Corrigé
Introduction
[Analyse du sujet et problématisation] Le pétrole et le gaz de schiste sont des hydrocarbures, c'est-à-dire des composés de carbone fossile, contenus dans des roches poreuses. Contrairement au pétrole et au gaz naturel, ils sont difficiles à extraire : il ne suffit pas de puiser dans une nappe souterraine, il faut procéder par fracturation hydraulique. Leur exploitation est donc chère et polluante, ce pourquoi elle a commencé tardivement. Alors que les premiers puits de pétrole datent du xixe siècle, l'exploitation du gaz et du pétrole de schiste commence seulement dans les années 2000, lorsque les hydrocarbures traditionnels deviennent très chers. Les États-Unis ont été pionniers dans l'exploitation des roches de schiste. Leurs réserves en gaz de schiste seraient les quatrièmes du monde, et ils en sont aujourd'hui le premier producteur. Pourtant, l'exploitation du pétrole et du gaz de schiste, aussi appelés hydrocarbures non conventionnels, pose d'importants problèmes écologiques.
[Annonce du plan] Cette technologie, très lucrative mais polluante, place les États-Unis devant une alternative délicate. L'étude de la question des hydrocarbures non conventionnels permet de souligner les ambiguïtés de la politique environnementale des États-Unis, qui demeure encore très inféodée aux enjeux économiques, mais se heurte à des résistances locales.
I. Les problèmes environnementaux liés aux hydrocarbures non conventionnels
L'exploitation du pétrole et du gaz de schiste pose des problèmes environnementaux de plusieurs types : pollutions, perturbation de la sismographie et réchauffement climatique.
1. La question de l'eau
La fracturation hydraulique consomme beaucoup d'eau, et nécessite l'injection de nombreux produits chimiques mélangés à de l'eau dans le sol, ce qui peut polluer les sols et les nappes phréatiques. Ainsi, l'Agence de protection de l'environnement des États-Unis (EPA) a pointé du doigt la pollution des eaux potables liée à l'extraction du gaz de schiste dans un rapport publié en 2016. La santé des habitants est donc menacée lorsqu'ils consomment l'eau du sous-sol dans une zone exploitée.
2. Le problème sismique
Par ailleurs, la fracturation crée des séismes répétés, qui peuvent se révéler inquiétants. « Au cours des cinq dernières années, l'USGS [institut américain de géologie] a rapporté des secousses puissantes et des dégâts dans des endroits situés dans les six États les plus à risques, et ces tremblements de terre ont résulté pour la plupart d'activités de fracturation », mentionne en 2016 Mark Petersen, responsable de la cartographie sismique à l'USGS. Le danger est suffisant pour que le Royaume-Uni suspende la fracturation en 2019.
3. L'impact sur le réchauffement climatique
Mais l'impact est aussi plus global : une équipe de chercheurs de l'université de Cornell a calculé que les émissions de méthane et de CO2 liées au gaz de schiste en faisaient une énergie qui contribue plus au réchauffement climatique que le pétrole et le charbon. L'augmentation de l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels accroît les ressources en carbone fossile à consumer, et donc la possibilité du réchauffement climatique.
II. Les intérêts économiques de l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels
L'exploitation des hydrocarbures non conventionnels est une manne économique pour les États-Unis qui ont décidé d'investir massivement ces nouvelles sources d'énergie.
1. L'indépendance énergétique
Les États-Unis ont un intérêt particulièrement important à l'exploitation des gaz et pétrole de schiste. Très dépendants du pétrole pour leur industrie, ils ont besoin d'approvisionnements réguliers et abondants. Cela leur était fourni non seulement par leurs propres réserves de pétrole conventionnel, notamment au Texas, mais aussi par l'importation de pétrole saoudien, sécurisée par le pacte du Quincy signé en 1945. Or, ils possèdent les quatrièmes réserves mondiales de gaz de schiste, ce qui les rend potentiellement indépendants d'un point de vue énergétique.
2. Le boom économique
Les gouvernements d'Obama et de Trump ont favorisé l'exploitation du gaz et du pétrole de schiste dans un souci de croissance économique et de relocalisation des activités productives. De fait, le choix de l'exploitation massive des roches de schiste par les États-Unis leur a permis de connaître un véritable boom énergétique : grâce à l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels, la production d'énergie a augmenté de 8 % en 2018, et les États-Unis sont devenus en 2019 le premier producteur mondial de pétrole, devant l'Arabie Saoudite. Le pays prévoit de redevenir exportateur de pétrole en 2021. L'exploitation du pétrole et du gaz de schiste a déjà eu des effets très importants à l'échelle mondiale, favorisant une baisse généralisée des prix du gaz et du pétrole.
III. Les résistances à l'exploitation
Si des oppositions importantes et structurées existent en Europe, la contestation l'est beaucoup moins aux États-Unis.
1. Résistances locales à la fracturation
« C'est logiquement au Texas, où a débuté l'exploitation de gaz non conventionnel au milieu de la décennie 2000, que naît une modeste mais tenace riposte citoyenne, de la part d'opposants prêchant dans le désert », raconte Pierre-Marie Terral. L'opposition à l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels prend surtout la forme aux États-Unis d'une opposition à la fracturation hydraulique, qui effraie de nombreux habitants en raison des impacts directs sur la santé ; c'est le cas du réseau Stop the Frack Attack, qui rassemble des individus et surtout de nombreuses associations pour s'opposer spécifiquement à la fracturation. Les organisations luttant contre l'exploitation des pétroles et gaz de schiste existent surtout au niveau local. C'est le cas par exemple du Marcellus Protest, à Pittsburgh, en Pennsylvanie. Cette organisation locale créée en 2010 sur l'immense gisement de Marcellus a obtenu l'abandon des activités de fracturation à l'intérieur de la ville de Pittsburgh par des marches et des happenings, comme lors de la Conférence annuelle de l'industrie gazière de 2011 (Anthony E. Ladd). Marcellus Protest est en lien avec des groupes ardéchois et québécois, ce qui montre une timide tentative pour envisager la question à l'échelle mondiale.
2. Difficile organisation
L'organisation du mouvement de lutte contre l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels est cependant beaucoup moins organisée aux États-Unis qu'en Europe, notamment en Pologne ou au Royaume-Uni. Pierre-Marie Terral souligne que la faible densité et la propriété individuelle du sous-sol favorisent des négociations au cas par cas plutôt qu'avec des mouvements collectifs. Il relève également que les intérêts économiques majeurs en jeu font peser le soupçon d'antipatriotisme sur les associations qui s'opposent à l'extraction du gaz de schiste, comme la coalition d'associations Americans Against Fracking. Finalement, écrit-il à propos du Dakota du Nord, « les dommages environnementaux peinent à faire surface face à la réactualisation du mythe pionnier ». De fait, la découverte de réserves très importantes en Pennsylvanie, les schistes de Marcellus, a créé des afflux de populations et d'argent que l'on peut comparer à une petite ruée vers l'or.
Conclusion
La vision particulière de la conquête et de l'appropriation du territoire par la mise en exploitation de la nature sauvage, issue de l'histoire du pays, constitue ainsi un obstacle psychologique important à la prise en compte de précautions écologiques.
Zoom sur…
Obama et la question du gaz de schiste
Si Donald Trump assume pleinement son refus de toute politique environnementale et émet des doutes sur la réalité du réchauffement climatique qu'il a qualifié en 2015 de canular, la position d'Obama envers les questions environnementales est plus ambiguë. Tiraillé entre les enjeux économiques et écologiques, il s'efforce de concilier des impératifs parfois contradictoires. Cela se voit dans sa politique en matière d'extraction du gaz et pétrole de schiste. Dans son discours sur l'état de l'Union prononcé en 2012, il mentionne cette question. Après avoir appelé de ses vœux l'indépendance énergétique du pays, il relève les avantages économiques de l'exploitation du gaz de schiste et se félicite du choix de son pays pour cette source d'énergie. Il dresse en parallèle un plan d'investissement pour le développement de nouvelles sources d'énergie, gaz de schiste et énergies renouvelables et appelle à lutter contre le gaspillage pour réduire la consommation d'énergie. De fait, pendant son mandat, il a autorisé l'exploitation de nombreux gisements de gaz de schiste, et la fracturation hydraulique a été mollement encadrée sur les terres propriétés de l'État fédéral. Finalement, très soucieux des intérêts géostratégiques et économiques du pays, Obama a cantonné son action environnementale à la préservation d'espaces naturels fragiles, comme les parcs nationaux, sans mener de lutte ambitieuse contre le réchauffement climatique. Sa politique apparaît ainsi, à cet égard, représentative du rapport des États-Unis à leur environnement.