Rimbaud, Cahier de Douai : dissertation, sujet de métropole, juin 2024

Énoncé, sujet A

Dans le poème « Sensation », Arthur Rimbaud écrit : « j'irai loin, bien loin ». Selon vous, le Cahier de Douai répond-il à ce projet ? Vous répondrez à cette question dans un développement organisé en prenant appui sur le Cahier de Douai, sur les textes que vous avez étudiés dans le cadre du parcours associé, et sur votre culture personnelle.

Corrigé

Introduction
« Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées », écrit Rimbaud dans « Ma bohème », affirmant ainsi son désir de voyage et l'idéalisation d'une vie d'errance.
Commencez l'introduction de manière dynamique, avec des connaissances historiques ou littéraires, une citation, etc., en lien avec le sujet.
Âgé de 16-17 ans au moment de l'écriture du Cahier de Douai, Rimbaud s'inscrit dans un paysage poétique qui cherche à s'émanciper du monde tel qu'il est offert par le Second Empire et la IIIe République. Ne se reconnaissant pas dans l'univers bourgeois, il connaît, par ses fugues, l'exaltation de l'errance et rend compte de son désir de liberté. Ainsi, l'expression « j'irai loin, bien loin », peut se lire de diverses manières : au sens littéral, elle renvoie aux fugues du jeune homme ; au sens métaphorique, elle affirme un désir de renouvellement de l'expression poétique et une volonté de s'éloigner de la doxa d'une époque.
Ici, nous venons de justifier l'intérêt du sujet par la définition du terme clé.
L'affirmation cependant reste au futur, et l'on peut se demander si le Cahier de Douai répond complètement à cet appel. Rimbaud, en effet, s'y montre encore très influencé par la réalité de son époque et la production littéraire de son temps.
Présenter un paradoxe permet de nuancer la thèse et donc de justifier un développement.
Dès lors, nous nous demanderons si le Cahier de Douai réalise pleinement ce désir d'émancipation pure.
Il faudra répondre à cette problématique, qui ne se présente pas forcément sous la forme d'une question, tout au long du devoir : chaque paragraphe doit ainsi apporter un élément de réponse clair à la question.
Nous étudierons, dans un premier temps, le motif du voyage, qui mène Rimbaud « bien loin » de la réalité. Dans un deuxième temps, nous verrons que l'éloignement n'affranchit pas d'une réalité sociale et politique dont Rimbaud reste proche. Enfin, nous étudierons l'écriture de Rimbaud : bien qu'elle tende vers un renouvellement, elle n'en reste pas moins influencée par la production poétique du xixe siècle.
L'annonce de plan présente un projet clair au correcteur et facilite donc sa lecture. Intégrer des mots-clés permettra d'éviter le hors-sujet.
Le développement rédigé
Le Cahier de Douai aborde régulièrement les thèmes de la fugue, de l'errance et du voyage : c'est en vivant la vie de bohème que Rimbaud va « loin, bien loin ».
Quelques lignes d'introduction permettent d'annoncer avec clarté l'idée globale défendue dans une grande partie.
Dans un premier temps, il apparaît que le poème « Sensation » exprime un désir d'ailleurs et de fuite qui mène le jeune poète « loin » de son village natal.
La première phrase d'un paragraphe annonce l'idée qui va être défendue.
Les poèmes du Cahier de Douai évoquent ainsi régulièrement les fugues de Rimbaud, réalité biographique que l'on trouve par exemple dans le poème « Au Cabaret Vert ». Rimbaud y écrit : « Depuis huit jours, j'avais déchiré mes bottines/ Aux cailloux des chemins. J'entrai à Charleroi », souvenir de son séjour en Belgique.
Les exemples peuvent prendre plusieurs formes : citation, évocation d'un extrait, résumé d'un passage…
Les motifs de la vie de bohème parcourent le recueil : la route symbole de voyage ; la nature, refuge qui permet d'échapper à l'espace urbain bourgeois ; l'auberge, lieu de passage ou encore l'image de la nuit à la belle étoile, que l'on retrouve dans « Ma bohème » : « Mon auberge était à la Grande Ourse ». Il est à noter que Rimbaud va d'autant plus « loin » qu'il semble partir sans but précis autre que celui de partir pour partir. L'errance apparaît comme un idéal en tant que tel, comme dans « Sensation » qui associe le départ à l'amour : « l'amour infini me montera dans l'âme […] heureux comme avec une femme ». Ainsi, le Cahier de Douai témoigne bien d'une posture de poète qui va « loin, bien loin », en plaçant le mouvement et l'errance au cœur de son écriture.
En fin de paragraphe, rédiger une phrase qui reprend explicitement les termes du sujet.
Plus encore, cet élan mène le poète « bien loin », hors du réel, dans un espace imaginaire. Les poèmes de l'errance portent en effet régulièrement la mention du rêve : le poète se définit en « Petit-Poucet rêveur » dans « Ma Bohème », il se dit « Rêveur » dans « Sensation ». L'errance laisse ainsi toute sa place à l'imagination et à la fuite de ce que Rimbaud appellera plus tard la « réalité rugueuse ». On trouve des marques de cette volonté dans les poèmes écrits au futur, comme « Rêvé pour l'hiver », où le voyage imaginaire permet l'accès au bonheur : « L'hiver, nous irons dans un petit wagon rose […]/ Nous serons bien. » Rimbaud reconstruit alors le réel, comme pour se réfugier dans un monde imaginaire.
Les exemples doivent mener à une explication.
La nature est ainsi régulièrement idéalisée sous la plume de Rimbaud, devenant par exemple une figure maternelle dans « Le dormeur du val », présentant un locus amœnus idyllique où l'union des contraires confère une dimension merveilleuse à l'espace naturel, comme pour réparer la dureté du réel. Aller « bien loin », c'est ainsi également quitter la réalité pour se réfugier dans un espace personnel et imaginaire, « loin » des hommes décevants que Rimbaud cherche à fuir.
Penser à finir une grande partie sur une phrase de conclusion provisoire.
Ainsi, il apparaît que Rimbaud se met bien en scène sous les traits du fugueur, qui cherche aussi bien à s'éloigner de son pays natal et de son cercle familial que de la réalité même de son époque. Cependant, cette émancipation du réel n'empêche pas un ancrage dans la réalité, et Rimbaud va « loin » dans la critique de ses contemporains.
Le Cahier de Douai est également une œuvre satirique qui laisse toute sa place à la représentation des réalités de son temps, affirmant ainsi l'idéal anti-bourgeois du jeune poète. Le désir d'ailleurs vient, en effet, d'une haine de la société du Second Empire, notamment de sa bourgeoisie, représentée par exemple dans « À la musique ».
Pour montrer une bonne connaissance de l'œuvre, il est bon de convoquer des passages variés, et ne pas en rester aux seuls extraits étudiés en classe.
Ce poème se présente comme une galerie de portraits de bourgeois, dont Rimbaud critique le matérialisme, la lourdeur et la bêtise. Les bourgeois sont ainsi la cible de la satire et de l'humour mordant de Rimbaud : le ridicule du gandin qui « parade », des « grosses dames », du notaire pendu à sa montre ou encore du bourgeois à « bedaine flamande » justifient le désir de fuite mais n'en sont pas moins des présentations satiriques de la réalité du temps de Rimbaud. Force est de constater que le propos de Rimbaud va « loin », dans le sens où il est sans concession : son mépris pour la société de son temps est également prégnant dans « Le châtiment de Tartufe », qui démasque l'hypocrisie cléricale, et qui se conclut par le vers : « Peuh ! Tartufe était nu du haut jusques en bas ! » L'interjection « Peuh ! » exprime ainsi le dégoût de Rimbaud : s'il va « loin » hors de sa société, cela lui permet également de l'observer de loin et ainsi en rendre compte de façon distanciée, mais lucide.
Rimbaud, en effet, oscille entre mise à l'écart de soi et immersion dans la vie politique de son époque : les fugues solitaires n'empêchent pas un intérêt pour les mouvements politiques de son temps, notamment la guerre franco-prussienne. Ce n'est pas antinomique : le désir d'éloignement d'une société honnie s'accompagne d'un désir de bouleversement de cette même société. De ce fait, la plume rimbaldienne est régulièrement engagée, non plus éloignée mais très proche de l'actualité des années 1870. La satire déjà évoquée, volontiers rieuse, n'est pas exempte d'une lecture fine du monde dans lequel Rimbaud vit : il a conscience que le ridicule n'est pas sans danger, et que le risible peut révéler la cruauté. C'est cette classe dominante qui mène à la misère telle qu'elle est présentée dans « Les effarés », poème où Rimbaud peint des enfants affamés ; c'est elle également qui mène les jeunes générations à la mort. « Le dormeur du val » est emblématique de cela, en insistant sur la jeunesse du mourant. C'est également le cas avec des poèmes comme « Morts de quatre-vingt-douze », où Rimbaud fait une référence directe à Paul de Cassagnac, qui compare le sacrifice à la guerre aux révolutionnaires de 1792. Cassagnac étant lui-même antirévolutionnaire, Rimbaud s'insurge, refuse le patriotisme, et met sur un pied d'égalité la jeunesse française et la jeunesse prussienne (dans « Le mal », les couleurs rouges et vertes, faisant référence aux uniformes des deux factions, s'unissent : de ce point de vue, « Le dormeur du val » est aussi un pied de nez à son époque, puisqu'on ne connaît pas la nationalité du jeune mourant). Il apparaît donc que Rimbaud, s'il va « loin » dans sa verve, reste proche de la réalité de son temps qui motive l'écriture de nombreux poèmes exprimant une aversion pour le pouvoir totalitaire et l'oppression des faibles par les puissants : si Rimbaud va « loin » d'un monde qu'il rejette, il n'en demeure pas moins investi dans une idéologie qui accuse cette société.
Ainsi, on ne saurait parler de désengagement dans l'écriture du premier Rimbaud, ce qui n'est pas contradictoire avec son désir de fuite et d'ailleurs. Son écriture même se fait le reflet d'un projet encore en travail dans le Cahier de Douai : sa plume à la poétique novatrice, refusant de plaire au bourgeois, ne va cependant pas « si loin » dans le renouvellement de l'écriture poétique.
Le désir révolutionnaire de Rimbaud s'exprime en effet par une écriture qui met à mal de nombreux canons esthétiques traditionnels, et Rimbaud intègre à son écriture des thèmes encore inhabituels en poésie. Dans « Vénus anadyomène » il se confronte à un sujet qui est d'autant plus provocateur qu'il mêle culture acceptée (la naissance de Vénus a été notamment immortalisée en peinture par Botticelli) et réalité prosaïque, à savoir l'image d'une prostituée qui sort de son bain. « Belle hideusement d'un ulcère à l'anus », la femme comme le poème relèvent d'une esthétique de la belle horreur, loin de la poésie acceptée par le plus grand nombre. Sa part d'enfance se permet également l'usage de vocables inattendus comme le « doux frou-frou » et le Rimbaud « voyou » n'hésite pas à mêler à l'alexandrin très classique des termes d'argot, comme dans « À la musique », où il est question des « pioupious ». Il va ainsi « loin » des codes de la poésie traditionnelle jusque dans sa versification, se moquant des règles interdisant de placer un monosyllabe à la césure. Dans « Ma bohème » par exemple, il écrit : « Comme des lyres, je/ tirais les élastiques », mettant ainsi l'accent sur le pronom séparé de son verbe, ce qui est interdit dans les précis de versification. Il s'agit là d'insister sur la singularité d'une persona (« je » est sous l'accent) s'éloignant des règles.
Ces audaces cependant restent mesurées, et ce n'est que dans des recueils postérieurs que Rimbaud ira le plus loin dans le renouvellement poétique formel, en explorant le vers libre et le poème en prose, par exemple. Le Cahier de Douai reste très marqué par les prédécesseurs et les grands courants de son temps : un poème comme « Le forgeron », à la thématique pourtant révolutionnaire, reste très marqué par l'écriture de Victor Hugo et sa verve épique ; le registre pathétique de « Les effarés » peut rappeler le poème « Melancholia ». Les influences de Baudelaire (dans « Rêvé pour l'hiver » et « Le buffet »), de Villon (« Bal des pendus »), de Verlaine (« À la musique ») et des parnassiens comme Leconte de Lisle (« Le dormeur du val ») restent ainsi prégnantes, et Rimbaud ne s'en éloigne que modérément ; ses attaques à la versification sont dans l'air du temps, et il ne va pas aussi loin que Verlaine dans sa remise en cause de l'alexandrin. Il reste à noter que ces figures tutélaires restent toutes des figures révolutionnaires, qui sont allées contre la doxa, qu'elle soit sociétale ou poétique : Rimbaud, pour aller « loin, bien loin » reste dans le Cahier de Douai, attaché à ces figures, et fomentera sa propre révolution dans des œuvres ultérieures.
Conclusion
Pour conclure, il apparaît que la citation tirée de « Sensation » illustre bien la perspective de Rimbaud dans le Cahier de Douai : désireux d'un ailleurs qu'il cherche dans la nature et dans son imaginaire, sa recherche reste encore à venir, comme l'indique le futur employé dans la citation. Son attachement à la vie politique des années 1870, toute contestataire qu'elle soit, le rattache à une tradition littéraire qu'il n'abat pas encore à cette période, et il conserve, malgré certaines audaces, une versification héritée de ses prédécesseurs, tout révolutionnaires soient-ils. Ce n'est que plus tard qu'il abattra les codes, écrivant dans « Les ponts », tiré du recueil Illuminations : « – Un rayon blanc, tombant du ciel, anéantit cette comédie. »
L'ouverture, outre qu'elle permet de montrer des connaissances, peut également ouvrir un nouvel aspect, dans la continuité du sujet.