Corrigé
Introduction
« La clarté du dehors ne distrait pas mon âme. » Ce premier vers du poème 22 du livre iii des Contemplations dépeint la mélancolie du poète, hermétique au beau temps et à la gaieté extérieure. Son lyrisme passe par la première personne du singulier, « mon ». Mais la force du vers et du poème tient à ce que le lecteur se reconnaît en une telle mélancolie qui s'empare de son humeur entière. Qui n'a jamais vécu cette phase, ne serait-ce que brièvement ? Or, dans la préface des Contemplations, Victor Hugo décrit son recueil comme un miroir tendu aux lecteurs. Cette métaphore compare le reflet du miroir à l'identification du lecteur aux poèmes. Du moins, il y découvrirait une image de lui-même. Ainsi, les sentiments, les expériences, les souvenirs ou les périodes de vie évoqués dans les poèmes seraient non pas ceux du poète, mais ceux du lecteur. Derrière ce paradoxe apparent, Victor Hugo insiste sur le pouvoir universel de son lyrisme, qui concerne toute l'humanité. Peut-on pour autant appliquer cette métaphore aussi simplement ? En quoi cette image suffit-elle à décrire l'impression que produit la lecture des Contemplations ?
Nous montrerons que Les Contemplations reflètent toute vie humaine, dont celle du lecteur, pour ensuite souligner la dimension intime et personnelle du recueil, avant de mettre en évidence les équivoques poétiques de ce jeu de miroirs.
Les Contemplations, un reflet de toute vie humaine
Les souvenirs
Comme un miroir tendu au lecteur, Les Contemplations reflètent toute vie humaine. Les moments que Victor Hugo a vécus touchent une fibre universelle. Les poèmes du deuxième livre « L'âme en fleur » retracent des moments délicats passés en compagnie de Juliette Drouet, parsemés de jeux et de conversations tendres. Par exemple, « Églogue » fait revivre une de leurs promenades en Sicile, qu'il compare poétiquement au vol de deux oiseaux. Tout lecteur ayant vécu cet éveil à l'amour se reconnaît dans cette comparaison. [Autres exemples possibles : « La coccinelle » ; « Mon bras pressait ta taille frêle… » ; « Le lac », de Lamartine.]
Les sentiments
À chaque souvenir est naturellement associé un sentiment, en miroir de l'expérience qu'en a pu faire le lecteur. La tristesse de la perte de Léopoldine, dans le livre iv, « Pauca meae », fait écho aux tragédies de la vie de chacun. Le poème « À Villequier » retrace en centsoixante vers toute l'incompréhension de Victor Hugo, qui paraît si naturelle, et si humaine. Ses réflexions sur la vie et la mort ne se cantonnent pas à lui, mais à tout être humain ayant vécu une expérience similaire. Son emploi du pronom « on » tend vers l'humanité. [Autre exemple possible : n'importe quel poème du livre iv]
Les Contemplations, des souvenirs intimes
Une autobiographie poétique
Comment qualifier de miroir une œuvre qui se veut « les mémoires d'une âme » ? Avant de voir le reflet de sa propre vie, le lecteur s'immerge totalement dans celle de Victor Hugo. Certes, la chronologie est brouillée, et il serait difficile de parler de véritable autobiographie, tant les événements sont souvent simplement esquissés. Mais chaque poème peut être considéré comme l'expression d'un souvenir que seul le poète peut comprendre, comme « Lise », souvenir de jeunesse, « À Grandville, en 1836 », retour au temps d'avant l'exil ou « Mes deux filles », qui le replonge dans sa vie de père de famille. [Autre exemple possible : un poème explicitement autobiographique.]
Des sentiments uniques
Plus que des détails factuels, les poèmes lyriques expriment les sentiments liés aux souvenirs biographiques. Dans sa préface, Hugo explique : « La vie, en filtrant goutte à goutte à travers les événements et les souffrances, a déposé [ce livre] dans son cœur. » Une sorte d'opération magique conduit ainsi le poète à écrire directement ce que la vie a inscrit dans son cœur, et donc ses sentiments. La poésie lyrique naît donc avant tout de l'authenticité des émotions intenses vécues par le sujet lyrique. [Autre exemple possible : « Les Oiseaux ».]
Les Contemplations, un jeu poétique de miroirs
Un enchantement musical
Le miroir que tend Victor Hugo au lecteur n'est pas un vecteur tant de reflets simples et proportionnels, que de diffractions poétiques et musicales. Il invite le lecteur à apprécier le poème enchanteur, au-delà de toute interprétation particulière. Le poète est un artisan qui construit musicalement ses vers, comme dans « N'envions rien » (livre II), construit sur alternance entre heptasyllabes et tétrasyllabes. Ces vers courts et originaux dotent l'éloge poétique de la femme d'une fluidité et d'une délicatesse charmante. En le lisant, le lecteur ne se voit pas dans un miroir, mais suit le poète dans un regard poétique et musical sur le monde qui lui parle. [Autre exemple possible : un poème dont vous êtes capable de faire une analyse musicale ou rythmique.]
Les ambiguïtés du « je » poétique
Le « je » lyrique, en particulier dans Les Contemplations, n'est ni l'auteur, ni le lecteur, ni une entité abstraite, ni l'humanité, mais emprunte à chacune de ces personnes. Quand le poète s'exclame « Je sens quelqu'un de grand qui m'écoute et qui m'aime ! » (« Aux arbres »), son éloge de la nature et de Dieu dépasse largement le simple être de chair qu'est Victor Hugo. La fascination qu'il exprime pour son environnement est comme un miroir tendu non simplement au lecteur, mais à l'existence entière. Les Contemplations charrient une véritable philosophie poétique. [Autres exemples possibles : des poèmes qui comportent une réflexion sur la vie, la mort, la nature, Dieu.]
Conclusion
Le miroir que Victor Hugo tend à ses lecteurs ne les reflète qu'indirectement, non seulement par les expériences et sensibilités universelles, mais aussi après un travail de réflexion. Avant de se reconnaître lui-même dans Les Contemplations, le lecteur découvre un homme singulier, qui a vécu une vie tout aussi unique que celle de chaque être. L'univers poétique dans lequel il se plonge lui fait s'approprier ces mémoires d'une âme avec plus de force qu'un journal ou un récit.