Énoncé
Texte littéraire
Durant la Seconde Guerre mondiale (1939-1945), Paul a été condamné à mort par les nazis. C'est sa dernière rencontre avec sa femme.
« PAUL – Je sais que tu es brave, je sais que tu sauras vivre sans moi. Il faut que tu vives, toi.
FRANÇOISE – Je ne sais pas, Paul.
(À part) Toute ma vie s'engloutissait et je ne voulais pas lui montrer que j'avais mal, que la douleur qui me serrait devenait insupportable.
PAUL – Si, je sais que tu es brave. Françoise, nous avons lutté de tout notre cœur. Je tombe avant de toucher au but, mais toi tu verras la victoire.
FRANÇOISE – (À part) Et moi je pensais : que m'importe la victoire sans toi.
(À Paul) Ô Paul, nous n'avions jamais pensé que la victoire ce serait cela.
PAUL – Si Françoise. Souviens-toi. Nous le disions.
FRANÇOISE – Ô Paul. Dire et savoir, quelle différence !
PAUL – Nous gagnons. Les nôtres se lèvent de tous côtés. Georges a réussi à avoir des nouvelles du dehors. Ils reculent partout.
FRANÇOISE À part – C'était faux. Les prisons sont toujours pleines de fausses bonnes nouvelles. En mai 1942, vous savez où étaient les armées hitlériennes. Elles avançaient partout, elles atteignaient presque la Volga.
PAUL – C'est pourquoi ils se hâtent d'abattre ceux qu'ils tiennent. Mais ils ne nous auront pas tous. Des milliers se lèvent qui nous remplaceront et nous vengeront.
FRANÇOISE – Hélas Paul. Toi…
PAUL – Nous nous battons pour la liberté. Que tous les combattants ne soient pas au défilé, chacun le sait avant de s'engager et aucun ne voudrait déserter parce qu'il risque de tomber avant la fin. Ce qui serait horrible, ce serait de mourir pour rien, de mourir sans avoir rien fait de sa vie. Nous avions choisi, toi et moi.
FRANÇOISE – Je n'avais pas choisi de te perdre, jamais. J'avais toujours pensé que nous tomberions ensemble, si nous tombions.
PAUL – Chérie ! Tous les combattants ne sont pas frappés au même moment. Heureusement. Où serait la victoire si tous succombaient. Tu vivras, toi. Oh ! que j'en suis heureux.
FRANÇOISE – Paul.
PAUL – Chérie, sois forte comme tu l'as toujours été.
FRANÇOISE – Je le suis, Paul. Je le serai.
(Silence. Elle lui caresse les cheveux.) »
FRANÇOISE – Je ne sais pas, Paul.
(À part) Toute ma vie s'engloutissait et je ne voulais pas lui montrer que j'avais mal, que la douleur qui me serrait devenait insupportable.
PAUL – Si, je sais que tu es brave. Françoise, nous avons lutté de tout notre cœur. Je tombe avant de toucher au but, mais toi tu verras la victoire.
FRANÇOISE – (À part) Et moi je pensais : que m'importe la victoire sans toi.
(À Paul) Ô Paul, nous n'avions jamais pensé que la victoire ce serait cela.
PAUL – Si Françoise. Souviens-toi. Nous le disions.
FRANÇOISE – Ô Paul. Dire et savoir, quelle différence !
PAUL – Nous gagnons. Les nôtres se lèvent de tous côtés. Georges a réussi à avoir des nouvelles du dehors. Ils reculent partout.
FRANÇOISE À part – C'était faux. Les prisons sont toujours pleines de fausses bonnes nouvelles. En mai 1942, vous savez où étaient les armées hitlériennes. Elles avançaient partout, elles atteignaient presque la Volga.
PAUL – C'est pourquoi ils se hâtent d'abattre ceux qu'ils tiennent. Mais ils ne nous auront pas tous. Des milliers se lèvent qui nous remplaceront et nous vengeront.
FRANÇOISE – Hélas Paul. Toi…
PAUL – Nous nous battons pour la liberté. Que tous les combattants ne soient pas au défilé, chacun le sait avant de s'engager et aucun ne voudrait déserter parce qu'il risque de tomber avant la fin. Ce qui serait horrible, ce serait de mourir pour rien, de mourir sans avoir rien fait de sa vie. Nous avions choisi, toi et moi.
FRANÇOISE – Je n'avais pas choisi de te perdre, jamais. J'avais toujours pensé que nous tomberions ensemble, si nous tombions.
PAUL – Chérie ! Tous les combattants ne sont pas frappés au même moment. Heureusement. Où serait la victoire si tous succombaient. Tu vivras, toi. Oh ! que j'en suis heureux.
FRANÇOISE – Paul.
PAUL – Chérie, sois forte comme tu l'as toujours été.
FRANÇOISE – Je le suis, Paul. Je le serai.
(Silence. Elle lui caresse les cheveux.) »
Charlotte Delbo, Une scène jouée dans la mémoire, 2001 (édition posthume).
Document
Extrait du sujet d'histoire d'Amérique du Nord, juin 2013Évelyne Sullerot est une jeune fille française qui décide de s'engager dans la Résistance.
« Ma mère est morte en 1943. […] Je me suis retrouvée seule chez nous avec un frère et une sœur plus jeunes que moi. Très rapidement, je suis rentrée dans un réseau grâce à des camarades d'enfance. Mon rôle consistait surtout à transporter des paquets à des adresses qu'on m'indiquait. Une fille de dix-sept ans et demi qui élève son frère et sa sœur, personne ne la suspecte. Mon armoire était pleine de grenades, de plastic(1), etc. Puis je suis tombée malade et je suis allée habiter dans la clinique de mon père, dans la forêt. Il soignait à ce moment-là douze malades, et cachait onze Juifs. C'était un tour de force que de donner à manger à tout ce monde. […] Nous avons aussi abrité des aviateurs anglais. Tout a commencé le jour où un bûcheron, qui s'en allait travailler, a trouvé un parachutiste accroché dans un arbre. Il a réussi à le décrocher et il nous l'a amené. Cet homme ne parlait pas un mot de français. Et très vite, nous avons pu le loger chez des paysans dans un village voisin.[…]
Durant l'été 1944, Evelyne rejoint un maquis en Sologne au centre de la France.
C'était un bon coin pour se cacher : il y a des bois, des milliers d'étangs. Mon travail consistait toujours à assurer les liaisons, à trouver des médicaments pour les blessés. Nous, les filles, nous ne faisions pas des choses très dangereuses. J'étais toujours avec deux camarades qui avaient l'une seize ans, l'autre dix-sept ans, et nous essayions de ravitailler nos garçons. Et puis la nuit, il fallait attendre les parachutages. Alors là, vraiment, ça ressemblait à un « grand jeu », comme on dit chez les scouts. Avant de parachuter le matériel, les avions anglais nous avertissaient par fusées. Mais, comme les Allemands, bien sûr, repéraient aussi les signaux, c'était à qui arriverait le premier. »
Durant l'été 1944, Evelyne rejoint un maquis en Sologne au centre de la France.
C'était un bon coin pour se cacher : il y a des bois, des milliers d'étangs. Mon travail consistait toujours à assurer les liaisons, à trouver des médicaments pour les blessés. Nous, les filles, nous ne faisions pas des choses très dangereuses. J'étais toujours avec deux camarades qui avaient l'une seize ans, l'autre dix-sept ans, et nous essayions de ravitailler nos garçons. Et puis la nuit, il fallait attendre les parachutages. Alors là, vraiment, ça ressemblait à un « grand jeu », comme on dit chez les scouts. Avant de parachuter le matériel, les avions anglais nous avertissaient par fusées. Mais, comme les Allemands, bien sûr, repéraient aussi les signaux, c'était à qui arriverait le premier. »
Source : d'après M. Collins-Weitz, Les Combattantes de l'ombre, Albin Michel, TDC n° 750, 1998.
Travail sur le texte littéraire et sur le document
Les réponses aux questions doivent être entièrement rédigées.
Compréhension et compétences d'interprétation
1.
« Nous avions choisi, toi et moi ». De quel choix Paul parle-t-il ?
Relisez l'introduction du texte. Repérez les passages où les personnages parlent de choix ou de choisir. Analysez la situation de Paul et de Françoise, leurs activités dans ce contexte historique. Définissez le choix qu'ils ont fait.
2.
Françoise partage-t-elle ce choix ? Justifiez votre réponse en vous appuyant sur le texte.
Interrogez-vous. À ce moment de leur existence, Françoise partage-t-elle encore ce choix ? Qu'est-ce qui a changé ? Relevez les passages qui expriment ce changement d'attitude.
3.
Comment l'opposition entre les deux personnages apparaît-elle dans leurs répliques ? Vous justifierez votre réponse en vous appuyant précisément sur le texte.
Rappel : l'opposition se marque de diverses façons : conjonctions de coordination (mais, or), adverbes (pourtant, cependant, etc.), subordonnées (bien que, alors que, etc.), forme de phrase (affirmative/négative), figure de style (antithèse, etc.). Relisez le texte et repérez un ou plusieurs de ces procédés.
4.
Quels sont les arguments de Paul pour convaincre Françoise que leur combat en vaut la peine ?
Rappel : un argument est une idée ou un fait destiné à soutenir une thèse, un avis, à convaincre ou à persuader un interlocuteur. Relisez les répliques de Paul. Quelles idées ou quels faits utilise-t-il pour convaincre Françoise que leur combat en vaut la peine ? Trouvez-en au moins trois.
5.
Une scène jouée dans la mémoire : comment comprenez-vous ce titre à la lumière du texte ?
Interrogez-vous. À quel genre appartient ce texte ? Observez sa disposition sur la page. Expliquez le sens de « scène ». Observez le temps des verbes dans les apartés de Françoise. Comparez-les à des apartés de pièces que vous avez étudiées. Ces temps sont-ils les mêmes ? Analysez la situation des personnages. Expliquez l'ensemble du titre.
6.
Si vous étiez metteur en scène, quels éléments de décor (lieu, éclairages, sons…) choisiriez-vous ? Développez votre réponse en justifiant vos propositions.
La réponse est ouverte. Toutefois, la situation des personnages, le moment de l'action, l'atmosphère générale peuvent orienter vos choix de décor, d'éclairages, de sons, de jeu des acteurs. Pensez à des œuvres que vous avez lues ou vues et qui présentent quelques ressemblances avec le texte. Proposez vos éléments de mise en scène.
7.
Selon vous, l'image des résistants présentée dans ces deux documents est-elle identique ?
Relisez les documents et vos réponses aux questions 1, 2 et 4. Les raisons de l'engagement dans la Résistance vous semblent-elles les mêmes ? Comment Évelyne Sullerot voit-elle son action dans la Résistance ?
Grammaire et compétences linguistiques
1.
« J'avais toujours pensé que nous tomberions ensemble » :
a) Quel sens donnez-vous ici au verbe tomber ?
b) Identifiez le temps de ce verbe et justifiez son emploi.
a) Un mot est souvent polysémique, avec un sens propre et au moins un sens figuré. Interrogez-vous. Quel est le sens propre de « tomber » ? Quel est son sens figuré dans ce contexte précis ?
b) Observez la terminaison et le suffixe de « tomberions ». Deux temps sont formés sur la base de l'infinitif « tomber ». Lequel est employé ici ? Le verbe « tomberions » se trouve dans une subordonnée ; quel est le temps du verbe de la principale ? Pour expliquer l'emploi du temps « tomberions », conjuguez le verbe de la principale au présent de l'indicatif. À quel temps est alors conjugué « tomber » ?
2.
Selon vous, à qui Françoise s'adresse-t-elle dans les apartés ?
Définition de « aparté » : paroles prononcées par un personnage et que les autres personnages présents sur scène n'entendent pas (en théorie). Relisez les répliques de Françoise. Interrogez-vous. Si elles ne s'adressent pas à Paul, à qui s'adressent ces paroles en aparté ? Rappelez-vous : c'est du théâtre.
3. Réécrivez ces deux phrases en remplaçant « tu » par la 3e personne du pluriel, au féminin. Vous ferez toutes les modifications nécessaires.
« Je sais que tu es brave, je sais que tu sauras vivre sans moi. Il faut que tu vives, toi. »
« Je sais que tu es brave, je sais que tu sauras vivre sans moi. Il faut que tu vives, toi. »
Effectuez trois transformations :
- le passage de « tu » (singulier) à la 3e personne du pluriel implique de modifier l'accord des verbes, en gardant le même temps ;
- le passage au féminin pluriel implique de modifier l'accord de l'adjectif attribut du sujet ;
- le passage de « tu » (singulier) à la 3e personne du pluriel implique de modifier la conjonction de subordination car le pronom personnel commence désormais par une voyelle.
Dictée
« Beaucoup parmi les gens de la résistance passent la plupart de leur temps dans les trains. On ne peut rien confier au téléphone, au télégraphe, aux lettres. Tout courrier doit être porté. Toute confidence, tout contact exigent un déplacement. Et il y a les distributions d'armes, de journaux, de postes émetteurs, de matériel de sabotage. Ce qui explique la nécessité d'une armée d'agents de liaison qui tournent à travers la France comme des chevaux de manège. Ce qui explique aussi les coups terribles qui les atteignent. L'ennemi sait aussi bien que nous l'obligation où nous sommes de voyager sans cesse. »
Joseph Kessel, L'Armée des ombres, 1943.
Rédaction
Vous traiterez au choix l'un des deux sujets de rédaction suivants.
Votre rédaction sera d'une longueur minimale d'une soixantaine de lignes (300 mots environ).
Votre rédaction sera d'une longueur minimale d'une soixantaine de lignes (300 mots environ).
Sujet de réflexion
D'après vous, l'expression artistique (littérature, théâtre, cinéma, musique, peinture, etc.) apporte-t-elle quelque chose à l'évocation des événements du passé ?
À l'aide d'exemples historiques et/ou personnels de votre choix, vous présenterez votre réflexion dans un développement argumenté et organisé.
À l'aide d'exemples historiques et/ou personnels de votre choix, vous présenterez votre réflexion dans un développement argumenté et organisé.
Procéder par étapes
Étape 1. Lisez attentivement le sujet. Repérez et soulignez les mots-clés : « l'expression artistique (littérature, théâtre, cinéma, musique, peinture, etc.) », « apporte-t-elle quelque chose », « l'évocation des événements du passé ». Le thème général est la fonction, la mission de l'expression artistique (l'art) par rapport aux événements du passé.Étape 2. Repérez la forme du texte à produire : « D'après vous », « vous présenterez votre réflexion dans un développement argumenté et organisé ». Il faut donc respecter :
- le genre argumentatif : le développement organisé, avec sa progression, ses analyses et ses arguments, ses exemples (« exemples historiques et/ou personnels ») ;
- le temps de l'argumentation : le présent et les temps qui s'articulent avec lui ;
- la composition en parties et paragraphes ;
- le nombre de pages imposé (« deux pages, soit une cinquantaine de lignes »).
Thèse 1. Oui, l'expression artistique apporte quelque chose à l'évocation des événements du passé. Trouvez au moins trois arguments et exemples pour défendre cette thèse (par exemple, la connaissance de l'histoire, la prise de conscience des grands problèmes, les leçons à tirer de l'histoire). La rédaction ci-après soutient cette thèse.
Thèse 2. Non, l'expression artistique n'apporte rien à l'évocation des événements du passé. Trouvez au moins trois arguments et exemples pour défendre cette thèse (par exemple, la mission de l'art est de divertir, d'amuser ; l'art n'a pas à dénoncer ou à défendre une cause ; l'art ne change rien, il est inefficace, les problèmes sont toujours les mêmes).
Étape 4. Trouvez d'autres idées et arguments pour défendre la thèse choisie : qu'est-ce que peut apporter l'art à l'évocation du passé ? L'art peut-il être engagé dans notre société ? Les gens s'intéressent-ils à l'art ? Pensez à votre expérience personnelle, aux œuvres que vous avez lues ou étudiées en classe, à la maison. Reportez-vous à votre programme d'histoire et à l'actualité récente (commémoration de la guerre de 1914, du débarquement du 6 juin 1944).
Étape 5. Établissez le plan de votre argumentation.
- L'introduction présente le thème et pose la question. Passez une ligne avant le développement.
- Le développement expose votre point de vue, soutenu par au moins trois arguments et trois exemples. Un paragraphe développe un argument. Défendez votre thèse en utilisant des modalisateurs de certitude (assurément, j'affirme, incontestablement…) ou de nuance (peut-être, sans doute, emploi du conditionnel…), des figures de style comme l'hyperbole, l'énumération, les fausses questions (ou questions rhétoriques) ou le vocabulaire positif, mélioratif pour affirmer votre point de vue. Passez une ligne avant la conclusion.
- La conclusion rappelle que vous avez répondu à la question posée en dressant un bilan rapide.
Étape 7. Relisez-vous et corrigez d'éventuelles erreurs (orthographe, ponctuation, vocabulaire, etc.).
Sujet d'imagination
Rédigez la dernière lettre de Paul à ses enfants.
Procéder par étapes
Étape 1. Lisez attentivement le sujet. Repérez et soulignez les mots-clés : « la dernière lettre », « Paul », « ses enfants ».Étape 2. Repérez et encadrez la forme du texte à produire : « Rédigez la dernière lettre ». Il faut donc respecter :
- le cadre spatio-temporel : mai 1942, la guerre, la prison ;
- le genre de la lettre : la forme (en-tête, formules d'ouverture et de clôture, signature) ;
- l'emploi de la 1re personne du singulier et de la 2e du pluriel (« lettre de Paul à ses enfants ») ;
- l'intention : expliquer les raisons de sa condamnation à mort, faire partager ses sentiments et impressions, avant d'être exécuté, prodiguer quelques conseils ;
- les temps de la lettre (par exemple présent, futur et passé composé comme principaux temps) ;
- le nombre de pages imposé (« deux pages, soit une cinquantaine de lignes »).
Étape 4. Établissez le plan de votre rédaction :
- formules d'ouverture de la lettre (lieu, date, destinataire) ;
- exposé de son sort, récit des événements (combat contre l'occupant, jugement, condamnation, exécution proche) ;
- explications : les raisons de son engagement, ses espoirs ;
- sentiments et impressions, conseils à ses enfants : insérez-les dans les différentes parties de la lettre ;
- formule de clôture : adieux à ses enfants.
Étape 6. Relisez-vous et corrigez d'éventuelles erreurs (orthographe, ponctuation, vocabulaire, etc.).
Corrigé
Travail sur le texte littéraire et sur le document
Compréhension et compétences d'interprétation
1. Paul et Françoise ont fait le choix de s'engager dans la résistance pour lutter contre les Allemands, donc de faire éventuellement le sacrifice de leur vie pour la liberté, pour la libération de la France.
2. Françoise ne partage pas totalement ce choix : certes elle s'est engagée dans la lutte contre les Allemands mais elle n'a pas choisi de perdre Paul. Si Paul devait mourir avant la victoire finale, elle pensait qu'elle mourrait avec lui : « Je n'avais pas choisi de te perdre, jamais ».
3. Plusieurs procédés soulignent l'opposition entre les personnages. Certaines paroles de Paul sont reprises par Françoise mais à la forme négative : « Je sais » et « Je ne sais pas » ; « Nous avions choisi, toi et moi » et « Je n'avais pas choisi ». Aux négations de Françoise s'oppose la répétition de « si » de Paul, et le « Si Françoise. Souviens-toi. Nous le disions. » Par ailleurs, le système de l'aparté permet de marquer l'opposition entre les personnages car, dans ses apartés, Françoise exprime des propos différents, contraires : « Il faut que tu vives, toi. » et « (À part) Toute ma vie s'engloutissait […] devenait insupportable. » ; « mais toi tu verras la victoire » et « (À part) Et moi je pensais : que m'importe la victoire sans toi » ; « Nous gagnons. […] Ils reculent partout. » et « (À part) C'était faux. […] Elles avançaient partout, elles atteignaient presque la Volga ».
4. Pour convaincre Françoise de l'utilité et du sens de leur combat, Paul utilise plusieurs arguments. D'abord, il insiste sur le courage, la bravoure de Françoise, sur leur engagement total (« nous avons lutté de tout notre cœur »), sur la certitude de la victoire même si tous ceux qui ont lutté ne la voient pas (« mais toi tu verras la victoire » et « Nous gagnons »). Ensuite, il insiste sur l'engagement dans la Résistance de Français de plus en plus nombreux (« Les nôtres se lèvent de tous côtés » et « Des milliers se lèvent qui nous remplaceront et nous vengeront »). Enfin, leur combat en vaut la peine car ils luttent pour la liberté, la leur, celle des autres Français (« Nous nous battons pour la liberté ») ; vivre sans résister serait horrible et leur mort, de toute façon inévitable, n'aurait alors aucun sens.
5. Le titre de cette pièce évoque les souvenirs de Françoise, qui revit les événements de la Seconde Guerre mondiale, et en particulier cette scène, ce moment essentiel de sa vie, de leur vie, les adieux à Paul. Les verbes des apartés sont au passé tandis que les verbes du dialogue proprement dit sont au présent. Françoise se remémore aujourd'hui ses pensées, ses sentiments d'alors, commente rétrospectivement ce passé qu'elle revit dans sa mémoire. D'ailleurs, concernant la guerre, que ce soit la première ou la seconde, on parle beaucoup du devoir de mémoire. Grâce à ces apartés, le spectateur pénètre ainsi dans la conscience de Françoise. Dans une pièce, habituellement, le temps dominant des apartés est le présent car il n'y a pas de décalage ; ici, la scène est rejouée dans la mémoire du personnage ; Françoise se dédouble en quelque sorte : elle revit la scène comme personnage et elle la commente comme narratrice, un peu comme dans une autobiographie. Elle porte un regard en arrière.
6. Le décor de cette scène serait sobre, pour correspondre au moment dramatique des adieux : Françoise voit Paul pour la dernière fois, dans sa cellule, peu avant son exécution. Les murs seraient grisâtres, avec des inscriptions faites par les prisonniers précédents ; une petite fenêtre haut perchée, par laquelle le jour pointe, pour matérialiser le monde extérieur, monde que Paul va quitter ; un lit métallique. L'atmosphère doit être sombre, triste, avec peu de lumière. Un jeu d'éclairages permettrait de mettre en valeur les apartés de Françoise : un mince faisceau de lumière l'éclaire quand elle prononce ces paroles à part ; dans le reste de la cellule, la lumière faiblit encore un peu. Au niveau sonore, le silence régnerait, troublé une fois par quelques ordres criés en allemand, une salve de peloton d'exécution, avant « Nous gagnons. », par exemple, pour accroître la tension. Pour le jeu des acteurs, il faut que Françoise et Paul soient proches, comme l'indique la didascalie de la fin (« Elle lui caresse les cheveux »). Ils pourraient être assis sur le lit. Au moment des apartés, lorsque Françoise est éclairée, elle pourrait s'éloigner de Paul, pour marquer la distance entre les deux époques, entre Françoise qui vit la douloureuse séparation, et Françoise qui commente la scène.
7. Paul et Françoise se sont engagés dans la Résistance par amour pour la France, pour défendre leur pays, la liberté contre l'envahisseur. Prêts à se sacrifier pour cette cause, ils étaient conscients des graves dangers et des risques qu'ils couraient. Evelyne Sullerot n'explique guère les raisons de son engagement ; on a l'impression qu'il est dû au hasard : elle s'est retrouvée seule à la maison avec un frère et une sœur plus jeunes, elle a suivi ses amis d'enfance dans la Résistance comme elle les suivait sans doute autrefois dans leurs jeux ; puis son action a changé quand elle s'est retrouvée dans la forêt, dans la clinique de son père, à cause de la maladie. Toutefois, elle semble participer à un « grand jeu », pas vraiment dangereux : « c'était à qui arriverait le premier ». Certes son engagement est réel et sincère, mais il ne paraît pas aussi fort que celui de Paul et Françoise. Peut-être Evelyne Sullerot minimise-t-elle son rôle et les risques car elle était très jeune à cette époque : « Nous, les filles, nous ne faisions pas des choses très dangereuses » ; cependant le danger d'arrestation, de torture et d'exécution existait bel et bien pour les adolescents qu'ils étaient, filles et garçons.
Grammaire et compétences linguistiques
1.
a) Le verbe tomber a ici le sens de « mourir », de tomber mort sous les balles ennemies.
b) Le verbe est conjugué au conditionnel présent ; il exprime le futur dans le passé dans la subordonnée qui dépend du verbe principal au plus-que-parfait, « J'avais toujours pensé ».
2. Dans les apartés, Françoise s'adresse aux spectateurs (« En mai 1942, vous savez où étaient les armées hitlériennes ») ; nous sommes au théâtre, c'est le principe de la double énonciation.
3. Je sais qu'elles sont braves, je sais qu'elles sauront vivre sans moi. Il faut qu'elles vivent, elles.
Dictée
Le temps dominant est le présent de l'indicatif. Les terminaisons varient selon les groupes, avec quelques particularités au niveau du radical des verbes du 3e groupe :- 1er groupe : « beaucoup […] passent » ; « toute confidence, tout contact exigent » (accord avec les deux sujets) ; « ce qui explique » ; « agents de liaison qui tournent » (l'accord se fait avec l'antécédent pluriel du pronom relatif qui) ;
- 3e groupe : « on ne peut » (pouvoir) ; « tout courrier doit » (devoir) ; « il y a » ; « les coups terribles qui les atteignent » (atteindre ; l'accord se fait avec l'antécédent pluriel du pronom relatif qui) ; « l'ennemi sait » (savoir) ; « nous sommes ».
Quelques accords peuvent être difficiles : « au téléphone, au télégraphe, aux lettres » (on utilise le téléphone, le télégraphe et on envoie des lettres) ; « tout courrier, toute confidence, tout contact » (au singulier : le moindre courrier, la moindre confidence, le moindre contact) ; « les distributions d'armes, de journaux, de postes émetteurs, de matériel de sabotage » (on distribue des armes, des journaux, des postes émetteurs mais du matériel de sabotage) ; « une armée d'agents de liaison » (beaucoup d'agents assurent la liaison).
Quelques mots ont une orthographe souvent source d'erreur ou de confusion avec un homonyme : « parmi » (sans s à la fin, contrairement à hormis), « la plupart », « temps » (avec s à la fin, comme corps), « courrier » (avec deux r successifs), « confidence » (avec ence, contrairement à confiance), « émetteurs » (avec deux t successifs et un seul m), « nécessité » (notez la place du c et des deux s), « travers » (traverser), « chevaux » (les noms en -al ont un pluriel en -aux, sauf bal, chacal, festival, régal, carnaval, cal), « coups » (couper, coupure ; à ne pas confondre avec cou ou coût), « où » (relatif, avec un accent grave ; à ne pas confondre avec ou, conjonction de coordination), « cesse » (cesser), « ce qui explique » (= cela explique ; à ne pas confondre avec « ceux [les gens] qui expliquent leur choix »).
Rédaction
Sujet de réflexion
En cette année de commémoration, le centenaire de la Première Guerre mondiale et le soixante-dixième anniversaire du débarquement allié du 6 juin 1944, nous constatons que bon nombre d'œuvres, littéraires ou cinématographiques, évoquent ces sombres périodes de notre histoire. Par exemple, le prix Goncourt a été attribué à Pierre Lemaître pour son roman Au revoir là-haut, qui raconte la destinée de plusieurs hommes pris dans la tourmente de la guerre de 14-18. Nous pouvons donc nous interroger sur le rôle et l'efficacité de l'expression artistique en général pour évoquer les événements du passé. Que nous apporte-t-elle ?
Selon moi, le rôle des œuvres d'art dans l'évocation du passé, notamment d'événements historiques importants comme les conflits mondiaux, est essentiel. La grande histoire est bien servie par l'histoire d'un roman, d'un film ou d'une pièce de théâtre. Par exemple, le film d'Alain Resnais, Nuit et Brouillard, est essentiel à la découverte de l'univers concentrationnaire créé par les Allemands durant la Seconde Guerre mondiale. Surtout pour les nouvelles générations, celles qui sont éloignées de tels événements, qui n'ont pas vécu cette tragédie qui a bouleversé le monde. Le roman L'Or et la Boue de Christophe Lambert nous plonge au cœur des tranchées, en mettant en scène des personnages que nous suivons dans leur quotidien. Un livre d'histoire, même très documenté, reste souvent abstrait ; une fiction, fondée sur des faits réels, nous en apprend beaucoup en étant plus concrète : grâce à la reconstitution historique, nous pénétrons vraiment dans l'époque, dans la vie des petites gens pris dans la tourmente d'une guerre ou d'une révolution. Ainsi, le lecteur suit les aventures de Gavroche, dans Les Misérables de Victor Hugo, au moment des journées révolutionnaires de 1832. Il prend mieux conscience de la misère du peuple ou des enfants au travers de la destinée de personnages imaginés par l'auteur. L'expression artistique enrichit nos connaissances, la découverte et la compréhension de notre histoire et de notre identité.
La littérature et le cinéma sont très efficaces pour évoquer des événements passés car ils permettent au lecteur ou au spectateur de suivre un héros, une héroïne, des personnages, auxquels il peut parfois s'identifier. Il est vrai qu'un personnage facilite l'approche des événements passés, d'une époque, en incarnant un être qui paraît réel, qui vit des aventures mettant en relief les faits importants, débarrassés de l'accessoire. Le lecteur ou le spectateur est directement en prise avec la réalité évoquée. Dans La Chanson de Hannah, Jean-Paul Nozière raconte les aventures de Louis, enfant de dix ans, fils d'émigrés polonais ; l'histoire commence en août 1940 ; le fait que le héros soit un enfant permet au collégien d'avoir le point de vue, la perspective, les sentiments d'un enfant, et non d'un adulte, face aux événements dramatiques de l'Occupation, après la défaite française. On imagine plus facilement ce que pouvait ressentir un garçon dans ces années de guerre.
Et puis, ne l'oublions pas, la force des images est indéniable ; un tableau, un film ont parfois plus de poids, de puissance que les mots. C'est pourquoi le peintre Pablo Picasso, dans son œuvre intitulée Guernica, dénonce les horreurs de la guerre civile espagnole, et notamment le bombardement de la ville de Guernica par l'aviation allemande, en avril 1937. La peinture historique, genre très en vogue au xixe siècle, joue donc un rôle majeur car elle permet de réagir aux grands événements qui marquent l'humanité tout entière ou un peuple en particulier. La réalité est montrée, représentée sous sa forme réelle ou symbolique, pour mieux frapper l'esprit, pour provoquer l'émotion, et donc une meilleure prise de conscience.
Enfin, l'art, en évoquant les événements passés, constitue un témoignage utile et perpétue le devoir de mémoire, afin que les catastrophes comme les guerres mondiales ne se reproduisent plus ; il nous aide à tirer les leçons de l'histoire, pour préserver les valeurs les plus nobles de l'humanité, comme la liberté, la solidarité, la dignité humaine. L'art, par les mots, les images, la peinture, les pièces de théâtre, nous clame « Plus jamais ça ! »
La littérature et le cinéma sont très efficaces pour évoquer des événements passés car ils permettent au lecteur ou au spectateur de suivre un héros, une héroïne, des personnages, auxquels il peut parfois s'identifier. Il est vrai qu'un personnage facilite l'approche des événements passés, d'une époque, en incarnant un être qui paraît réel, qui vit des aventures mettant en relief les faits importants, débarrassés de l'accessoire. Le lecteur ou le spectateur est directement en prise avec la réalité évoquée. Dans La Chanson de Hannah, Jean-Paul Nozière raconte les aventures de Louis, enfant de dix ans, fils d'émigrés polonais ; l'histoire commence en août 1940 ; le fait que le héros soit un enfant permet au collégien d'avoir le point de vue, la perspective, les sentiments d'un enfant, et non d'un adulte, face aux événements dramatiques de l'Occupation, après la défaite française. On imagine plus facilement ce que pouvait ressentir un garçon dans ces années de guerre.
Et puis, ne l'oublions pas, la force des images est indéniable ; un tableau, un film ont parfois plus de poids, de puissance que les mots. C'est pourquoi le peintre Pablo Picasso, dans son œuvre intitulée Guernica, dénonce les horreurs de la guerre civile espagnole, et notamment le bombardement de la ville de Guernica par l'aviation allemande, en avril 1937. La peinture historique, genre très en vogue au xixe siècle, joue donc un rôle majeur car elle permet de réagir aux grands événements qui marquent l'humanité tout entière ou un peuple en particulier. La réalité est montrée, représentée sous sa forme réelle ou symbolique, pour mieux frapper l'esprit, pour provoquer l'émotion, et donc une meilleure prise de conscience.
Enfin, l'art, en évoquant les événements passés, constitue un témoignage utile et perpétue le devoir de mémoire, afin que les catastrophes comme les guerres mondiales ne se reproduisent plus ; il nous aide à tirer les leçons de l'histoire, pour préserver les valeurs les plus nobles de l'humanité, comme la liberté, la solidarité, la dignité humaine. L'art, par les mots, les images, la peinture, les pièces de théâtre, nous clame « Plus jamais ça ! »
En conclusion, l'art possède diverses missions, celle de divertir par exemple, mais aussi et surtout, selon moi, celle de nous faire réfléchir, de favoriser une prise de conscience chez le public. La création artistique demande certes du temps mais, par la distance qu'elle instaure entre l'événement et la publication d'un livre, d'une chanson ou d'un film, elle aiguise le regard que nous allons porter sur ces faits et enrichit notre connaissance du monde et de l'être humain, qui peut être un « ange » ou une « bête ».
Sujet d'imagination
De ma prison, le 11 mai 1942
Mes enfants chéris,
Votre mère vous remettra cette lettre, assurément la première et la dernière lettre que je vous écris. Mes ultimes pensées vont vers vous, que, malheureusement, je ne peux voir car ici on interdit les visites aux enfants. De toute façon, c'est mieux ainsi : vous garderez de votre père une belle image, le souvenir d'un père qui, jusqu'à ces jours derniers, se promenait avec vous au parc Montsouris, vous poussait sur la balançoire, vous tendait le pain à jeter aux canards et aux cygnes du lac. Le souvenir d'un père qui aurait beaucoup donné pour vous voir grandir, vous accompagner au fil de ce long voyage de la vie. Le destin en a décidé autrement et vous devrez rester seuls avec votre mère, qui, elle aussi, vous adore et me remplacera auprès de vous. Comme elle, soyez courageux. Comme elle, attendez les jours meilleurs qui, très bientôt, illumineront votre existence de la lumière de la liberté retrouvée. C'est pour cette liberté que je me suis battu. C'est pour votre bonheur que je fais volontiers le don de ma vie.
Soyez fiers de votre père. N'écoutez pas certaines personnes qui déformeront sans doute la vérité, qui prétendront que je suis un mauvais père, « parce qu'il a abandonné ses enfants pour devenir un saboteur ». Non ! Je ne suis pas un saboteur ni un terroriste ! Je me bats, nous nous battons, nous sommes désormais des milliers à nous battre pour notre pays, notre France, qui souffre de cette horrible occupation, tandis que d'autres sont prêts à la vendre à l'ennemi ! Je ne verrai pas la victoire mais je meurs heureux de savoir que vous la goûterez, une victoire à laquelle, à la mesure de mes forces, j'aurai contribué.
Mes enfants, la guerre est un terrible fléau, un cataclysme qui dévaste les pays et les familles, qui ravage tout sur son passage. Mais je ne pouvais pas rester les bras croisés à ne rien faire, en simple spectateur, alors que la mort s'abat partout. Je voudrais que vous le compreniez bien. Je ne suis pas plus courageux qu'un autre, je ne suis pas ce qu'on appelle un héros. Cependant, je ne pouvais pas rester indifférent, ni sourd aux appels de détresse de mon pays martyrisé. Les Allemands m'ont arrêté, peut-être ai-je été dénoncé ; puis, après un semblant de jugement, ils m'ont condamné à mort. Je meurs en paix avec moi-même car j'ai choisi de m'engager dans cette lutte, conscient des dangers que je courais. Le plus insupportable, je m'en rends compte maintenant en vous écrivant cette lettre, c'est d'imaginer que je ne vous verrai plus, que je ne vous serrerai plus dans mes bras, que je ne serai plus là pour vous aider à grandir, à devenir un homme et une femme dignes. Nous ne vieillirons pas ensemble. Je n'assisterai pas à votre mariage, je ne connaîtrai jamais mes petits-enfants.
Mon petit Joseph, ou plutôt dois-je dire mon grand Joseph, tu es maintenant l'homme de la famille. C'est à toi qu'incombe le devoir de veiller sur ta mère et sur ta petite sœur. Lucie est encore trop jeune pour comprendre tout ce qui se passe aujourd'hui. Tu devras lui expliquer, la consoler quand elle réalisera qu'elle ne me verra jamais plus, quand la douleur et le chagrin seront trop forts et qu'elle se réveillera, la nuit, en pleurs, ou quand ses regards tristes seront perdus dans le vide. Je te confie là une lourde tâche mais je sais que tu es capable de l'assumer. Mes chers enfants, vous sortez prématurément et brutalement de l'enfance ; j'en suis désolé. Vous découvrez trop tôt que la vie sait se montrer particulièrement cruelle.
Mais il est temps de vous dire adieu. Le matin va venir et bientôt je quitterai ce monde pour toujours. Ne m'oubliez pas. Laissez-moi une petite place dans votre cœur pour m'y laisser vivre encore. Je ne vous encombrerai pas. Vous sentirez seulement au fond de vous brûler cette petite flamme du souvenir et de l'amour.
Je vous embrasse très fort. Je vous aime.
Soyez fiers de votre père. N'écoutez pas certaines personnes qui déformeront sans doute la vérité, qui prétendront que je suis un mauvais père, « parce qu'il a abandonné ses enfants pour devenir un saboteur ». Non ! Je ne suis pas un saboteur ni un terroriste ! Je me bats, nous nous battons, nous sommes désormais des milliers à nous battre pour notre pays, notre France, qui souffre de cette horrible occupation, tandis que d'autres sont prêts à la vendre à l'ennemi ! Je ne verrai pas la victoire mais je meurs heureux de savoir que vous la goûterez, une victoire à laquelle, à la mesure de mes forces, j'aurai contribué.
Mes enfants, la guerre est un terrible fléau, un cataclysme qui dévaste les pays et les familles, qui ravage tout sur son passage. Mais je ne pouvais pas rester les bras croisés à ne rien faire, en simple spectateur, alors que la mort s'abat partout. Je voudrais que vous le compreniez bien. Je ne suis pas plus courageux qu'un autre, je ne suis pas ce qu'on appelle un héros. Cependant, je ne pouvais pas rester indifférent, ni sourd aux appels de détresse de mon pays martyrisé. Les Allemands m'ont arrêté, peut-être ai-je été dénoncé ; puis, après un semblant de jugement, ils m'ont condamné à mort. Je meurs en paix avec moi-même car j'ai choisi de m'engager dans cette lutte, conscient des dangers que je courais. Le plus insupportable, je m'en rends compte maintenant en vous écrivant cette lettre, c'est d'imaginer que je ne vous verrai plus, que je ne vous serrerai plus dans mes bras, que je ne serai plus là pour vous aider à grandir, à devenir un homme et une femme dignes. Nous ne vieillirons pas ensemble. Je n'assisterai pas à votre mariage, je ne connaîtrai jamais mes petits-enfants.
Mon petit Joseph, ou plutôt dois-je dire mon grand Joseph, tu es maintenant l'homme de la famille. C'est à toi qu'incombe le devoir de veiller sur ta mère et sur ta petite sœur. Lucie est encore trop jeune pour comprendre tout ce qui se passe aujourd'hui. Tu devras lui expliquer, la consoler quand elle réalisera qu'elle ne me verra jamais plus, quand la douleur et le chagrin seront trop forts et qu'elle se réveillera, la nuit, en pleurs, ou quand ses regards tristes seront perdus dans le vide. Je te confie là une lourde tâche mais je sais que tu es capable de l'assumer. Mes chers enfants, vous sortez prématurément et brutalement de l'enfance ; j'en suis désolé. Vous découvrez trop tôt que la vie sait se montrer particulièrement cruelle.
Mais il est temps de vous dire adieu. Le matin va venir et bientôt je quitterai ce monde pour toujours. Ne m'oubliez pas. Laissez-moi une petite place dans votre cœur pour m'y laisser vivre encore. Je ne vous encombrerai pas. Vous sentirez seulement au fond de vous brûler cette petite flamme du souvenir et de l'amour.
Je vous embrasse très fort. Je vous aime.
Votre père, Paul