Les différents acteurs face au changement climatique, sujet de métropole, juin 2024 (étude critique de document)

Énoncé

En analysant le document et en vous appuyant sur vos connaissances, montrez le rôle des différents acteurs face aux défis du changement climatique.
Le document
Nous flirtons avec la catastrophe climatique. Chaque semaine apporte son lot d'horreurs climatiques. Les émissions de gaz à effet de serre atteignent des niveaux record et ne cessent d'augmenter. L'engagement de limiter l'augmentation de la température mondiale à 1,5°C est sur le point de partir en fumée. Si nous n'agissons pas davantage, nous nous dirigeons vers une augmentation de 2,8°C. Les 5 conséquences, comme nous le savons tous, seraient dévastatrices. Plusieurs parties de notre planète seraient inhabitables. Et pour beaucoup, ce serait une condamnation à mort.
Mais ce n'est pas une surprise. Les données scientifiques sont claires depuis des décennies. Et je ne parle pas seulement des scientifiques des Nations unies. Je parle aussi des scientifiques spécialisés dans les combustibles fossiles. Nous avons appris la semaine dernière que certains producteurs de combustibles fossiles étaient parfaitement conscients, dans les années 1970, que leur produit phare était en train de cuire notre planète. Et tout comme l'industrie du tabac, ils ont fait fi de leur propre science. Certains membres de Big Oil(1) ont colporté le grand mensonge. Et comme pour l'industrie du tabac, les responsables doivent rendre des comptes. Aujourd'hui, les producteurs de combustibles fossiles et leurs complices poursuivent leur course à l'expansion de la production, tout en sachant pertinemment que ce modèle commercial est incompatible avec la survie de l'humanité. Cette folie relève de la science-fiction, alors que nous savons que l'effondrement de l'écosystème est un fait scientifique froid et dur. […]
Nous devons donc agir ensemble pour combler le fossé des émissions. Cela signifie qu'il faut éliminer progressivement le charbon et donner un coup d'accélérateur à la révolution des énergies renouvelables. Mettre fin à la dépendance aux combustibles fossiles. Et mettre un terme à notre guerre contre la nature, qui est vouée à l'échec. D'autre part, le monde développé doit enfin tenir son engagement de financer le climat à hauteur de 100 milliards de dollars pour soutenir les pays en développement. Le financement de l'adaptation doit être doublé, comme cela a été promis à Charm El-Cheikh(2).
Enfin, les plus gros émetteurs, à savoir les pays du G20, doivent s'unir autour d'un 30 pacte de solidarité climatique dans lequel ils feront des efforts supplémentaires dans les années 2020 pour maintenir la limite de 1,5°C. Cela ne fonctionnera pas si les pays développés attribuent la responsabilité aux économies émergentes et si les économies émergentes attribuent la responsabilité aux pays développés. Ils doivent s'unir, rassembler toutes leurs capacités – financières et technologiques –, les pays développés fournissant une assistance financière et technique pour aider les principales économies émergentes à accélérer leur transition vers les énergies renouvelables. Sinon, nous ne serons pas en mesure de réduire les émissions au niveau nécessaire pour maintenir l'objectif de 1,5°C – je dirais même pour maintenir l'objectif de 2°C – réalisable.
Mais nos objectifs climatiques nécessitent l'engagement total du secteur privé. La vérité est que de plus en plus d'entreprises s'engagent à ne pas émettre de gaz à effet de serre. Mais les repères et les critères sont souvent douteux ou obscurs. Cela peut induire en erreur les consommateurs, les investisseurs et les régulateurs avec des récits erronés. Cela alimente une culture de désinformation et de confusion sur le climat et laisse la porte ouverte à l'écoblanchiment (3). […]
Source : discours du Secrétaire général des Nations unies, António Guterres, au Forum économique mondial de Davos (Suisse), réunion annuelle accueillant les plus hauts dirigeants d'États, de gouvernements et d'entreprises, 18 janvier 2023.
(1)Terme, souvent péjoratif, utilisé pour désigner les plus grandes entreprises pétrolières mondiales.
(2)Charm El-Cheikh est le lieu où s'est réunie la COP 27.
(3)Écoblanchiment (ou greenwashing) : méthode de communication utilisant l'argument écologique pour séduire le public.

Corrigé

Ici, le plan se centre sur les différents acteurs. Un autre plan pouvait convenir : il s'agissait de partir des rôles. Cela aurait pu donner :
I. D'abord, les humains, notamment les classes politiques et économiques dirigeantes dans les pays puissants économiquement, participent aux changements climatiques par leur pollution et leur inaction.
II. Au contraire, d'autres acteurs, notamment les scientifiques et les organisations internationales, jouent le rôle de lanceur d'alerte et d'observateur des transformations en cours.
III. De fait, les États et les entreprises sont de plus en plus incités à s'engager dans la lutte contre les changements climatiques bien que les actions concrètes restent limitées.
I. Les scientifiques : des lanceurs d'alerte peu écoutés
1. Des observateurs du climat
Au début de son discours, António Guterres décrit les raisons et les effets des changements climatiques puis indique à la ligne 10 : « Mais ce n'est pas une surprise. Les données scientifiques sont claires depuis des décennies. »
C'est l'activité humaine qui est la source principale des changements climatiques. Ainsi, par le rejet de gaz à effet de serre dans l'atmosphère, d'une part, et la suppression des moyens de capter ses gaz d'autre part – en raison de l'acidification des océans et de la déforestation –, les humains contribuent fortement à augmenter la température moyenne sur terre. Cela conduit ensuite à nombreuses réactions en chaîne : fonte des glaces, montée des eaux, catastrophes naturelles plus fréquentes et plus violentes, désertification… Les scientifiques lancent l'alerte dès la seconde partie du xxe siècle. En effet, dès 1958, le scientifique américain Charles Keeling montre que l'augmentation de la quantité de gaz carbonique dans l'atmosphère est liée à l'activité humaine. Dans les années 1960-1970, un grand nombre de scientifiques analysent déjà les rejets de dioxyde de carbone dus à l'activité humaine comme cause probable du réchauffement climatique et indiquent que la coopération doit se faire à l'échelle planétaire.
António Guterres désigne d'ailleurs les scientifiques qui ont eu connaissance par leurs recherches du phénomène en cours et de ses conséquences : « je ne parle pas seulement des scientifiques des Nations unies. Je parle aussi des scientifiques spécialisés dans les combustibles fossiles ».
En effet, dès les années 1960, les scientifiques travaillant pour les grands groupes pétroliers informent les dirigeants de ces entreprises des dangers de l'utilisation des énergies fossiles. Ces données sont ensuite reprises, complétées et médiatisées par l'ONU et les scientifiques que l'organisation mandate. Ainsi, à partir de 1988, l'ONU crée le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Cet organisme réunit des scientifiques mais aussi des représentants des gouvernements de chaque État. Le rôle du GIEC est de faire coopérer scientifiques et politiques ainsi que de faire un état des lieux des recherches existantes sur les différents aspects du changement climatique. À partir des avancées scientifiques en matière de climat, le GIEC établit des projections et propose des solutions. Tout cela est indiqué dans des rapports réguliers qui permettent aux États, mais aussi aux opinions publiques, d'avoir toutes les connaissances pour prendre les choix les plus éclairés possible. Dès 1990, paraît le premier rapport du GIEC. Ainsi, trente ans avant le discours d'António Guterres, la question des changements climatiques et de leurs conséquences est amplement connue.
2. Des lanceurs d'alerte peu écoutés
Pourtant, d'après António Guterres, le discours des scientifiques est occulté voire foulé aux pieds par les grands groupes industriels, notamment pétroliers et gaziers. À la fin de l'extrait, il évoque « une culture de désinformation et de confusion sur le climat » (l. 45-46). Plus haut, il fait référence à un scandale qui agite l'actualité en début 2023 : « ils ont fait fi de leur propre science. Certains membres de Big Oil ont colporté le grand mensonge » (l. 14-15).
En effet, un rapport de commission d'enquête américaine révèle que les grands groupes pétroliers comme Exxon Mobil, Chevron, BP America ou Shell savaient et ont adopté deux attitudes successives pour créer la confusion autour des données scientifiques. D'abord, ils ont décidé de nier le changement climatique et d'infuser dans l'opinion publique l'idée que les recherches scientifiques ne seraient pas sérieuses et s'approcheraient du canular. Ensuite, durant la dernière décennie, face à la prise de conscience des opinions publiques, ces grands groupes ont changé de stratégie en pratiquant le double langage : dans leurs campagnes publicitaires, ils mettent en avant leurs efforts pour contrer le changement climatique, tout en multipliant en interne les projets pour continuer l'exploitation intensive des hydrocarbures. Pour ce faire, des entreprises comme Exxon Mobil ou Koch ont financé des groupes d'influence, aussi appelés think tank, climatosceptiques. D'autre part, ils ont corrompu des scientifiques afin que ces derniers publient des recherches dans le sens qui les arrange. Ainsi, Willie Soon, astrophysicien américain, s'est vu recevoir la somme de plus d'un million de dollars pour présenter le rayonnement solaire et non l'activité humaine comme cause du changement climatique. Ce travail de désinformation a longtemps rendu inaudible l'alerte des scientifiques.
II. Des entreprises, notamment pétrolières, polluantes et réticentes au changement
1. Des entreprises très polluantes
António Guterres désigne clairement les grands groupes pétroliers et gaziers comme d'importants pollueurs : « certains producteurs de combustibles fossiles étaient parfaitement conscients, dans les années 1970, que leur produit phare était en train de cuire notre planète » (l. 12-14). Il parle plus loin de « guerre contre la nature » (l. 25).
En effet, aujourd'hui, les énergies fossiles sont à la base de l'économie. Le pétrole et le gaz sont employés dans les transports, dans les produits transformés (notamment dans le plastique et tous ses dérivés), dans les usines. Pourtant, la combustion de ces ressources émet du dioxyde de carbone en grandes quantités. D'ailleurs, ces grandes entreprises continuent par leurs grands projets de forage à bouleverser les écosystèmes et à contribuer à déforester des zones préservées, supprimant des puits d'absorption des gaz à effet de serre. En ce sens, ces groupes n'ont pas seulement une action sur le climat mais également sur les écosystèmes. L'entreprise pétrolière française Total, par exemple, développe en Ouganda un mégaprojet de forage et d'oléoduc qui devrait traverser un parc national et des réserves naturelles et, par conséquent, désorganiser les écosystèmes et déplacer les populations humaines présentes sur place. Ces projets vont dans le sens inverse de la lutte contre le changement climatique. En effet, une transition énergétique des hydrocarbures vers les énergies renouvelables est une solution indispensable pour limiter les émissions de gaz à effet de serre. Toutefois, les grands groupes pétroliers et gaziers mais aussi de nombreuses entreprises et acteurs politiques freinent cette transition.
Le secrétaire général de l'ONU l'affirme : « Aujourd'hui, les producteurs de combustibles fossiles et leurs complices poursuivent leur course à l'expansion de la production, tout en sachant. »
En effet, les grands groupes pétroliers font partie aujourd'hui des principales firmes transnationales dans le monde et ont donc une très grande influence de lobbying auprès des autres entreprises et des acteurs politiques pour que le modèle économique reste celui basé sur les énergies fossiles.
2. Des avancées timides et ambiguës
Malgré tout, António Guterres s'adresse au secteur privé pour s'engager dans la lutte contre le changement climatique et souligne que, contrairement aux grands groupes pétroliers, de nombreuses entreprises s'engagent en ce sens : « La vérité est que de plus en plus d'entreprises s'engagent à ne pas émettre de gaz à effet de serre » (l. 42-43).
En effet, les entreprises ont participé à la COP 21 et à l'élaboration de l'Accord de Paris. À partir de 2015, les entreprises s'engagent auprès de l'ONU à prendre des mesures propres pour diminuer leur émission de gaz à effet de serre. Les initiatives sont rassemblées sur une plateforme de l'ONU, la Non-State Actor Zone for Climate Action (NAZCA). Les entreprises ne sont d'ailleurs pas les seules à prendre des engagements : les villes, les ONG y sont également bien représentées. De même, on peut évoquer le mouvement We are still in aux États-Unis. Ce mouvement lancé en 2017 rassemble entre autres près de trois cents villes, dix États, une centaine d'institutions culturelles et plus de deux mille entreprises comme les géants du numérique (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft – GAFAM) pour signifier au monde qu'une partie des Américains refusent la décision de Donald Trump de quitter l'accord et pour réaffirmer leurs engagements respectifs. Toutefois, les réalisations concrètes sont souvent timides et ne sont pas exemptes de greenwashing comme l'évoque António Guterres à la fin de son discours. L'écoblanchiment ou greenwashing désigne les pratiques de marketing consistant à communiquer sur les bienfaits écologiques du produit ou de l'entreprise sans réel souci de la réalité. Par exemple, en France, l'entreprise d'électricité EDF a été épinglée pour écoblanchiment lors de campagnes de publicité où elle se présentait comme une entreprise « bas carbone », alors que son service en énergies renouvelables reste bien moins développé que ses activités nucléaires ou son rachat d'électricité en Allemagne, disposant d'importantes centrales à charbon.
III. Les États : entre prise de décision historique et inaction
1. Des décisions historiques
Au début de son discours, António Guterres évoque un engagement politique international en faveur de la lutte contre les changements climatiques. Il parle de « l'engagement de limiter l'augmentation de la température mondiale à 1,5 °C » (l. 3-4).
Il fait ici référence à l'Accord de Paris signé en 2015 lors de la Conférence des Parties 21 (COP 21). En effet, depuis le sommet de la Terre de Rio en 1992, les chefs d'État de tous les pays membres de l'ONU se réunissent chaque année pour prendre des décisions communes dans la lutte contre le changement climatique. Il s'agit de compléter par des protocoles le premier traité international sur le climat – la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), signée justement à Rio en 1992. À Paris, les États s'accordent sur l'objectif de limiter la hausse de la température moyenne sur terre à 2 °C par rapport à la température moyenne de la fin du xixe siècle, voire à la contenir à 1,5 °C, au lieu des 5 °C prévus si les émissions de gaz à effet restent au niveau de l'année 2015.
Le secrétaire général de l'ONU rappelle aux chefs d'État un autre engagement pris dans l'Accord de Paris. À partir de la ligne 26, il déclare : « le monde développé doit enfin tenir son engagement de financer le climat à hauteur de 100 milliards de dollars pour soutenir les pays en développement ».
Ainsi, dans l'Accord de Paris, les pays anciennement industrialisés se sont engagés à débloquer chaque année, à partir de 2020, 100 milliards de dollars à destination des pays en développement pour les aider dans leur transition énergétique. Est ici appliqué un autre principe de la CCNUCC : la responsabilité commune mais différenciée. Certains États ont historiquement émis davantage de gaz à effet de serre que d'autres et doivent davantage s'engager financièrement. Certains pays et certaines ONG vont même parler de dette climatique des pays anciennement industrialisés à l'égard des autres
2. Des blocages
Cependant, c'est justement sur ce principe de responsabilité commune mais différenciée que la réalisation des engagements achoppe. À partir de la ligne 32, António Guterres met sur la table les disputes entre les puissances économiques actuelles : « Cela ne fonctionnera pas si les pays développés attribuent la responsabilité aux économies émergentes et si les économies émergentes attribuent la responsabilité aux pays développés. »
Ainsi, si l'Accord de Paris fixe un cadre commun, c'est à chaque État d'établir sa propre feuille de route nationale. Et c'est là que le bât blesse : chacun renvoie la faute sur l'autre. Ainsi, lors de la présidence de Donald Trump, celui-ci justifie son choix de quitter l'Accord de Paris par son climatoscepticisme d'une part, mais d'autre part son conflit avec la Chine. Il refuse de payer alors que son rival, la Chine, est le plus gros émetteur de gaz à effet de serre. De même, lors des COP, différents groupes se forment : les pays aux économies les plus faibles et subissant de plein fouet les changements climatiques demandent des comptes aux grandes puissances. Ceux-ci se renvoient la balle. Par exemple, les pays émergents comme la Chine ou l'Inde rappellent que si elles émettent d'importants gaz à effet de serre, c'est parce qu'il y a transfert des unités de production européennes et américaines sur leur sol, mais aussi et surtout que ces émissions sont dues à leur course pour rattraper l'Europe et l'Amérique du Nord qui ont été les principaux pollueurs pendant les deux siècles précédents.
Ainsi, Guterres fait le constat du non-respect des accords par les États : « Les émissions de gaz à effet de serre atteignent des niveaux record et ne cessent d'augmenter. » Il appelle au contraire les pays anciennement industrialisés et émergents à s'unir pour changer le modèle énergétique. La solidarité doit pour lui se faire au niveau financier mais aussi au niveau du transfert de compétence. Il parle ainsi d'une « assistance financière et technique pour aider les principales économies émergentes à accélérer leur transition vers les énergies renouvelables ».
Conclusion
Les acteurs qui agissent sur les changements climatiques sont nombreux mais ont des objectifs très éloignés. Les scientifiques et l'Organisation des Nations unies alertent à la fois sur les changements climatiques ainsi que leurs conséquences et sur l'inaction des acteurs publics et privés. En effet, si les États ont pris des décisions historiques pour contenir la hausse de la température moyenne sur terre, les réalisations concrètes pour y parvenir peinent à voir le jour et on est loin du changement de système économique et politique pourtant nécessaire à la réalisation de l'objectif. Tous ces efforts sont aussi limités par l'action de désinformation menée par des grands groupes d'énergies fossiles, qui préfèrent valoriser leur activité plutôt que de se transformer. Toutefois, d'autres entreprises prennent la mesure de l'enjeu et commencent à s'engager, parfois de façon réelle, d'autres de façon seulement cosmétique.