Les différentes formes de la guerre, sujet de métropole, prévu en mars 2021 (étude critique de documents 1)

Énoncé

Étude critique de document(s)
En analysant les documents, en les confrontant et en vous appuyant sur vos connaissances, caractérisez les différentes formes de guerres.
Document 1. Frédéric II marchant le 25 août 1758 à la tête de ses troupes à la bataille de Zorndorf, une victoire prussienne sur les troupes russes pendant la guerre de Sept Ans.
 - illustration 1
Document 2
 - illustration 2

Corrigé

Introduction
Les formes de la guerre ont évolué du XVIIIe siècle à nos jours. En effet, l'époque moderne voit l'émergence des États-nations, dont la prééminence est actée par les traités de Westphalie (1648) : dans le système westphalien, les États-nations sont les acteurs principaux des guerres et des paix en Europe puis dans le monde. Le document 1 illustre ce type de conflit : il s'agit d'un tableau du peintre allemand Carl Röchling daté de 1904, qui représente Frédéric II à la tête de ses troupes lors de la bataille de Zorndorf, le 25 août 1758, dans le contexte de la bataille de Sept Ans (1756-1763). Cela dit, depuis la fin de la guerre froide, les conflits asymétriques sont en plein essor : ils voient s'opposer non plus des forces équilibrées, mais des adversaires incommensurables. À ce titre, le document 2 est un texte extrait de l'ouvrage intitulé Au cœur de l'antiterrorisme, publié en 2011 et écrit par Marc Trévidic, alors juge d'instruction au tribunal de grande instance de Paris, au pôle antiterrorisme. Ce dernier retrace la montée en puissance de l'organisation terroriste islamiste Al-Qaida depuis les années 1980. Comment caractériser cette évolution des formes de la guerre ? D'abord, la guerre a évolué dans la nature des belligérants qu'elle oppose, de la guerre conventionnelle au XVIIIe siècle à la guerre irrégulière au XXIe siècle. À travers les documents, on observe également une évolution des facteurs et des échelles du conflit.
I. De la guerre conventionnelle à la guerre irrégulière
Dans un premier temps, les documents illustrent une évolution majeure : au XVIIIe siècle, la majorité des guerres prenaient la forme de conflits interétatiques et symétriques, tandis qu'au XXIe siècle se multiplient les guerres irrégulières et asymétriques.
1. Bélligérants
Dans ces deux formes de guerres, les belligérants ne sont pas les mêmes. Le XVIIIe siècle est l'apogée de la guerre conventionnelle, c'est-à-dire de la guerre entre États s'appuyant sur des armées permanentes, de dimensions réduites et soumises à l'autorité du souverain. C'est la forme de guerre décrite par l'officier et théoricien militaire prussien Carl von Clausewitz, dont le père a participé à la guerre de Sept Ans dans l'armée prussienne. Celle-ci oppose entre 1756 et 1763 deux coalitions d'États : la Grande-Bretagne et la Prusse d'une part, la France, l'Autriche et la Russie de l'autre. Le roi de Prusse figure au premier plan dans le tableau de Röchling : à la tête de ses troupes qui sont massées à l'arrière-plan, drapeau à la main, il marche résolument vers l'ennemi, ce qui suggère la victoire prussienne à l'issue de la bataille de Zorndorf, mais aussi la volonté de fer de Frédéric II (qui sortira vainqueur du conflit).
Dans l'extrait de son ouvrage (document 2), Marc Trévidic décrit une autre forme de conflit, qui est en plein essor depuis la fin de la guerre froide : les guerres irrégulières. Dans celles-ci, les belligérants opposés ne sont pas des États et des armées régulières, mais un État ou une coalition d'États contre des forces irrégulières aux ressources matérielles plus limitées. Elles peuvent prendre plusieurs figures : la résistance, la guérilla ou encore le terrorisme. C'est sur ce dernier que se penche l'auteur en retraçant l'émergence du groupe terroriste Al-Qaida, qualifié « d'obscure organisation » capable de « faire vaciller l'Amérique ». Cette organisation fondée en 1987 en Afghanistan et dirigée par Oussama Ben Laden jusqu'à sa mort en 2011 est difficile à définir, car elle regroupe une multiplicité d'acteurs non étatiques comme les « djihadistes » (combattants armés) ou les « théoriciens de la terreur ». Omniprésent sur la scène internationale depuis 2001, le terrorisme islamique est l'exemple le plus médiatisé des guerres irrégulières du XXIe siècle.
2. Moyens
L'évolution des formes de la guerre implique également une évolution des moyens du conflit. Ainsi, dans la guerre conventionnelle, deux armées composées de militaires se battent à moyens égaux. Les forces en présence sont relativement équilibrées, les victimes nombreuses, mais surtout militaires. Dans le document 1, plusieurs soldats à terre évoquent la violence du conflit : durant la guerre de Sept Ans, 700 000 soldats furent tués. Cela dit, les victimes civiles furent nombreuses également en Europe centrale, du fait des pillages perpétrés par les armées en campagne. À l'inverse de cet équilibre des forces, le terrorisme global du XXIe siècle s'inscrit dans un rapport de forces asymétrique : une organisation non étatique disposant de moyens limités affronte un État ou un groupe d'États puissant, disposant d'armées permanentes et régulières et de budgets d'armement très importants. Trop faible pour déstabiliser les États occidentaux par une guerre classique, Al-Qaida vise donc plutôt à créer la peur en s'attaquant par surprise à des cibles civiles. Par exemple, l'attentat du 11 septembre 2001, mentionné dans le document 1, frappe au cœur de l'hyperpuissance états-unienne en visant des bâtiments symboliques (le World Trade Center). Attentat le plus meurtrier jamais perpétré, il cause près de 3 000 morts. Si ce bilan est relativement faible comparé à une bataille classique, il est obtenu par un nombre très réduit d'individus ; par ailleurs, les victimes sont exclusivement civiles, ce qui crée un climat de peur et d'insécurité et ce qui remet en cause la légitimité de l'État, qui ne parvient pas à défendre sa population. En outre, la forte médiatisation des attentats permet de maximiser leur impact psychologique sur les populations : ainsi, « dans la tête du grand public, (Oussama Ben Laden devient) l'ennemi public numéro 1 » après le 11 septembre et son nom « est célèbre dans le monde entier ».
II. Facteurs et échelles du conflit
Dans un second temps, cette évolution des formes de la guerre, de la guerre conventionnelle, majoritaire au XVIIIe siècle, à la guerre irrégulière, en plein essor au XXIe siècle, s'explique par une évolution des facteurs et des échelles du conflit.
1. Facteurs
D'abord, l'évolution des causes de la guerre explique les différentes formes prises par celle-ci. Les rivalités des puissances sont déterminantes pour les guerres interétatiques des XVIIIe et XIXe siècles. La guerre est alors, comme l'affirme Clausewitz, « la continuation de la politique par d'autres moyens ». Ainsi, la guerre de Sept Ans s'explique par les ambitions politiques des différents États coalisés, qui espèrent des conquêtes territoriales en Europe et dans le monde colonial. De ce fait, le conflit est également politique dans son déroulement : les souverains l'encadrent (ce qu'on observe avec la position de Frédéric II au centre du tableau), avec des moyens proportionnés à leurs objectifs. Il s'agit d'une guerre limitée, dont le but est de décourager l'ennemi : les souverains arrêtent la guerre lorsqu'ils ont atteint leur objectif politique ou lorsqu'ils estiment la poursuite du conflit trop coûteuse. Celui-ci est donc circonscrit dans le temps : il débute par une déclaration de guerre et s'achève par un armistice et des traités de paix.
À l'inverse, le développement du terrorisme international s'explique par des facteurs identitaires, idéologiques et religieux. L'islamisme émerge dans les années 1970 : il s'agit d'une idéologie qui prône l'application de la loi islamique (charia) comme fondement de l'État et de la société. L'ennemi est alors celui qui n'appartient pas à la oumma (communauté des croyants musulmans), qu'il soit proche (au sein du monde musulman) ou lointain (« l'Occident », c'est-à-dire les États-Unis et leurs alliés). Cette idéologie, au fondement de l'organisation terroriste Al-Qaida, légitime l'existence d'un conflit asymétrique et non circonscrit dans le temps. Le début de ce conflit n'est pas réellement défini : Marc Trévidic analyse la lenteur de l'émergence d'Al-Qaida et de la prise de conscience de la menace que l'organisation représente. Si une vaste coalition internationale s'est constituée sous mandat de l'ONU pour lutter contre Al-Qaida (guerre en Afghanistan dès 2001 contre le pouvoir taliban accusé de protéger l'organisation), il n'y a pas eu de déclaration de guerre ni de fin réelle des hostilités (les combattants du groupe terroriste se sont réfugiés dans des pays voisins).
2. Échelles
Évoluant dans leurs causes et leurs temporalités, les guerres connaissent aussi un changement d'échelles dans le contexte de la mondialisation. Au XVIIIe siècle, les États s'affrontent sur des terrains circonscrits. Cela dit, la guerre de Sept Ans fait figure de premier conflit mondial : les combats ont lieu sur tous les continents et les fronts se multiplient en Europe, en Inde et en Amérique. Il reste que les batailles s'effectuent dans des territoires délimités, comme l'illustre le tableau : dans une grande plaine, Frédéric II guide les hommes qui lui restent (cavalerie et infanterie) contre les troupes russes, pour s'affronter au corps-à-corps. La bataille est donc un affrontement ponctuel, borné dans l'espace et dans le temps. Au XXIe siècle, les acteurs du terrorisme international ont encore davantage intégré les logiques de la mondialisation. Al-Qaida a des filiales à l'étranger, par exemple à Londres, d'où « les théoriciens de la terreur lanc(ent) des fatwas ». Marc Trévidic insiste sur la forme transnationale que revêt le conflit : « les djihadistes ont pu circuler dans le monde entier, librement ou sous de fausses identités ». La menace terroriste ne connaît ni front ni frontières : le conflit, en partie déterritorialisé, a des enjeux transnationaux. Cela dit, ce n'est pas le cas de toutes les guerres irrégulières : certaines sont bien plus circonscrites à un territoire, comme la lutte contre Daesh. Cette organisation terroriste islamiste créée en 2006 a pour objectif de fonder un État islamique au Moyen-Orient à partir des conquêtes en Irak et en Syrie. Dans un premier temps, le front est identifiable. Toutefois, face aux attaques, la riposte de Daesh s'internationalise à partir de 2015 en reprenant les méthodes d'Al-Qaida.
Conclusion
Ces deux documents permettent donc d'analyser l'évolution des formes de la guerre, en mettant l'accent sur deux d'entre elles : la guerre interétatique au XVIIIe siècle, relativement circonscrite dans l'espace et dans le temps, dont les causes sont politiques et les forces équilibrées ; la guerre irrégulière et asymétrique au XXIe siècle, à travers l'exemple de l'organisation terroriste Al-Qaida, dont les enjeux sont idéologiques et s'inscrivent à l'échelle mondiale. Cela dit, la guerre peut prendre encore d'autres formes, comme la guerre totale au XXe siècle avec les deux conflits mondiaux. Aujourd'hui, les guerres sont de plus en plus souvent intraétatiques, comme en Syrie depuis 2011. On constate en outre une imbrication de plus en plus étroite des échelles du conflit, avec l'intervention d'acteurs extérieurs et d'acteurs transnationaux.