La nature
Fiche
La nature désigne d'abord une totalité : c'est l'ensemble de l'environnement biophysique et des êtres qui le composent. À ce titre, l'homme appartient à cet ensemble. Pourtant, on distingue traditionnellement la nature – ce qui existe spontanément, de manière autonome, sauvage pourrait-on dire – de la culture – ce qui a été modifié par l'homme dans cette nature pour la connaître, l'exploiter, la dominer. En réponse à cette atteinte, une pensée écologique condamnant les impacts de l'activité humaine sur la nature s'est progressivement développée. Elle conduit à exclure de la nature l'humanité qui la transforme. Dès lors, considérer la « nature humaine » revient à s'intéresser à ce qui est en l'homme depuis sa naissance, tant à un niveau individuel qu'universel.
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I. L'ordre de la nature
L'intérêt pour la nature, la phusis, remonte au moins à l'Antiquité. Les premiers philosophes sont d'abord des physiologues qui cherchent à produire une science de la nature. Les présocratiques ont ainsi une vision mécaniste de la nature : son organisation dépend exclusivement des mouvements de matière. Mais les atomistes vont plus loin en théorisant l'existence de particules imperceptibles et insécables, les atomes, dont les mouvements et les rencontres produiraient tous les phénomènes naturels à la place des dieux.Or, si la nature est réglée comme les rouages d'une horloge, il doit y avoir un grand horloger. Il suffit d'observer la nature pour constater ce que Leibniz décrit comme une « harmonie préétablie » : l'équilibre des écosystèmes, des chaînes alimentaires ou de la reproduction des espèces. Dès lors, l'hypothèse platonicienne d'un grand démiurge, c'est-à-dire d'un Dieu artisan du monde, ne paraît pas si absurde. Il y aurait à l'origine des lois de la nature une intentionnalité qui donne à chacun des êtres qui la composent une place et un but singuliers. Dans cette vision finaliste, « la nature ne fait rien en vain », comme l'affirme Aristote.
De ce point de vue, le déterminisme universel prédomine : dans la nature, rien n'arrive sans cause. Si tout y est enchaînement de causes et d'effets, on peut supposer que l'homme peut connaître toutes les forces à l'œuvre dans la nature. Cet idéal anime chez Descartes le désir de se rendre « comme maître et possesseur de la nature » par le biais des sciences. Cependant, l'entendement humain est fini, limité en puissance ainsi que dans le temps. En outre, la contingence de certains phénomènes naturels, qui peuvent se produire ou non, conteste cette idée que toutes les lois de la nature sont déterminées : c'est le cas du hasard des mutations génétiques dans la théorie de l'évolution de Darwin.
Exercice n°1
II. Vivant et machine
Comprendre la nature, c'est aussi comprendre les vivants qui la composent. Témoin des débuts de la physiologie, Descartes affirme que rien ne distingue essentiellement un corps biologique d'un corps automate, hormis la complexité de sa composition et de ses fonctions qui en font une machine divine. Ainsi, les animaux sont entièrement appréhendés comme des machines – contrairement aux hommes dont le corps est uni à une âme. Sans conscience ni pensée, seuls les mécanismes corporels permettraient d'expliquer le comportement des bêtes. D'ailleurs, un automate peut très bien les imiter, à l'instar du canard de Vaucanson qui simule la digestion.Même si le corps peut aujourd'hui être remplacé par des prothèses et des organes artificiels, la génération et l'autorégulation distinguent le vivant de la machine selon Kant. Par exemple, une montre ne peut se reproduire de même qu'elle ne peut compenser ses dysfonctionnements par réorganisation. C'est le propre des organismes de ne pas posséder des rouages emboîtés mais des organes qui participent à la conservation du corps. Cet équilibre biologique, Canguilhem l'appelle homéostasie. Mais les progrès de la cybernétique et des intelligences artificielles rendent plus ténue la frontière entre le naturel et l'artificiel.
Ainsi, la nature peut sembler menacée dans son équilibre par les excès du progrès technique, devenu délétère pour l'humanité : dépendance aux outils techniques, transformation de l'humain (robotisation, manipulation génétique), destruction de l'environnement vital… Mais on aurait tort de renvoyer dos à dos l'homme et la nature. En effet, Spinoza souligne que l'homme n'est pas « comme un empire dans un empire » pour rappeler qu'il n'est pas maître de la nature mais qu'il en fait partie intégrante. Ainsi, le progrès technique s'inscrit dans le développement naturel de l'homme : il vise d'abord à survivre mais aussi à mieux vivre, un instinct qui peut-être constitue le propre de la nature humaine.
Exercice n°2
III. Une nature humaine ?
L'idée d'une nature humaine présuppose l'existence de points communs entre les hommes qui puissent fonder conceptuellement une unité. Mais dans l'histoire de la pensée, l'essence de l'homme n'a jamais fait consensus. Une nature de l'homme induit l'existence de caractères innés dont l'individu ne pourrait se déprendre. Situé d'abord dans l'âme, c'est progressivement vers le cerveau que s'est décalé cet innéisme. Le déterminisme biologique renvoie à cette idée que la nature d'un individu, son identité, serait déterminée par son corps. Dès le xixe siècle, la phrénologie étudie la forme des crânes pour identifier les criminels potentiels ; récusée, c'est la neuropsychiatrie qui a repris aujourd'hui le flambeau, associée à la génétique. Cependant, on ne peut ignorer la plasticité organique du vivant : on sait par exemple que les connexions neuronales du cerveau se modifient au cours de l'existence.S'il possède donc des prédispositions naturelles, l'homme est un être inachevé qui ne saurait se voir attribuer une nature. L'éducation joue d'ailleurs un rôle clé dans la formation de l'individu, et plus largement l'environnement social. C'est ce que les études d'Émile Durkheim ont mis en lumière : « le fait social » désigne toute manière d'agir, de penser ou de vivre imposée de l'extérieur à l'individu qui progressivement les intègre par un processus que l'on appelle acculturation. C'est pour cette raison que nous apparaît souvent comme naturel (ou normal) ce qui est en réalité culturel. Car l'homme est d'abord un produit de la culture. C'est donc un être fondamentalement libre, bien que l'on ne puisse ignorer un certain déterminisme social. Dès lors, la nature n'est qu'une excuse pour l'existentialiste qu'est Sartre, une preuve de « mauvaise foi » pour celui qui ne veut pas assumer sa responsabilité et la rejeter sur un caractère naturel qui lui serait inné. « L'existence précède l'essence » précisément parce que l'homme n'a pas de nature et que seuls ses choix déterminent son identité.
Exercice n°3Exercice n°4
Zoom sur…
Les enfants sauvages
On a tendance à penser que l'homme et l'animal diffèrent par nature. Mais Kant rappelle que c'est l'éducation, et plus particulièrement « la discipline », qui guide les enfants sans les briser, qui permet de nous dépouiller de notre animalité. Car la liberté ne s'acquiert que dans la capacité à contrôler ses pulsions, à obéir aux principes que l'on se prescrit, à être en somme autonome.Si, au cours de ses premières années, l'enfant se développe à l'écart de tout environnement culturel, il ne manifeste ensuite aucun des comportements que l'on pourrait attendre d'un homme. Recueillis par des animaux, les enfants sauvages se déplacent et se nourrissent comme leurs parents adoptifs. Ils ne parlent pas et sont souvent incapables d'acquérir le langage. C'est le cas de Victor de l'Aveyron, abandonné dans la nature et retrouvé à l'âge de 12 ans par le docteur Jean Itard. Comme on le voit dans le film de François Truffaut, L'Enfant sauvage (1969), le médecin veut le rééduquer et lui apprendre à parler ; mais après cinq ans de travail en vue d'une réinsertion sociale, c'est un échec. De même, les deux sœurs indiennes Amala et Kamala ont été trouvées dans la tanière d'une louve qui les défendait comme ses propres petits : ainsi, les « fillettes-louves » griffent, mordent, marchent à quatre pattes, refusent la nourriture cuite…
Les cas d'enfants sauvages corroborent l'idée que la nature de l'homme ne se limite pas aux prédispositions biologiques de l'espèce, puisque l'éducation, et plus largement l'environnement culturel, joue un rôle prépondérant dans la formation identitaire de l'individu.
Une éthique écologiste
Aujourd'hui, nombreux sont les mouvements politiques écologistes qui prônent le respect de la nature. Mais les discours de Greta Thunberg, représentante d'une « génération sacrifiée », sur la nécessité de protéger une nature dégradée par l'activité humaine n'ont rien d'original. À la fin des années 1970, Hans Jonas défend un « principe de responsabilité » à l'égard des générations futures et appelle à ralentir le progrès technique. L'idée d'une nécessaire décroissance n'est donc pas une nouveauté, mais la position écologiste s'est renforcée. Ainsi, on a vu récemment émerger un nouveau courant de pensée, la collapsologie, qui étudie les risques d'un effondrement de la civilisation et imagine ce qui pourrait lui succéder.Le respect de la nature passe aussi par notre responsabilité à l'égard des animaux. Les travaux de Darwin justifiant une proximité biologique entre homme et animal ont largement participé au développement d'une bioéthique. Schopenhauer, philosophe célèbre pour avoir légué une partie de son héritage à son chien, critiquait l'absence de droits pour les animaux : l'empathie à leur égard développe, selon lui, le respect de nos semblables. La première Déclaration universelle des droits de l'animal n'a été adoptée qu'en 1977, alors que les études éthologiques ont prouvé, sinon l'existence d'une conscience réflexive chez tous les animaux, du moins celle d'une sensibilité émotionnelle. Ainsi, Peter Singer, porte-parole de l'antispécisme, s'insurge contre l'expérimentation animale et contre l'élevage (de masse). Dès que l'on a affaire à un être sensible, il n'y a pas de raison a priori qui puisse nous permettre de faire prévaloir la vie d'une espèce sur une autre.
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