Lire et analyser des tables de mobilité

Pour mesurer la mobilité sociale intergénérationnelle, les sociologues construisent et analysent des tables de mobilité. Il s'agit d'un tableau à double entrée comparant les positions sociales des fils (placées généralement en colonnes) et les positions sociales des pères (placées généralement en lignes).
I. Comment sont construites les tables de mobilité ?
Il existe deux types de tables de mobilité :
• les « tables de destinée » qui mesurent ce que deviennent les fils d'ouvriers, de cadres, etc. Les tables de destinée répondent à la question : « que sont devenus les fils de… ? »
• les « tables de recrutement » qui mesurent l'origine sociale des cadres, des ouvriers, etc. Les tables de recrutement répondent à la question « de quel groupe socioprofessionnel viennent les… ? »
Les tables de mobilité sont élaborées à partir de l'enquête « Formation, qualification professionnelle » (FQP) réalisée régulièrement par l'INSEE. Cette enquête porte sur les actifs ayant un emploi ou ayant eu un emploi, âgés de 30 à 59 ans. Elles sont construites à partir d'une table en données brutes, c'est-à-dire « en nombres ». À partir de ces données, des pourcentages sont calculés.
Pour la table de destinée (document 1), le chiffre 25 a été obtenu en calculant la part des fils d'agriculteurs qui le sont devenus. Les tables en données brutes de l'enquête FQP de 2014-2015 nous apprennent que 930 000 actifs âgés de 30 à 59 ans sont fils d'agriculteurs, parmi lesquels 232 000 le sont eux-mêmes. On peut ainsi calculer la part : (232 000/930 000) × 100 = 25 %. Tous les chiffres de la table de destinée sont calculés en suivant ce raisonnement.
Pour la table de recrutement (document 2), le chiffre 81,1 a été obtenu en calculant la part des agriculteurs âgés de 30 à 59 ans qui sont fils d'agriculteurs. Les tables en données brutes de l'enquête FQP de 2014-2015 nous apprennent en effet qu'il y avait 287 000 agriculteurs âgés de 30 à 59 ans, parmi lesquels 232 000 sont fils d'agriculteurs.
II. Lire et interpréter une table de destinée
Document 1
La table de destinée issue de l'enquête FQP 2014-2015 : que sont devenus les fils de… ?
La table de destinée issue de l'enquête FQP 2014-2015 : que sont devenus les fils de… ?


Destinée (fils)

en %

Agriculteurs exploitants
Artisans, commerçants, chefs d'entreprise
Cadres et professions intellectuelles supérieures
Professions intermédiaires
Employés
Ouvriers
Ensemble
Origine (père)
Agriculteurs exploitants
25,0
8,0
8,8
18,6
7,1
32,5
100,0
Artisans, commerçants, chefs d'entreprise
0,8
20,3
22,2
22,9
9,5
24,3
100,0
Cadres et professions intellectuelles supérieures
0,2
8,0
47,0
25,7
9,1
10,0
100,0
Professions intermédiaires
0,7
7,9
25,5
31,5
11,3
23,1
100,0
Employés
0,5
6,8
16,3
26,1
16,6
33,6
100,0
Ouvriers
0,5
7,4
9,4
22,9
12,3
47,6
100,0
Ensemble
2,6
9,2
19,3
24,5
11,3
33,0
100,0

Champ : France métropolitaine, hommes âgés de 30 à 59 ans ayant un emploi ou ayant déjà eu un emploi à la date de l'enquête.
Sources : INSEE, enquête FQP 2014-2015.
Pour lire une table de destinée, il faut partir de la position sociale du père (en lignes) pour ensuite identifier celle du fils. Pour écrire une phrase montrant clairement que l'on sait lire une table de destinée, il est conseillé d'utiliser l'expression « sont devenus ». Par exemple, selon l'enquête FQP de 2014-2015, sur 100 fils d'ouvriers, 22,9 sont devenus professions intermédiaires.
Pour mesurer la fréquence de la mobilité sociale, il faut se pencher d'abord sur l'ampleur de la reproduction sociale. Par exemple, selon l'enquête FQP de 2014-2015, sur 100 fils d'ouvriers, 47,6 le sont devenus également. Pour la mesurer, il faut se pencher sur la diagonale de la table (chiffres en gras), tous les autres chiffres de la table montrant, au contraire, une mobilité sociale. Si la majorité des enquêtés changent de position par rapport à leur père, la reproduction sociale est néanmoins importante.
On constate également que les trajectoires sont assez courtes : selon l'enquête FQP de 2014-2015, sur 100 fils d'ouvriers, 22,9 % deviennent professions intermédiaires (mobilité sociale ascendante courte), 9,4 % deviennent cadres (mobilité sociale ascendante longue), 12,3 % deviennent employés (mobilité sociale horizontale). Les cas de mobilité sociale descendante ou de déclassement sont rares : les fils de « cadres et professions intellectuelles supérieures » ne deviennent employés que dans 9,1 % des cas.
III. Lire et interpréter une table de recrutement
Document 2
La table de recrutement issue de l'enquête FQP 2014-2015 : d'où viennent les… ?
La table de recrutement issue de l'enquête FQP 2014-2015 : d'où viennent les… ?


Destinée (fils)

en %

Agriculteurs exploitants
Artisans, commerçants, chefs d'entreprise
Cadres et professions intellectuelles supérieures
Professions intermédiaires
Employés
Ouvriers
Ensemble
Origine (père)
Agriculteurs exploitants
81,1
7,4
3,9
6,5
5,3
8,4
8,5
Artisans, commerçants, chefs d'entreprise
4,0
28,8
15,1
12,2
11,1
9,7
13,1
Cadres et professions intellectuelles supérieures
0,9
12,1
33,8
14,6
11,3
4,2
13,9
Professions intermédiaires
4,3
13,0
20,0
19,5
15,2
10,7
15,2
Employés
1,9
7,0
8,0
10,0
13,9
9,6
9,4
Ouvriers
7,8
31,7
19,3
37,2
43,3
57,5
39,8
Ensemble
100,0
100,0
100,0
100,0
100,0
100,0
100,0

Champ : France métropolitaine, hommes âgés de 30 à 59 ans ayant un emploi ou ayant déjà eu un emploi à la date de l'enquête.
Sources : INSEE, enquête FQP 2014-2015.
Les tables de recrutement se lisent en partant de la position des fils (en colonnes) pour ensuite se porter sur la position sociale du père (en lignes). Pour montrer que l'on sait lire une table de recrutement, il est conseillé d'utiliser l'expression « avaient un père… ». Exemple : selon l'enquête FQP de 2014-2015, sur 100 personnes exerçant une profession intermédiaire, 37,2 avaient un père ouvrier.
La lecture des tables de recrutement permet de mettre en évidence l'origine sociale des personnes de chaque groupe socioprofessionnel. Par exemple, il est intéressant de constater que plus de 80 % des agriculteurs exploitants avaient en 2014-2015 un père qui l'était lui-même (comme pour les tables de destinée, la diagonale des tables de recrutement permet de mesurer la reproduction sociale).
On peut mettre en évidence des cas de mobilité sociale ascendante, comme celle des cadres qui avaient un père ouvrier (19,3 %). À l'inverse, les cas de mobilité sociale descendante (ou déclassement) sont relativement rares : par exemple, seuls 4,2 % des ouvriers avaient un père cadre.
Zoom sur…
Les spécificités de la mobilité sociale des hommes et de celle des femmes
La mobilité sociale des femmes fait désormais l'objet d'une attention particulière de la part de l'INSEE et des sociologues. Des données récentes permettent de constater que la mobilité sociale des femmes présente certaines spécificités par rapport à celle des hommes.
Tout d'abord, elles sont plus mobiles que ceux-ci. En 2015, 65 % des hommes âgés de 35 à 59 ans ont changé de groupe socioprofessionnel par rapport à leur père tandis que 77 % des femmes âgées de 35 à 59 ans ont changé de groupe socioprofessionnel par rapport à leur mère.
Ensuite, les femmes sont en proportion plus nombreuses que les hommes à connaître une mobilité sociale ascendante. En effet, en 2015, 40 % d'entre elles occupent une position sociale plus élevée que leur mère tandis que ce n'est le cas que de 28 % des hommes. Si l'on compare les trajectoires des filles par rapport à leur père, on constate que 25 % des femmes ont connu une trajectoire descendante par rapport à leur père et 22 % une mobilité sociale ascendante. Ce double constat s'explique surtout par le fait que la position sociale des mères est tendanciellement moins élevée que celle des pères.
Pour les filles de cadres, le déclassement social est plus probable que pour les fils de cadres : les filles d'une mère cadre deviennent « professions intermédiaires » dans 32 % des cas (contre 25 % pour les fils d'un père cadre) et « employées » dans 10 % des cas (contre 4 % pour les fils d'un père cadre).
Les limites des tables de mobilité
Comme tout instrument statistique, les tables de mobilité présentent des limites. La première est simple : les tables de mobilité utilisent la nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles (PCS)… qui elle-même comporte des limites dans sa construction. Par exemple, un fils de professeur qui deviendrait avocat sera comptabilisé dans les immobiles à l'intérieur de la catégorie « cadres et professions intellectuelles supérieures » alors que l'on peut estimer qu'il s'agit d'une mobilité sociale ascendante. De plus, l'hétérogénéité de certains groupes socioprofessionnels (comme celui des « employés », par exemple) nuit à la mesure de la mobilité sociale.
Par ailleurs, les tables de mobilité comparent généralement la position sociale des pères avec la position sociale des fils, évacuant notamment la place des mères. Par exemple, si un enfant est né dans un ménage composé d'un père ouvrier et d'une mère cadre, cet enfant sera considéré comme « fils d'ouvrier », ce qui est évidemment réducteur lorsque l'on connaît la place des mères dans la socialisation des enfants.
L'enquête FQP interroge des actifs âgés de 30 à 59 ans. Il leur est demandé quel est leur groupe socioprofessionnel au moment de l'enquête et quelle était celle de leur père au moment où ils ont arrêté leurs études… Or, si la personne interrogée a 30 ans, sa position sociale peut encore changer et le groupe socioprofessionnel du père peut également se modifier après l'arrêt des études du fils.
Des vidéos à regarder
– « Les tables de mobilité : principes de construction, intérêts et limites », Les SES en vidéos
Une explication claire sur les principes de construction et la lecture de tables de mobilité. Les tables de destinées et de recrutement constituent le principal instrument de mesure de la mobilité sociale, il est donc fondamental de savoir en lire correctement les chiffres. En effet, une méthode rigoureuse est indispensable pour éviter les fréquentes erreurs de lecture des chiffres des tables de mobilité ; cette vidéo peut vous permettre d'y parvenir.
– « L'analyse de la mobilité à travers les tables de mobilité », Les SES en vidéos
Après la lecture des chiffres de tables de mobilité, voici un cours de SES nous indiquant comment analyser sociologiquement les tables. Cette vidéo vous explique la manière de mettre en évidence des situations de mobilité ascendante, de reproduction sociale et de déclassement. Par ailleurs, elle se penche sur les spécificités de la mobilité sociale des hommes et de celles des femmes.