À l'heure de la maritimisation du commerce mondial, les détroits, points de passage entre les mers et océans de la planète, représentent des enjeux considérables. Les couloirs vitaux des routes commerciales sont principalement les canaux artificiels de Suez et de Panamá et les détroits naturels comme Gibraltar, Ormuz et surtout Malacca. Situé en Asie du Sud-Est, il relie l'Orient à l'Occident et connaît le plus important trafic au monde. Cette position stratégique en fait un lieu de tensions et de coopérations au niveau international.
Un symbole de la mondialisation
Un passage stratégique du trafic mondial
Alors que le trafic maritime mondial a atteint en 2020 près de 10 milliards de tonnes de marchandise, soit 90 % du commerce mondial, les détroits sont des lieux de transit stratégiques. Géographiquement, un détroit est un passage étroit reliant deux espaces maritimes (mers ou océans). Celui de Malacca se situe entre l'Indonésie et la Malaisie, et longe la cité-État de Singapour. Long de 850 kilomètres, large de 50 à 350 kilomètres (seulement une trentaine de kilomètres dans sa partie la plus étroite) et d'une profondeur de 23 mètres, il relie l'océan Indien à l'océan Pacifique (par la mer de Chine). Il est le passage obligé des routes commerciales maritimes qui relient l'Europe et le Moyen-Orient à l'Asie (la Chine et le Japon tout particulièrement). Entre le tiers et la moitié des flux mondiaux de marchandises transitent par le détroit, soit entre 70 000 et 90 000 navires par an.
Un pivot du commerce sud-asiatique
Le détroit de Malacca a également une importance cruciale au niveau régional. Il est au cour des voies maritimes interasiatiques, les porte-conteneurs y côtoient les petits bateaux de pêche ainsi que les ferries de passagers effectuant des déplacements professionnels ou privés entre les archipels.
Parmi les marchandises, les ressources énergétiques comme le pétrole et le gaz occupent une place essentielle. Près de 600 milliards de tonnes y circulent et fournissent les trois quarts de l'approvisionnement pétrolier de la Chine. Le détroit concentre d'ailleurs 90 % du trafic maritime chinois. Il constitue également un passage vital pour le Japon, aussi bien pour ses importations de matières premières que pour ses exportations de produits manufacturés.
Des infrastructures portuaires de rang mondial
Le détroit de Malacca concentre les plus grands ports à conteneurs de l'Asie du Sud-Est. À son entrée, Singapour est le deuxième port à conteneurs du monde après Shanghai, avec près de 37 millions d'
EVP (équivalent vingt pieds, mesure approximative des navires porte-conteneurs) par an. Il est également un centre névralgique de raffinerie du pétrole alimentant une grande partie du Sud-Est asiatique. Fonctionnant en flux tendu, sa quasi-saturation a permis à la Malaisie de développer ses propres infrastructures portuaires, comme Port Klang (16
e rang mondial, où s'est implanté l'armateur
CMA-CGM) et Tanjung Pelepas (17
e rang mondial, choisi par Maersk et Evergreen). Le détroit de Malacca représente donc un enjeu crucial à la fois pour les grandes puissances mondiales, et tout particulièrement la Chine, et pour les pays riverains.
Exercice n°1Exercice n°2Exercice n°3Exercice n°4Un lieu de tensions et de coopérations
Le détroit de Malacca : un choke point (« goulet d'étranglement ») surfréquenté et dangereux
Cette intensité du trafic ne va pas sans poser un certain nombre de problèmes que gèrent les pays riverains. Dans ce passage étroit où se croisent les navires circulant dans les deux sens, avec une visibilité parfois réduite du fait de la pollution atmosphérique récurrente, les risques de collision ou d'échouage sont majeurs (comme ce fut le cas du pétrolier japonais Showa Maru en 1975 à l'origine d'une marée noire dans le détroit), même s'ils restent peu fréquents.Le détroit de Malacca est à la fois le plus fréquenté du monde et l'un des plus dangereux, notamment en raison de la piraterie qui y sévit. Si cette dernière existe depuis longtemps dans ces mers, elle a connu un renouveau à partir des années 1990, à la faveur des crises économiques qui ont considérablement appauvri la population, alors que se développait la mégalopole singapourienne et que prospérait le commerce maritime international. Les actes de piraterie fluctuent suivant les années, mais semblent en déclin, grâce à une politique de surveillance accrue des autorités locales et internationales. En effet, la menace du terrorisme islamiste, très présent particulièrement en Indonésie, fait craindre la perpétration d'attentats ainsi que le blocage de la circulation dans le détroit, ce qui constituerait une catastrophe économique mondiale.
Tensions et coopération entre états riverains
À la suite de la conférence de l'ONU de Montego Bay en 1982 et l'entrée en vigueur de la convention sur le droit de la mer ainsi que la définition des eaux territoriales et des ZEE, le détroit de Malacca est sous la juridiction des quatre pays frontaliers du détroit : la Malaisie, l'Indonésie, la Thaïlande et Singapour. Un régime spécial est néanmoins appliqué aux détroits internationaux, autorisant le passage de navires en transit. Il ne s'agit pas d'une libre circulation comme dans les eaux internationales, mais les États riverains, tout en gardant le contrôle en matière d'environnement et de sécurité, sont tenus de garantir le passage entre les deux océans par le détroit, sans entraves économiques ou politiques. La préoccupation essentielle des États riverains du détroit est donc d'assurer la sécurité de la navigation, afin d'éviter des catastrophes humaines et environnementales, et celle de leur espace maritime au sens plus large, dont vivent également leurs populations (pêche, tourisme, etc.). Leurs relations alternent entre tensions et coopérations. Les premières portent surtout sur la question de l'établissement de la frontière entre leurs États, et donc la partie du détroit sous leur contrôle. Mais la signature, en 1977 puis en 1998 d'un accord entre la Malaisie, l'Indonésie et Singapour organisant la création de deux couloirs distincts de navigation témoigne de leur volonté de coopération. Celle-ci se renforce depuis plusieurs années, en particulier dans le domaine environnemental et sécuritaire. Ainsi, en 2004 est créée la Malacca Straits Coordinated Patrol, patrouille de surveillance du détroit coordonnée par les trois États.
Dissensions et coopération entre états riverains et états utilisateurs
La volonté de coopération des États riverains du détroit est sous-tendue par le souhait de rester
indépendants face à l'ingérence des grandes puissances commerciales mondiales dans la gestion du détroit et la protection de ce qui constitue leur espace de vie. En effet, la Chine, comme le Japon, les États-Unis et l'Inde tiennent avant tout à sécuriser la libre circulation de leurs marchandises. Ces intérêts très divergents sont à l'origine de tensions dans les relations entre les pays utilisateurs du détroit et ses riverains. Jusqu'à la conférence de Montego Bay en 1982, Malaisie et Indonésie avaient ainsi refusé le statut de détroit international et limitaient l'accès aux navires selon le principe du « passage innocent », c'est-à-dire ne présentant aucune menace. Si aujourd'hui tous les navires peuvent transiter par Malacca, la surveillance, l'entretien et la préservation environnementale du détroit et les interventions en cas d'accident ou d'attaque ont un coût difficilement supportable par eux seuls. Or, leurs demandes d'une participation étrangère à ces frais et au financement des infrastructures liées à la navigation, encouragée par l'
OMI (Organisation maritime internationale) depuis 2007, ne font pas l'unanimité au sein de la communauté internationale. Les tentatives de coopération militaire des États-Unis ont des résultats mitigés, même s'ils occupent une place de plus en plus prégnante dans la sécurisation du détroit. Les acteurs mondiaux reprochent surtout aux États riverains leur intransigeance en matière de protection de leurs prérogatives nationales.
Aujourd'hui, le rôle essentiel du détroit de Malacca est remis en cause par la perspective à court terme de sa
saturation et par les tensions entre la volonté des États riverains de préserver leur souveraineté, le besoin de financements internationaux et la préoccupation sécuritaire des États utilisateurs. La Chine, extrêmement dépendante du détroit, voit également d'un très mauvais oil l'interventionnisme américain dans la zone, qui pourrait se retourner contre eux en cas de conflit sino-américain. Des alternatives sont donc à l'étude, comme le percement du canal de Kra, dans l'isthme du même nom en Thaïlande, afin de relier la mer de Chine à l'océan Indien.
Exercice n°5Exercice n°6Exercice n°7Exercice n°8