Dans le domaine moral, la justice est une vertu qui nous demande de prendre notre dû et d'attribuer à chacun ce qui lui revient. Dans le domaine politique, la justice représente une institution dont les fonctions principales sont de faire appliquer le droit, respecter les lois et tenter de réparer les torts subis par les victimes d'injustices. La réflexion philosophique sur la notion de justice porte sur ces deux domaines principaux : elle interroge la justice en tant qu'institution judiciaire et porte donc sur des problématiques inhérentes aux droits, aux lois et à l'application des peines ; elle s'intéresse à la question de la justice sociale et tente de répondre au problème de l'organisation politique et sociale de la cité (polis). Elle consiste alors à se demander comment répartir de manière juste les biens sociaux et matériels entre tous les citoyens. À quelles conditions la justice est-elle possible ?
I. La justice dans la Cité
La justice signifie étymologiquement « dire le droit » (jusdicare). Cette notion ne saurait se confondre avec la morale. En effet, la morale est tributaire du libre arbitre, alors que la justice s'impose à tous de manière hétéronome et coercitive par l'entremise du droit et des lois. Par conséquent, celui qui réclame justice estime que le principe d'isonomie, soit l'égalité devant la loi, n'a pas été respecté et il désire donc que réparation soit faite. La justice est rendue par un tiers sous forme de punition et restaure ainsi ce que Hegel appelle « le droit en son caractère universel ».
Lorsqu'il est saisi, le juge doit vérifier la réalité du préjudice, qualifier le type d'injustice (délit ou crime, par exemple) et, le cas échéant, fixer une peine. Selon Aristote, le juge se doit d'appliquer la « règle de plomb », qui consiste à ajuster la généralité de la loi à la particularité du cas à juger. Dans le cas où la loi est imprécise ou silencieuse, le juge doit se faire l'interprète de ce qu'aurait dit le législateur en de semblables circonstances. Partant, il fait preuve d'équité, cette capacité à adapter la loi au fait sans pour autant négliger la norme légale et en fournissant un effort de justice supplémentaire. C'est « un amendement du juste légal » qui fait jurisprudence lors de procès ultérieurs et similaires.
Lorsqu'il est saisi, le juge doit vérifier la réalité du préjudice, qualifier le type d'injustice (délit ou crime, par exemple) et, le cas échéant, fixer une peine. Selon Aristote, le juge se doit d'appliquer la « règle de plomb », qui consiste à ajuster la généralité de la loi à la particularité du cas à juger. Dans le cas où la loi est imprécise ou silencieuse, le juge doit se faire l'interprète de ce qu'aurait dit le législateur en de semblables circonstances. Partant, il fait preuve d'équité, cette capacité à adapter la loi au fait sans pour autant négliger la norme légale et en fournissant un effort de justice supplémentaire. C'est « un amendement du juste légal » qui fait jurisprudence lors de procès ultérieurs et similaires.
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En outre, la justice doit se prémunir d'exhiber la force du pouvoir dans le spectacle de la punition. La justice véritable est une ascèse de la violence et non le passage d'une violence physique à une violence symbolique. Tout l'enjeu d'un procès est donc de rétablir l'équilibre du corps social en analysant objectivement les faits et en appliquant le droit avec impartialité. In fine, seule la croyance en une justice divine (théodicée) permet d'espérer une juste répartition des sanctions et des récompenses. À l'échelle humaine, la justice reste un idéal de la raison vers lequel on ne peut qu'espérer tendre. L'institution judiciaire est à l'image de l'homme, imparfaite et perfectible car, comme le rappelle Kant : « Dans un bois aussi courbe que celui dont est fait l'homme, on ne peut rien tailler de tout à fait droit. »
Exercice n°1
Exercice n°1
II. La désobéissance aux lois
Le problème de la justice au sein de la cité politique repose essentiellement sur l'opposition entre la loi écrite et la loi non écrite, entre une action illégale selon le droit positif et une action qui semble légitime au nom d'un droit supérieur et inaliénable nommé droit naturel.Pour les théoriciens du positivisme juridique, est juste ce qui est conforme au droit en tant qu'il est défini par la loi. Or, si aucune norme transcendante ne permet de juger le bien-fondé d'une loi, on risque d'institutionnaliser des actes criminels en les masquant sous les atours de la légalité. Selon les partisans d'un jusnaturalisme comme Léo Strauss, il existe « un étalon du juste et de l'injuste qui est indépendant du droit positif » et qui permet de « juger de l'idéal de notre société comme de toute autre ».
Pour autant, considérer la désobéissance à une loi inique comme un droit ou même un devoir, c'est prendre le risque de fragiliser l'organisation politique de la cité. Les lois institutionnelles garantissent la cohésion sociale, la sécurité, mais également la liberté effective des citoyens. Si une multitude de voix individuelles s'élevaient contre la loi, le risque serait réel d'aboutir au délitement du lien collectif au profit d'intérêts particuliers. Pour éviter cet écueil, on peut recourir, selon Hannah Arendt, à l'acte collectif de désobéissance civile. En effet, la désobéissance civile, conçue comme une action de dernier recours face à une atteinte grave de l'intérêt général, est légitime lorsqu'elle est collective, publique, non violente et qu'elle a pour finalité le bien commun et l'amélioration du système de lois.
Exercice n°2Exercice n°3
III. Les principes de justice sociale
La justice sociale, principe politique et moral, interroge la juste répartition des biens entre les différents membres de la société. Amartya Sen illustre parfaitement la recherche de ce difficile équilibre à partir d'une simple histoire de flûte. Si trois enfants revendiquent l'appropriation de cet instrument, faut-il le donner au plus apte à en jouer, à celui qui ne possède aucun jouet, ou à celui qui a fabriqué la flûte et en a été dépossédé frauduleusement ? Répondre à cette question impose de résoudre un dilemme : la réponse dépend de ce que chacun considère comme le meilleur principe de justice permettant une distribution juste des richesses.Les utilitaristes estiment par exemple que c'est la maximisation du bonheur général qui devrait servir de premier principe, alors que les libertariens favorisent comme principe fondamental le respect absolu des libertés individuelles. La difficulté est de parvenir à trouver un principe qui prenne en compte les inégalités sans porter atteinte aux libertés des individus, ou un système qui corrige l'iniquité des chances et des attributs naturels sans pour autant négliger les inégalités sociales ou le mérite individuel.
La théorie de justice libérale-égalitaire de John Rawls tente d'élaborer une justification rationnelle des modalités de répartition équitable des avantages et des responsabilités entre les citoyens. Pour ce faire, il s'appuie sur une expérience de pensée nommée « voile d'ignorance ». Il postule que des individus ignorant la position sociale qu'ils occuperont, les capacités innées dont la loterie naturelle les aura dotés, ainsi que leur propre conception de la vie bonne s'accorderont sur trois principes fondamentaux : le principe d'égale liberté (telle que la liberté de conscience ou d'expression), le principe d'égalité des chances et le principe de différence, qui consiste à ne tolérer les inégalités que si elles sont bénéfiques aux plus défavorisés.
Toutefois, les partisans du néolibéralisme estiment qu'une telle conception limite nécessairement les droits-libertés des individus. Ils critiquent notamment la conception de l'État-providence qui fixe les modalités de redistribution des ressources qui sont la propriété d'individus particuliers. Ils affirment alors deux principes essentiels à leur conception de la justice sociale : l'appropriation ne doit pas résulter d'une spoliation et la répartition des biens doit être effectuée sans coercition.
Exercice n°4
Zoom sur…
Les symboles de la justice
Dans la mythologie romaine, Justicia est représentée les yeux bandés, avec un glaive dans une main et une balance dans l'autre. Le bandeau est le symbole de l'impartialité qui consiste à se départir de tous préjugés sur les personnes mises en accusation et sur les actions commises. Le glaive symbolise l'aspect coercitif, répressif de la justice et l'application des peines ; il représente aussi la nécessité de trancher, de prendre une décision ferme. La balance, quant à elle, est un symbole que l'on retrouve à la fois dans les religions polythéistes et monothéistes. Dans le Livre des morts de la mythologie égyptienne, la déesse Maât utilise une balance pour peser le poids des péchés. Le cœur du mort, avant de rejoindre le royaume d'Osiris, doit faire preuve de sa pureté en étant moins lourd qu'une plume. Dans la Bible, Job prononce ces paroles : « Que Dieu me pèse sur des balances justes et il connaîtra mon intégrité. » La balance symbolise donc l'idéal de justice, qui repose sur l'équilibre, l'ordre et l'harmonie.Les trois formes de justice selon Aristote
La justice commutative est une science appliquée dans le domaine des échanges. La commutativité est une opération dont le résultat ne varie pas si l'on intervertit les termes ou les facteurs, du type de l'addition ou de la multiplication. Elle repose sur la stricte égalité arithmétique. Ainsi, est juste tout échange où il y a équivalence des biens échangés et égalité des sujets qui échangent. Or, vouloir égaliser ce qui est inégal est injuste puisque si l'on distribue exactement la même chose à des personnes dont les besoins ou le mérite diffèrent, on génère une nouvelle inégalité.La justice distributive règle la juste distribution des honneurs ou des richesses entre les citoyens. Elle s'appuie sur le principe de l'égalité proportionnelle. L'évaluation se fait ici entre quatre termes : les deux biens échangés et les deux personnes qui échangent. Comme il serait injuste de distribuer la même chose à des personnes n'ayant pas les mêmes spécificités, il faut appliquer le principe de justice originel et distribuer « à chacun ce qui convient » ou « à chacun son droit ».
La justice répressive interroge l'attribution de la juste peine : il s'agit de déterminer comment proportionner la sanction à l'acte commis. En ce sens, la loi du talion (du latin talis, « tel ») signifie : « Tel mal tu as fait, tel mal te sera fait ! » Elle ne doit pas être considérée comme une formule de la vengeance, mais plutôt comme l'un des premiers principes d'équité judiciaire. En effet, le système judiciaire doit trouver des moyens substitutifs afin de réparer les torts commis sans recourir à des violences physiques. Elle ne serait, le cas échéant, qu'une forme institutionnalisée de la vengeance.
Exercice n°1
Sur quoi le bon fonctionnement de l'institution judiciaire repose-t-il ?
Cochez la (ou les) bonne(s) réponse(s).
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La justice doit être rendue par un tiers sous forme de punition de manière impartiale et doit restaurer « le droit en son caractère universel ».
Exercice n°2
Qu'est-ce que le positivisme juridique ?
Cochez la (ou les) bonne(s) réponse(s).
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Le positivisme juridique s'oppose au jusnaturalisme, qui considère que le juste est ce qui est conforme au droit en tant qu'il est défini par les lois relatives aux différentes nations (droit positif).
Exercice n°3
Parmi les exemples suivants, lequel correspond-il à un acte de désobéissance civile ?
Cochez la bonne réponse.
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Seule la réponse C cumule tous les critères de la désobéissance civile : collective, publique, non violente et dont la finalité est le bien commun.
Exercice n°4
Sur quoi le libéral-égalitarisme est-il fondé ?
Cochez la (ou les) bonne(s) réponse(s).
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Réponses B et E car les autres principes appartiennent à d'autres conceptions de la justice sociale comme le néolibéralisme (C) ou l'utilitarisme (D), ou à une conception plus globale de l'organisation politique (A).