Coopérer dans les nouveaux espaces de conquête depuis les années 1970, sujet de métropole, juin 2024 (dissertation, sujet 1)

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Coopérer dans les nouveaux espaces de conquête depuis les années 1970

Corrigé

La principale difficulté de ce sujet réside dans la capacité à réinvestir l'ensemble des informations étudiées dans les différents chapitres dans un propos structuré et cohérent. Il faut veiller à formuler des arguments clairs et logiques les uns avec les autres. Une dissertation n'est pas une juxtaposition de faits et d'exemples mais doit avoir l'ambition de démontrer de manière argumentée des idées qui répondent à une problématique formulée en introduction. Il faut aussi veiller à s'appuyer sur des exemples détaillés, précis et variés. Les exemples s'appuyant sur les jalons étudiés en classe sont évidemment attendus mais la dissertation doit aussi s'appuyer sur d'autres éléments.
Introduction
[Accroche] En 2021, l'astronaute Thomas Pesquet réalise une mission de six mois, nommée Alpha, pour le compte de l'ESA, l'Agence spatiale européenne. Il embarque à bord de l'ISS, la station spatiale internationale et succède alors au Japonais Akihiko Hoshide. En novembre 2021, il transmet ensuite le commandement de l'ISS au Russe Anton Chkaplerov.
[Contexte et définition des termes] Cette mission très médiatisée de Thomas Pesquet fait mieux connaître au grand public français l'exemple le plus abouti de coopération spatiale. En effet, dans l'ISS, vingt nationalités différentes ont été représentées depuis le lancement, en 1998. Et sur les neuf personnels de bord, un Américain et un Russe se doivent d'être présents en permanence.
Pourtant, la conquête spatiale a d'abord débuté par la compétition et les tensions. Dans le contexte de la guerre froide, Soviétiques et Américains se disputent les premières fois. Ce cycle s'achève avec le succès de la mission Apollo 11, permettant à l'Américain Neil Armstrong d'être le premier homme à marcher sur la Lune, en 1969. À partir des années 1970, sur Terre comme dans l'espace, c'est le temps de la Détente. Les politiques des deux Grands perdent en agressivité et ces derniers se rapprochent via des projets communs. Au début des années 1970, alors que la mondialisation s'intensifie, la mer, deuxième espace de conquête, est aussi au cœur des convoitises. Face à l'appétit croissant du monde pour les ressources marines, les États à l'Assemblée générale de l'ONU déclarent les fonds des océans au-delà du plateau continental comme « patrimoine commun de l'humanité ». Ainsi, la coopération, c'est-à-dire la réunion d'individus, de sociétés ou d'États autour d'un projet commun, peut prendre la forme d'une réalisation concrète ponctuelle – comme l'ISS – ou d'une législation internationale – telle la patrimonialisation.
[Problématique] Pourquoi ces différents modes de coopération sont-ils privilégiés en mer et dans l'espace depuis les années 1970 ?
Différentes problématiques étaient possibles. Ici, on s'intéresse aux raisons pour lesquelles on coopère. On aurait pu davantage centrer la problématique sur les acteurs de coopération (qui ?) ou bien sur la réussite de la coopération (parvient-on à coopérer dans les nouveaux espaces de conquête depuis les années 1970 ?).
[Plan] Coopérer est d'abord crucial pour atténuer les tensions et convoitises que génère la conquête des mers comme de l'espace, au-delà de l'atmosphère. De plus, ces espaces sont encore largement mal connus et seule la coopération peut en permettre l'exploration et la meilleure compréhension.
Ici, le plan proposé permet de sortir du plan facile et beaucoup vu qui traite d'un côté l'espace et de l'autre la mer.
I. Coopérer en mer et dans l'espace pour réduire tensions et convoitises
1. Coopérer pour limiter les conflits entre États
La mer et l'espace sont d'abord des théâtres de conflits entre États. Ainsi, on l'a vu, la conquête spatiale débute dans les années 1950 par une compétition entre les Soviétiques et les Américains. En effet, maîtriser l'espace, c'est montrer aux yeux du monde entier qu'on est puissant et, par répercussion, que le modèle politique et économique qu'on défend est le plus efficient. De même, la mer est un espace disputé de longue date. À l'époque moderne, les puissances européennes se disputent la mer et s'y font la guerre dans le contexte de colonisation du reste du monde. Au xxe siècle, la mer devient un lieu stratégique militairement, via le déploiement des porte-avions et des sous-marins, mais surtout, de nombreux États s'en attribuent la possession à des fins militaires et économiques. Il s'agit de pouvoir y contrôler la navigation et en exploiter les ressources, notamment les hydrocarbures off-shore. Cette appropriation de la mer génère des conflits puisque plusieurs États se disputent le même espace et que d'autres défendent la liberté de navigation et d'exploitation. La coopération dans ces espaces est donc un outil diplomatique pour rapprocher les États et diminuer les conflits. Pour la conquête spatiale, cette coopération se fait à l'initiative des deux superpuissances étatsunienne et soviétique. Lors de la Détente, ils sont à l'origine du Traité sur l'Espace signé entre eux et le Royaume-Uni en janvier 1967, puis généralisé aux autres membres de l'ONU. Ce traité est là pour garantir la liberté de circulation dans l'espace et d'exploration des différents corps célestes. Aucun État ne peut revendiquer de souveraineté sur tout ou partie d'un astre.
Surtout, ils mettent en place un programme commun à partir de 1972 : le programme Apollo-Soyouz. La mission se réalise en 1975 : les capsules Apollo et Soyouz se rejoignent dans l'espace, où a lieu une poignée de mains entre astronautes américains et cosmonautes soviétiques. Au-delà du symbole, cette mission permet un rapprochement de la communauté des ingénieurs des deux agences spatiales et des transferts de savoir-faire. En effet, les différents membres de la mission dialoguent et participent à des entraînements en commun.
Pour la mer, la coopération se fait à travers les institutions internationales. L'ONU instaure un cycle de conférences afin que les États puissent mettre en place un système juridique commun de gestion de la mer. Cette coopération sur plusieurs années aboutit à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, élaborée à Montego Bay en Jamaïque, en 1982. Ce texte délimite les différentes zones maritimes – d'une part, la mer territoriale, la Zone économique exclusive, voire le plateau continental étendu où l'État riverain est souverain ; d'autre part, la haute mer où la liberté de circulation et d'exploitation prime, à l'exception des fonds marins considérés comme biens communs. Cette convention met en place des instances internationales pour gérer les conflits entre États autour de zones maritimes disputées, notamment la Commission des limites du plateau continental. Malgré tout, des conflits existent autour des frontières maritimes, soit parce que des États ne reconnaissent pas la Convention, soit que les instances de régulation manquent. En ce sens, en 1996, un Tribunal international du droit de la mer est créé pour régler les litiges entre pays riverains revendiquant la même ZEE.
2. Coopérer pour protéger ces espaces et leurs ressources
D'autres acteurs que les États investissent fortement l'espace et les océans : les acteurs privés. Ainsi, au xxie siècle, à côté des agences spatiales étatiques ou régionales, quelques centaines d'entreprises, formant le New Space, entendent s'approprier l'espace avec des projets impressionnants. On pense par exemple à SpaceX d'Elon Musk, dont le projet ultime est la conquête de Mars, ou Blue Origin de Jeff Bezos, qui souhaite bâtir des colonies spatiales en orbite. Ce fourmillement d'acteurs et de projets incite à qualifier l'espace de nouveau Far West. Les orbites autour de la Terre sont déjà saturées de satellites – plus de 2 300 en 2020. Pour l'heure, la coopération n'est pas de mise pour protéger l'espace et ses ressources.
Au contraire, en mer, les États coopèrent fortement. Des législations existent pour faciliter la protection commune des espaces marins. On pense à la mise en place des aires marines protégées lors du Sommet de la Terre de Rio en 1992. Ces aires peuvent être gérées par plusieurs États qui ont à cœur de limiter très fortement les activités humaines. Le sanctuaire Pelagos en Méditerranée, géré par l'Italie, Monaco et la France, ou encore l'aire marine protégée en mer de Ross, en Antarctique, et gérée directement par l'ONU, en sont des exemples. On peut aussi faire référence aux cycles de négociations entamées en 2015 pour protéger la haute mer et permettre aux États d'avoir des législations communes, connus sous le nom de Biological Diversity Beyond National Juridiction (BBNJ).
En outre, face aux acteurs illégaux – contrebandiers, trafiquants, pirates – les États coopèrent de plus en plus pour assurer la circulation de la navigation marchande. Par exemple, depuis 2006, vingt et un États d'Asie ainsi que des grandes puissances européennes et américaines coopèrent au sein du projet ReCAAP. L'objectif est de protéger les navires circulant autour du détroit de Singapour et de Malacca de la piraterie et du vol à mains armées. Les États partagent ainsi des savoir-faire et des informations et patrouillent avec leur marine militaire dans la zone. Entre 2014 et 2020, la piraterie a, de fait, diminué de moitié dans les mers d'Asie du Sud-Est.
II. Coopérer en mer et dans l'espace pour en poursuivre l'exploration et la connaissance
1. Coopérer pour explorer des espaces encore peu connus
L'espace extra-atmosphérique et les mers et océans restent des espaces encore peu explorés et maîtrisés par les humains. Ainsi, pour l'espace, les humains ne se sont rendus qu'en orbite terrestre et sur la Lune. Des engins n'ont été envoyés que dans les limites du Système solaire. De même, si la surface des océans est constamment sillonnée, les abysses sont très mal connus : seulement 5 % de la topographie des océans a été cartographiée. L'exploration de ces espaces est coûteuse et technique. La coopération est donc essentielle entre États mais aussi entre acteurs publics et privés.
Ainsi, le projet de station spatiale internationale dans les années 1990 est d'abord motivé par des raisons techniques et financières. La Russie est très fortement endettée mais elle est la seule à disposer d'une station spatiale, la station MIR. Les États-Unis, de leur côté, disposent de la navette pour conduire les astronautes dans la station mais n'ont pas les fonds suffisants pour développer en parallèle le projet d'une station. L'ISS bénéficie des avancées techniques de chacun : les Russes, la station ; les États-Unis, la navette de transport. La construction de l'ISS, entre 1998 et 2011, a finalement réuni le travail conjoint de seize pays : le bras robotique est canadien ; la célèbre coupole qui permet d'observer la Terre est italienne ; le module de commandement est russe. Surtout, depuis 2020, les États ne sont plus les seuls à fournir le matériel. La société SpaceX met à disposition sa capsule Crew Dragon pour conduire les astronautes entre la Terre et la station.
Ainsi, la fusée européenne Ariane V emmène, fin décembre 2021, le télescope le plus ambitieux jamais mis en orbite : une véritable prouesse technologique. Ce télescope, James Webb, est le fruit d'une collaboration entre les agences spatiales américaine, canadienne et européenne. Une de ses missions est de repérer des traces de vie extraterrestre. Il devrait, encore mieux que le télescope Hubble, permettre de connaître les origines de l'univers. La coopération est donc essentielle pour poursuivre l'exploration.
2. Coopérer pour faire avancer la science et ces espaces
L'espace extra-atmosphérique et les mers sont des espaces de fortes contraintes. Ainsi, au-delà de l'atmosphère terrestre, on trouve le vide spatial avec absence de gravité et de champ magnétique, de forts contrastes de température, des flux de particules. De même, en mer, la surface subit les courants, les tempêtes, les vagues. Au sein de la colonne d'eau s'exerce une forte pression. Enfin, dans les profondeurs, c'est-à-dire les abysses, outre la pression, règne le très grand froid puisque la lumière y est absente. La coopération scientifique est donc primordiale pour mieux connaître ces espaces. Elle permet de vérifier en conditions extrêmes des propriétés et des lois scientifiques. De plus, l'étude de ces espaces conduit à mieux connaître la situation de la planète et de la vie qu'elle abrite. Les satellites d'observation comme les missions en mer amènent notamment à mieux mesurer l'ampleur des changements climatiques. Deux exemples montrent que les communautés scientifiques coopèrent de plus en plus fortement dans ces espaces.
De fait, l'ISS est avant tout un laboratoire scientifique en orbite : on y observe les corps des astronautes dans l'apesanteur. Ceux-ci, à leur départ et à leur arrivée, subissent de nombreux tests et examens médicaux dont les retombées sont importantes pour l'avancée de la médecine. D'autre part, une grande partie du temps des astronautes dans la station est consacrée à la réalisation d'expériences scientifiques. Par exemple, Thomas Pesquet, lors de la mission Alpha, a réalisé plus de deux cents expériences, portant notamment sur l'évolution de cellules-souches cancéreuses ou sur l'organisme mono-cellulaire qu'est le blob.
Par ailleurs, en Antarctique sont implantées plusieurs stations scientifiques internationales. La station internationale Concordia doit à terme abriter le travail de la fondation Ice Memory. Ce projet d'abord franco-italien a pour but de conserver en Antarctique la plus grande banque de carottes glaciaires, issues des glaciers des différents continents, afin de pouvoir mesurer, à l'aune de celles-ci, les effets du changement climatique. Le choix de l'Antarctique est double : réussir à y réaliser des prélèvements mais, surtout, bénéficier de ses conditions extrêmes pour conserver aisément les différentes carottes de glace. Le projet est soutenu par l'ONU et conduit les scientifiques à coopérer avec les différents États (Russie, Bolivie, Pérou, Tanzanie, Norvège…) où sont réalisés les prélèvements.
Conclusion
Coopérer en mer et dans l'espace est le fait de plusieurs acteurs : États, institutions internationales, agences scientifiques et, progressivement, acteurs privés. Cette coopération se fait sous des modalités variées : établissement de juridicions communes, missions ponctuelles conjointes, projets concrets sur le long terme, partages de connaissances et de compétences. Elle est importante depuis les années 1970 pour des raisons diplomatiques, mais aussi économiques et scientifiques. Toutefois, la coopération reste fragile.
Dans l'espace, la concurrence demeure vive, avec l'arrivée des acteurs du New Space, qui voient d'abord l'espace comme un réservoir dans lequel puiser, et le passage à un monde multipolaire et fracturé géopolitiquement. Les tensions entre la Chine et les États-Unis, comme celles entre les États-Unis et la Russie, incitent à des projets non plus communs mais concurrents, notamment autour du retour sur la Lune ou du remplacement de l'ISS. En mer, on observe le même phénomène d'appropriation des espaces et des ressources. Les tensions sont fortes malgré les efforts importants déployés par l'ONU pour faire dialoguer les dirigeants politiques et économiques.