Le défi de la construction de la paix


Fiche

Les deux premières guerres mondiales ont été particulièrement meurtrières (d'après certaines estimations, 19 millions de morts pour la première, entre 40 et 60 millions pour la seconde). Depuis, le nombre de morts dans des conflits armés a considérablement baissé malgré une hausse du nombre de conflits : en 2017, d'après l'ONU, 89 000 personnes ont été tuées dans un conflit armé. Peut-on dire que le défi de la construction de la paix est en passe d'être rempli ?
I. La paix, une notion à définir
Le terme de paix est parfois volontairement employé de façon ambiguë ou paradoxale. On parlait de paix romaine pour désigner la stabilité intérieure de l'Empire romain entre le ier et le iie siècle après J.-C., stabilité assurée dans les provinces conquises par des guerres extérieures. Le terme de pacification fut également employé par la France pour désigner la guerre menée contre le Front de libération nationale (FLN) en Algérie entre 1954 et 1962. La paix signifie alors le contrôle d'un territoire et l'absence de guerre civile ou d'invasions, et n'exclut pas la pratique de la guerre.
La paix des traités est l'harmonie ou l'absence de guerre entre les différents États. Dans le système westphalien, elle dépend de l'équilibre des puissances et des alliances.
Pendant la guerre froide, qui est malgré son nom une période de paix bien relative dans la mesure où une troisième guerre mondiale fut évitée, la paix espérée signifiait la détente entre les deux superpuissances et la réduction des arsenaux nucléaires. L'usage du terme demande donc vigilance, et un traité de paix peut préparer une guerre, de même qu'une mission de maintien de la paix de l'ONU est une opération militaire.
Aujourd'hui, pour l'ONU, la paix implique la réduction des conflits et la sécurité des populations civiles, mais aussi le désarmement et la lutte contre le terrorisme, donc la prévention des conflits. Avec l'essor des conflits intra-étatiques, le terme de paix ne nomme plus seulement la bonne entente entre les États, mais de plus en plus la sécurité des populations civiles. Les bourbiers irakiens et afghans montrent enfin que le défi de la construction de la paix est aussi aujourd'hui celui de la fin des guerres et du rétablissement de la stabilité, ce que l'ONU appelle « consolidation de la paix ».
II. Construire la paix après les Première et Seconde Guerres mondiales
Après la Première Guerre mondiale, la Société des nations (SDN) est créée dans le but de faire respecter le droit international, le 10 janvier 1920. La SDN fonctionne en vertu des principes énoncés par le président des États-Unis Woodrow Wilson dans ses 14 points : transparence de la diplomatie, arbitrage des conflits, libre-échange économique.
Portrait de l'ancien président des États-Unis, Woodrow Wilson, en 1919.
Portrait de l'ancien président des États-Unis, Woodrow Wilson, en 1919.
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La SDN est cependant un échec. Le traité de Versailles (1919) est vécu par l'Allemagne comme un diktat injuste, trop dur avec les vaincus, et favorise le désir de revanche. La dégradation rapide du contexte international au cours des années 1930, la montée du nazisme et le fait que la SDN n'ait aucun moyen de pression réel la rendent impuissante à prévenir le réarmement de l'Allemagne, l'invasion de l'Éthiopie (pourtant membre de l'organisation) par l'Italie en 1935 et celle de la Mandchourie par le Japon en 1931. La Seconde Guerre mondiale marque l'échec définitif de la SDN.
Suite à la Seconde Guerre mondiale est créée l'Organisation des Nations unies (ONU) le 26 juin 1945, à l'issue de la conférence de San Francisco. Avec l'ONU, il s'agissait tout d'abord de réussir là où la SDN avait échoué en fondant une institution possédant de réels moyens d'arbitrer les conflits, notamment en disposant d'une force d'interposition. La charte des Nations unies restreint le recours à la force militaire à deux situations : la légitime défense et les interventions mandatées avec le consentement des instances internationales pour rétablir la paix.
Le rôle de l'ONU s'avère cependant compliqué par la guerre froide. En effet, cinq nations siègent au Conseil de sécurité permanent des Nations unies : les États-Unis, La France, le Royaume-Uni, la Chine et l'URSS. Cette dernière fait largement usage de son droit de veto pour entraver l'action de l'ONU dès que les intérêts soviétiques sont en jeu, ce qui rend l'institution largement impuissante à intervenir lors des conflits. La proposition du plan de partage de la Palestine en 1947 est un échec. L'ONU joue cependant un rôle d'arène où dialoguent et s'affrontent les deux blocs. De plus, elle fonde la Cour internationale de justice le 15 octobre 1946 et réussit à coordonner une action internationale pour venir au secours de la Corée du Sud envahie par la Corée du Nord en 1950.
III. La difficile construction de la paix après la guerre froide
La fin de la guerre froide en 1991 semble pouvoir redonner à l'ONU un rôle central dans les relations internationales. Assumant un leadership mondial incontesté, les États-Unis semblent désireux de jouer la carte du multilatéralisme. L'intervention contre l'Irak de Saddam Hussein, qui avait envahi le Koweït en 1991, s'accomplit avec l'aval de l'ONU et, dans son célèbre discours du « nouvel ordre mondial » en 1991, Georges H.W. Bush évoque la nécessité de renforcer la légitimité des institutions internationales, en particulier de l'ONU, pour maintenir la paix.
En réalité, l'organisation va être durement sollicitée au cours des années 1990. Les casques bleus interviennent en ex-Yougoslavie de 1992 à 1995. Non seulement l'ONU ne parvient pas à empêcher les massacres commis contre les populations civiles, mais elle est humiliée quand les milices serbes de Bosnie positionnées à Sebrenica encerclent un de ses bataillons et s'emparent de stocks d'armes. En 1996, la conclusion tirée par Boutros-Ghali dans un nouveau rapport est que « les Nations unies ne peuvent pas maintenir la paix là où il n'y a pas de paix à maintenir ».
C'est dans ce contexte que Kofi Annan devient secrétaire général de l'ONU (1997-2006). Il tente tout d'abord de favoriser la mise en place d'une véritable justice internationale en soutenant la création de la Cour pénale internationale (CPI) en 1998, en dépit de la réticence première des États-Unis. Il décide également de s'appuyer sur l'activité diplomatique plutôt que sur les forces d'interposition qui ont montré leurs limites en ex-Yougoslavie. En 1998, alors que les États-Unis envisagent de bombarder l'Irak qui refuse de laisser les inspecteurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) visiter certains sites, il se rend à Bagdad, et permet, grâce à sa médiation, la reprise des inspections en évitant l'option des frappes américaines. Réélu dans ses fonctions en juin 2001, il reçoit le prix Nobel de la paix la même année.
Néanmoins, l'ONU est profondément ébranlée après les attentats du 11 septembre 2001. Cette même année, les États-Unis envahissent l'Afghanistan et, sans aval de l'ONU, l'Irak en 2003. Kofi Annan déclare l'intervention illégale en 2004, mais cet épisode révèle l'impuissance de l'ONU et le retour de l'unilatéralisme des États-Unis. La guerre en Syrie, quant à elle, montre les difficultés de l'ONU face aux pressions plus importantes de la Russie et de la Chine.
Après les échecs de l'ONU comme des grandes puissances à favoriser la paix, on peut conclure de manière très pessimiste avec l'écrivain Georges Santayana : « Seuls les morts ont vu la fin des guerres. »
Notion clé
Multilatéralisme/unilatéralisme
On qualifie de « multilatérale » une politique étrangère qui privilégie le dialogue et la coopération avec les autres États, notamment alliés. À l'inverse, l'unilatéralisme est une attitude adoptée par certaines puissances qui tentent d'imposer leur volonté à l'échelle internationale sans concertation. Les États-Unis ont oscillé entre l'une et l'autre politique au cours du temps.
Zoom sur…
Les traités de Westphalie (1648) et le système westphalien
Ils mettent fin à deux guerres qui ont ravagé l'Europe au xviie siècle, la guerre de Trente Ans et la guerre de Quatre-Vingts Ans. Ces traités sont le fruit de négociations rassemblant presque tous les États européens. Ils redessinent certaines frontières, et établissent un principe de non-ingérence en matière religieuse : chaque État, notamment dans le Saint-Empire romain germanique, gère les questions religieuses sur son territoire. Enfin, les différents États européens se reconnaissent comme interlocuteurs légitimes. On parle de « système westphalien » pour désigner l'organisation internationale issue des traités de Westphalie. Dans le système westphalien, les États détiennent la souveraineté sur leur territoire, ont un rôle central dans la conduite de la guerre et de la paix et interagissent par la diplomatie, des traités et des alliances pour créer une sorte d'équilibre international. Le système westphalien trouve son apogée à la veille de la Première Guerre mondiale, et décline avec la guerre froide qui voit s'effacer le « concert des nations » au profit de l'affrontement entre deux superpuissances.
Les 14 points du président Wilson
En 1918, le président des États-Unis Woodrow Wilson prononce devant le Congrès un discours où il énonce 14 points nécessaires pour garantir une paix durable après la guerre. Ce discours comporte des points de règlement de la Première Guerre mondiale (évacuation de la France, de la Russie et de la Belgique, création de la Pologne), mais aussi des principes plus généraux comme la liberté du commerce, de navigation, le respect des traités internationaux et la création d'une Société des nations. Ce discours exprime un désir idéaliste d'éviter définitivement les guerres. Il est partiellement suivi par le traité de Versailles en 1919. Cependant, le Congrès des États-Unis refuse de ratifier ce traité et d'entrer dans la SDN, et certains points, imposés sans compromis à l'Allemagne, feront partie des motifs de la Seconde Guerre mondiale.
L'intervention des États-Unis en Irak (2003-2011)
En 2003, les États-Unis menés par George W. Bush décident d'envahir l'Irak. La France, la Russie et la Chine ayant annoncé qu'ils mettraient leur veto à une intervention, les États-Unis décident d'agir sans mandat de l'ONU. La chute de Saddam Hussein est rapide, mais le conflit s'enlise. En huit ans d'occupation de l'Irak, les États-Unis ne parviennent pas à mettre sur pied une paix durable et un État réellement démocratique. En outre, la lente plongée du pays dans le chaos, associée à celle de la Syrie sombrant dans la guerre civile en 2011, a favorisé l'émergence d'une nouvelle menace terroriste globale avec l'État islamique et aggravé les tensions internationales.
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