La raison
Fiche
La raison est la faculté de l'esprit humain qui permet de distinguer le vrai du faux, le bien du mal. Plus précisément, la raison peut être définie comme la faculté de juger et de réaliser un raisonnement spéculatif, qu'il s'agisse d'un calcul, d'une discussion politique argumentée ou d'une réflexion métaphysique sur la nature de l'âme humaine. À ce titre, la raison humaine donne à l'homme sa spécificité au sein du règne de la nature, puisqu'il semble être le seul être vivant qui soit muni d'une telle faculté.
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De nombreux philosophes introduisent une rupture qualitative entre l'homme et l'animal, et qu'ils confèrent à l'homme une supériorité naturelle. Une telle position suppose alors que la raison soit efficace, voire infaillible, et que ses conclusions soient universelles. Or, l'expérience démontre que les erreurs de calcul sont légion, que la distinction du bien et du mal varie d'un individu à l'autre, et que les arguments rationnels sont souvent instrumentalisés et travestis pour convaincre les foules. Le paradoxe de la raison repose sur sa prétention à vouloir juger de toute chose pour formuler des jugements universels et vrais, et sur le constat régulier de son incapacité à dégager quelque certitude universelle. Peut-on dès lors fonder la spécificité de l'humanité sur une faculté si difficile à cerner ?
I. Platon et le noùs
La raison, ou logos en grec, est la faculté de l'esprit humain sur laquelle reposent différentes activités particulièrement valorisées dans la société grecque antique. Alors que les travaux physiques sont laissés aux esclaves, aux étrangers et aux travailleurs pauvres, la vie politique et les loisirs intellectuels (la scholè) sont les privilèges d'une élite qui a le temps et l'honneur d'exercer sa raison. En effet, la raison est considérée comme la partie noble de l'âme humaine dans la culture de la Grèce antique.
Dans La République, Platon distingue trois « parties » dans l'âme humaine, qu'il faut davantage comprendre comme des tendances que comme des parties au sens spatial. Il y a la partie désirante de l'âme humaine, l'epithumia, directement liée à la satisfaction des besoins du corps ; puis la partie de l'âme humaine qui rend possibles les actions courageuses, le thumos, soumettant le corps à une volonté rationnelle ; enfin, la partie rationnelle de l'âme humaine qui permet à l'homme l'activité contemplative, le noùs. Cette dernière est la plus élevée, précisément parce qu'elle n'est pas en contact avec les choses du monde, matérielles, corruptibles et donc ontologiquement inférieures. Le noùs est tourné vers les Idées, les essences des choses incorruptibles, l'être plein et il nous permet de contempler la vérité inaltérée. Il ne s'intéresse pas tant au cercle réellement tracé, imparfait et qui n'adhère jamais totalement à la définition du cercle ; il se concentre sur le cercle idéel, immatériel et parfait, et sur ses propriétés. Autrement dit, chez Platon, il y a consubstantialité entre les Idées ontologiquement parfaites et l'âme : c'est pour son aptitude à contempler les Idées que l'homme, seul être possédant le noùs, jouit d'une supériorité naturelle sur les autres animaux.
Dans La République, Platon distingue trois « parties » dans l'âme humaine, qu'il faut davantage comprendre comme des tendances que comme des parties au sens spatial. Il y a la partie désirante de l'âme humaine, l'epithumia, directement liée à la satisfaction des besoins du corps ; puis la partie de l'âme humaine qui rend possibles les actions courageuses, le thumos, soumettant le corps à une volonté rationnelle ; enfin, la partie rationnelle de l'âme humaine qui permet à l'homme l'activité contemplative, le noùs. Cette dernière est la plus élevée, précisément parce qu'elle n'est pas en contact avec les choses du monde, matérielles, corruptibles et donc ontologiquement inférieures. Le noùs est tourné vers les Idées, les essences des choses incorruptibles, l'être plein et il nous permet de contempler la vérité inaltérée. Il ne s'intéresse pas tant au cercle réellement tracé, imparfait et qui n'adhère jamais totalement à la définition du cercle ; il se concentre sur le cercle idéel, immatériel et parfait, et sur ses propriétés. Autrement dit, chez Platon, il y a consubstantialité entre les Idées ontologiquement parfaites et l'âme : c'est pour son aptitude à contempler les Idées que l'homme, seul être possédant le noùs, jouit d'une supériorité naturelle sur les autres animaux.
II. Le cogito cartésien
La question essentielle est de savoir si nous pouvons nous fier à la raison. Descartes, dans la première des Méditations métaphysiques, remet en cause l'existence de tout ce qui existe. Il doute d'abord de l'existence de tout ce que les sens peuvent sentir et arrive rapidement à la conclusion que nous ne pouvons jamais nous fier à nos sens pour atteindre la vérité, car on constate régulièrement qu'ils nous trompent (mirages, erreurs de perception) sans savoir précisément quand. Il faut donc systématiquement renoncer aux connaissances venant des sens.Descartes remet également en doute les connaissances venant de la raison : il constate que la raison s'égare aussi parfois, et que l'on commet des erreurs de calcul ou de raisonnement sans s'en rendre compte. Si l'on veut être certain de ne jamais se tromper, il faudrait rejeter toutes les connaissances de la raison. Pourtant, il y a une vérité dont on ne peut douter, dégagée non par un raisonnement mais par une évidence rationnelle. C'est l'expérience du cogito : « Dubito ergo cogito, cogito ergo sum » (« Je doute donc je pense, je pense donc je suis »). Quand je doute, il n'y a qu'une chose qui demeure, quel que soit l'objet dont je doute : le sujet à l'origine de ce doute. La raison constate que je ne peux jamais arrêter de penser, et quand bien même je voudrais douter que je pense ou que je doute, il y aurait irréductiblement un sujet qui ferait l'action de douter. Descartes peut donc déclarer : « Je suis une chose qui pense, c'est-à-dire un esprit, un entendement ou une raison, qui sont des termes dont la signification m'était avant inconnue. » L'être humain se définit avant tout comme une capacité à raisonner.
Exercice n°2
III. Kant et l'illusion transcendantale
Si le sujet humain peut être défini par sa raison, Kant, dans la Critique de la raison pure, invite toutefois à se méfier de la tendance de la raison à vouloir dégager des connaissances dans des domaines qui échappent à ses compétences. Notre faculté raisonnante peut en effet se tourner dans deux directions. L'entendement, d'une part, s'intéresse aux choses sensibles dans leur diversité et a pour finalité d'intégrer dans des concepts le « divers de la sensibilité ». Par exemple, lorsqu'on voit un hêtre, un chêne et un cerisier, l'entendement trouve le commun qui les unit malgré leur diversité (un tronc, des branches et des feuilles) et dégage le concept d'arbre. D'autre part, la raison a une tendance qui l'incite à se dégager du sensible et à tenter de trouver des concepts qu'elle voudrait certains sur des objets non sensibles, des objets dont elle ne peut faire l'expérience. C'est le cas précisément quand la raison s'adonne à la métaphysique, et qu'elle tente de savoir si des objets tels que Dieu, l'âme ou le monde existent.Bien qu'aucune expérience sensible de ces trois objets ne soit possible, la raison a toujours tendance à vouloir affirmer qu'elle peut prouver leur existence. C'est ce que fait Descartes quand il croit pouvoir déduire de l'essence de Dieu son existence : si Dieu est l'être parfait, nous dit-il dans la cinquième des Méditations métaphysiques, il existe nécessairement, sinon il lui manquerait une qualité (l'existence) et donc il ne serait pas parfait. Kant répond à cet argument qu'il suffit de ne pas penser la définition de Dieu, de choisir de ne pas se le représenter, pour qu'il n'existe pas. C'est ici la tendance de la raison à « déployer vainement ses ailes pour s'envoler au-delà de la plaine de l'expérience », mais si l'on veut être certain de ne jamais se tromper, il faut discipliner la raison et se méfier de l'illusion transcendantale qu'elle tente d'affirmer comme vraie sans en avoir les moyens. La raison ne peut dégager de vérité que sur des objets dont l'expérience est possible : sans expérience sensible, la raison est totalement impuissante.
Exercice n°3
Zoom sur…
Le syllogisme aristotélicien
Pour arriver à une vérité sans risquer de se tromper, Aristote affirme que la démonstration par syllogisme est une démonstration infaillible. Un syllogisme est la démonstration d'une conclusion à partir de deux prémisses, une majeure et une mineure. Par exemple : « Tous les philosophes pensent (majeure), or Socrate est un philosophe (mineure), donc Socrate pense (conclusion). »Un syllogisme ne se sert que des deux premières prémisses pour faire sa démonstration ; la conclusion n'annonce rien de plus qui n'y soit déjà de façon implicite. C'est une nécessité suffisante, dit Aristote, une forme de l'engendrement. La conclusion résulte nécessairement des deux propositions : il n'y a de syllogisme correct, c'est-à-dire concluant, que si la conclusion résulte des prémisses et d'elles seules. Le syllogisme ne fait que transmettre à la conclusion la vérité des propositions et, si elles sont vraies, alors la conclusion est nécessairement vraie. La science, selon Aristote, repose sur la correction de la forme et la vérité des prémisses. La difficulté se produit lorsque nous ne sommes pas certains de la véracité des prémisses, auquel cas aucune vérité ne pourra assurément être affirmée. Les critiques d'Aristote reprochent à ce type de raisonnement de ne jamais permettre d'apprendre quoi que ce soit de nouveau, la conclusion étant toujours induite par les prémisses.
Exercice n°1
Raison, imagination et coutume
Dans les Pensées, Pascal constate non sans ironie que la raison à laquelle les hommes ont tendance à se fier sans recul est pourtant facilement abusée par d'autres puissances que l'on ne soupçonne pas. La première de ces puissances qui s'opposent à la raison est l'imagination, cette « maîtresse d'erreurs et de fausseté ». En effet, lorsqu'on écoute le discours d'un magistrat, qu'on le voit parler dans son habit noir ou rouge avec son ton grave et son vocabulaire juridique, on croit entendre la voix de la raison : on dira volontiers que ce sont ces arguments totalement rationnels qui sont convaincants. Pourtant, dit Pascal, qu'on lui ôte son habit, que sa voix soit enrouée et qu'il soit mal rasé, et l'assistance ne sera plus portée alors à le croire. C'est bien qu'au-delà du discours prétendument rationnel, seuls ce que représente son habit et l'écho que cela produit dans l'imagination incitent à le croire.La seconde puissance qui abuse souvent la raison est la coutume. Pour le montrer, Pascal prend l'exemple des lois : elles semblent être produites par le raisonnement, objectives et indiscutables. Pourtant, à bien y regarder, on constate qu'elles varient non seulement d'un pays à l'autre (l'Angleterre n'a pas les mêmes lois que la France) mais aussi dans le temps. On s'accoutume à tout, y compris aux choses les moins rationnelles, et l'on finit par croire qu'elles sont le produit de la raison. Ce que montre Pascal, c'est que la raison humaine, si puissante que ses démonstrations puissent paraître, est en réalité corrompue, et qu'en croyant se fier à la raison, on fait régner sur le monde l'imagination et la coutume.
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