La technique
Si la révolution que constituent Internet et l'intelligence artificielle n'est plus à mettre en doute aujourd'hui, il reste essentiel de réfléchir à la montée en puissance de la technique dans les sociétés modernes. La technique se substitue de plus en plus à l'homme comme l'analyse Hannah Arendt. Les différentes révolutions industrielles qui ont secoué l'humanité ont conduit à une raréfaction et une transformation du travail.
Avant tout, comment définir la technique ? La technique, du grec technè, se présente comme un moyen servant une finalité. Qu'il s'agisse d'un produit fini fabriqué pour servir une volonté humaine ou d'un savoir-faire permettant de fabriquer des objets, elle est le fruit de l'ingéniosité et de la raison humaines.
C'est le mythe de Protagoras de Platon qui relève le premier l'ambiguïté de la technique. Dans ce mythe, la technique est expliquée par l'insuffisance de l'homme à survivre par des moyens naturels. Elle est donc la marque de la misère de l'homme qui est inférieur au reste du règne animal. Mais elle est aussi la marque de sa grandeur, puisqu'elle l'élève au rang des dieux en lui octroyant le pouvoir quasi magique de modifier la nature selon sa volonté.
La technique peut être utilisée comme un instrument pour maîtriser la nature et satisfaire ses besoins. Descartes, dans le Discours de la méthode, explique qu'il est de son devoir moral de faire connaître les vérités scientifiques pour les rendre utiles au monde. C'est de cette façon que l'homme peut se rendre « comme maître et possesseur de la nature ».
Mais la technique n'a pas que de bons côtés. Certains arguments montrent qu'elle affaiblit l'homme. Platon critique par exemple l'écriture dans le mythe de Theuth. Selon lui, la possibilité d'écrire atrophie la mémoire des hommes car ils ne sont plus obligés de se souvenir des choses.
De son côté, Rousseau introduit l'idée d'une forme de dépendance à l'égard des nouvelles commodités. Non seulement les corps se sont « amollis » au même titre que les esprits, mais l'aisance avec laquelle il est possible de satisfaire ses besoins génère sans cesse de nouveaux désirs.
Enfin, Heidegger invite à voir dans la technique un mode privilégié du dévoilement de l'être, c'est-à-dire de notre rapport au monde. La technique moderne, en particulier, consiste en un arraisonnement de la nature, autrement dit une soumission forcée. Contrairement au pont qui enjambe la rivière, établissant une sorte d'harmonie entre l'homme et la nature, la centrale hydraulique somme en effet le fleuve de fournir son énergie.
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