvons jamais savoir ce qui est vrai. Il défend que si une théorie, comme l'héliocentrisme, nous paraît la plus juste, c'est qu'elle nous semble vraisemblable. Mais rien n'affirme qu'elle est vraie, rien ne dit que l'héliocentrisme est et restera le modèle explicatif du système planétaire dans lequel nous nous trouvons. Ainsi, comme il le remarque, rien ne garantit la validité de la nouvelle théorie pendant mille ans. On pourrait donner raison à Montaigne en signalant que Copernic a été repris et corrigé par Newton, puis la physique newtonienne à son tour a été reprise et corrigée par Einstein. Qu'en sera-t-il dans le futur ? Dans le cas de l'astronomie, Montaigne signale un problème de solidité de la preuve : la science n'est pas une vérité mais une croyance comme une autre. Ainsi, elle peut soulager et nous donner à croire en des vérités, mais rapidement le doute nous assaille de nouveau. Le scepticisme domine la vérité. Désespérément, peut-être, nous aimerions connaître la vérité, sans pouvoir savoir si notre idée décrit adéquatement le réel.
Il est conseillé de s'appuyer sur des cas précis à analyser pour étayer ses arguments. Ici, Montaigne propose une lecture d'un conflit entre différentes théories scientifiques, ce qui fait émerger de manière plus précise les limites de la science, limites desquelles on peut conclure qu'elle ne peut répondre au besoin de vérité.
3. La vérité nous échappe, la science ne donne que l'illusion qu'on pourrait y accéder
Quelles sont les causes de l'incapacité de la science à satisfaire notre besoin de vérité ? Qu'est-ce qui nous amène à en douter ? On voudrait contrôler le réel, lui imposer nos cadres de pensée, nos cadres scientifiques, mais le réel est plus large que notre pensée et ses perspectives. C'est ce que montre L'œuvre de Zhuangzi. Le penseur chinois essaie de décrire l'impossibilité d'accéder à une quelconque vérité certaine pour tenter de nous amener à lâcher prise et accepter le réel tel qu'il est. Cette analyse, il la mène en mettant en avant la subjectivité et la relativité de l'expérience humaine. Quand nous regardons, quand nous sentons, décrivons, pensons, nous le faisons dans un cadre humain, car nous sommes humains. Mais ce qu'on qualifie dans notre cadre de pensée n'est qu'un reflet de ce dernier : il n'est qu'une projection de nos schémas mentaux. Il prend alors différents exemples : une journée est toute une vie pour certains insectes, peu de choses pour un être humain, encore moins pour l'univers. Ainsi, on calcule et on pense à travers des cadres de pensée relatifs. Dès lors, nous sommes menés au scepticisme : à penser que la vérité nous est inaccessible par nature. Puisque notre perception sensorielle et notre conception mentale de ce qu'est la réalité dépendent de nos biais humains, alors jamais nous ne connaîtrons la vérité du point de vue de l'univers. Nous n'aurons jamais accès au réel tel qu'il est en soi, rendant ainsi impossible l'accès à une représentation adéquate du réel. Or, la science, selon le philosophe chinois, n'est qu'une nouvelle illusion : elle reste dans le paradigme de nos schémas mentaux, elle n'y échappe pas. Alors Zhuangzi propose d'abandonner notre besoin de vérité : d'accepter notre statut, d'accepter que nous n'aurons jamais que des perspectives pour arrêter cette soif qui nous tourmente et à laquelle nous n'aurons jamais les moyens de répondre. C'est donc en envisageant les limites de la perception et de la conception humaine, leurs subjectivités, leurs relativités, qu'on peut envisager que la science ne saurait répondre à notre besoin de vérité.
Ainsi, dans ce premier temps, nous avons cherché ce qui pourrait nous conduire à rejeter la capacité de la science à répondre à notre besoin de vérité. Pour cela, nous avons commencé par montrer le portrait plein d'espoir qu'on fait de la science, pour ensuite dévoiler ses failles : son histoire montre la relativité de ses propositions et révèle que notre dimension anthropologique la limite. Cependant, ne pourrions-nous pas reconstruire un portrait plus réaliste de la science pour essayer de trouver si elle ne peut pas, au moins, répondre en partie à notre besoin de vérité ?
Ainsi, dans ce premier temps, nous avons cherché ce qui pourrait nous conduire à rejeter la capacité de la science à répondre à notre besoin de vérité. Pour cela, nous avons commencé par montrer le portrait plein d'espoir qu'on fait de la science, pour ensuite dévoiler ses failles : son histoire montre la relativité de ses propositions et révèle que notre dimension anthropologique la limite. Cependant, ne pourrions-nous pas reconstruire un portrait plus réaliste de la science pour essayer de trouver si elle ne peut pas, au moins, répondre en partie à notre besoin de vérité ?
En commençant par une partie critique ou négative, la deuxième partie peut essayer de reconstruire à partir des données établies en première partie. La logique d'une argumentation n'est donc pas d'opposer deux idées contradictoires mais d'enrichir ou de nuancer la réflexion. On peut ainsi penser les différentes parties d'une dissertation comme une description de plus en plus précise d'un objet philosophique.
II. Dans quelle mesure la science a-t-elle la capacité de satisfaire notre besoin de vérité ?
1. Science et curiosité
Doit-on, et même peut-on, abandonner notre besoin de vérité ? Aristote défend au début de La Métaphysique que tous les êtres humains désirent savoir, ce qui se montre assez bien, selon lui, dans le plaisir qu'on prend à observer ou apprendre quelque chose. Or, si nous avons une curiosité naturelle, nous ne pouvons pas abandonner cette partie de nous. Ici, l'analyse qui consiste à savoir si la curiosité est besoin ou désir n'a que peu d'importance pour le sujet. Plus important peut-être est d'observer la démarche qu'entreprend Aristote en partant de ce constat : il va chercher alors à élaborer ce qu'est la science, et quelles sont ses conditions. Il va montrer qu'à la différence de l'expérience, la science n'est pas seulement une connaissance d'un phénomène, mais des causes de ce dernier. Selon lui, la science, c'est la connaissance d'une cause. Aristote entreprend ainsi de définir ce que signifie « connaître une cause » : il établit que la science ne peut pas tout connaître, que chaque science doit être délimitée à son objet d'étude et analyse un type de cause. La physique, par exemple, étudie le mouvement et les différentes causes du mouvement. Or, à partir de cette analyse, nous pouvons ainsi commencer à délimiter la capacité de la science à répondre à notre besoin de vérité. Elle ne peut pas prétendre à une réponse absolue et totale, à une vision totale du réel. Elle s'établit comme une analyse des causes d'un type d'objet particulier. Ce qu'il s'agit de connaître, ce n'est pas le fait particulier, mais ce qui fait que la chose se fait de cette manière. Ce n'est pas voir que les planètes se meuvent, mais ce qui explique ce mouvement. Donc, comprendre la cause universelle et nécessaire derrière les phénomènes observés : dans le cas de la physique, si j'observe un mouvement, ce que produit cette science, c'est la description des causes qui ont agi sur cet objet. Ainsi, la science ne s'intéresse qu'aux cas généraux et pas aux cas particuliers, dont la variabilité serait impossible à étudier. Aristote exclut la relativité des mobiles humains de la science, trop changeants, incertains pour donner lieu à une science. Une science ne doit s'intéresser qu'à des objets qu'elle peut aborder, afin d'élaborer une connaissance absolument fondée. Nous pouvons alors commencer à préciser pour quel domaine elle peut répondre à notre besoin de vérité.2. Science et méthode pour répondre à notre besoin de vérité
Ainsi, pour satisfaire notre besoin de vérité, la science va devoir établir non seulement des objets précis de connaissance, mais aussi des méthodes. Descartes en développe une dans Les règles pour la direction de l'esprit. Il montre comment un esprit doit aborder les sciences et leurs objets afin d'éviter l'erreur, l'ignorance ou le doute. Il cherche donc à contrer différents antagonismes à la science : il rejette la position qui conduit à la rendre impossible en doutant de tout (qu'on a pu trouver chez Zhuangzi), celle qui conduit à la surestimer en lui donnant des objets impossibles à résoudre (qu'on a pu trouver dans l'analyse de l'angoisse de la vérité), et celle qui consiste à utiliser le caractère hasardeux de la recherche de vérité pour critiquer la science (qu'on a pu établir chez Montaigne). Ainsi, il propose de n'aborder les problèmes auxquels nous sommes confrontés qu'avec un esprit analytique qui permet de construire une chaîne solide de raisonnements, tous assurés les uns à partir des autres. Il faut donc, face à un problème, le diviser (ou l'analyser) en parties compréhensibles, claires et distinctes selon l'expression de Descartes, désignant ainsi que chacune des parties ne doive apparaître qu'elle-même avec tous ses éléments, sans confusion. Par exemple, un triangle doit nous apparaître comme trois côtés, trois angles dont la somme fait 180° : c'est une connaissance claire et qui comprend les différentes caractéristiques de ce qui forme un triangle. À partir de là, nous pouvons résoudre, point par point, le problème auquel nous sommes confrontés. En géométrie toujours, par exemple, c'est à partir des caractéristiques du triangle qu'on peut comprendre que, si on connaît la longueur de chaque côté – donc avoir une connaissance claire et distincte ou analyser les éléments dont on a besoin pour l'obtenir – et qu'on établit que le carré de l'hypoténuse est égal au carré des deux autres côtés, alors on peut déduire avec une certitude absolue que le triangle est rectangle. Ainsi, Descartes nous permet de changer de perspective : ce qu'on recherche ce n'est pas tant la vérité que la certitude. Il propose deux idées : notre besoin de vérité ne peut probablement pas être totalement satisfaisait, certaines questions sont au-delà des forces de notre esprit, mais cela dit, certaines vérités sont accessibles à l'esprit méthodique et attentif.
Il est intéressant d'essayer de montrer comment un auteur permet de répondre à un autre auteur, ou une autre conception philosophique pour construire son plan. Historiquement, Descartes reprend le doute à Montaigne, mais essaie de lui répondre. Il rejette le scepticisme pour le rationalisme. Dans les révisions, il peut être opportun de s'intéresser aux réponses historiques qui ont été apportées à des problèmes.
3. La relativité des théories n'est pas un relativisme
Nous avons délimité des objets connaissables pour l'esprit. Mais qu'en est-il du problème soulevé par Montaigne en première partie : est-ce que la succession de théories, sans qu'elles puissent être établies comme définitives, est un problème insurmontable pour notre besoin de vérité ? Car Descartes s'appuie sur un modèle mathématique, qui par son objet, seulement rationnel, peut proposer des vérités définitives. Mais qu'en est-il des sciences non mathématiques ? Qu'en est-il des sciences empiriques ? En s'appuyant sur les analyses de Popper dans Logique de la découverte scientifique, on peut défendre l'idée que la science répond à notre besoin de vérité, non en fournissant la vérité définitive, mais en nous approchant de la vérité, peu à peu, en devenant un chemin vers la vérité. Popper distingue le discours scientifique du discours pseudo-scientifique par l'idée de falsifiabilité : une science est toujours falsifiable, c'est-à-dire qu'on peut montrer, sous certaines conditions, qu'elle est fausse. D'aucuns pourraient penser que cela révèle qu'elle ne répond pas à notre besoin de vérité. Or, si l'on poursuit le raisonnement, Popper montre que c'est ce qui la rend scientifique : son discours doit être repris et critiqué, il ne sera jamais définitif et donc jamais définitivement vrai. Tout ce qu'elle propose, ce sont des théories pas encore réfutées : c'est bien dans cette idée de « pas encore » que nous trouvons aussi l'idée de progrès. Car peu à peu, la science va reprendre une théorie, la critiquer, la corriger, et donc améliorer la compréhension du monde. L'historicité et la variabilité des théories scientifiques ne sont pas des éléments contredisant notre besoin de vérité mais en sont les moteurs. Car nous ne reviendrons pas au géocentrisme : c'est une explication qui est désormais caduque, elle n'a pas la même valeur explicative que la théorie héliocentrique. Ainsi, par l'évolution des connaissances, des méthodes et des outils de travail, la science progresse bien vers la vérité, peut-être sans jamais l'atteindre, mais toujours en sa direction. Elle satisfait à notre besoin de vérité en nous proposant une manière de nous en approcher, au lieu de chercher sans guide, la science propose une direction.
Il ne faut pas hésiter à ré-établir des distinctions pour des notions complexes. Ici par exemple, la science comprend un ensemble de disciplines, toutes avec leurs spécificités : traiter de ces différentes dimensions enrichit la réflexion.
En deuxième analyse, on a donc pu délimiter l'objet de la science et dans quelles conditions elle peut répondre à notre besoin de vérité. En dépassant un relativisme et un scepticisme généralisés par une délimitation de son objet et de sa méthode, elle permet de répondre à certaines dimensions de notre besoin de vérité. Mais si elle ne peut prétendre à l'étancher complètement, que peut-elle apporter à ce besoin ? Comment alors définir son rôle ?
III. La science a-t-elle le droit de prétendre satisfaire nos besoins de vérité ?
L'analyse des dimensions interrogées par le sujet permet de construire un plan et de proposer une troisième partie. Ici, par exemple, c'est le verbe « peut » qui nous sert à basculer de la question de la capacité, étudiée dans les deux premiers temps de la réflexion, vers la notion de légitimité, qui nous permet d'envisager le problème d'un œil neuf.
1. La science ne peut prétendre seule à notre besoin de vérité
Mais que signifie satisfaire notre besoin de vérité ? Que peut la science face aux problèmes de l'obscurité, de l'angoisse, de l'incertitude que nous soulevions en première partie ? Est-ce que savoir que, quelque part, quelqu'un sait, quelqu'un connaît la vérité, qu'un livre existe avec une réponse nous suffirait à être satisfait ? Est-ce qu'entendre parler d'une vérité nous satisfait ? Satisfaire « notre » besoin de vérité, ce n'est pas seulement le satisfaire du point de vue anthropologique, c'est-à-dire satisfaire un besoin humain de vérité, mais aussi satisfaire un besoin individuel de vérité. On pourrait ici insister sur la dimension que « satisfaire mon besoin de vérité », c'est intégrer une vérité à ma vie, à mon existence. La science, par elle-même, propose des exposés sur différents objets : il faut encore que je les intègre. Il ne s'agit pas seulement d'expliquer les phénomènes, il faudrait les comprendre, en faire quelque chose pour moi. C'est ce que propose Simone Weil dans L'Enracinement. Elle déploie une analyse de la vérité qui en fait quelque chose de sacré pour l'être humain, un véritable besoin de l'âme, de l'être humain, et c'est parce que c'est un besoin sacré qu'il faut le prendre au sérieux. Si la vérité est un besoin, c'est parce que c'est ce qui construit notre ancrage dans le réel, une réalité partagée avec les autres, et notre façon d'agir par rapport à celui-ci. Non seulement on ne peut pas faire lire et propager des erreurs, mais on ne peut pas non plus laisser la science prétendre nous donner la vérité. En effet, Simone Weil distingue alors la vérité de la connaissance : ce qu'apportent la science et le savant, ce sont des connaissances. Mais ce qui fait qu'une vérité se donne comme une vérité, c'est parce qu'elle devient une part de moi. La vérité est liée à une forme d'amour : j'aime l'objet que je recherche, ce que j'en comprends résonne en moi comme des vérités, non comme une vague idée sur quelque chose. Apprendre des règles géométriques, c'est acquérir une connaissance, mais pour l'individu qui découvre un nouveau sens au monde, à travers ces règles, alors c'est une vérité. Apprendre que, quelque part, quelqu'un a trompé son partenaire, c'est une connaissance : apprendre que j'ai été trompé, c'est une vérité qui change ma vie. Or, la science par elle-même ne permet pas cette intégration intérieure de la vérité mais propose seulement une description extérieure de son objet, comme une connaissance.
Les philosophes s'appuient sur des distinctions de plus en plus précises pour ajuster les raisonnements. Le candidat peut développer la même stratégie argumentative en utilisant soit des distinctions établies et apprises du programme (connaissance et vérité chez Weil, ici) ou bien les repères du programme (expliquer et comprendre, ici).
2. La science prépare à des vérités transcendantes
La science ne fournit pas elle-même les vérités dont nous avons besoin. Elle est plutôt une préparation en vue de leur découverte. En effet, certaines vérités ne reposent pas sur l'ordre scientifique. C'est ainsi que Maïmonide s'intéresse à la croyance dans Le Guide des égarés : il l'analyse non pas comme quelque chose de l'ordre de l'irrationnel, de l'admission sans compréhension, mais comme quelque chose de conçu dans l'âme et qui ne peut être admis comme faux. Or, une partie de la vérité que nous recherchons, selon lui, tient en une réalité qui dépasse l'intellect humain, une réalité transcendante. Alors que faire ? Il faut d'un côté répondre à certaines questions par la science (on rejoint ici le propos d'Aristote), mais aussi se préparer grâce à la science, conçue alors comme un exercice de l'intelligence, à la compréhension de dogmes vrais que la religion pourra nous révéler. La foi suppose la compréhension pour penser ces réalités abstraites et transcendantes. Ainsi, il y a des croyances vraies, qui ne s'adressent qu'aux individus préparés, ayant fait preuve d'une haute intelligence dans les domaines de la pensée. Une croyance vraie, une croyance dans l'éternité des âmes par exemple, suppose selon lui d'avoir parcouru un ensemble d'autres sciences. La raison s'accorde avec la religion, les textes révélés par les prophètes sont donc vrais si on les lit selon la logique d'un individu préparé par la science. Cette dernière ne satisfait pas par elle-même à notre besoin de croyance, car il existe des réalités transcendantes auxquelles la science ne peut que nous préparer.3. La philosophie au fondement des sciences
En reprenant la logique de réalité transcendante, on peut questionner ce que peuvent les sciences spécifiques : ainsi, Descartes finit par douter de ses propres règles. Il finit par estimer qu'elles aussi doivent s'appuyer sur quelque chose qui les légitime. C'est ce qui entraîne la démarche du doute méthodique qu'on trouve dans les Méditations métaphysiques. En effet, dans ce texte, Descartes recherche un fondement indubitable (dont on ne peut pas douter) à la connaissance. Il utilise pour cela le doute méthodique, c'est-à-dire qu'il entreprend de rejeter comme faux tout type de connaissance ou de source de connaissance où l'on peut trouver de la fausseté, même potentielle. Il rejette ce qu'on lui a appris à l'école, car ce n'est pas une preuve de validité que quelqu'un l'ait transmis. Il rejette ce que ses sens perçoivent car ses sens l'ont déjà trompé, il rejette les mathématiques et le raisonnement car il pourrait très bien avoir été trompé dans la logique même du réel. Que reste-t-il ? Une vérité première et indubitable : « je pense donc je suis », c'est-à-dire que le fait de penser est corrélé au fait d'être, d'exister. C'est à partir de cette première idée indubitable que Descartes construit alors un système de compréhension du monde, jusqu'à retrouver les données des sciences. Sa méthode fait apparaître que la philosophie est le fondement de la science : les sciences abordent des objets spécifiques, mais elles-mêmes reposent sur une science première, la philosophie. Ainsi, si par « science » on entend la philosophie, elle peut répondre à notre besoin de vérité en s'articulant aux sciences spécifiques mais si par science, on entend seulement des sciences spécifiques comme l'arithmétique, la physique, ou l'astronomie, nous n'aurons que des bribes de vérité, nous resterons sur notre faim.
Dans cette partie finale, nous reprenons un auteur déjà analysé, Descartes, sur de nouveaux frais, mais pour introduire une dernière distinction : la science et les sciences. Il ne faut pas hésiter à repréciser des éléments de définition en fonction de l'évolution du propos.
Conclusion
Nous nous sommes demandé si la science pouvait répondre à notre besoin de vérité. Nous avons tenté ici de déployer plusieurs enjeux : l'adéquation entre la vérité et la science, l'étendue du réel et l'étendue de la science, et finalement au cours du parcours, nous avons tenté de penser le besoin de vérité. Nous avons alors pu repérer qu'un besoin de vérité provenait d'une angoisse face à l'ignorance, devant un réel trop lointain, inaccessible et finalement auquel même la science n'apportait pas de réponse. Cela nous a permis, dans un second temps, de préciser l'objet et la méthode de la science et de montrer qu'elle répondait, à certaines conditions, à notre curiosité. Enfin, nous avons pu resituer la place et le droit de la science dans la question de la vérité : elle propose moins des vérités que des connaissances, et ce qu'elle propose nous conduit à interroger des domaines qui la dépassent. Ainsi, les sciences s'appuient sur d'autres disciplines pour nous fournir les vérités dont nous avons besoin.
La conclusion consiste en l'établissement de la réponse à la question posée par le sujet, avec les différents points de passage de l'argumentation. Elle synthétise donc l'effort logique effectué dans le raisonnement.