Texte d'Antoine de Saint-Exupéry, analyse de l'image (sujet inédit)

Énoncé

Texte
Dans Pilote de guerre, Saint-Exupéry, écrivain et pilote, offre un témoignage des missions qu'il a effectuées au sein du groupe d'aviation 2/33 de 1939 à 1940, jusqu'à la défaite et la signature de l'armistice en juin 1940 qui coupera la France en deux zones.
« Aux heures de paix, on sait où trouver chaque objet. On sait où joindre chaque ami. On sait aussi où l'on ira dormir le soir. […] Mais voici la guerre.
Je survole donc des routes noires de l'interminable sirop qui n'en finit plus de couler. On évacue, dit-on, les populations. Ce n'est déjà plus vrai. Elles s'évacuent d'elles-mêmes. Il est une contagion démente dans cet exode. Car où vont-ils ces vagabonds ? Ils se mettent en marche vers le Sud, comme s'il était, là-bas, des logements et des aliments, comme s'il était, là-bas, des tendresses pour les accueillir. Mais il n'est, dans le Sud, que des villes pleines à craquer, où l'on couche dans les hangars et dont les provisions s'épuisent. Où les plus généreux se font peu à peu agressifs à cause de l'absurde de cette invasion qui, peu à peu, avec la lenteur d'un fleuve de boue, les engloutit. Une seule province ne peut ni loger ni nourrir la France !
Où vont-ils ? Ils ne savent pas ! Ils marchent vers des escales fantômes, car à peine cette caravane aborde-t-elle une oasis, que déjà il n'est plus d'oasis. Chaque oasis craque à son tour, et à son tour se déverse dans la caravane. Et si la caravane aborde un vrai village qui fait semblant de vivre encore, elle en épuise, dès le premier soir, toute la substance. Elle le nettoie comme les vers nettoient un os.
L'ennemi progresse plus vite que l'exode. Des voitures blindées, en certains points, doublent le fleuve qui, alors, s'empâte et reflue. Il est des divisions allemandes qui pataugent dans cette bouillie, et l'on rencontre ce paradoxe surprenant qu'en certains points ceux-là mêmes qui tuaient ailleurs, donnent à boire. Nous avons cantonné, au cours de la retraite, dans une dizaine de villages successifs. Nous avons trempé dans la tourbe lente qui lentement traversait ces villages : « – Où allez-vous ? – On ne sait pas. »
Jamais ils ne savaient rien. Personne ne savait rien. Ils évacuaient. Aucun refuge n'était plus disponible. Aucune route n'était plus praticable. Ils évacuaient quand même. On avait donné dans le Nord un grand coup de pied dans la fourmilière, et les fourmis s'en allaient. Laborieusement. Sans panique. Sans espoir. Sans désespoir. Comme par devoir. »
Antoine de Saint-Exupéry, Pilote de guerre, 1942.

Image
À partir du sujet d'Inde, avril 2014 - illustration 1
Source : Exode des populations civiles durant la Seconde Guerre mondiale, © CICR.
Travail sur le texte littéraire et sur l'image
Les réponses aux questions doivent être entièrement rédigées.
Compréhension et compétences d'interprétation
1. 
a) Qui sont « les populations » dont il est question au début de l'extrait ?
b) Où se rendent-elles ?
Relisez l'introduction du texte pour bien situer les événements.
a) Observez les indications de lieu du texte. Identifiez les « populations » évoquées par le narrateur en vous appuyant sur ces indices de lieu et sur la situation.
b) Repérez dans le texte la question « Où se rendent-elles ? » répétée plusieurs fois sous cette forme ou sous une autre. Relevez les réponses à ces questions.
2. 
a) Comment est appelé ce déplacement de population ?
b) Quels événements l'expliquent ?
a) Repérez dans le texte le nom qui qualifie ce déplacement massif des populations, synonyme de « fuite ». Ce terme a été aussi employé pour nommer le déplacement des populations de la campagne vers les villes.
b) Relisez en particulier l'introduction du texte, les premières lignes, le titre de l'œuvre. Repérez et relevez les causes de ce déplacement de populations.
3. 
a) Dans quel but ces populations se déplacent-elles ?
b) En citant le texte, vous direz si elles atteignent leur but.
a) En vous appuyant sur la question 1. b) de cette partie, repérez et relevez le but poursuivi par ces populations, ce qu'elles recherchent et espèrent trouver.
b) Relisez attentivement la fin du texte. Observez le type et la forme des phrases (affirmative, négative) pour dire si le but est atteint ou non. Citez des passages du texte pour justifier votre réponse.
4. 
a) Dans le deuxième paragraphe, relevez les deux expressions qui désignent le mouvement des populations. À quelle figure de style a-t-on affaire ?
b) Quelle vision le narrateur donne-t-il ainsi de cet événement ?
a) Repérez, dans le deuxième paragraphe, les passages qui évoquent de manière très expressive le mouvement des populations, pour frapper fortement le lecteur. Observez la construction de ces deux expressions dans leur phrase (emploi de mots outils ou non). Interrogez-vous. Comment nomme-t-on la figure de style fréquemment employée pour exprimer de façon imagée la réalité ?
b) Analysez les mots (noms, verbes, adjectifs) qui composent ces deux expressions. Identifiez l'idée commune qu'elles développent. Expliquez l'image que le narrateur donne de cet événement.
5. 
D'où le narrateur observe-t-il cette scène ? Justifiez la réponse.
Relisez l'introduction du texte pour bien situer la scène. Précisez l'endroit d'où le narrateur observe cette scène. Repérez et relevez un verbe qui le confirme.
6. 
a) À partir de « Chaque oasis craque […] » et jusqu'à la fin du texte, à quels animaux est comparée la population ?
b) Quels comportements sont suggérés par ces deux comparaisons ?
Relisez attentivement le passage évoqué.
a) Repérez le nom des deux animaux auxquels est comparée la population. Attention, la ressemblance peut s'exprimer en une comparaison ou une métaphore.
b) Analysez le comportement de ces deux animaux. Servez-vous de vos connaissances et de vos propres observations pour expliquer ces images dans ce contexte précis.
7. 
Quels éléments rapprochent la photographie et le texte ?
Relisez le texte et vos réponses aux questions 1, 2, 3 et 4 de cette partie. Puis observez l'image : titre, composition, lignes de force, perspective, plans, personnes, objets, etc.
8. 
Quelle impression se dégage de cette image ? Est-elle comparable à l'impression de l'auteur dans le texte ?
Relisez le texte et vos réponses aux questions 5 et 6 de cette partie. Puis observez l'image : que pouvez-vous lire sur le visage de ces personnes ? Quelles impressions se dégagent de cette photographie montrant l'exode des Français en 1940 ?
Grammaire et compétences linguistiques
1. 
« Nous avons trempé dans la tourbe lente qui lentement traversait ces villages »
a) Qui désigne, d'une part, le pronom « nous »?
b) Qui désigne, d'autre part, le groupe nominal « la tourbe lente » ?
c) Mettez en relation cette distinction et votre réponse à la question 5 de la partie compréhension : quelle est la position adoptée par le narrateur ?
Relisez l'introduction du texte pour bien définir les personnages de ce récit.
a) Rappel: le pronom nous inclut je et au moins une autre personne. Qui est je ici ? Quelle(s) autre(s) personne(s) pouvez-vous identifier ?
b) Analysez le sens de ce groupe nominal. Que signifie « tourbe » dans cette situation ? L'idée de lenteur revient plusieurs fois dans ce texte. À propos de qui ou de quoi ? Observez la fin du quatrième paragraphe pour répondre.
c) Suivez les consignes de la question. Comparez les lieux où se trouve le narrateur. En vous appuyant sur ces analyses, définissez la position adoptée par le narrateur.
2. 
a) Dans le dernier paragraphe, sur quels aspects de la situation insiste l'accumulation des termes négatifs ?
b) Quelle est la caractéristique des cinq dernières phrases de l'extrait ? Quel effet produisent-elles ?
c) À la lumière de votre analyse, caractérisez la tonalité de cet extrait.
a) Mettez cette question en relation avec la 3 et la 6 de la partie compréhension. Indiquez les aspects mis en valeur par l'accumulation de négations mais aussi par les formules affirmatives.
b) Observez la construction des cinq dernières phrases. Interrogez-vous : est-elle habituelle ? Que manque-t-il ?
c) Faites le bilan de votre analyse du texte et du dernier paragraphe en particulier. Définition de « tonalité » : d'un point de vue affectif, impression d'ensemble produite par un texte (comique, ironique, tragique, polémique, etc.).
3. 
« Et si la caravane aborde un vrai village qui fait semblant de vivre encore, elle en épuise, dès le premier soir, toute la substance. Elle le nettoie comme les vers nettoient un os. »
Réécrivez ce passage en mettant le nom « village » au pluriel et en le transposant à l'imparfait de l'indicatif. Vous ferez toutes les modifications nécessaires.
Repérez et soulignez, dans ce passage, « village » ainsi que les pronoms qui le remplacent. Mettez ces mots au pluriel, quand c'est possible, en veillant à accorder tous les éléments que commande « village » (adjectif, déterminant, verbe). Repérez et soulignez les verbes. Reliez-les à leur sujet par une flèche. Conjuguez les verbes à l'imparfait de l'indicatif, en les accordant avec leur sujet. Attention à l'orthographe de « nettoie » et « nettoient » à l'imparfait.
Dictée
« Il voyait le soleil. La chambre, dès qu'il leva le volet, en fut inondée. Il ouvrit la fenêtre et aperçut, en face, à trente mètres au moins, un immeuble blanc tout pareil au leur. En face aussi, chaque appartement avait un balcon de ciment et, sur quelques-uns de ces balcons, du linge séchait.
La rue des Francs-Bourgeois(1), à l'endroit où ils habitaient trois jours plus tôt encore, était à peine large de cinq mètres et on devait descendre du trottoir quand on croisait un passant.
Deux avions vrombissaient dans le ciel, parfois cachés par la brume matinale. On n'était qu'à huit kilomètres d'Orly(2). »
Georges Simenon, Le Déménagement, 1967.

Rédaction
Vous traiterez au choix l'un des deux sujets de rédaction suivants.
Votre rédaction sera d'une longueur minimale d'une soixantaine de lignes (300 mots environ).
Sujet de réflexion
Vous ferez le récit de l'exode de la population française vers la zone libre par un de ces réfugiés : le narrateur fera partie de cette foule errante qui fuit les zones occupées, il racontera l'arrivée des réfugiés dans l'un de ces villages refuges du Sud, leur accueil par la population locale, les conditions de vie rencontrées.
Procéder par étapes
Étape 1. Lisez attentivement le sujet. Repérez et soulignez les mots-clés : « exode de la population française », « zone libre », « fuit les zones occupées », « arrivée des réfugiés », « un de ces villages du Sud », « accueil par la population locale », « conditions de vie rencontrées ».
Étape 2. Repérez et encadrez la forme du texte à produire : « le récit », « le narrateur fera partie de cette foule errante ». Il faut donc respecter dans cette suite du récit :
  • la situation : la guerre de 1939-1945, l'exode vers la zone libre ;
  • le genre narratif : le récit, avec son cadre spatio-temporel, sa chronologie, ses péripéties, ses passages descriptifs, les personnages et leur caractère ;
  • la narration à la 1re personne (« le narrateur fera partie de cette foule errante ») ;
  • les temps du récit (par exemple le présent comme principal temps, comme dans le texte de Saint-Exupéry, pour rendre l'histoire plus vivante, plus actuelle).
Étape 3. Trouvez des idées ; la chronologie du récit est suggérée par le sujet : fuite des zones occupées par les Allemands, marche lente vers la zone libre, arrivée dans un village du Sud, accueil des réfugiés par la population locale, conditions de vie des réfugiés dans ce village. Évoquez les réactions et les sentiments du narrateur et des autres personnages (joie, déception, colère, fatigue, espoir, etc.).
Étape 4. Établissez le plan de votre rédaction :
  • mise en place de la suite du récit (la fuite vers la zone libre, le bruit des combats, les avions) ;
  • arrivée dans un village du Sud (description rapide, installation, accueil des réfugiés par les villageois), expression des divers sentiments et réactions ;
  • conditions de vie des réfugiés dans le village ;
  • dénouement : installation définitive de tous les réfugiés dans ce village ? d'une partie seulement ? Reprise de la marche lente vers un autre village ?
  • la limite imposée : « au moins deux pages (soit une cinquantaine de lignes) ».
Étape 5. Rédigez votre texte en formant des paragraphes pour les différentes parties.
Étape 6. Relisez-vous et corrigez d'éventuelles erreurs de ponctuation, d'orthographe.
Sujet d'imagination
Pensez-vous qu'on puisse faire preuve de solidarité dans une situation difficile ? Vous construirez votre réflexion en prenant appui sur des arguments et sur des exemples précis.
Procéder par étapes
Étape 1. Lisez attentivement le sujet. Repérez et soulignez les mots-clés : « solidarité », « situation difficile ». Le thème est la solidarité dans notre société.
Étape 2. Repérez la forme du texte à produire : « Pensez-vous », « votre réflexion ». Il faut donc respecter :
  • le genre argumentatif : le développement organisé (« vous construirez »), avec sa progression, ses analyses et ses arguments, ses exemples précis ;
  • le temps de l'argumentation : le présent et les temps qui s'articulent avec lui ;
  • la composition en parties et paragraphes ;
  • la limite imposée : « au moins deux pages (soit une cinquantaine de lignes) ».
Étape 3. Définissez votre point de vue, votre réponse, votre thèse.
Thèse 1. Oui, de nos jours, la solidarité existe dans notre société. Trouvez au moins trois arguments et exemples pour défendre cette thèse (par exemple, les gens ne sont pas indifférents à la maladie ou à la solitude : les dons pour la lutte contre le cancer, le téléthon ; la solidarité des jeunes envers les personnes âgées isolées ; l'engagement dans l'humanitaire).
Thèse 2. Non, de nos jours, la solidarité n'existe plus dans notre société. Trouvez au moins trois arguments et exemples pour défendre cette thèse (par exemple, l'inertie de personnes témoins d'un vol ou d'une agression dans le bus ou le métro, l'égoïsme et l'individualisme grandissants).
Étape 4. Trouvez d'autres idées et arguments pour défendre la thèse choisie : qu'est-ce qui peut justifier la solidarité ou son absence ? Les valeurs de partage et de fraternité ? Le développement des réseaux sociaux ? La compétition sociale et professionnelle ? Les difficultés personnelles ? Pensez à des œuvres que vous avez lues ou à des films que vous avez vus, à des faits divers que vous connaissez, à votre expérience personnelle.
Étape 5. Établissez le plan de votre argumentation.
  • L'introduction présente le thème et pose la question. Passez une ligne avant le développement.
  • Le développement expose votre point de vue, soutenu par au moins trois arguments et trois exemples. Vous pouvez aussi nuancer votre avis en montrant que la solidarité existe mais pas partout ni toujours. Un paragraphe développe un argument. Défendez votre thèse en utilisant des modalisateurs de certitude (assurément, j'affirme, incontestablement…) ou de nuance (peut-être, sans doute, emploi du conditionnel…), des figures de style comme l'hyperbole, l'énumération, les fausses questions (ou questions rhétoriques) ou le vocabulaire positif, mélioratif pour affirmer votre point de vue . Passez une ligne avant la conclusion.
  • La conclusion rappelle que vous avez répondu à la question posée en dressant un bilan rapide.
Étape 6. Rédigez en matérialisant les parties (saut de ligne, retour à la ligne).
Étape 7. Relisez-vous et corrigez d'éventuelles erreurs de ponctuation ou d'orthographe.
(1)« Francs-Bourgeois » est écrit au tableau lors de l'épreuve.
(2)« Orly » est écrit au tableau lors de l'épreuve.

Corrigé

Travail sur le texte littéraire et sur l'image
Compréhension et compétences d'interprétation
1. 
a) Les « populations » évoquées au début de l'extrait sont les Français des zones occupées par les Allemands au début de la Seconde Guerre mondiale ; elles fuient devant l'arrivée des troupes ennemies. Mais elles ne savent pas où elles peuvent trouver refuge, ni quel village peut les accueillir ; c'est pourquoi elles marchent sans relâche, sans but précis.
b) Ces populations cherchent à gagner la zone libre, à se réfugier dans des villages du sud de la France.
2. 
a) Ce déplacement de population se nomme « exode » (« Il est une contagion démente dans cet exode. » et « L'ennemi progresse plus vite que l'exode. »).
b) Cet exode s'explique par la guerre qui vient d'éclater et l'invasion du nord de la France par les troupes allemandes.
3. 
a) Ces populations se déplacent pour fuir la zone des combats, le nord de la France envahi par les Allemands, elles veulent se réfugier en zone libre, au Sud, pour échapper à l'invasion allemande et retrouver une paix relative, un logement, de la nourriture.
b) Le but n'est pas atteint car ces réfugiés ne savent pas où ils vont : « ils marchent vers des escales fantômes », « Ils évacuaient quand même ». Les villages du Sud sont envahis par les réfugiés, obligés d'aller toujours plus loin, pour trouver enfin des villages qui pourraient les accueillir : « et les fourmis s'en allaient ».
4. 
a) Dans le deuxième paragraphe, deux métaphores désignent le mouvement des populations : « l'interminable sirop qui n'en finit plus de couler » et « un fleuve de boue ».
b) Le narrateur donne une vision sombre de cet événement, en insistant sur les routes noires de la foule des réfugiés qui fuient le Nord, sur cette masse boueuse qui coule comme l'eau d'un fleuve. C'est une sorte de folie, de démence qui s'est emparée des populations, qui se répand inexorablement sur les routes du Sud, inonde les villages.
5. 
Le narrateur, pilote dans le groupe d'aviation 2/33, « survole » les routes, les villages et donc observe cette scène depuis le ciel.
6. 
a) À partir de « Chaque oasis craque […] » et jusqu'à la fin du texte, la population est comparée à des « vers » qui « nettoient un os », puis à des « fourmis ».
b) Les réfugiés, affamés, dévorent tout quand ils arrivent dans un village, qui reste comme un mort rongé par les vers, comme un squelette nettoyé de sa chair. Les fourmis évoquent l'agitation des colonnes d'insectes noirs qui marchent vers un autre refuge puisque l'on a donné un grand coup de pied dans leur nid (« On avait donné dans le Nord un grand coup de pied dans la fourmilière, et les fourmis s'en allaient. »). Le narrateur insiste sur le comportement grégaire des fourmis, qui se rassemblent en colonie pour se déplacer.
7. Texte et image montrent l'exode des populations devant la progression des armées allemandes ; Saint-Exupéry évoque « des routes noires de l'interminable sirop qui n'en finit plus de couler », « la tourbe lente qui lentement traversait ces villages ». C'est une sorte de fleuve qui s'écoule lentement sur les routes de France. On retrouve bien cette impression sur la photographie : une foule compacte, dense, qui s'étire, emportant valises, sacs, vélo…
8. L'image exprime bien le désarroi de ces populations, leur peur de l'ennemi, leur fuite loin des combats ; elles emportent un minimum de bagages car la route sera longue. C'est le tragique de la guerre qui ressort ici : les populations civiles sont les victimes innocentes de ce conflit qui les oblige à se précipiter sur les routes pour trouver un hypothétique refuge.
Grammaire et compétences linguistiques
1. 
« Nous avons trempé dans la tourbe lente qui lentement traversait ces villages »
a) Le pronom personnel « nous » désigne ici le narrateur, Saint-Exupéry, et ses compagnons pilotes comme lui, soldats pris dans la retraite, et immergés dans cette « tourbe lente ».
b) Le groupe nominal « la tourbe lente » désigne les populations jetées sur les routes, les réfugiés qui forment ce « fleuve de boue » et cet « interminable sirop ».
c) Maintenant le narrateur observe les réfugiés depuis le sol car lui aussi est sur les routes : les soldats battent en retraite et se mêlent parfois aux populations évacuées, à cette multitude confuse : « Nous avons cantonné, au cours de la retraite, dans une dizaine de villages successifs. Nous avons trempé dans la tourbe lente qui lentement traversait ces villages ». Au milieu de cette foule, il peut lui demander où elle va : « Où allez-vous ? – On ne sait pas. ».
2. 
a) L'accumulation des termes négatifs insiste sur l'ignorance des réfugiés quant à leur destination finale, sur le néant : on ne sait rien, on ne sait jamais rien, aucun refuge ne peut les accueillir, aucune route n'est praticable. Il n'y a aucun espoir mais la masse progresse quand même. C'est absurde et tragique.
b) Les cinq dernières phrases sont nominales ou non verbales. Elles sont courtes. Elles expriment à la fois la lenteur, l'étirement des colonnes d'évacués sur les routes, leur obstination, leur entêtement à marcher vers un but inaccessible.
c) La tonalité de cet extrait est tragique car ces populations marchent vers un refuge qui ne sera jamais disponible, vers une sorte de vide ou de néant. Écrasés par la fatalité de la guerre et de la destruction, par l'ombre de la mort qui plane sur eux, les réfugiés, déshumanisés, tels des animaux, se réduisent à la seule énergie qui les fait avancer sans penser, « Laborieusement. Sans panique. Sans espoir. Sans désespoir. Comme par devoir ».
3. Et si la caravane abordait de vrais villages qui faisaient semblant de vivre encore, elle en épuisait, dès le premier soir, toute la substance. Elle les nettoyait comme les vers nettoyaient un os.
Dictée
Cet extrait comporte des verbes à l'imparfait ; les terminaisons sont identiques pour les trois groupes (-ais, -ais, -ait, -ions, -iez, -aient) : « il voyait » (certaines formes du verbe voir comportent un y à la place du i : nous voyons, vous voyez, je voyais, etc.), « chaque appartement avait », « du linge séchait », « ils habitaient », « La rue […] était » (le verbe est très éloigné de son sujet, séparé par des groupes nominaux et une subordonnée), « on devait », « on croisait », « Deux avions vrombissaient », « on n'était qu'à » (attention ! le verbe est construit avec la négation restrictive ne… que).
Plusieurs verbes sont conjugués au passé simple. Les terminaisons varient selon le groupe du verbe : -ai, -as, -a, -âmes, -âtes, -èrent (1er groupe) ; -is, -is, -it, -îmes, -îtes, -irent (2e groupe et certains verbes du 3e) ; -us, -us, -ut, -ûmes, -ûtes, -urent / -ins, -ins, -int, -înmes, -întes, -inrent (3e groupe). Écoutez bien les terminaisons pour les orthographier : « il leva » (attention ! une erreur fréquente est d'ajouter un t à la fin), « La chambre […] fut » (le verbe est séparé de son sujet par une subordonnée), « il ouvrit […] et aperçut » (attention à la cédille devant u).
Les adjectifs et les participes passés attributs s'accordent avec le sujet du verbe être : « La chambre […] en fut inondée », « La rue […] était à peine large ». Ils sont éloignés du sujet, le risque d'erreur d'accord est donc plus grand.
Un participe passé, employé comme adjectif, s'accorde en genre et en nombre avec le nom qu'il qualifie : « Deux avions […] cachés ». Attention ! Le nom et le participe sont éloignés.
Les adjectifs épithètes s'accordent en genre et en nombre avec le nom qu'ils qualifient : « un immeuble blanc tout pareil », « la brume matinale ».
Plusieurs mots se terminent par une consonne que l'on n'entend pas ; en les mettant au féminin ou en trouvant des mots de la même famille, vous pouvez identifier cette consonne muette : « dès » (attention à l'accent grave), « volet », « moins » (minus), « blanc » (blanche, blanchir), « ciment » (cimenter, cimenterie), « endroit » (droite, droitier), « plus » (plusieurs), « tôt » (n'oubliez pas l'accent circonflexe), « quand » (même si), « passant » (passante), « parfois », « huit » (huitaine).
Plusieurs mots ont une orthographe difficile, souvent source d'erreur ou de confusion avec un homonyme : « et » (est de être), « à » (a, as, du verbe avoir), « quelques-uns » (n'oubliez pas le trait d'union), « ces » (déterminant démonstratif, souvent confondu avec le possessif ses ou la forme verbale c'est ou s'est), « où » (relatif, souvent confondu avec la conjonction de coordination ou), « plus tôt » (contraire de « plus tard », souvent confondu avec l'adverbe plutôt, signifiant « de préférence »), quand (même si, à cause de la liaison, vous entendez le son t devant « on croisait », la lettre finale est d ; quand est une conjonction de subordination, introduisant une subordonnée de temps ; remplacez par lorsque, pour être sûr(e) de l'orthographe), « vrombissaient » (om et em s'écrivent avec un m devant b, p et m, sauf quelques exceptions comme bonbon, bonbonne, embonpoint).
Rédaction
Sujet de réflexion
De récents faits divers ont révélé que des personnes aux revenus modestes sont venues en aide à des immigrés clandestins cherchant à gagner l'Angleterre et vivant, en attendant un éventuel passage, dans des conditions très précaires aux environs de Calais. Elles leur apportaient nourriture et boissons chaudes, rechargeaient leur téléphone portable. Mais cet exemple particulièrement édifiant prouve-t-il qu'en règle générale on peut faire preuve de solidarité dans des conditions difficiles ?
Malheureusement, force est de constater que d'autres faits divers ont montré l'inertie, l'indifférence et même la lâcheté de personnes qui assistaient à un vol ou à une bagarre dans les transports, métro, bus ou train. Aucun voyageur n'a porté secours à la victime des violences. En effet, le sentiment d'insécurité est parfois si fort dans des circonstances difficiles que l'on préfère ne pas faire preuve de solidarité envers une victime par peur de subir soi-même des violences.
Par ailleurs, on dit que les gens deviennent de plus en plus égoïstes et individualistes : ils pensent d'abord à eux. Cet individualisme fragilise la cohésion sociale et la solidarité entre les membres d'une société. Des publicités, à la télévision, exploitent désormais ce comportement en montrant des hommes, des femmes, des jeunes refusant de partager une barre chocolatée ou un paquet de chips, prêts à tout pour en priver l'autre ! Des spots précédents mettaient en scène des personnes qui acceptaient de partager. C'est de la publicité, certes, mais celle-ci véhicule les valeurs et les comportements de notre société, elle en est le reflet. L'homme actuel semble donc se replier sur lui-même, privilégier son propre bien-être, sa liberté individuelle au détriment d'un altruisme qui l'inciterait à aider les autres, à se montrer solidaire, surtout dans les difficultés.
Cependant cette vision de notre société et de nos contemporains n'est-elle pas trop sombre, trop pessimiste ?
Les bénévoles sont très nombreux dans les associations comme le Secours populaire, les Restos du cœur. Ils donnent de leur temps, de leur énergie pour aider les plus démunis ; ils sont souvent prêts à partager le peu qu'ils possèdent avec celui qui est dans le besoin. Certains n'hésitent pas à partir dans des zones dangereuses, des pays en guerre, pour s'engager dans des actions humanitaires : apporter de la nourriture, des médicaments, des soins. Hélas ! Quelques-uns ont payé de leur vie ce désir, ce besoin de solidarité. La solidarité s'exprime également lors de manifestations comme le Téléthon ou les campagnes de la Croix-Rouge : les dons à des associations, à des œuvres de charité sont nombreux car les gens se sentent concernés par la lutte contre les maladies, par la recherche médicale ; en effet, chacun de nous peut, un jour, être touché par la maladie. L'essor considérable des réseaux sociaux renforce cette solidarité car la vitesse des communications aujourd'hui permet de mobiliser beaucoup de personnes en un temps très court. On l'a vu récemment à propos d'enfants malades, nécessitant une opération chirurgicale très chère ; les internautes ont réuni rapidement les fonds nécessaires au financement de cette intervention. Ces exemples prouvent que l'individualisme forcené ne règne pas dans notre société.
Enfin, si nous nous référons à la guerre évoquée par Saint-Exupéry dans Pilote de guerre, nous devons parler des résistants qui ont lutté pour libérer leur pays, des gens simples qui, au péril de leur vie, ont caché un pilote anglais ou américain, des enfants et même des familles entières pour qu'ils échappent aux Allemands. Nous pouvons citer comme exemple Le Journal d'Anne Frank, dans lequel elle raconte comment des amis de sa famille les ont aidés à se cacher, ou le film de Louis Malle, Au revoir les enfants, racontant comment un prêtre a caché des enfants juifs au milieu des pensionnaires de son collège afin de les sauver de la déportation. Nous constatons bien que dans ces situations extrêmement difficiles la solidarité est possible car les hommes s'engagent pour la liberté, la justice et le bien.
Je pense que c'est avant tout une question de dignité humaine, de conscience d'appartenir à une humanité qui défend de nobles valeurs, des valeurs supérieures de fraternité, de générosité, de solidarité, un idéal d'homme. Ces deux citations illustrent parfaitement ces aspirations morales élevées : « Il y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser » (Albert Camus). « Il est bon de suivre sa pente pourvu que ce soit en montant » (André Gide).
Sujet d'imagination
Le village est maintenant loin derrière nous. Nous marchons encore et toujours sur ces routes noires de monde, encombrées de brouettes, de landaus chargés de valises et d'ustensiles de cuisine, de vélos auxquels on a attaché une carriole de fortune où l'on a parfois installé, au lieu du bric-à-brac habituel, les enfants épuisés par ces jours d'exode vers un Sud qui se révèle de moins en moins accueillant.
Et pourtant les réfugiés que je vois autour de moi continuent d'avancer, animés par je ne sais quel fol espoir ou tout simplement par l'énergie du désespoir. « Peut-être qu'au prochain village… Qui sait ? Ils pourront nous héberger… » Alors, comme eux, je marche. Sans penser. En mettant un pied devant l'autre.
Soudain, deux avions vrombissent, encore cachés par les nuages du ciel gris. Amis ou ennemis ? Nul ne se pose la question ! C'est la débandade ! Pris de panique, on se précipite dans les fossés, derrière les talus, dans un bosquet tout proche. Je m'étale de tout mon long dans un champ de betteraves. Je lève les yeux. La route est désertée, jonchée de sacs, de valises, de vélos abandonnés… On craint que les pilotes allemands ne mitraillent la route, comme ils l'ont fait la semaine dernière en Mayenne, faisant de nombreuses victimes dans la colonne des réfugiés.
Fausse alerte. Les avions ont poursuivi leur route. Tout le monde se relève, hébété, sort des abris de fortune et regagne la route. La colonne s'ébranle et le lent cheminement reprend. Inlassablement. Durant des heures et des heures qui me semblent interminables…
Et puis un murmure s'élève, enfle… « Un autre village, là-bas, à flanc de colline ! » Le pas se fait plus rapide, pour y arriver avant la tombée de la nuit.
Une heure plus tard, nous voici à l'entrée du village. Plutôt un gros bourg regroupant des maisons basses de pierre blanche, aux toits d'ardoise gris bleu. Au centre, j'aperçois le clocher de l'église. Un peu à l'écart, quelques bâtiments plus grands, longs. Sans doute des fermes ou des hangars agricoles.
Alertés par le grondement du fleuve des réfugiés, des villageois, intrigués, écartent le rideau de leur fenêtre, d'autres, plus curieux ou plus téméraires, sortent sur le pas de leur porte. Quelques minutes plus tard, un homme, le visage un peu rougeaud, arrive en courant. Il porte l'écharpe tricolore de maire. Il s'arrête net quand il découvre le long serpent qui ondule sur la route. Une discussion s'engage alors avec les hommes du début de la colonne. En jouant des coudes, j'essaie de m'approcher pour entendre les négociations, car c'est bien de cela qu'il s'agit ; en effet, qui souhaite voir débarquer chez lui des centaines de réfugiés, épuisés, affamés, assoiffés, en quête d'un endroit où s'arrêter enfin ?
« Combien êtes-vous ? demande le maire.
– Nous ne savons pas. Nous n'avons jamais compté. Des gens ont abandonné, d'autres se sont joints à nous. Impossible de savoir. »
Les villageois s'approchent, veulent participer aux décisions qui vont être prises. Quelques-uns s'animent, s'échauffent ; je vois bien la peur dans leurs regards. La peur de devoir prendre en charge tous ces miséreux qui vont dévorer leurs provisions, boire leur vin et leur eau, saccager champs et prés, voler leurs poules et gober leurs œufs. La même peur que j'ai lue dans les yeux des habitants des villages traversés depuis que nous avons fui le Nord et ses combats, les journées terrés dans les caves.
Mais quelques femmes, jusque-là silencieuses, prennent la parole. « On ne peut pas les laisser repartir. Regardez les enfants et les bébés. Ils sont exténués ; ils pourraient mourir si on ne s'occupe pas d'eux.
– Pour sûr ! s'exclame une autre, pleine de compassion pour ces innocentes victimes. Je vais chercher du lait. On a fini de traire les vaches tantôt. Ça leur fera du bien. Et pour les enfants, de bonnes grosses tartines beurrées, avec de la confiture. Vous aimez ça, les enfants ? »
Devant la détermination des femmes, les hommes n'osent plus rien dire. Une telle générosité, un tel esprit de solidarité me réchauffent le cœur. Je commençais à douter de la nature humaine.
L'hébergement s'organise. Le maire ouvre le foyer rural pour y installer les familles avec enfants. Les hangars, les étables, le moindre bâtiment vide sont réquisitionnés. On s'y entasse tant bien que mal mais c'est mieux que de dormir à la belle étoile, au creux d'un fossé ou sous un arbre. Au moins nous aurons chaud cette nuit. Les femmes du village arrivent avec des paniers remplis de pain, de saucissons, de fromages, de pommes… On dirait la corne d'abondance qui déverse ses richesses ! Les yeux des réfugiés qui m'entourent s'allument, pétillent. Quelle joie de trouver cette chaleur humaine que nous n'espérions plus.