Dissertation, « Discuter, est-ce renoncer à la violence ? », sujet de métropole, juin 2021
Corrigé
Introduction
Le sujet place sous le signe du renoncement la relation entre les notions de discussion et de violence. L'acte de renoncement est toujours pourvu d'un sens qui le justifie, qu'il soit lié à l'idée de détachement, de sacrifice ou d'abandon. Point de violence, semble-t-il, là où les hommes ont consciemment recours à la discussion pour l'éviter : la discussion, l'échange naturel de parole avec autrui, où les positions sont précisément mises en discussion, serait employée pour écarter une tendance, naturelle elle aussi, de recours à la violence. Celle-ci est entendue comme un comportement agressif et illégitime qui force, malgré eux et à leurs dépens, les autres, soi-même ou les choses. C'est donc au sein de la condition humaine que le sujet situe son interrogation.Toutefois, soutenant que « la guerre est le prolongement de la politique par d'autres moyens », Clausewitz, parmi d'autres, envisage autrement le rapport entre ces deux dispositions. En effet, la politique, le domaine de la parole, ne contient-elle pas déjà une violence latente, que la guerre prolongerait ? À ce titre, essayer à travers la parole d'éliminer définitivement nos dispositions violentes, plutôt que de les maîtriser, ne serait-ce pas porter violemment atteinte à notre nature ? Finalement, quelles sont les conditions pour que l'exercice de la discussion contribue à l'épanouissement de l'humanité de l'homme, et qu'en est-il de la violence lorsque l'homme s'humanise à travers la discussion ?
Après avoir défini les termes du sujet, on amorce la problématique en situant le sujet par rapport à la condition humaine. La citation de Clausewitz sert surtout à préparer une mise en question du sujet, mise en question qui doit ici rapprocher les notions de discussion et de violence.
La problématique fait donc appel à la notion d'humanité comme fil de la discussion sur le rapport entre ces deux traits typiques de la nature humaine que sont la faculté de parole et la violence. Le recours à l'idée d'humanité est cohérent avec le caractère proprement humain de l'acte de renoncement.
Après l'annonce de la problématique, il est nécessaire de présenter le plan de la dissertation. On peut construire ceci à partir, par exemple, des titres que l'on donne ici à chaque partie et sous-parties, car ce sont des titres qui ne doivent pas figurer sur la copie.
La problématique fait donc appel à la notion d'humanité comme fil de la discussion sur le rapport entre ces deux traits typiques de la nature humaine que sont la faculté de parole et la violence. Le recours à l'idée d'humanité est cohérent avec le caractère proprement humain de l'acte de renoncement.
Après l'annonce de la problématique, il est nécessaire de présenter le plan de la dissertation. On peut construire ceci à partir, par exemple, des titres que l'on donne ici à chaque partie et sous-parties, car ce sont des titres qui ne doivent pas figurer sur la copie.
I. La discussion est typiquement l'issue non violente dans les affaires humaines, car elle tisse et stabilise les liens humains qui composent la société
Dans cette première partie, nous partons d'une position philosophique abstraite, celle de Weil, pour évoluer vers des traitements philosophiques d'exemples historiques, avec Vernant et Habermas.
1. La discussion rationnelle est aux antipodes du combat
Comme le soutient Éric Weil, on a recours à la discussion pour éviter le combat, et on se plie aux règles rationnelles de l'argumentation, qui sont celles du raisonnement logique, pour que nos avis soient intelligibles à nos interlocuteurs et que la discussion puisse aboutir à une résolution non violente de nos désaccords.2. L'exemple de la polis grecque : la discussion argumentative ordonnant les relations humaines
Le geste d'évitement de l'agressivité par le débat est celui que J.-P. Vernant a situé historiquement comme une innovation. Celle-ci est mise en vedette au cours des changements sociaux à l'origine de la polis grecque, lorsque la parole argumentative est placée au centre de la vie sociale et politique. Désormais, les échanges argumentés remplacent la parole rituelle à la fois dans la résolution des conflits et dans la prise de décision. Cette transformation historique radicale est à l'origine de la démocratie et de la philosophie en Grèce, et Aristote verra dans l'usage de la parole dans la cité le cadre approprié pour développer la réflexion et les liens amicaux qui sont, selon lui, naturels chez l'humain.3. L'éthique de la discussion à la base des normes et des décisions dans les démocraties modernes
Les démocraties modernes sont des héritières lointaines de la polis grecque, et doivent renouveler la réflexion sur la place de la discussion, garantissant la coexistence d'une pluralité de valeurs. Comment les discussions peuvent-elles alors aboutir à un accord, compréhensible et acceptable pour tous, malgré la diversité des croyances non rationnelles sur lesquelles s'appuient les prises de parole des citoyens ? Nous devons à Habermas l'élaboration d'une pensée éthique qui théorise le rôle de la discussion au cœur même du processus démocratique. À ses yeux, les principes, décisions et normes établis dans les démocraties peuvent être légitimés s'ils sont le produit de discussions qui, tout en respectant les règles formelles logiques, prennent en compte les divers points de vue moraux des citoyens.Transition
« Plus fait douceur que violence », comme dit le vers de La Fontaine. On pourrait ajouter : dans la vie sociale, et dans les relations humaines, plus font les pratiques rationnelles de discussion que la violence. Néanmoins, l'individu qui discute ne mobilise-t-il pas souvent l'art oratoire comme une arme qui accomplit des formes de violences sociale et psychique ? Penser la place des discussions dans les relations humaines ne présuppose-t-il pas une réflexion plus critique sur les limites de la parole argumentative et sur l'agressivité de certains discours ?
La transition critique sans rejeter complètement les positions examinées dans la partie 1 : dans la dissertation, on avance dans un chemin de pensée, sans revenir au point de départ. Ici, on fait appel à une pensée critique de l'usage violent du langage, sans rejeter l'importance de la discussion dans le monde humain.
II. Les discussions peuvent occulter, inciter ou accomplir certaines formes de violences
La partie traite tout d'abord, avec La Boétie et Bourdieu, du rapport entre violence et domination dans le langage ; puis on avance vers un exemple historique extrême, qui accuse le langage de déshumanisation ; enfin, on ajoute une autre dimension, celle de la possibilité de violence envers soi-même.
1. Les discussions peuvent être la source de violences symboliques
Si le fait de savoir parler est inégalement partagé dans une société, et si la réflexion critique y fait défaut, les discussions reproduiront les relations de dominations existantes, autant dire des manifestations de violence dont les groupes dominés sont historiquement victimes. L'usage social du langage dans les discussions peut être la source de rapports de domination qui sont légitimés, naturalisés ou sacralisés par les dominés eux-mêmes, comme le soutenait La Boétie dans le Discours de la servitude volontaire. Plus récemment, la sociologie critique de Bourdieu a rejoint cette perspective, en décelant la violence symbolique dans les pratiques langagières contemporaines. Les formes de domination peuvent exercer leur violence à travers la discussion.2. Les discours de haine, exemple de violence langagière porté au paroxysme
L'étude du langage sous les régimes totalitaires identifie les discours de haine comme l'un des principaux éléments justifiant les violences perpétrées par ces régimes contre certains groupes ethniques ou sociaux. Ainsi, une rhétorique totalitaire, elle-même à caractère violent, a été mobilisée dans les débats pour justifier et inciter des actes violents envers les groupes ciblés. Comme l'indiquent des auteurs tels qu'Arendt ou Agamben, cette rhétorique totalitaire inhibe la réflexion critique à travers l'exacerbation d'un rapport de haine qui déshumanise les individus appartenant aux groupes victimes.3. Se faire violence à soi-même pour se rendre intelligible
Nous avons vu que certains usages sociaux et politiques de la parole peuvent s'avérer involontairement ou délibérément des vecteurs de violence entre les personnes. De plus, selon Bergson, nous nous faisons souvent violence à nous-mêmes lorsque nous exprimons de façon imprécise les traits de notre sensibilité. Ceux-ci, par leur singularité, s'énoncent mal dans l'objectivité des mots. L'expression de soi dans les discussions s'expose toujours à cette violence qui force, pour ainsi dire, des ressentis complexes et personnels à une expression objectivante et réductrice.Transition
Lessing disait que « la séduction est la véritable violence ». Les paroles séductrices qui légitiment la domination ou incitent à la haine le montrent bien, mais la discussion peut aussi imposer une violence à soi-même. Faut-il, pour autant, essayer d'évacuer toute âpreté dans le discours, toute dimension conflictuelle, afin d'extirper la violence de la nature humaine ? Si les dispositions violentes composent elles aussi notre nature, nous tâcherons de définir la discussion comme un moyen de maîtriser plutôt que d'évacuer l'agressivité humaine. Une réflexion sur la discussion comme parole argumentative centrale dans les affaires humaines ne doit pas éviter toute conflictualité.
Jusqu'ici nous avons (partie 1) reconnu l'importance de la discussion dans le monde humain, et (partie 2) critiqué les usages violents du langage dans les échanges. Dans la troisième partie, nous tenons compte des vertus et dangers de la pratique de la discussion, sans tomber dans la solution naïve qui consisterait à défendre une discussion qui évite tout désaccord, comme si un tel évitement suffisait pour contrer la violence qui est naturelle à l'homme. La solution proposée est double : la discussion doit abriter la conflictualité, car discuter c'est mettre en question ; la violence doit être maîtrisée plutôt qu'extirpée par l'exercice de la raison.