L'évolution comme grille de lecture du monde


Fiche

Comme l'a dit le biologiste Theodosius Dobzhansky : « Rien en biologie n'a de sens, si ce n'est à la lumière de l'évolution. » La première partie de ce chapitre consiste en une illustration de ce propos : elle présente des structures anatomiques dont l'organisation ou même la simple existence montrent qu'elles sont des produits de l'évolution. La deuxième partie, quant à elle, présente certaines des conséquences concrètes de l'évolution relativement aux pratiques médicales et agricoles.
Les structures anatomiques témoignent de l'évolution des espèces : l'exemple de l'œil
De très nombreux animaux possèdent des yeux, structures anatomiques qui permettent de percevoir la lumière. Cependant, les yeux ont des structures différentes selon les grands groupes auxquels les animaux appartiennent. Si l'on compare l'œil de l'homme, qui est un Vertébré, et celui de la mouche, qui est un Arthropode, on observe que l'œil humain est une structure unique, là où l'œil de la mouche est un assemblage de dizaines de petits yeux assez simples appelés ommatidies. Ils diffèrent également dans leur fonctionnement : les yeux de la mouche ne peuvent pas percevoir la lumière rouge comme les nôtres, mais ils lui permettent de voir certains rayons ultraviolets ou la lumière polarisée, qui nous sont invisibles.
Ces différences s'expliquent par l'histoire évolutive qui a favorisé l'émergence de ces structures. En effet, le dernier ancêtre commun à la mouche et à l'être humain vivait il y a plus de 550 millions d'années. Depuis, pour chacune des espèces, des altérations de l'ADN sont apparues dans un temps long sous l'effet du hasard ; des mutations se sont produites et ont abouti à l'apparition de variations. Sous l'effet de la sélection naturelle notamment, certaines de ces variations permettant la plus grande adaptation ont été conservées.
On note cependant certaines ressemblances dues à la convergence évolutive. Par exemple, dans les deux cas, les yeux comportent des sortes de lentilles qui font converger la lumière entrant dans l'œil (ou dans les multiples yeux simples) vers une couche de cellules photosensibles. Cela vient du fait qu'en présence de contraintes semblables, la sélection naturelle aboutit à la formation de structures similaires.
L'évolution comme grille de lecture du monde - illustration 1
Figure 1.a. Structure d'un oeil humain.
L'évolution comme grille de lecture du monde - illustration 2
Figure 1.b. Structure d'un oeil de mouche.
Les structures sous-optimales
Les yeux sont le résultat de la sélection naturelle : posséder ces organes procure un avantage sélectif important en permettant de trouver plus facilement de quoi se nourrir ou d'échapper à des menaces par exemple. Cependant, même un organe complexe comme l'œil humain possède des caractéristiques peu optimales.
D'une part, notre œil possède une zone appelée tache aveugle. Comme son nom l'indique, c'est un endroit de la rétine incapable de percevoir la lumière, car il est dépourvu de cellules photoréceptrices. La tache aveugle correspond en fait à l'endroit où le nerf optique s'insère dans l'œil. D'autre part, les neurones associés aux cellules photoréceptrices sont situés devant la rétine. Ils absorbent ainsi une partie de la lumière reçue, ce qui limite l'acuité visuelle. Le câblage nerveux de notre œil passe donc non seulement au travers mais également devant la zone photosensible, ce qui n'est clairement pas optimal.
Il faut donc supposer que l'œil humain a sans doute évolué à partir d'un œil primitif plus simple qui possédait déjà un certain nombre de caractéristiques qui ont constitué autant de « contraintes de construction » au cours de son histoire évolutive. Or, il existe un groupe d'animaux qui possèdent un œil complexe ressemblant par certains aspects au nôtre mais qui n'a ni tache aveugle, ni positionnement peu optimal des fibres nerveuses : ce sont les Céphalopodes, c'est-à-dire les poulpes et les calmars. L'œil primitif à l'origine de celui des Céphalopodes était différent du nôtre et leur œil a évolué avec des contraintes différentes, ce qui lui permet d'être plus performant que le nôtre sur certains points.
Les structures anatomiques inutiles, voire néfastes
On trouve des structures anatomiques qui ne sont pas seulement peu optimales, mais quasi inutiles voire même néfastes. Considérons par exemple l'existence de mamelons chez les hommes de notre espèce : ils n'ont aucune fonction, contrairement à ceux des femmes qui permettent la sécrétion de lait pour le nourrisson. Les gènes permettant la formation du mamelon existent chez tous les êtres humains et s'expriment chez tous pendant le développement embryonnaire. C'est encore un résultat de l'histoire évolutive propre de notre espèce, qui a hérité ces gènes d'un lointain ancêtre doté de mamelles. Il est d'ailleurs intéressant de noter que les mamelons n'existent pas chez les mâles d'autres espèces de Mammifères. Chez les chevaux ou les rats, par exemple, ce caractère inutile a disparu. Cela illustre bien le rôle du hasard dans l'évolution des espèces.
Considérons maintenant le cas des dents de sagesse. Leur éruption (c'est-à-dire la traversée de la gencive) se fait tardivement, autour de 20 ans environ. Ces quatre molaires situées les plus en arrière de la bouche sont peu ou pas utiles pour mastiquer correctement la nourriture. Chez un quart des êtres humains environ, elles ne sortent d'ailleurs jamais. Or, quand elles sortent, il est assez fréquent qu'elles restent bloquées de façon plus ou moins importante, ou qu'elles le fassent de travers, ce qui peut être à l'origine de complications médicales. Pour cette raison, et si on prévoit ces complications, elles sont assez souvent enlevées par chirurgie avant leur sortie. Ces dents inutiles, voire néfastes, sont elles aussi le reflet de notre histoire évolutive. Les mâchoires de notre espèce sont devenues plus petites au cours de notre évolution et ne sont plus assez grandes pour contenir les 32 dents héritées de nos ancêtres. Leur disparition chez nos lointains descendants est possible mais pas obligatoire : cela dépendra du chemin évolutif que prendra notre espèce à l'avenir.
L'évolution comme grille de lecture du monde - illustration 3
Figure 2. Mamelons humains.
L'évolution et son impact sur les pratiques médicales et agricoles
L'évolution des espèces a un impact sur de nombreuses pratiques humaines. Ainsi, en médecine, on utilise des antibiotiques, des molécules qui tuent spécifiquement certaines bactéries pathogènes. Or, on observe depuis plusieurs années l'apparition d'un nombre de plus en plus important de bactéries résistantes à ces médicaments, qui sont pourtant une de nos principales armes pour lutter contre les maladies causées par ces microbes. Cette apparition est due à l'évolution de ces bactéries suivant plusieurs étapes :
1. Une population de bactéries dans des conditions ordinaires comprend un variant résistant aux antibiotiques (il possède une mutation qui lui confère cette résistance).
2. La population est soumise à un antibiotique. La plupart des bactéries « normales » meurent.
3. La bactérie résistante est sélectionnée par ce nouveau milieu et se reproduit abondamment. Après plusieurs générations, ces bactéries résistantes deviennent : cette population de bactéries est devenue résistante à l'antibiotique. C'est un cas d'évolution par sélection naturelle en raison des pratiques humaines.
La résistance des bactéries aux antibiotiques est devenue un problème de santé majeur dans le monde. Elle montre que les capacités d'évolution rapide des micro-organismes leur permet de s'adapter à nos moyens de lutte, les rendant moins efficaces, voire inefficaces. Or, l'apparition de résistances s'observe également chez de nombreux insectes, que ce soient les moustiques vecteurs de maladies comme le paludisme, ou d'autres qui s'attaquent aux cultures comme le doryphore, ravageur de la pomme de terre.
Notions-clés
Mutation : Désigne une modification de la séquence de l'ADN. Le terme mutation est souvent utilisé dans un sens restreint pour désigner une modification unique d'une paire de nucléotides, ce que l'on appelle une mutation ponctuelle. Cependant, ce terme est aussi utilisé dans un sens plus large et désigne des modifications affectant toute une partie d'un chromosome, voire un chromosome entier. Les mutations sont à l'origine de la variabilité des caractères des êtres vivants.
Évolution des espèces : Désigne la transformation des caractères d'une espèce de génération en génération. Elle est observée chez tous les êtres vivants, y compris à une échelle de temps humaine (voir la résistance aux antibiotiques) et est attestée par de nombreuses preuves paléontologiques (les fossiles), morphologiques et anatomiques, mais également moléculaires. Attention : un individu lui-même n'évolue évidemment pas, ce sont les populations qui évoluent, de génération en génération.
Sélection naturelle : Un des mécanismes principaux de l'évolution des espèces. Elle est la conséquence de la pression de sélection exercée par l'environnement sur les êtres vivants. Au sein d'une population d'une même espèce, les individus ne possèdent pas tous les mêmes caractères et les contraintes de l'environnement vont favoriser la survie et les capacités de reproduction de certains. Ces derniers se reproduisant mieux que les autres, leurs caractères vont se répandre de génération en génération dans la population qui va ainsi évoluer.
Adaptation : Processus évolutif aboutissant au développement (et au maintien) d'un caractère permettant une meilleure survie ou de meilleures capacités reproductives dans un environnement donné. L'œil est une adaptation des animaux à un environnement où existe de la lumière.
Convergence évolutive : Désigne un processus qui a permis à des organismes d'origines très différentes d'acquérir, en réponse à des contraintes de l'environnement similaires, des structures aux caractéristiques similaires. De très nombreux exemples de convergence existent outre celui qui concerne les yeux : on peut citer celui de l'existence d'un corps allongé et de membres mobiles aplatis, les nageoires, chez de nombreux animaux nageurs.
Zoom sur…
La variété des yeux chez les animaux
De nombreux animaux possèdent des yeux, assez souvent plus simples que les yeux humains ou de mouche. Certains se limitent à une simple couche de cellules photoréceptrices formant une sorte de tache appelée ocelle. C'est le cas chez des méduses ou des mollusques comme la patelle. Dans d'autres cas, les yeux sont un peu plus complexes et sont pourvus d'une lentille convergente, comme chez l'escargot ou la coquille Saint-Jacques. Les capacités des yeux les plus simples se limitent généralement à détecter ou non la présence de lumière et son intensité, même si certains sont capables de détecter des mouvements voire de former des images. D'autres sont assez complexes mais fonctionnent sur un mode très particulier, comme dans le cas du nautile, qui a la particularité de fonctionner sur un principe similaire à celui de la chambre noire des peintres de la Renaissance. Tous ces exemples montrent que chez des animaux très différents les uns des autres, des yeux sont apparus au cours d'histoires évolutives complètement indépendantes.
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