L'art

Selon Nietzsche, « l'art doit avant tout embellir la vie ». Mais si l'art consiste à produire de la beauté, cela ne revient-il pas à reconnaître qu'il est, selon la formule de Camus, un « luxe mensonger » ? Dès lors, comment cerner la vérité et la valeur de l'art ?
L'art et la matière entretiennent un lien spécifique. Le mot « art » a d'abord désigné l'artisanat avant d'évoquer les seuls beaux-arts. Les artistes fabriquent certes des objets en se fondant sur un savoir-faire ; mais ces objets épousent la phrase d'Oscar Wilde, selon laquelle « tout art est parfaitement inutile ». L'inutilité artistique est double : elle est négative (l'œuvre ne sert à rien), et elle est positive : en effet, l'œuvre symbolise, évoque, dévoile une dimension du réel qui n'est pas réductible à sa matérialité. C'est pourquoi le peintre Kandinsky affirmait qu'« il y a du spirituel dans l'art » : l'œuvre, c'est ce qui permet à notre perception de penser la matière au-delà de sa matérialité.
Voilà pourquoi l'art et la manière de traduire le réel entretiennent, eux aussi, un lien spécifique. Platon ne s'y trompait pas, qui exigeait le bannissement des poètes loin de la cité : ces artistes ne travestissent-ils pas la réalité pour plaire à leur public, au nom de l'art conçu comme une représentation distanciée, donc trompeuse, du réel ? Le peintre Paul Klee ira plus loin en postulant que l'idée même de représentation est inutile. Le rôle de l'art n'est pas d'« imiter le réel mais de le rendre visible ». L'art sert donc d'épiphanie à celui qui en jouit, c'est-à-dire qu'il dévoile des aspects insoupçonnés voire métaphysiques du réel en nous en détachant grâce à la subjectivité créative de l'artiste.
En conclusion, il semble que l'art ne soit rien d'autre que la friction entre le réel, la perception que nous en avons, et la représentation décalée qu'en donne l'artiste. Pour nous aider à verbaliser cette tension, nous utilisons des concepts comme la beauté ou le génie. Pourtant, comme l'a posé Nelson Goodman, la question juste n'est sans doute pas « Qu'est-ce que l'art ? » mais « Quand y a-t-il de l'art ? ». Cette perspective suppose que l'art n'existe pas en soi : il s'actualise dans la perception qu'en a chaque société à un moment donné. C'est probablement cette souplesse dans sa définition qui finit de le distinguer de l'artisanat !
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