Exploiter, préserver et protéger : le rôle des individus et des sociétés dans l'évolution des milieux


Fiche

En sciences sociales, une révolution peut être comprise comme un bouleversement des conditions d'existence des individus dans une société humaine. Elle intervient suite à un bouleversement politique mais aussi à la faveur d'une évolution des techniques, comme c'est le cas au cours de la révolution néolithique, de 8 500 avant J.-C. jusqu'à 3 000 avant J.-C., ou dans le cas de la révolution industrielle, du xviiie au xxe siècle. Dans les deux cas, il s'agit de déterminer comment des bouleversements techniques et sociaux qui modifient les sociétés humaines transforment aussi radicalement leur milieu. Ces périodes qui ont lieu sur des temps longs (plusieurs millénaires pour la première, deux siècles pour la seconde), représentent-elles des ruptures radicales ou doivent-elles être analysées comme des évolutions dans la continuité ?
I. La révolution néolithique, une période de bouleversements
La révolution néolithique désigne une période où des sociétés de chasseurs-cueilleurs deviennent des agriculteurs sédentaires à différents endroits du monde. C'est un moment de bouleversement technique (invention de l'agriculture) et social (sédentarisation et mise en place d'États centralisés) qui conduit à une transformation radicale des milieux où elle se produit, puis par extension du monde entier.
Au cours de cette période, entamée au tournant du 9e millénaire avant notre ère, des chasseurs-cueilleurs se mettent à vivre essentiellement de l'agriculture et de l'élevage. Ils domestiquent ainsi de nombreuses espèces végétales et animales qui constituent encore aujourd'hui la base de notre alimentation et de notre industrie textile (blé, riz, lentilles, pommes de terre, coton, lin, poules, bœufs, etc.). Ils développent également des outils adéquats : haches en pierre polie, poteries. La révolution néolithique a lieu dans plusieurs foyers : en Mésopotamie vers 8 000 avant J.-C., en Amérique centrale et en Amérique du Sud vers 7 000 avant J.-C. et en Chine vers 6 000 avant J.-C. Elle s'accompagne d'une sédentarisation des groupes humains qui la pratiquent et d'une croissance démographique importante. Les agriculteurs remplacent peu à peu les chasseurs-cueilleurs presque partout sur Terre.
Cela amène les sociétés humaines à exercer une emprise beaucoup plus nette sur leur milieu, tirant profit des ressources naturelles et assujettissant progressivement l'environnement aux nouvelles conditions de production. Ces évolutions ont un effet important sur les espèces animales et végétales domestiquées, qui se transforment peu à peu pour devenir les espèces que nous connaissons aujourd'hui. En même temps, à l'aide des haches polies et du feu, les humains défrichent les forêts tempérées et tropicales pour les mettre en culture. L'anthropisation croissante des milieux naturels se manifeste aussi par la multiplication du bâti et le détournement des cours d'eau. Une grande partie des espaces terrestres change ainsi peu à peu de visage. Enfin, les humains eux-mêmes se transforment. Les archéologues sont capables, en observant leur squelette, de distinguer les chasseurs-cueilleurs des agriculteurs, car ces derniers sont plus petits et présentent des malformations osseuses, du fait de leur alimentation moins diversifiée et moins riche en protéines, et de la dureté du travail de la terre.
Les humains ont donc mis en œuvre, au cours du néolithique, une transformation massive de leur environnement, des espèces qu'ils côtoient et de leur propre corps. Ces transformations induisent des changements sociaux et politiques. La capacité à dégager des surplus agricoles, grâce notamment à l'irrigation, permet l'apparition de véritables économies de commerce. Cela fait émerger une nouvelle forme de division du travail, accroît la circulation des savoirs techniques et des connaissances, et donne le jour à des structures politiques plus complexes.
II. Des évolutions amenées par des causes internes ?
Dans son ouvrage Homo domesticus, l'anthropologue James C. Scott met en relation la création des premiers États et l'extension de l'agriculture et de la sédentarisation pour expliquer le passage à un mode de vie moins bénéfique pour la santé et plus axé vers le travail. Il estime que seule la contrainte étatique a pu pousser, dans certaines régions, les humains à adopter un mode de vie agricole et sédentaire. Selon lui, c'est afin de pouvoir récolter l'impôt et contrôler les populations que les premiers États en Égypte et en Mésopotamie ont mis en place par la force l'agriculture et la sédentarité. Jean Cauvin, pour sa part, met en lien l'apparition de l'agriculture avec celle de la religion, et estime que cette période est aussi une révolution idéologique et culturelle. Les deux auteurs insistent ainsi sur des causes internes à l'humanité plutôt que sur des nécessités extérieures pour expliquer la mise en place de sociétés agricoles.
III. La révolution industrielle
La révolution industrielle caractérise, du xviiie siècle au xxe siècle, le passage d'une société à dominante agraire et artisanale à une société fondée sur des moyens industriels permettant la production en masse d'objets manufacturés. Cela entraîne une modification radicale des conditions d'existence des individus dans des sociétés et des milieux à nouveau bouleversés.
L'évolution des techniques qui introduit la mécanisation des tâches et l'exploitation de nouvelles sources d'énergie au tournant des xviiie et xixe siècles introduit aussi une transformation complète des conditions d'existence et une mutation profonde des sociétés. Les anthropologues parlent de « révolution anthropologique » à propos des bouleversements des modes de vie intervenant au cours de cette période, entre le développement de la machine à vapeur par James Watt en 1764 et la deuxième révolution des transports au cours des années 1950. Les conditions de travail changent radicalement, et de nouvelles catégories sociales apparaissent, comme les ouvriers. Il s'agit également d'une époque de bouleversement culturel qui voit l'émergence progressive des loisirs de masse et bien sûr d'une évolution économique avec l'essor du capitalisme. Avec de nouvelles machines et l'utilisation d'énergies fossiles, la révolution industrielle réalise le rêve cartésien de permettre à l'homme de mesurer et contrôler le monde qui l'entoure. Elle entraîne ainsi au xixe siècle une anthropisation des milieux naturels encore plus poussée qu'au néolithique.
Locomotive à charbon.
Locomotive à charbon.
© sumnersgraphicsinc/iStock 
IV. Révolution industrielle ou industrialisation ?
La révolution industrielle est un processus historique qui intervient sur un temps long. Elle bouleverse certes le rapport entre les individus, les sociétés et l'environnement, mais intervient au cours d'une période qui s'étale sur plus de deux siècles, de la mécanisation de la production textile et agricole, dès le début du xviiie siècle, jusqu'au développement de l'industrie pétrolière ou de l'énergie électrique dans la première moitié du xxe siècle, en passant par le boom ferroviaire des années 1840. Il s'agit donc d'une transition, qui s'accomplit de manière inégale et irrégulière sur le plan historique et géographique. Si l'expression « révolution industrielle » est utilisée pour la première fois par Adolphe Blanqui en 1837 dans son Histoire de l'économie politique en Europe depuis les anciens jusqu'à nos jours, puis reprise par Friedrich Engels et Arnold Toynbee, de nombreux historiens, parmi lesquels Patrick Verley, Karl Polanyi ou Fernand Braudel, préfèrent mettre l'accent sur l'évolution et le temps long en parlant d'« industrialisation ». Werner Sombart ou Walt Whitman Rostow font même remonter le processus jusqu'à la Renaissance, au cours de laquelle démarreraient réellement les transformations qui marquent l'ère industrielle.
Zoom sur…
L'anthropisation durant l'ère industrielle
L'urbanisation fait apparaître un nouveau type de paysage, largement décrit par les auteurs du xixe siècle comme Émile Zola ou peint par les impressionnistes comme Monet. À la même époque, l'exploitation du charbon et l'industrie sidérurgique sont à l'origine des paysages industriels de la Ruhr ou de la Lorraine. La révolution des transports provoque l'appropriation des territoires par la voie ferrée, puis par les routes. En parallèle, l'extension du commerce maritime permet progressivement la conquête de tous les espaces terrestres : agriculture, industrie minière et exploitation forestière s'implantent dans les espaces encore inexploités avant le xixe siècle. L'industrialisation de l'agriculture, au cours du xxe siècle, implique également une transformation des espaces ruraux : arrachage des haies, augmentation de la surface des parcelles, extension de l'irrigation, exode rural et, dans les pays équatoriaux notamment, déforestation pour étendre les terres agricoles.
Le tourisme et l'impact de la société industrielle sur les milieux
Le tourisme est révélateur de l'impact de la société industrielle sur les milieux. Pratiqué par les aristocrates européens au xviiie siècle, le tourisme est devenu une activité de masse dans les années 1950 avec l'apparition des congés payés en Europe. Avec la baisse du coût des transports et les politiques de développement économique, le tourisme connaît un essor exceptionnel : il y avait 25 millions de touristes en 1950, il y en a eu 1,3 milliard en 2019. Si les pays du Nord sont encore les principaux pays de départ et de destination, le tourisme concerne de plus en plus les pays du Sud. Certains s'y spécialisent et y voient un moyen de se développer, comme la Thaïlande pour qui le tourisme représente près de 15 % du PIB. Cela s'accompagne de transformations en profondeur des milieux et des sociétés. Localement tout d'abord, l'accueil implique des constructions de routes, aéroports, hôtels, équipements de loisir et favorise une élévation des coûts du logement. Il exerce ainsi une forte pression sur les espaces naturels et agricoles ainsi que sur les populations. Par exemple, dans les années 1960 et 1970, le plan neige, en France, voit la construction de 20 stations de ski qui redessinent les Alpes françaises. Mondialement ensuite, le tourisme est un des principaux facteurs du changement climatique, notamment à cause du transport aérien : en 2019, le tourisme a produit 8 % des émissions de CO2 mondiales. Le tourisme a aussi pour conséquence une standardisation et une fragilisation des milieux naturels et humains concernés.
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