Texte de Marcel Aymé, analyse de l'image (sujet 2018)

Énoncé

Texte
La scène se déroule, après la Seconde Guerre mondiale, dans la ville de Blémont qui a subi d'importantes destructions.
« Léopold s'assura que la troisième était au complet. Ils étaient douze élèves, quatre filles et huit garçons qui tournaient le dos au comptoir. Tandis que le professeur gagnait sa place au fond de la salle, le patron alla retirer le bec de cane(1) à la porte d'entrée afin de s'assurer contre toute intrusion. Revenu à son zinc(2), il but encore un coup de vin blanc et s'assit sur un tabouret. En face de lui le professeur Didier s'était installé à sa table sous une réclame d'apéritif accrochée au mur. Il ouvrit un cahier, jeta un coup d'œil sur la classe de troisième et dit :
– Hautemain, récitez.
Léopold se pencha sur son siège pour voir l'élève Hautemain que lui dissimulait la poutre étayant le plafond. La voix un peu hésitante, Hautemain commença :
Seigneur, que faites-vous, et que dira la Grèce ?
Faut-il qu'un si grand cœur montre tant de faiblesse ?(3)
– Asseyez-vous, dit le professeur lorsque Hautemain eut fini. Quinze.
Il notait avec indulgence. Estimant que la plupart de ces enfants vivaient et travaillaient dans des conditions pénibles, il voulait les encourager et souhaitait que l'école, autant que possible, leur offrît les sourires que leur refusait trop souvent une existence troublée.
À son zinc, Léopold suivait la récitation des écoliers en remuant les lèvres et avalait anxieusement sa salive lorsqu'il sentait hésiter ou trébucher la mémoire du récitant. Son grand regret, qu'il n'oserait jamais confier à M. Didier, était de ne participer à ces exercices qu'en simple témoin. Léopold eût aimé réciter, lui aussi :
Captive, toujours triste, importune à moi-même,
Pouvez-vous souhaiter qu'Andromaque vous aime ?
Malgré la timidité et le respect que lui inspirait Andromaque, il lui semblait qu'il eût trouvé les accents propres à émouvoir le jeune guerrier. Il se plaisait à imaginer sa voix, tout amenuisée par la mélancolie et s'échappant du zinc comme une vapeur de deuil et de tendresse.
– Les cahiers de préparation, dit le professeur Didier.
Les élèves ayant étalé leurs cahiers, il alla de table en table s'assurer qu'ils avaient exécuté le travail portant sur un autre passage d'Andromaque. Pendant qu'il regagnait sa place, Léopold se versa un verre de blanc.
– Mademoiselle Odette Lepreux, lisez le texte. […]
Odette se mit à lire d'une voix claire, encore enfantine, où tremblaient des perles d'eau fraîche :
Où fuyez-vous, Madame ?
N'est-ce point à vos yeux un spectacle assez doux
Que la veuve d'Hector pleurante à vos genoux ?(4)
Sur ces paroles d'Andromaque, la patronne, venant de sa cuisine, pénétra discrètement dans l'enceinte du zinc. Comme elle s'approchait du cafetier, elle eut la stupéfaction de voir les larmes ruisseler sur ses joues cramoisies et interrogea :
– Qu'est-ce que t'as ?
– Laisse-moi, murmura Léopold. Tu peux pas comprendre. […]
Odette Lepreux poursuivait sa lecture :
Par une main cruelle hélas ! J'ai vu percer
Le seul où mes regards prétendaient s'adresser.
La patronne considérait cet homme étrange, son mari, auquel ses reproches et ses prières n'avaient jamais réussi, en trente ans de vie commune, à tirer seulement une larme. Ne revenant pas de son étonnement, elle oublia une minute ce qu'elle était venue lui dire. »
Marcel Aymé, Uranus, 1948.

Image
Sujet national, juin 2018 - illustration 1
Photogramme tiré du film Uranus réalisé par Claude Berri, 1990.
Travail sur le texte littéraire et sur l'image
Les réponses doivent être entièrement rédigées.
Compréhension et compétences d'interprétation
1. Où se déroule la scène ? Qui est Léopold ? Pourquoi la situation présentée peut-elle surprendre ? Justifiez votre réponse.
Lisez attentivement le texte et l'introduction en italique. Relevez les indices sur le lieu où se déroule cette scène (noms de lieu, éléments de décor, personnages, etc.). Observez le nom des personnages, leur rôle, leur métier. Précisez qui est Léopold. Appuyez-vous sur vos observations (lieu, personnages) ; expliquez pourquoi la situation vous surprend.
2. De « Léopold se pencha » à « la mémoire du récitant »  : comment se manifeste l'intérêt de Léopold pour le cours du professeur Didier ? Développez votre réponse en vous appuyant sur trois éléments significatifs.
Observez le comportement de Léopold durant le cours de français : attitudes, gestes, réactions physiques. Relevez et expliquez trois éléments qui révèlent bien cet intérêt.
3. De « Son grand regret » à « le jeune guerrier » : quels liens Léopold établit-il avec le personnage tragique d'Andromaque ? Comment l'expliquez-vous ? Développez votre réponse.
Définissez clairement « liens ». Relisez votre réponse à la question 2. Précisez les liens que Léopold établit avec Andromaque : quels sentiments éprouve-t-il ?
4. De « Odette se mit à lire » à « l'enceinte du zinc » : que ressent Léopold quand Odette lit l'extrait d'Andromaque ? Justifiez votre réponse en vous appuyant sur une image que vous analyserez.
Relisez ces lignes. Observez les réactions physiques qui expriment les sensations, les sentiments de Léopold durant la lecture d'Odette. Interrogez-vous : quelle image l'auteur emploie-t-il ? Métaphore ? Comparaison ? Relevez et analysez l'image qui traduit le mieux les sentiments de Léopold.
5. 
a) Par quelles oppositions la scène du film reproduite ci-dessus cherche-t-elle à faire rire le spectateur ? Donnez trois éléments de réponse.
Observez l'image extraite du film : lieu, décor, personnages, attitudes, expression du corps et du visage, etc. Comparez avec le texte de Marcel Aymé. Recherchez les oppositions mises en relief dans l'image. Lesquelles provoquent le rire ? Proposez trois éléments d'opposition.
b) Qu'est-ce qui peut relever également du comique dans la fin du texte, de « Sur ces paroles d'Andromaque » à « ce qu'elle était venue lui dire »?
Relisez la fin du texte. Relevez les éléments comiques de ce passage. Observez les personnages : attitudes, réactions, physique, situation, etc.
Grammaire et compétences linguistiques
6. L'une des phrases suivantes contient une proposition subordonnée relative et l'autre une proposition subordonnée complétive :
« Léopold s'assura que la troisième était au complet.»
« Léopold se pencha sur son siège pour voir l'élève Hautemain que lui dissimulait la poutre étayant le plafond. »
a) Trouvez dans quelle phrase se trouve la proposition subordonnée relative. Recopiez-la sur votre copie.
b) Trouvez dans quelle phrase se trouve la proposition subordonnée complétive. Recopiez-la sur votre copie.
c) Expliquez comment vous avez pu différencier chacune de ces deux propositions.
Relevez dans ces deux phrases le mot qui introduit une proposition subordonnée. Identifiez la nature de ce mot : pronom relatif, conjonction de subordination ? Rappelez-vous : un pronom relatif a en général un antécédent. La relative est souvent une expansion du nom : est-elle essentielle dans la phrase ? Une subordonnée complétive est en général COD ou COI d'un verbe exprimant des paroles (dire), des sentiments (craindre), une volonté (vouloir). Est-elle essentielle dans la phrase ?
a)  
Recopiez la subordonnée relative.
b)  
Recopiez la subordonnée complétive.
c)  
En vous appuyant sur vos analyses, expliquez comment vous avez identifié chaque subordonnée.
7. Voici deux phrases au discours direct dont le verbe introducteur est au présent :
Andromaque demande à Pyrrhus : « Seigneur, que faites-vous, et que dira la Grèce ? »
Andromaque déclare à Hermione : « J'ai vu percer le seul où mes regards prétendaient s'adresser. »
Sur votre copie, réécrivez ces deux phrases au discours indirect en mettant le verbe introducteur au passé simple. Vous ferez toutes les modifications nécessaires.
La réécriture consiste :
  • en une transformation du discours direct en discours indirect ;
  • en un passage du verbe introducteur au passé simple, ce qui modifie la concordance des temps.
Soulignez les éléments à modifier : ponctuation, pronoms, déterminants possessifs, verbes (temps). Commencez par la seconde phrase, qui pose moins de problèmes. Pour la première phrase, identifiez qui le pronom personnel « vous » représente. Est-il possible de garder tous les éléments de la phrase au discours direct ?
8. « La patronne considérait cet homme étrange, son mari, auquel ses reproches et ses prières n'avaient jamais réussi, en trente ans de vie commune, à tirer seulement une larme. »
a) Donnez un synonyme de l'adjectif « étrange ».
b) L'adjectif « étrange » vient du latin extraneus qui signifiait « qui n'est pas de la famille, étranger ». Comment ce sens premier peut-il enrichir le sens de cet adjectif dans le texte ?
Analysez l'étymologie de « étrange ». Quel lien pouvez-vous établir entre le sens en latin et le sens en français ? Appuyez-vous sur les liens qui unissent le patron et la patronne du café. Précisez en quoi l'origine de l'adjectif « étrange » enrichit son sens dans cette situation précise.
Dictée
Le collège de Blémont étant détruit, la municipalité avait réquisitionné certains cafés pour les mettre à la disposition des élèves, le matin de huit à onze heures et l'après-midi de deux à quatre. Pour les cafetiers, ce n'étaient que des heures creuses et leurs affaires n'en souffraient pas. Néanmoins, Léopold avait vu d'un très mauvais œil qu'on disposât ainsi de son établissement et la place Saint-Euloge avait alors retenti du tonnerre de ses imprécations. Le jour où pour la première fois les élèves étaient venus s'asseoir au café du Progrès, il n'avait pas bougé de son zinc, le regard soupçonneux, et affectant de croire qu'on en voulait à ses bouteilles. Mais sa curiosité, trompant sa rancune, s'était rapidement éveillée et Léopold était devenu le plus attentif des élèves.
D'après Marcel Aymé, Uranus, 1948.
Rédaction
Vous traiterez à votre choix l'un des sujets suivants.
Sujet d'imagination
« – Laisse-moi, murmura Léopold. Tu peux pas comprendre. »
À la fin du cours, c'est à M. Didier, le professeur de français, que Léopold se confie sur son grand regret de n'avoir pu poursuivre ses études et découvrir des œuvres littéraires. Racontez la scène et imaginez leur conversation en insistant sur les raisons que donne Léopold et sur les émotions qu'il éprouve.
Procéder par étapes
Étape 1. Lisez attentivement le sujet. Repérez et soulignez les mots clés : « À la fin du cours », « à M. Didier, le professeur de français », « Léopold se confie sur son grand regret de n'avoir pu poursuivre ses études et découvrir des œuvres littéraires », « les raisons que donne Léopold et […] les émotions qu'il éprouve ».
Étape 2. Repérez et encadrez la forme du texte à produire : « Racontez la scène », « imaginez leur conversation ». C'est la suite du texte que vous devez inventer. Il faut donc respecter :
  • la situation : le cours de français de M. Didier dans le café de Léopold, la lecture d'Andromaque, l'émotion de Léopold ;
  • le genre narratif : le récit, avec sa chronologie, ses dialogues, ses passages descriptifs ;
  • la narration à la 3e personne du singulier, le récit au passé simple (et les temps qui concordent avec lui) ;
  • la forme du dialogue dans le roman (différente du dialogue théâtral) ;
  • le cadre spatio-temporel (le café, l'après-guerre) et la situation des personnages (la fin du cours de français sur la tragédie Andromaque) ;
  • les contraintes du sujet : les regrets de Léopold sur l'arrêt de ses études et de sa découverte de la littérature, ses émotions.
Étape 3. Trouvez des idées : suite immédiate du texte (le départ des élèves, le dialogue de Léopold et du professeur), attitude et réactions des personnages, sentiments (regrets de Léopold, compréhension de M. Didier, etc.), raisons de l'arrêt des études de Léopold et de l'absence de lecture.
Étape 4. Établissez le plan de votre rédaction :
  • mise en place de la suite du récit (le départ des élèves et de la femme de Léopold, la confession de Léopold à M. Didier) ;
  • dialogue entre Léopold et M. Didier : explications, expression des sentiments, etc. ;
  • réactions et actions, attitude et sentiments des personnages (passages narratifs courts) ;
  • fin du dialogue et départ de M. Didier.
Étape 5. Rédigez votre texte en formant des paragraphes pour les différentes parties ; respectez la forme et la ponctuation du dialogue dans le roman : retours à la ligne, tirets, alinéas, temps des verbes, pronoms personnels, verbes introducteurs, etc. Dans le texte de Marcel Aymé, le dialogue ne comporte pas de guillemets ; ne les utilisez pas.
Étape 6. Relisez-vous et corrigez d'éventuelles erreurs de ponctuation, d'orthographe.
Sujet de réflexion
Vous avez lu en classe ou par vous-même de nombreuses œuvres littéraires dans leur intégralité ou par extraits. Vous expliquerez ce que vous ont apporté ces lectures et vous direz pour quelles raisons il est toujours important de lire aujourd'hui.
Procéder par étapes
Étape 1. Lisez attentivement le sujet. Repérez et soulignez les mots clés : « vous avez lu en classe ou par vous-même », « de nombreuses œuvres littéraires », « ce que vous ont apporté ces lectures », « pour quelles raisons », « important de lire aujourd'hui ». Le thème général est la lecture des œuvres littéraires.
Étape 2. Repérez la forme du texte à produire : « vous expliquerez… », « vous direz pour quelles raisons ». Vous devez produire un développement organisé et argumenté. Il faut donc respecter :
  • le genre argumentatif : le développement organisé, avec sa progression, ses analyses et ses arguments, ses exemples ;
  • le temps de l'argumentation : le présent et les temps qui s'articulent avec lui ;
  • la composition en parties et paragraphes.
Étape 3. Définissez la problématique, qui comprend deux aspects ici : que vous a apporté la lecture des œuvres littéraires ? pourquoi est-il important de lire aujourd'hui ?
Définissez votre réponse, votre thèse : 1. Ce que la lecture des œuvres littéraires m'a apporté, 2. Les raisons pour lesquelles, selon moi, il est important de lire aujourd'hui
1.  Les apports de la lecture : les œuvres littéraires nous aident à nous connaître, à nous comprendre nous-mêmes, nous enrichissent, etc. Trouvez au moins trois arguments pour développer cet aspect (par exemple, les écrivains créent des personnages qui nous ressemblent, qui vivent des expériences qui sont les nôtres ou proches des nôtres ; les questions posées dans leurs œuvres sont celles que nous nous posons : la vie, la mort, l'amour, le bonheur, la liberté, la condition humaine, la génétique, la violence, etc. ; l'écrivain apporte des réponses, montre ce que nous sommes, ce que nous pourrions être…).
2.  Les raisons pour lesquelles il faut lire aujourd'hui : trouvez au moins trois arguments pour développer cet aspect (par exemple, les conflits, les menaces, les catastrophes, les problèmes d'environnement, le rythme effréné dans notre société, l'indifférence, le confort matériel ou spirituel, le pessimisme ambiant nous empêchent de voir le monde, ses beautés, sa richesse).
Étape 4. Trouvez :
  • d'autres idées et arguments pour développer les deux dimensions du sujet ;
  • des exemples d'écrivains, d'œuvres littéraires, pour illustrer votre propos.
Étape 5. Établissez le plan de votre argumentation.
  • L'introduction présente le thème et pose la question. Passez une ligne avant le développement.
  • Le développement expose votre point de vue, soutenu par au moins trois arguments et trois exemples. Un paragraphe développe un argument. Défendez votre thèse en utilisant des modalisateurs de certitude (assurément, j'affirme, incontestablement…) ou de nuance (peut-être, sans doute, emploi du conditionnel, mais, certes…), des figures de style comme l'hyperbole, l'énumération, les fausses questions (ou questions rhétoriques) ou le vocabulaire positif, mélioratif pour affirmer votre point de vue. Passez une ligne avant la conclusion.
  • La conclusion rappelle que vous avez répondu à la question posée en dressant un bilan rapide.
Étape 6. Rédigez en matérialisant les parties (sauts de ligne, retours à la ligne).
Étape 7. Relisez-vous et corrigez d'éventuelles erreurs d'orthographe, de syntaxe, de ponctuation.
(1)Bec de cane : élément de serrurerie qui permet de fermer une porte de l'intérieur sans utiliser de clé.
(2)Zinc : comptoir de bar.
(3)Le texte en italique renvoie à des extraits de la tragédie Andromaque de Jean Racine (1667). Après la prise de Troie, Andromaque, veuve d'Hector, devient la prisonnière de Pyrrhus, qui tombe amoureux d'elle. Dans ces deux passages, Andromaque s'adresse à Pyrrhus pour le convaincre de renoncer à cet amour.
(4)Dans ces extraits, Andromaque s'adresse à Hermione qui devait épouser Pyrrhus. Hermione considère donc Andromaque comme une rivale. Andromaque lui déclare qu'elle n'aime que son mari, Hector, mort transpercé par une épée.

Corrigé

Travail sur le texte littéraire et sur l'image
Compréhension et compétences d'interprétation
1. La scène se passe dans un café de Blémont : « zinc », « comptoir », « tabouret », « réclame d'apéritif », « cafetier ». Léopold est le patron du café. La situation surprend car le cours de français est donné dans le café et non dans la salle de classe d'un collège. Sans doute est-ce à cause des destructions subies par la ville durant la guerre : le collège est peut-être en ruine.
2. Léopold manifeste son intérêt en bougeant, car il ne voit pas bien l'élève Hautemain, dissimulé par une poutre. Ensuite il ressent les mêmes émotions que les élèves qui récitent : « en remuant les lèvres [il] avalait anxieusement sa salive lorsqu'il sentait hésiter ou trébucher la mémoire du récitant ». Il déplore de n'être qu'un simple témoin, il aurait voulu réciter « lui aussi » les vers d'Andromaque. À la fin de l'extrait, sa femme est surprise de « voir les larmes ruisseler sur ses joues cramoisies » : Léopold vit intensément la récitation.
3. Léopold éprouve une certaine « timidité » et un profond « respect » pour le personnage tragique d'Andromaque : « Malgré la timidité et le respect que lui inspirait Andromaque » ; il vit même par procuration les malheurs de l'héroïne, il ressent de l'empathie voire de l'affection pour elle : « il lui semblait qu'il eût trouvé les accents propres à émouvoir le jeune guerrier. Il se plaisait à imaginer sa voix, tout amenuisée par la mélancolie et s'échappant du zinc comme une vapeur de deuil et de tendresse ». Léopold s'identifie totalement à Andromaque dans sa tentative de se libérer de Pyrrhus.
4. Quand Odette lit, Léopold ressent une très vive émotion au point de pleurer à chaudes larmes : « les larmes ruisseler sur ses joues cramoisies » ; le rouge intense de ses joues traduit aussi cette émotion provoquée par la candeur et la jeunesse d'Odette, sorte d'incarnation d'Andromaque. Cette sensibilité à fleur de peau s'exprime par l'image de l'eau, « d'une voix claire, encore enfantine, où tremblaient des perles d'eau fraîche » ; on perçoit la fraîcheur, la clarté, la beauté (« perles ») de la voix, qui suscite cette réaction chez Léopold. La métaphore est comme filée : « la veuve d'Hector pleurante à vos genoux », « les larmes ruisseler ».
5. 
a) Plusieurs oppositions peuvent provoquer le rire chez les spectateurs du film : le contraste entre Léopold et sa femme, lui plutôt rond et rougeaud, elle maigre et pâlotte ; Léopold est debout, bras levés vers le ciel, dans une posture qu'il veut tragique, comme celle d'Andromaque implorant Pyrrhus ; exalté, il récite les vers de Racine, en proie à une émotion intense, un véritable bonheur, qui le transfigurent et le grandissent : il n'est plus le cafetier de Blémont, dans son bar, à avaler des verres de blanc, il « est » Andromaque, bien loin de ce quotidien morne et banal qui est le sien. Sa femme, elle, reste attachée aux tâches du quotidien, les yeux baissés, assise à une table, elle épluche des pommes de terre ! Son visage ne traduit guère d'émotions intenses, plutôt lassitude et ennui. Ces deux personnages sont à ce moment dans deux univers différents.
b) L'inversion des rôles ou des préjugés de genre est également source de comique : Léopold a un comportement qu'on prête habituellement aux femmes : hypersensibilité, aptitude à pleurer facilement (les larmes ruissellent sur ses joues), imagination débordante ; sa femme est plus indifférente à la beauté de la tragédie de Racine, à l'émotion qu'elle suscite chez son mari, qu'elle ne reconnaît pas : « La patronne considérait cet homme étrange, son mari, auquel ses reproches et ses prières n'avaient jamais réussi, en trente ans de vie commune, à tirer seulement une larme ».
Grammaire et compétences linguistiques
6. 
a) « Léopold se pencha sur son siège pour voir l'élève Hautemain que lui dissimulait la poutre étayant le plafond. »
b) « Léopold s'assura que la troisième était au complet. »
c) La subordonnée complétive est un complément essentiel de la phrase : elle ne peut être supprimée car la phrase n'aurait plus de sens et serait incorrecte ; par ailleurs la conjonction « que » se situe juste après un verbe de déclaration, de parole, « s'assura ». La subordonnée relative apporte une information sur l'élève Hautemain, antécédent du pronom relatif « que » ; la relative n'est pas essentielle, on peut la supprimer sans que la phrase soit incorrecte ; simplement, une information disparaît.
7. Andromaque demanda à Pyrrhus ce qu'il faisait et ce que dirait la Grèce.
Andromaque déclara à Hermione qu'elle avait vu percer le seul où ses regards prétendaient s'adresser.
8. 
a)  « Bizarre » est un synonyme d' « étrange ».
b) L'étymologie latine permet de mieux comprendre l'adjectif « étrange » dans ce texte ; en effet, Léopold apparaît comme un étranger à sa femme, comme s'ils n'avaient pas vécu ensemble durant trente ans, comme s'ils n'étaient pas de la même famille. Elle ne le comprend pas, elle découvre chez son mari des attitudes et des réactions totalement insoupçonnées.
Dictée
De nombreux verbes sont au plus-que-parfait de l'indicatif :
  • avec l'auxiliaire avoir : « la municipalité avait réquisitionné » ; « Léopold avait vu » ; « la place Saint-Euloge avait […] retenti » ; « il n'avait pas bougé » ; les participes passés ne s'accordent pas car le COD est placé après le verbe, ou le verbe n'a pas de COD (« bouger ») ;
  • avec l'auxiliaire être (le participe passé s'accorde en genre et en nombre avec le sujet) : « les élèves étaient venus » ; « sa curiosité […] s'était rapidement éveillée » (sujet et verbe sont séparés) ; « Léopold était devenu ».
Plusieurs verbes sont à l'imparfait de l'indicatif : « ce n'étaient que des heures creuses » (« étaient » est au pluriel à cause de « des heures creuses » : ces heures étaient creuses) ; « leurs affaires n'en souffraient pas » ; « on en voulait ».
Quelques verbes sont au mode participe : « le collège de Blémont étant détruit » (le participe s'accorde avec « collège ») ; « il […] affectant » ; « sa curiosité, trompant ».
Un verbe est à l'imparfait du subjonctif : « on disposât » (à ne pas confondre avec le passé simple on disposa, sans accent circonflexe ni t).
Trois verbes sont à l'infinitif car ils dépendent d'une préposition (« pour », « de ») ou d'un autre verbe (venir) : « pour les mettre » (attention ! Le pronom personnel COD « les » n'entraîne pas une marque de pluriel : n'écrivez surtout pas « les mettres » !) ; « étaient venus s'asseoir » ; « de croire ».
Les adjectifs qualificatifs épithètes ou apposés s'accordent en genre et en nombre avec le nom qu'ils qualifient : « des heures creuses » ; « un très mauvais œil » ; « la première fois » ; « le regard soupçonneux ».
Un adjectif s'accorde avec le sujet car il est attribut d'un verbe d'état : « il était devenu le plus attentif des élèves ».
Attention à l'écriture des nombres : « huit », « onze », « deux », « quatre ». Ils ne prennent pas de s, marque du pluriel.
Des noms masculins ou féminins se terminent en -é : « municipalité », « café », « curiosité ».
Deux noms se terminent en -tion : « disposition », « imprécations ».
Certains noms de métier s'écrivent en -er ou -ier : « cafetier ».
Plusieurs mots comportent une consonne doublée : « collège », « réquisitionné », « mettre », « affaires », « souffraient », « établissement », « tonnerre », « s'asseoir », « soupçonneux » (attention à la cédille), « affectant », « éveillée », « attentif ».
Ne confondez pas certains homonymes : « à » (préposition) / as, a (avoir) ; « ce » (« n'étaient ») / « s'était » (« éveillée »).
Rédaction
Sujet d'imagination
Ne revenant pas de son étonnement, elle oublia une minute ce qu'elle était venue lui dire. Elle décida donc de descendre à la cave chercher quelques légumes pour préparer la soupe. Quelques ouvriers des chantiers voisins prenaient leur repas au café depuis plusieurs jours.
M. Didier donna le signal de fin des cours. Les élèves rangèrent cahiers et livres dans leur cartable. Léopold remit le bec de cane et leur ouvrit la porte. Les enfants se précipitèrent dans la rue, joyeux de cette liberté temporaire.
M. Didier s'attardait au comptoir. Léopold lui proposa un verre de blanc, que le professeur refusa poliment.
– Quel beau texte ! s'exclama Léopold, encore troublé par la lecture d'Odette. Oh oui ! ça m'a tout chamboulé les sangs !
– Je l'ai vu, répondit le professeur. Il est vrai qu'Odette lit très bien, elle met en valeur l'intensité des vers de Racine. Et puis, Andromaque est une héroïne extraordinairement émouvante.
– Je les envie, vos élèves, monsieur Didier. J'aurais aimé aller au collège, comme eux. Ils en ont de la chance de découvrir nos grands auteurs ! Vous savez, je n'étais pas mauvais à l'école. Pas brillant, mais je me débrouillais plutôt bien. J'ai eu mon certificat d'études à treize ans. L'instituteur est même allé voir mes parents pour les convaincre de m'envoyer au collège. Mais, à cette époque, dans nos villages, il fallait travailler tôt pour rapporter une paye. Alors ils m'ont placé chez un cafetier, qui faisait aussi le commerce du charbon.
– Autres temps, autres mœurs, dit le professeur d'un ton sentencieux.
– Bien vrai, reprit Léopold, ému à l'évocation de son enfance. Mes camarades de classe, les garçons, pour la plupart, sont partis travailler dans les champs, et les filles étaient placées comme servantes dans les fermes, ou dans les petits commerces, comme vendeuses. Fini, la lecture ! Je remplissais des sacs de charbon, je rangeais les cageots de bouteilles dans la cave, je lavais les verres… Le soir, je m'écroulais sur mon lit, épuisé par ma journée de labeur. Pas question de lire ! Pas la force ! Pourtant, j'aurais bien aimé me plonger dans un livre, découvrir les aventures vécues par les héros, parcourir les mers ou les airs, comme dans les romans de Jules Verne. Michel Strogoff ! Voilà un véritable héros ! Le fils de mon patron possédait toutes ses œuvres. Je lisais les titres et ça me faisait rêver, voyager. Jamais il n'a proposé de m'en prêter ! Mes mains étaient toujours sales, j'aurais abîmé la belle couverture et les pages blanches ! Longtemps je lui en ai voulu.
– Pourquoi ne vous êtes-vous pas mis à la lecture depuis que vous êtes le patron de ce café ? Il n'est jamais trop tard, interrogea M. Didier.
Visiblement, cette remarqua ébranla Léopold. Il demeura silencieux un moment.
– La vie. La vie, elle ne permet pas toujours de faire ce qu'on rêve de faire, expliqua Léopold, d'un air énigmatique. Elle vous laisse des regrets, et on est obligé de vivre avec. Pourtant, je sais que la lecture m'aurait emmené loin de Blémont, du café et de sa routine. Elle m'aurait montré les beautés du monde, à moi, qui n'ai jamais quitté le village. J'aurais vécu des passions extraordinaires, éprouvé des émotions fortes. Comme Andromaque, je me serais battu pour protéger mon fils, rester fidèle à mon amour pour Hector. Et peut-être que mes lectures m'auraient enrichi, cultivé… que je ne serai pas devenu cafetier dans ce trou perdu. Mais ce serait une autre histoire…
Ses yeux brillaient d'un feu étrange quand il parlait. Il s'identifiait à ces héros, il s'exaltait en rêvant à ces existences tumultueuses. Il levait les bras au ciel… Puis, soudain, il se mit à déclamer :
«  Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.
J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.  »

– Ce que je préférais, c'était la poésie. Ah ! je me souviens encore de ce poème de Victor Hugo, que nous avions appris. J'adorais le réciter au tableau, devant la classe, ébahie par l'émotion, la tristesse que je parvenais à exprimer. Je devenais Hugo, en pèlerinage vers la tombe de sa fille.
Ses yeux se mouillaient de larmes à nouveau. Aussi pour ne pas le gêner, M. Didier prit congé.
– À demain, Léopold.
Léopold ne répondit pas, perdu dans ses pensées… dans ses regrets… Au comptoir, il se versa un verre de blanc. Sans doute pour oublier les désillusions de sa morne existence… sans les livres qu'il aimait tant.
Sujet de réflexion
Selon différents sondages effectués, les jeunes liraient moins qu'avant, délaisseraient même la littérature au profit du numérique. Pourtant la réalité oblige à nuancer ces résultats. Certes les liens des jeunes avec les œuvres littéraires se sont distendus, mais ils ne sont pas rompus ; les adolescents d'aujourd'hui ont établi d'autres liens. Le succès de certaines séries télévisées, de certains films ont amené les jeunes vers les œuvres dont ces films et séries sont les adaptations. L'exemple le plus probant est l'œuvre de Tolkien : Le Seigneur des anneaux, Bilbo le Hobbit.
On peut donc légitimement penser que la lecture présente un intérêt à leurs yeux. De plus, les programmes scolaires invitent à étudier différents auteurs, différents genres et à enrichir leur culture littéraire personnelle.
Que m'apporte la lecture d'œuvres littéraires ? On peut aussi se demander pourquoi il est important de lire aujourd'hui, peut-être plus qu'hier.
Tout d'abord, il me semble évident que la lecture d'œuvres littéraires est un enrichissement culturel personnel : j'accède à une large part de notre patrimoine culturel. Au collège, je découvre des auteurs dits « classiques », que je n'aurais pas spontanément lus : des contes de Voltaire (Candide, L'Ingénu), des poètes comme Guillevic, Ponge. Mais, je lis également des ouvrages d'aujourd'hui, en prise avec notre monde, et qui n'appartiennent pas forcément à ceux que l'on appelle les grands auteurs : John Green (Nos étoiles contraires), Katherine Pancol (Muchachas), Ransom Riggs (Miss Peregrine et les Enfants particuliers). Ces deux types de littérature se complètent et contribuent à mon enrichissement et à mon plaisir. De plus, Internet permet aujourd'hui de partager le plaisir éprouvé à la lecture d'un roman, le jugement et les réflexions sur les œuvres ; des « booktubers » ont fait leur apparition sur Youtube : de jeunes lecteurs postent des chroniques sur leurs lectures, leurs coups de cœur ou leurs coups de gueule. Ainsi, lire n'est plus une activité solitaire, c'est source d'échanges, de communication : on se construit une culture, un goût, qui nous incitent à aller vers la « grande littérature » afin de découvrir d'autres univers, d'autres visions de la vie, du monde, d'autres opinions sur les grandes questions qui se posent de nos jours.
Ensuite, la lecture d'œuvres littéraires enrichit notre être : elle nous fait vivre, par procuration ou par identification, des expériences, des aventures, des émotions, des passions, auxquelles notre jeune âge ne nous a pas forcément confrontés. Lire le Journal d'Anne Frank est une expérience marquante, inoubliable. Nous vivons son quotidien jusqu'à son arrestation et sa déportation. Le roman Une Vie, de Maupassant, raconte l'existence d'une jeune fille, depuis sa sortie du couvent : ses rêves de jeune fille, son mariage, la maternité, la trahison de son mari, la mort de ses parents… ses illusions et désillusions, le bonheur et le malheur, la joie et la tristesse. La palette des émotions est riche ; en quelques centaines de pages, nous vivons des situations et des émotions qui enrichissent notre connaissance de la vie, du monde, de l'âme et du cœur humains. C'est une aide précieuse pour ne pas commettre les mêmes erreurs, pour tirer une leçon de vie.
Enfin, la littérature est source de dépaysement, de divertissement, d'évasion. Elle n'apporte pas que savoirs et expérience, elle procure également l'oubli, le rire, nécessaires à notre équilibre, surtout dans un monde en crise. Un bon roman d'aventures de Jules Verne nous fait voyager vers des contrées lointaines, exotiques parfois. Deux ans de vacances est un de mes romans préférés de cet auteur : il raconte les aventures d'enfants naufragés sur une île déserte, loin des routes maritimes habituelles. Le temps de la lecture, je deviens un de ces naufragés, perdu au milieu de l'océan.
On a longtemps pensé que l'image, le cinéma puis la télévision, et de nos jours l'ordinateur, la tablette ou le smartphone nous feraient oublier les œuvres littéraires, le livre. C'est en partie vrai mais il me paraît essentiel de continuer à lire aujourd'hui ; en effet, l'image n'apporte pas les mêmes bienfaits que le livre. La puissance du texte est différente. D'ailleurs, certains écrivains ont montré comment des sociétés tyranniques ont tenté de supprimer les livres. Dans Fahrenheit 451, Ray Bradbury raconte comment le livre, source de connaissance et de réflexion, est interdit ; un corps de pompiers est même créé pour récupérer et brûler tous les ouvrages. La censure a souvent frappé la littérature, les écrivains. C'est pourquoi, pour préserver notre liberté, notre accès au passé, à notre histoire, nous devons lire les livres, « papier » ou numériques.
D'autres vous diront que la lecture aide à mieux maîtriser la langue, enrichir le vocabulaire ou l'orthographe, dans une société où ces compétences font de plus en plus défaut. C'est vrai, mais ce n'est qu'un aspect de la question. Pour moi, la fonction essentielle des œuvres littéraires est ailleurs : dans la rencontre avec un auteur, un univers, un regard sur le monde et les hommes, dans la rencontre avec soi-même. Leurs mots stimulent davantage mon esprit et mon imagination que l'image, plus mobile, plus rapide. Je peux revenir en arrière, relire, mieux percevoir le sens caché, approfondir. Dans une société où tout doit aller vite, où le zapping est pratique courante, j'affirme qu'il faut défendre la lenteur et la profondeur que permet le livre.
En conclusion, pourrions-nous concevoir un monde sans lecture ? Assurément non. Les œuvres littéraires sont une richesse irremplaçable dont il faut absolument profiter pour nous enrichir. Loin de moi, l'idée que la littérature est la seule source d'enrichissement personnel, culturel ; aujourd'hui, nous ne devons négliger aucune forme d'expression, aucun média, mais l'homme est ainsi fait, il tombe souvent dans les extrêmes : il délaisse alors la lecture des livres au profit des moyens de communication nouveaux, plus « modernes ». Profitons pleinement de toutes les productions artistiques, en préservant un équilibre fragile dans un monde où tout change très vite. N'oublions pas que la machine est au service de l'homme, et non l'inverse.