Le langage

Le langage permet d'utiliser un système de signes pour désigner des choses présentes ou absentes, réelles ou imaginaires. Condamne-t-il les hommes au malentendu et à la manipulation, ou leur donne-t-il accès à une forme de libération ?
Le langage est un outil pratique de désignation qui dissimule des dangers. Le premier danger est, selon Saussure, de considérer que le langage peut être sectionné en mots indépendants alors qu'il se construit par différenciation des unités au sein d'une langue globale. Le deuxième danger est que toute langue, pour Nietzsche, extrapole des métaphores sonores pour désigner des objets ; or, à force, cette dimension est oubliée et le son est assimilé à la chose elle-même. Troisième danger, selon Bergson : l'aspect générique des mots nous rend aveugles à l'individualité des choses (une « feuille » est une feuille mais pas forcément n'importe quelle feuille !).
Le langage est aussi un outil politique de désignation. Aristote souligne que c'est grâce au langage et à sa capacité de généralisation que l'homme devient « un animal politique » puisqu'il peut distinguer le juste de l'injuste. Machiavel va plus loin : il pose que « le prince » (c'est-à-dire celui qui gouverne) peut, grâce au langage, subvertir la réalité — autrement dit : mentir — pour guider le peuple vers le bien commun. En déplaçant le point de vue, le langage habilement manié peut devenir à la fois un objet de duperie et de progrès.
Outil pratique et politique, le langage peut enfin être, selon Pierre Bourdieu, un outil de libération. En effet, le penseur postule que chaque mot a une connotation sociale. Il appartient donc à l'individu de refuser « d'être parlé » et de prendre garde à la charge réductive des mots qu'il emploie. C'est ce que le sociologue appelle « collaborer à la destruction des instruments d'expression », au sens où, pour reprendre la main sur son destin, chaque individu devrait se demander pourquoi il parle « comme il faut » plutôt que comme il lui paraît pertinent de s'exprimer.
Voir dans la simple parole, autrement dit dans la pratique du langage, un outil d'émancipation des individus : l'idée n'est pas nouvelle, mais n'est-elle pas à actualiser sans cesse ?
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