Introduction : formes de conflits et construction de la paix
I. L'évolution des formes et causes de conflits (xviie-xxie siècle)
Les formes de la guerre ont évolué du xviiie siècle à nos jours ainsi que les moyens mis en ouvre pour favoriser la paix. L'époque moderne voit l'émergence des États-nations, dont la prééminence est actée par les traités de Westphalie (1648) : désormais, les États sont souverains sur leur propre territoire et sont les acteurs principaux des guerres et des paix en Europe puis dans le monde. Ce triomphe des États-nations implique l'essor des guerres interétatiques, opposant des États entre eux, parfois dans le cadre de coalitions et d'alliances. Les armées régulières composées de militaires s'affrontent sur un champ de bataille, et les forces en présence sont relativement équilibrées. Ce sont les guerres décrites par l'officier et théoricien militaire prussien Carl von Clausewitz au xixe siècle, dont les guerres napoléoniennes sont l'exemple type. Le xxe siècle voit l'émergence des guerres totales, au cours desquelles tous les moyens disponibles sont mis en ouvre par les États pour parvenir à la victoire. Ainsi, pendant la Première Guerre mondiale (1914-1918), les populations civiles allemande, française et britannique, femmes et enfants compris, sont mobilisées pour soutenir l'effort de guerre : elles produisent pour remplacer les hommes mobilisés, fabriquent des armes ou écrivent aux soldats pour maintenir leur moral. L'objectif est l'écrasement total de l'adversaire, ce qui explique la sévérité du traité de Versailles imposé à l'Allemagne défaite en 1919.
Si les guerres interétatiques sont extrêmement meurtrières et marquent durablement le monde au xxe siècle, un autre type de conflit prend le pas après la Seconde Guerre mondiale, en lien notamment avec l'essor de la mondialisation : les conflits intra-étatiques, ou guerres civiles. On peut citer les exemples de la guerre civile au Burundi (1993-2005) entre Tutsis et Hutus, ou du conflit en Irlande du Nord (années 1960-années 2000), avec des dimensions ethnique, religieuse et politique. Le géographe Arjun Appadurai, dans son ouvrage Géographie de la colère, identifie deux processus pouvant mener à des conflits intra-étatiques. D'abord, un processus territorialisé, le renforcement des ethno-nationalismes qui ont pour but d'ancrer une communauté sur un territoire pour y fonder un État. Ensuite, un processus déterritorialisé, qui ne cherche pas à fonder un État, mais à défendre une idéologie communautaire à l'échelle internationale par le moyen du terrorisme. Les conflits intra-étatiques s'appuient donc selon lui sur une double remise en cause de la légitimité de l'État westphalien : par le haut, avec la mondialisation, et par le bas, avec la montée des revendications régionalistes et ethno-nationalistes.
Si l'équilibre des forces prévalait dans le système westphalien, les conflits asymétriques sont en plein essor à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ils voient s'opposer non pas des armées régulières à peu près équivalentes en force, mais des adversaires incommensurables. Certains utilisent donc la guérilla ou le terrorisme. La guerre d'indépendance de l'Algérie, menée avec succès entre 1954 et 1962 par le Front de libération nationale (FLN) contre l'armée française, et la guerre du Vietnam, au cours de laquelle le Vietminh triomphe de l'armée américaine, montrent que la victoire peut être obtenue par des mouvements utilisant la guérilla. Un autre moyen militaire largement utilisé et qui prend des formes nouvelles à l'heure de la mondialisation est le terrorisme. La juriste Rumu Sarkar en distingue deux formes. D'une part, le terrorisme territorial indépendantiste est utilisé sur un territoire restreint pour obtenir la création d'un État. On peut mentionner l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) ou l'Euskadi ta Askatasuna (ETA) au Pays basque entre 1959 et 2011 par exemple. D'autre part, le terrorisme global est utilisé pour défendre des idéologies à l'échelle internationale en s'appuyant sur les mécanismes de la mondialisation, comme le fait l'organisation Al-Qaïda dans les années 1990-2000 : trop faible pour déstabiliser les États occidentaux par une guerre classique, l'organisation vise donc plutôt à créer la peur en s'attaquant par surprise à des cibles civiles, remettant en cause la légitimité de l'État s'il ne parvient pas à défendre sa population.
Si les guerres interétatiques sont extrêmement meurtrières et marquent durablement le monde au xxe siècle, un autre type de conflit prend le pas après la Seconde Guerre mondiale, en lien notamment avec l'essor de la mondialisation : les conflits intra-étatiques, ou guerres civiles. On peut citer les exemples de la guerre civile au Burundi (1993-2005) entre Tutsis et Hutus, ou du conflit en Irlande du Nord (années 1960-années 2000), avec des dimensions ethnique, religieuse et politique. Le géographe Arjun Appadurai, dans son ouvrage Géographie de la colère, identifie deux processus pouvant mener à des conflits intra-étatiques. D'abord, un processus territorialisé, le renforcement des ethno-nationalismes qui ont pour but d'ancrer une communauté sur un territoire pour y fonder un État. Ensuite, un processus déterritorialisé, qui ne cherche pas à fonder un État, mais à défendre une idéologie communautaire à l'échelle internationale par le moyen du terrorisme. Les conflits intra-étatiques s'appuient donc selon lui sur une double remise en cause de la légitimité de l'État westphalien : par le haut, avec la mondialisation, et par le bas, avec la montée des revendications régionalistes et ethno-nationalistes.
Si l'équilibre des forces prévalait dans le système westphalien, les conflits asymétriques sont en plein essor à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ils voient s'opposer non pas des armées régulières à peu près équivalentes en force, mais des adversaires incommensurables. Certains utilisent donc la guérilla ou le terrorisme. La guerre d'indépendance de l'Algérie, menée avec succès entre 1954 et 1962 par le Front de libération nationale (FLN) contre l'armée française, et la guerre du Vietnam, au cours de laquelle le Vietminh triomphe de l'armée américaine, montrent que la victoire peut être obtenue par des mouvements utilisant la guérilla. Un autre moyen militaire largement utilisé et qui prend des formes nouvelles à l'heure de la mondialisation est le terrorisme. La juriste Rumu Sarkar en distingue deux formes. D'une part, le terrorisme territorial indépendantiste est utilisé sur un territoire restreint pour obtenir la création d'un État. On peut mentionner l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) ou l'Euskadi ta Askatasuna (ETA) au Pays basque entre 1959 et 2011 par exemple. D'autre part, le terrorisme global est utilisé pour défendre des idéologies à l'échelle internationale en s'appuyant sur les mécanismes de la mondialisation, comme le fait l'organisation Al-Qaïda dans les années 1990-2000 : trop faible pour déstabiliser les États occidentaux par une guerre classique, l'organisation vise donc plutôt à créer la peur en s'attaquant par surprise à des cibles civiles, remettant en cause la légitimité de l'État s'il ne parvient pas à défendre sa population.
WikiCommons |
© Lya_Cattel/iStock |
Les causes des conflits ont également évolué avec le temps. Les rivalités des puissances, déterminantes pour les guerres interétatiques des xviiie et xixe siècles, ont peu à peu cédé le pas aux guerres de décolonisation dans les années 1950 et 1960, puis aux revendications idéologiques, notamment dans le cadre de la guerre froide. Aujourd'hui, l'islamisme est à l'origine de nombreux conflits dans le monde. Les ethno-nationalismes, et parfois l'oppression organisée par un État central contre un peuple soumis, sont également un facteur durable de conflits, à l'origine de l'éclatement de l'ex-Yougoslavie en 1991 ou du conflit actuel entre les Kurdes du PKK et le gouvernement turc. On assiste cependant aujourd'hui à un renouveau de la lutte des puissances, avec l'essor de la Chine et le retour de la Russie, qui viennent concurrencer les États-Unis ; les investissements militaires des États-Unis, quant à eux, s'orientent de nouveau vers la préparation d'un conflit interétatique d'ampleur.
II. Les moyens de la construction de la paix (xxe-xxie siècle)
La construction de la paix passe par différents moyens. Les traités de Westphalie érigent les traités entre États et la diplomatie comme les moyens privilégiés de la paix. C'est encore un moyen couramment utilisé pour mettre fin aux conflits, dans le cas par exemple du traité de paix israélo-égyptien de 1979, signé à la suite des accords de Camp David grâce à la médiation des États-Unis.
Pourtant, les conséquences du traité de Versailles en 1919 montrent que les traités de paix peuvent contenir des ferments de guerre. Les États essayent alors de créer des organisations supranationales pour travailler à construire la paix. C'est la conscience de la responsabilité de la diplomatie secrète et du système des alliances dans le déclenchement de la Première Guerre mondiale qui mène à la création de la Société des nations (SDN) en 1920. Mais dépourvue de moyens d'action réelle, elle ne parvient pas à prévenir la Seconde Guerre mondiale, et est remplacée en 1945 par l'Organisation des Nations unies (ONU) qui dispose d'une force d'interposition. Celle-ci, largement paralysée pendant la guerre froide par le système du veto, massivement utilisé par l'URSS, se révèle impuissante à empêcher ou à régler les conflits qui émergent à la fin de la guerre froide en ex-Yougoslavie ou en Irak.
Une constante dans la pensée politique de la paix chez les puissances occidentales et surtout les États-Unis depuis 1918 est la croyance que le libre-échange est facteur de paix. Les 14 points du président Wilson, en 1918, mentionnent ainsi la liberté du commerce comme une condition pour prévenir un nouveau conflit. En 1945, la création de l'ONU est concomitante de la création du FMI afin de promouvoir la coopération monétaire et précède de peu le GATT, traité de libre-échange signé en 1947, qui donne naissance à l'OMC en 1995. L'idée que le commerce favorise la paix accompagne ainsi la mise en place d'un nouvel ordre mondial libéral après la Seconde Guerre mondiale.
C'est à peu près la même pensée qui anime la construction européenne. La coopération économique est vue comme le moyen de réconcilier la France et l'Allemagne et de garantir la paix en Europe. Le plan Marshall (1947), programme d'aide à la reconstruction européenne, est mis en place par les États-Unis à partir de 1947. Des sommes importantes sont débloquées pour aider les pays européens et sont confiées à l'Organisation européenne et coopération économique (OECE) qui se charge de les répartir. Les États-Unis visent ainsi à apporter la paix en Europe en favorisant la coopération entre pays européens et la prospérité économique. En 1950, Robert Schuman, ministre des Affaires étrangères français, propose la création de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA), union économique incluant notamment la France et la RDA. Il commence son discours en faisant le lien entre la paix et la coopération économique : « La paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent. » En 1957 est créée par le traité de Rome la Communauté économique européenne (CEE) qui devient l'Union européenne (UE) en 1993.
Avec l'essor des guerres civiles, la question de la paix se pose d'une nouvelle manière. Elle doit se faire non plus entre États ennemis, mais entre populations amenées à vivre ensemble au sein d'un même État à la suite du conflit. La question se pose régulièrement : en Espagne en 1939, au Rwanda après 1994, en Algérie en 2002. L'amnistie est une technique employée pour favoriser l'oubli, mais elle suppose l'impunité et donc l'injustice. Au contraire, la revanche et les épurations impliquent le risque que la guerre recommence. L'Afrique du Sud, suite à l'apartheid, a mis en place une solution originale, la Commission de la vérité et de la réconciliation (1995), dirigée par Desmond Tutu. Cette commission était habilitée à prononcer des amnisties, mais à condition d'aveux complets, que les crimes fussent politiques et collectifs, et aussi bien pour les crimes perpétrés par des Afrikaners que par des membres de l'ANC (African National Congress) qui luttaient contre l'apartheid. Par ailleurs, elle devait dédommager les victimes. Cette tentative de trouver une voie intermédiaire entre vengeance et oubli a permis d'entendre 22 000 victimes environ, et a servi de modèle à d'autres pays à la suite de guerres civiles.
Si la construction de la paix par les États passe toujours par des traités, elle s'appuie aujourd'hui également sur les institutions internationales et notamment l'ONU, qui demeure malgré des échecs une source importante de légitimité à l'échelle mondiale. Avec les nouvelles formes de conflits, les États sont confrontés à la nécessité de construire la paix au sein de leur territoire entre des populations ou des groupes qui se sont entretués : cela les conduit à inventer de nouvelles formes de pacification intra-étatiques. De même que les conflits, les moyens de la paix tendent ainsi à déborder le cadre étatique.
Pourtant, les conséquences du traité de Versailles en 1919 montrent que les traités de paix peuvent contenir des ferments de guerre. Les États essayent alors de créer des organisations supranationales pour travailler à construire la paix. C'est la conscience de la responsabilité de la diplomatie secrète et du système des alliances dans le déclenchement de la Première Guerre mondiale qui mène à la création de la Société des nations (SDN) en 1920. Mais dépourvue de moyens d'action réelle, elle ne parvient pas à prévenir la Seconde Guerre mondiale, et est remplacée en 1945 par l'Organisation des Nations unies (ONU) qui dispose d'une force d'interposition. Celle-ci, largement paralysée pendant la guerre froide par le système du veto, massivement utilisé par l'URSS, se révèle impuissante à empêcher ou à régler les conflits qui émergent à la fin de la guerre froide en ex-Yougoslavie ou en Irak.
Une constante dans la pensée politique de la paix chez les puissances occidentales et surtout les États-Unis depuis 1918 est la croyance que le libre-échange est facteur de paix. Les 14 points du président Wilson, en 1918, mentionnent ainsi la liberté du commerce comme une condition pour prévenir un nouveau conflit. En 1945, la création de l'ONU est concomitante de la création du FMI afin de promouvoir la coopération monétaire et précède de peu le GATT, traité de libre-échange signé en 1947, qui donne naissance à l'OMC en 1995. L'idée que le commerce favorise la paix accompagne ainsi la mise en place d'un nouvel ordre mondial libéral après la Seconde Guerre mondiale.
C'est à peu près la même pensée qui anime la construction européenne. La coopération économique est vue comme le moyen de réconcilier la France et l'Allemagne et de garantir la paix en Europe. Le plan Marshall (1947), programme d'aide à la reconstruction européenne, est mis en place par les États-Unis à partir de 1947. Des sommes importantes sont débloquées pour aider les pays européens et sont confiées à l'Organisation européenne et coopération économique (OECE) qui se charge de les répartir. Les États-Unis visent ainsi à apporter la paix en Europe en favorisant la coopération entre pays européens et la prospérité économique. En 1950, Robert Schuman, ministre des Affaires étrangères français, propose la création de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA), union économique incluant notamment la France et la RDA. Il commence son discours en faisant le lien entre la paix et la coopération économique : « La paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent. » En 1957 est créée par le traité de Rome la Communauté économique européenne (CEE) qui devient l'Union européenne (UE) en 1993.
Avec l'essor des guerres civiles, la question de la paix se pose d'une nouvelle manière. Elle doit se faire non plus entre États ennemis, mais entre populations amenées à vivre ensemble au sein d'un même État à la suite du conflit. La question se pose régulièrement : en Espagne en 1939, au Rwanda après 1994, en Algérie en 2002. L'amnistie est une technique employée pour favoriser l'oubli, mais elle suppose l'impunité et donc l'injustice. Au contraire, la revanche et les épurations impliquent le risque que la guerre recommence. L'Afrique du Sud, suite à l'apartheid, a mis en place une solution originale, la Commission de la vérité et de la réconciliation (1995), dirigée par Desmond Tutu. Cette commission était habilitée à prononcer des amnisties, mais à condition d'aveux complets, que les crimes fussent politiques et collectifs, et aussi bien pour les crimes perpétrés par des Afrikaners que par des membres de l'ANC (African National Congress) qui luttaient contre l'apartheid. Par ailleurs, elle devait dédommager les victimes. Cette tentative de trouver une voie intermédiaire entre vengeance et oubli a permis d'entendre 22 000 victimes environ, et a servi de modèle à d'autres pays à la suite de guerres civiles.
Si la construction de la paix par les États passe toujours par des traités, elle s'appuie aujourd'hui également sur les institutions internationales et notamment l'ONU, qui demeure malgré des échecs une source importante de légitimité à l'échelle mondiale. Avec les nouvelles formes de conflits, les États sont confrontés à la nécessité de construire la paix au sein de leur territoire entre des populations ou des groupes qui se sont entretués : cela les conduit à inventer de nouvelles formes de pacification intra-étatiques. De même que les conflits, les moyens de la paix tendent ainsi à déborder le cadre étatique.
© Forum économique mondial/Wikimedia |
© 2000-2024, rue des écoles