La liberté est habituellement comprise comme la possibilité de faire ce que l'on veut sans subir d'entrave extérieure. Aussi, si la liberté est d'abord un certain mode d'existence pour le sujet, elle a des implications : politiques et juridiques, puisque l'État et le droit peuvent se faire à la fois garants et oppresseurs de notre liberté ; morales, puisque la responsabilité résulte du fait que l'acte soit libre ; métaphysiques, puisque la simple possibilité d'être libre questionne la nature humaine ; scientifiques, enfin, puisque la connaissance des causes de nos actes est susceptible d'accroître notre liberté.
« Les hommes sont nés libres et partout ils sont dans les fers », écrit Rousseau en ouverture du Contrat social, faisant apparaître la difficulté qu'il y a à être réellement libre alors que c'est la condition à laquelle l'homme est le plus attaché. Il y a en effet une tension entre le fait qu'il tende sans cesse à se délier de ses entraves pour pouvoir n'obéir qu'à sa volonté, et la multiplicité des obstacles qui l'en empêchent. Si être libre signifie agir conformément à sa propre volonté, force est de constater que deux types de contraintes peuvent nous asservir : les contraintes extérieures, dont on réalise facilement l'existence, et les contraintes internes, qui orientent notre volonté. Or, cette seconde nature de contraintes est bien plus délicate à discerner. Aussi les philosophes se sont-ils souvent interrogés sur le paradoxe de la liberté : sommes-nous réellement libres quand nous croyons n'obéir qu'à nous-mêmes ?
I. Hobbes : la liberté dans le silence de la loi
Être libre, c'est d'abord ne pas subir les contraintes extérieures qui nous imposent d'agir dans un sens contraire à notre volonté. Dans son Léviathan, Hobbes définit la liberté précisément comme l'absence de contraintes s'opposant à la volonté du sujet. Or, la difficulté est, selon lui, de garantir ce type de liberté. En effet, les ressources de la nature étant limitées, plusieurs individus risquent de désirer le même territoire, le même gibier, la même maison, la possession et l'usage du même objet, si bien que les hommes deviennent des entraves à la liberté d'autrui. Reprenant la citation de Plaute, Hobbes écrit dans l'épître dédicatoire du De Cive : « L'homme est un loup pour l'homme. »S'il existe des limites non humaines à la liberté (la rareté des ressources, les forces physiques, les animaux, les épidémies, la limitation de nos capacités physiques…), il faut surtout, selon Hobbes, se parer face aux autres hommes qui tenteront de s'entre-détruire ou bien de s'asservir entre eux. C'est donc la sécurité qui est la garantie de la liberté humaine : il faut que l'homme soit assuré de ne subir aucune attaque pour pouvoir décider, selon sa droite raison, quelles actions sont bonnes pour lui.
L'État, si autoritaire qu'il soit, n'a d'autre but que de garantir cette sécurité, et c'est à travers les contraintes qu'il exerce – sur moi mais surtout sur autrui – qu'il sert la liberté humaine. L'autorité politique, par les lois positives qu'elle prescrit, restreint largement les potentialités d'action de chaque sujet, mais aussi les menaces qui planent sur chacun d'eux. Les sujets sont donc libres uniquement dans les silences de la loi, c'est-à-dire dans les domaines sur lesquels la loi ne s'exprime pas explicitement : nous sommes par exemple libres de manger ce que l'on veut, de fréquenter qui l'on veut, de vivre où l'on veut, pour peu qu'aucune loi ne l'interdise explicitement. Au moins cette liberté est-elle certaine et garantie, là où la liberté pré-politique n'était qu'un mirage inconsistant. Hobbes parvient donc à concilier les notions – qui semblent pourtant paradoxales – de liberté, de sécurité, de contrainte juridique et d'autorité politique.
Exercice n°1
II. Spinoza : la liberté par la connaissance
L'homme est naturellement porté à croire qu'il est libre dès lors qu'il peut obéir à sa volonté. Pourtant, la liberté peut subir différentes influences, ou plus exactement elle peut être déterminée de différentes manières. En effet, le milieu social, les revenus économiques ou encore le genre de l'individu incitent à désirer plutôt d'une certaine manière : on parle alors de déterminismes sociaux. Le corps aussi, selon qu'il a plus ou moins de capacités, impose un certain nombre de déterminismes physiques à la volonté. Surtout, chaque individu est marqué par des caractéristiques qui lui sont propres, venant de son histoire notamment, et qui orientent ses désirs.On voit alors combien il est complexe de dire qu'en obéissant à sa volonté, on n'obéit qu'à soi-même : on obéit en réalité à une somme indéfinie de causes dont on ignore parfois jusqu'à l'existence. Spinoza, dans une lettre à Schuller, dénonce la naïveté de ceux qui sont portés à se croire libres alors qu'ils ne font qu'obéir à des puissances extérieures, sur le modèle des mobiles physiques qui ne se meuvent qu'en fonction des forces extérieures s'appliquant à eux. Une pierre, dit Spinoza, si elle avait conscience qu'elle se meut après avoir été mise en mouvement par une force externe, pourrait bien croire elle aussi qu'elle est libre de se mouvoir à condition d'ignorer qu'elle a reçu auparavant un choc déterminant son mouvement. Il en va de même pour les hommes se considérant comme étant libres lorsque rien d'extérieur ne s'oppose à la satisfaction de leurs désirs, et qui ne voient pas que leurs désirs eux-mêmes leur échappent totalement : « Telle est cette liberté humaine que tous se vantent de posséder et qui consiste en cela seul que les hommes ont conscience de leurs appétits et ignorent les causes qui les déterminent. »
La servitude, d'après Spinoza, vient donc avant tout de l'ignorance, en particulier de l'ignorance des choses qui provoquent nos désirs. À l'inverse, la libération est toujours liée à la connaissance : plus on connaît le monde et soi-même, plus on comprend les causes qui provoquent sur soi des effets, et plus on est apte à les maîtriser et à agir en vue de ce qui est bon pour soi (c'est-à-dire en vue de ce qui augmente sa propre puissance). Spinoza met ici en évidence les liens entre liberté, connaissance et puissance.
Exercice n°2
III. Kant : la liberté dans l'obéissance à la loi morale
On considère souvent qu'être libre consiste à être indépendant, c'est-à-dire à agir comme on le souhaite sans que cela dépende de l'accord d'un tiers. La multiplicité des causes qui déterminent l'individu à désirer d'une certaine manière montre pourtant à quel point l'indépendance est un degré de liberté très bas. Dans la Critique de la raison pratique, Kant affirme que le sens plein de la liberté réside en fait dans l'autonomie. Ce terme, qui vient du grec ancien, signifie que l'on est capable de se donner à soi-même sa propre loi. Il ne s'agit pas d'agir au gré de ses désirs, qui parfois s'entrechoquent et se contredisent, mais bien de se fixer une ligne de conduite et de s'y tenir, même si cette conduite devait s'opposer à certains de nos plaisirs.
Or, on peine à comprendre comment on pourrait se choisir une finalité qui ne soit pas déterminée par une cause antécédente extérieure, puisque tous nos désirs (« nos penchants », dans le vocabulaire kantien) sont l'effet d'une cause (ils sont pris « dans la série causale »). Il s'agit donc, pour être autonome, selon Kant, d'échapper à cette série causale, de cesser de subir les influences de causes antécédentes, bref de devenir soi-même la première cause d'une série de causes. Comment ? Précisément en ne satisfaisant pas à ses désirs (ils sont trop marqués par les déterminismes extérieurs), mais en obéissant à un autre type d'injonction : l'impératif catégorique de la loi morale, cette voix que l'on entend en soi (souvent sous la forme du remords), qui sait quelle est la conduite morale à adopter face à un choix. On l'écoute très rarement car on préfère céder à ses penchants, et pourtant elle échappe à la série causale. Ce n'est que par la moralité que l'on peut agir hors de la contrainte de tout déterminisme et que l'on peut ainsi devenir soi-même la seule et unique cause de son action, se fixer à soi-même sa propre loi, et donc être libre au sens plein du terme. Chez Kant, c'est donc paradoxalement dans l'obéissance à la loi morale que se situe la liberté.
Exercice n°3
Or, on peine à comprendre comment on pourrait se choisir une finalité qui ne soit pas déterminée par une cause antécédente extérieure, puisque tous nos désirs (« nos penchants », dans le vocabulaire kantien) sont l'effet d'une cause (ils sont pris « dans la série causale »). Il s'agit donc, pour être autonome, selon Kant, d'échapper à cette série causale, de cesser de subir les influences de causes antécédentes, bref de devenir soi-même la première cause d'une série de causes. Comment ? Précisément en ne satisfaisant pas à ses désirs (ils sont trop marqués par les déterminismes extérieurs), mais en obéissant à un autre type d'injonction : l'impératif catégorique de la loi morale, cette voix que l'on entend en soi (souvent sous la forme du remords), qui sait quelle est la conduite morale à adopter face à un choix. On l'écoute très rarement car on préfère céder à ses penchants, et pourtant elle échappe à la série causale. Ce n'est que par la moralité que l'on peut agir hors de la contrainte de tout déterminisme et que l'on peut ainsi devenir soi-même la seule et unique cause de son action, se fixer à soi-même sa propre loi, et donc être libre au sens plein du terme. Chez Kant, c'est donc paradoxalement dans l'obéissance à la loi morale que se situe la liberté.
Exercice n°3
DR |
Zoom sur…
La Boétie et le confort de la servitude volontaire
La Boétie, dans le Discours sur la servitude volontaire, dénonce un phénomène paradoxal dans l'attitude des hommes face au pouvoir politique : des milliers d'hommes se soumettent à un seul, c'est-à-dire qu'un seul homme peut décider de tout concernant une masse énorme d'individus (a fortiori en monarchie). Cette servitude ne peut être que volontaire, car un homme seul n'a pas la puissance physique d'en soumettre des milliers : il lui faut des bras pour forcer à obéir, donc des serfs qui acceptent de se soumettre et de soumettre les autres. Or, La Boétie affirme que si la nature de l'homme est d'être « franc », il a oublié cette nature libre : il ne la connaît plus parce qu'il est fainéant et qu'il trouve plus confortable de se laisser guider par quelqu'un qui décide pour lui. La servitude vient donc de l'ignorance volontaire de sa propre nature et les tyrans se reposent sur cette fainéantise : voilà la « ruse de tyrans d'abêtir leurs sujets ».Exercice n°4
Platon et les dangers des désirs
Platon refuse l'idée que la liberté consiste à ne pas être entravé pour satisfaire ses désirs. Il dénonce même les désirs individuels comme source d'asservissement. Par nature, le désir est insatiable. Celui-ci, écrit-il dans Le Banquet, est fils de Pénia, l'indigence, et de Poros, l'abondance : de là vient qu'en obéissant à ses désirs on alterne entre le manque dû à l'absence de l'objet désiré et la plénitude momentanée due à son obtention mais dont on ne se satisfait pas longtemps. Aussi, à Calliclès qui dans le Gorgias considère la liberté comme la capacité à satisfaire ses désirs, la voix du platonisme répond : « C'est donc la vie d'un pluvier que tu vantes. » Il utilise l'image de cet oiseau qui défèque en même temps qu'il se nourrit pour signifier à quel point une telle liberté est vide et inconstante.Exercice n°1
Pour Hobbes, qu'est-ce qui empêche l'homme d'agir conformément à sa volonté à l'état de nature ?
Cochez la (ou les) bonne(s) réponse(s).
| ||
| ||
| ||
|
L'état de nature est un état de guerre perpétuelle de chacun contre tous car les hommes veulent s'approprier les ressources naturelles limitées et représentent un danger les uns pour les autres.
Exercice n°2
Pour Spinoza, pourquoi n'est-on pas libre en obéissant à sa volonté ?
Cochez la bonne réponse.
| ||
| ||
| ||
|
La volonté de l'homme est l'effet d'une multitude de déterminismes dont on n'a pas naturellement conscience et dont seule la connaissance rationnelle rend possibles la compréhension et la domination.
Exercice n°3
Qu'est-ce qu'être libre pour Kant ?
Cochez la (ou les) bonne(s) réponse(s).
| ||
| ||
| ||
|
La liberté pour Kant consiste à être l'unique cause de ses actions, c'est-à-dire à se donner à soi-même sa propre loi (autonomie). Le seul moyen d'agir sans obéir à des déterminismes qui nous influencent, c'est de négliger ses désirs sensibles et d'obéir à la loi morale dictée par notre nature rationnelle.
Exercice n°4
Selon La Boétie, qu'est-ce qui explique que des milliers d'hommes acceptent d'obéir à un seul homme ?
Cochez la bonne réponse.
| ||
| ||
| ||
|
Le souverain ne parvient à soumettre le peuple que parce que ce dernier est volontairement servile : il préfère obéir plutôt que de se déterminer lui-même, ce qui demanderait un effort et un courage qu'il préfère éviter.