Corrigé
Introduction
[Accroche] « La connaissance est en elle-même puissance. » Ces mots, écrits par le philosophe anglais Francis Bacon, penseur de l'expérimentalisme, dans ses Méditations religieuses (1597), mettent en avant le pouvoir qui peut être associé à la connaissance, la puissance qui s'en dégage et ainsi l'intérêt géopolitique que la connaissance peut revêtir.
[Analyse du sujet] La connaissance, en tant que processus d'apprentissage par l'étude ou la pratique, est devenue un élément central de nos sociétés contemporaines. L'intellectuel autrichien Peter Drucker en est même venu à théoriser, dans The Age of Discontinuity (1969), l'existence d'une « société de la connaissance » dans laquelle nous vivons et où ce processus d'apprentissage est devenu la principale source de création de richesse et de valeur, se substituant à la terre, au travail et au capital dans ce mécanisme. Ainsi, au vu de l'importance prise dans nos sociétés contemporaines par la connaissance, il convient d'interroger, dans cet espace et cette temporalité, comment la circulation de la connaissance, c'est-à-dire la manière dont elle se déplace, se diffuse, se propage, peut être une source de concurrence ou de convoitise entre les acteurs qui en sont à l'origine.
[Problématique] Ainsi, comment la circulation de la connaissance peut-elle constituer une source de puissance et avoir une valeur géopolitique ?
[Plan] Pour répondre à cette question, nous établirons d'abord que la circulation de la connaissance est un moyen d'accroître sa puissance et donc de peser géopolitiquement, avant d'aborder le fait qu'elle devient donc un outil de taille dans les relations géopolitiques. Enfin, nous expliquerons que le cyberespace, nouvel espace central de circulation de la connaissance, témoigne des rivalités géopolitiques qui s'expriment à travers l'enjeu de son contrôle.
I. La circulation de la connaissance : un moyen d'accroître sa puissance et de peser d'un point de vue géopolitique
1. Faire circuler la connaissance et faciliter sa diffusion : un enjeu de puissance pour les États
Pour peser géopolitiquement, tenter de faire circuler la connaissance au sein de sa population pour en faciliter la diffusion est devenu un enjeu de puissance pour les États, puisque cette plus grande diffusion les renforce et les rend attractifs. Par exemple, l'Inde, à partir des années 1950-1960, a mis en place une stratégie pour que la connaissance circule largement au sein de sa population, afin de réussir à la former du mieux possible et d'apparaître comme un pays à la main-d'œuvre qualifiée. Cela s'est matérialisé par la création d'un système scolaire hiérarchisé et tentaculaire lors des études supérieures avec aujourd'hui plus de 35 000 colleges, 900 universités et 18 Indian Institutes of Technology, qui permettent chaque année de former plus de 37 millions d'étudiants. Pour parfaire leur formation, les plus brillants de ces élèves sont invités à poursuivre leur cursus à l'étranger, notamment dans les plus grandes universités américaines. Grâce à cette stratégie de diffusion et de circulation de la connaissance, l'Inde récolte les fruits de cette politique qui est l'une des bases de sa puissance, tant par l'attrait que cette main-d'œuvre qualifiée constitue à l'international que par le poids politique, économique et démographique que sa diaspora fait peser dans les pays où elle se trouve. Ainsi, la circulation de la connaissance par sa diffusion large constitue bien un enjeu de puissance pour les États.
2. Détenir la connaissance et contrôler sa circulation : un outil au service des puissances
La circulation de la connaissance peut être un outil au service de la puissance des États par les efforts que ceux-ci peuvent déployer pour l'attirer, la détenir et la contrôler. Ainsi, les États et les acteurs privés se livrent une véritable concurrence pour capter la matière grise et attirer cette connaissance à eux afin d'en tirer profit pour leur propre puissance. Ce processus de brain drain (« fuite des cerveaux ») peut être organisé en tentant d'offrir à cette matière grise les meilleurs moyens possibles pour se développer, ou encore en délivrant des brevets qui permettent de protéger les inventeurs en leur garantissant l'exclusivité de l'exploitation de leur invention. Ce mécanisme remonte à l'époque moderne puisque, dès 1474, des brevets d'invention sont délivrés par la république de Venise pour protéger les connaissances des verriers de Murano. Cette dynamique s'est amplifiée à mesure que la « société de la connaissance » se constitue et la première puissance mondiale, les États-Unis, n'a pas hésité à déployer tous les moyens nécessaires pour pouvoir capter cette connaissance. À ce titre, il s'agit du pays qui attire le plus d'étudiants internationaux (près d'un million) grâce au prestige de ses universités, relayé par le classement de Shanghai. Les États-Unis sont aussi le pays qui détient le plus de brevets dans le domaine des nouvelles technologies (1/3 des 40 000 brevets déposés en 2018), assurant ainsi leur prédominance dans ce domaine. Cette capacité des États-Unis à capter la circulation de la connaissance permet au pays d'accroître sa puissance, que ce soit sur le plan symbolique ou économique, reflétant donc l'enjeu géopolitique que revêt la circulation de la connaissance.
[Transition] Ainsi, la circulation de la connaissance permet bien d'accroître sa puissance et de s'affirmer géopolitiquement. De ce fait, il apparaît logique qu'elle soit un outil de taille dans les relations géopolitiques que les États entretiennent entre eux.
II. La circulation de la connaissance : un outil de taille dans les relations géopolitiques
1. La circulation de la connaissance : un moyen utilisé dans les conflits pour prendre l'avantage
La connaissance et sa circulation peuvent dès lors être un moyen pour les acteurs étatiques ou non étatiques de prendre le dessus sur leurs adversaires lors de conflits qui les opposent. À ce titre, la circulation de la connaissance constitue un outil géopolitique et stratégique puissant. Ce fut notamment le cas lors de la Seconde Guerre mondiale, lorsque, après avoir été alertés par Albert Einstein sur la possibilité de la création de « bombes extrêmement puissantes d'un type nouveau », les États-Unis, dirigés par Franklin Roosevelt, ont développé le projet Manhattan qui, pour un coût global estimé à 2 milliards de dollars, a attiré aux États-Unis les meilleurs scientifiques de l'époque afin de mettre au point la bombe atomique en un temps record. Résultat, les 6 et 9 août 1945, deux bombes atomiques explosent sur les villes d'Hiroshima et de Nagasaki, permettant aux Alliés de gagner la guerre. Durant la guerre froide (1947-1991), les services de renseignements américains et soviétiques se sont aussi durement affrontés à travers leurs agences de renseignements respectives, la CIA et le KGB, pour capter des connaissances décisives sur leurs adversaires ou faire circuler de fausses informations pour duper l'ennemi. La circulation de la connaissance constitue donc effectivement un outil essentiel dans les relations conflictuelles et possède à ce titre un intérêt géopolitique majeur.
2. La circulation de la connaissance : une source de coopération pouvant renforcer les liens géopolitiques
Mais si la circulation de la connaissance peut être un outil de conflictualité, elle peut aussi être la manifestation d'une bonne entente et de la solidité de liens géopolitiques. En effet, faire circuler de la connaissance permet de mettre en avant une concorde ou de renforcer des liens déjà solides. Les transferts de technologies constituent à ce titre un des moyens de manifester cette bonne entente. Pour en revenir au cas de l'Inde, des accords sont passés entre l'Inde et d'autres États dans le cadre de partenariats économiques qui permettent de faire circuler de la connaissance tout en mettant en scène la bonne relation diplomatique entre les États. Cette mise en scène a pu être notée par exemple en 2016 lorsque l'Inde a acheté 36 avions de chasse Rafale à la France. En échange de cet accord étaient prévus des transferts de technologies dans le domaine de l'aéronautique, pour que l'Inde développe son propre constructeur, Hal. Cette même année, la bonne relation entre l'Inde et Israël a aussi été mise en scène, occasionnant d'importantes circulations de la connaissance dans le domaine des technologies de défense et de sécurité. Un autre exemple marquant de cette mise en scène de la bonne entente à travers la facilitation de la circulation de la connaissance est le programme d'échanges étudiants Erasmus mis en place à partir de 1987 au sein de l'Union européenne, qui permet aux étudiants de circuler pendant une année dans un autre pays faisant partie de ce programme. Le projet Erasmus s'est même désormais élargi à Erasmus+, intégrant de nouveaux États à ce programme pour démontrer la bonne entente de l'Union européenne avec ces pays. Dans cette optique, la circulation de la connaissance est aussi un moyen de mettre en avant et de renforcer les liens géopolitiques entre alliés ou partenaires.
[Transition] Si la circulation des connaissances représente un instrument majeur dans les relations internationales, elle se manifeste aujourd'hui largement dans le cyberespace.
III. Le cyberespace : nouvel espace de la circulation de la connaissance et de rivalités géopolitiques
1. Le cyberespace : un nouveau moyen d'augmenter sa puissance par la circulation de la connaissance
Le cyberespace, apparu dans les années 1960, s'est largement démocratisé à partir des années 1990. En tant qu'espace de communication créé par l'interconnexion de l'ensemble des réseaux informatiques, le cyberespace est devenu le principal lieu de circulation de la connaissance. Il a donc été investi comme un nouveau territoire où les acteurs de la connaissance peuvent déployer leurs rivalités. L'un des principaux enjeux de ce cyberespace est d'y contrôler les connaissances qui y circulent, dans le but d'y renforcer sa puissance. L'un des exemples les plus marquants est celui des câbles sous-marins. En effet, ces câbles parcourent les fonds marins partout à travers le globe et constituent le principal réseau physique à travers lequel transitent les données échangées sur le cyberespace. Quatre-vingt-dix-neuf pour cent des données informatiques mondiales sont échangées par ces câbles sous-marins. L'enjeu géopolitique qui en découle est donc de maîtriser ces infrastructures pour contrôler les données qui y circulent. Ainsi, une course effrénée est lancée entre les acteurs du secteur pour s'y assurer une position dominante. Si les opérateurs historiques dans ce domaine (Alcatel ou Orange par exemple en France) restent des acteurs majeurs, ils sont de plus en plus concurrencés par les nouveaux géants du numérique (Gafam, BATX) qui financent la construction de nouveaux câbles sous-marins pour marquer leur rôle incontournable dans le cyberespace. Par ailleurs, la constitution par la Chine d'une Grande Muraille numérique, visant à contrôler l'ensemble des informations qui circulent et qui entrent au sein de son cyberespace, témoigne aussi des enjeux de puissance qui s'y jouent. À travers cette stratégie, la Chine met en œuvre un projet de surveillance et de censure des informations circulant sur Internet. Élaborée en 1998, cette Grande Muraille virtuelle fonctionne par le blocage de certaines adresses IP, filtres DNS ou URL. Le but avoué de ce projet est de contrôler les connaissances auxquelles pourrait avoir accès la population chinoise dans le but de renforcer le régime et d'en assurer la pérennité. Ainsi, le cyberespace apparaît dès lors bien comme un nouvel espace où la circulation des connaissances fait l'objet de toutes les attentions.
2. Le cyberespace : un nouveau lieu où la circulation de la connaissance est source de conflictualités
Ces enjeux géopolitiques liés au cyberespace sont d'autant plus prégnants que les conflits ou les rivalités externes à cet espace virtuel y trouvent un terrain de jeu pour s'y manifester en prenant pour cible les connaissances qui y circulent. La Russie est peut-être l'exemple le plus paradigmatique d'une puissance qui utilise le cyberespace comme un lieu où faire valoir ou défendre ses intérêts. En 2007, l'Estonie a été victime d'une cyberattaque provenant de Russie qui a paralysé une grande partie des systèmes informatiques de l'administration estonienne. Cette attaque a eu lieu en réaction à l'adhésion de l'Estonie à l'Union européenne et au démantèlement d'une statue en l'honneur des soldats soviétiques tombés durant la Seconde Guerre mondiale. Cette activité russe dans le cyberespace continue dans les années 2010 avec le groupe de hackeurs APT-28 qui a dévoilé les mails de campagne des équipes d'Hillary Clinton ou d'Emmanuel Macron, qui avaient été récupérés via le cyberespace, pour déstabiliser les élections dans ces pays. Plus récemment encore, au début de l'année 2023, des vidéos de propagande ont été diffusées sur les réseaux sociaux pour attaquer la politique africaine menée par l'État français dans le but de mettre en valeur le rôle de la milice russe Wagner dans la région. On voit bien, à travers cet exemple, que les connaissances qui circulent sur le cyberespace peuvent être l'objet d'attaques qui matérialisent dans ce nouveau territoire des conflits et des rivalités géopolitiques concrètes.
Conclusion
Pour conclure, la circulation de la connaissance constitue bien un enjeu de puissance qui revêt un intérêt stratégique majeur pour les acteurs qui en sont à la source. En effet, elle permet d'accroître sa puissance et donc de peser davantage géopolitiquement. De ce fait, elle constitue un outil de taille dans les relations géopolitiques, que celles-ci soient pacifiques ou conflictuelles. Enfin, cet intérêt géopolitique est d'autant plus prégnant dans le cyberespace qui constitue un nouveau lieu à travers lequel les acteurs de la connaissance peuvent faire prévaloir leurs intérêts en s'attaquant aux moyens de sa circulation.