Énoncé
Expliquer le texte suivant :
« La règle par où nous nous conduisons communément en nos raisonnements, est que les objets dont nous n'avons pas l'expérience ressemblent à ceux dont nous l'avons ; que ce que nous avons vu être le plus ordinaire est toujours le plus probable ; et que, lorsqu'il y a opposition des arguments, nous devons donner la préférence à ceux qui se fondent sur le plus grand nombre d'observations passées. Mais quoique, en procédant selon cette règle, nous rejetions promptement tout fait insolite et incroyable à un degré ordinaire, pourtant, en avançant davantage, l'esprit n'observe pas toujours la même règle : lorsque quelque chose est affirmé de suprêmement absurde et miraculeux, il admet d'autant plus promptement un tel fait, en raison de la circonstance même qui devrait en détruire l'autorité. La passion de surprise et d'émerveillement qui produit des miracles, étant une agréable émotion, produit une tendance sensible à croire aux événements d'où elle dérive »
Hume, Enquête sur l'entendement humain (1748).
Pour expliquer ce texte, vous répondrez aux questions suivantes, qui sont destinées principalement à guider votre rédaction. Elles ne sont pas indépendantes les unes des autres et demandent que le texte soit d'abord étudié dans son ensemble.
1. Donner la thèse du texte et les étapes de son argumentation.
2.
a) Expliquer : « nous devons donner la préférence à ceux qui se fondent sur le plus grand nombre d'observations passées ».
b) Expliquer : « il admet d'autant plus promptement un tel fait, en raison de la circonstance même qui devrait en détruire l'autorité ».
3. La force d'une croyance se fonde-t-elle nécessairement sur l'expérience ?
Comprendre le sujet
Dans ce texte, Hume s'interroge sur l'origine de nos croyances. Tandis que les plus ordinaires d'entre elles reposent sur l'expérience, d'autres, étrangement, s'imposent à nous avec d'autant plus de force qu'elles n'entretiennent visiblement aucun rapport avec l'expérience (miracles, superstition, etc.). Quelle est donc la source de cette crédulité humaine ?Le texte en bref
Dans un premier temps (jusqu'à « le plus grand nombre d'observations passées »), Hume explique que la règle générale qui guide tous nos jugements, nos raisonnements et nos croyances, est l'expérience. Notre esprit est ainsi fait qu'il donne sa préférence aux idées reposant sur le plus grand nombre d'expériences. En particulier, ce qui s'est le plus souvent répété, nous le jugeons naturellement plus probable.
Mais, dans un deuxième temps (jusqu'à « en détruire l'autorité »), Hume observe que cette règle de l'expérience est parfois transgressée : car il nous arrive également de croire en des choses insolites et merveilleuses, tels les miracles, qu'aucune expérience n'atteste. D'où vient donc la force de ces croyances ? Comment expliquer que nous prêtions foi à ce qui pourtant est le plus improbable du point de vue de l'expérience ordinaire ?
C'est ce que tente d'expliquer Hume dans un troisième et dernier temps : l'homme a un penchant naturel à croire aux choses qui l'émerveillent. Ce n'est plus alors l'expérience et la raison (le calcul du probable) qui le guide, mais une passion qui lui fait éprouver du plaisir à l'imagination des choses extraordinaires, et le porte ainsi à les croire.
Mobiliser ses connaissances
Repères et notions à connaître et à utiliser dans le traitement de ce sujet
Le chapitre sur la vérité ; l'expérience ; la vérité/ la superstition ; la vérité/ l'erreur ; la foi/ la raison ; croire/ savoir.Citations pouvant servir de référence
« Le premier [précepte de ma méthode] était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, que je ne la connusse évidemment être telle. » Descartes, Discours de la méthode, deuxième partie.« la pensée la plus vive est encore inférieure à la sensation la plus terne. » Hume, Enquête sur l'entendement humain, I.
Textes de référence
Ce texte de Hume s'efforce de démontrer que nos croyances ordinaires dérivent naturellement de l'expérience. À mesure qu'une même expérience se répète, qu'un même fait suit constamment d'un autre toujours identique, nous prenons l'habitude de les associer en tenant le premier pour la cause du second. C'est en effet parce que nous avons chaque jour observé que le soleil s'est levé que nous croyons qu'il se lèvera encore demain.« Le soleil ne se lèvera pas demain, cette proposition n'est pas moins intelligible et elle n'implique pas plus contradiction que l'affirmation : il se lèvera. Nous tenterions donc en vain d'en démontrer la fausseté. Si elle était démonstrativement fausse, elle impliquerait contradiction et l'esprit ne pourrait jamais la concevoir distinctement.
C'est donc peut-être un sujet digne d'éveiller la curiosité que de rechercher quelle est la nature de cette évidence qui nous assure de la réalité d'une existence et d'un fait au-delà du témoignage actuel de nos sens ou des rapports de notre mémoire. […]
Tous les raisonnements sur les faits paraissent se fonder sur la relation de la cause à l'effet. C'est au moyen de cette seule relation que nous dépassons l'évidence de notre mémoire et de nos sens. Si vous demandiez à quelqu'un pourquoi il croit à la réalité d'un fait qu'il ne constate pas effectivement, par exemple que son ami est à la campagne ou en France, il vous donnerait une raison ; cette raison serait un autre fait : une lettre qu'il a reçue ou la connaissance de ses résolutions antérieures et de ses promesses. […]
Si donc nous désirons nous satisfaire au sujet de la nature de l'évidence qui nous donne la certitude des faits, il faut que nous recherchions comment nous arrivons à la connaissance de la cause et de l'effet.
J'oserai affirmer, comme une proposition générale qui n'admet pas d'exception, que la connaissance de cette relation ne s'obtient, en aucun cas, par des raisonnements a priori ; mais qu'elle naît entièrement de l'expérience quand nous trouvons que des objets particuliers sont en conjonction constante l'un avec l'autre. Qu'on présente un objet à un homme dont la raison et les aptitudes soient, par nature, aussi fortes que possibles ; si cet objet lui est entièrement nouveau, il sera incapable, à examiner avec la plus grande précision ses qualités sensibles, de découvrir l'une de ses causes ou l'un de ses effets. »
C'est donc peut-être un sujet digne d'éveiller la curiosité que de rechercher quelle est la nature de cette évidence qui nous assure de la réalité d'une existence et d'un fait au-delà du témoignage actuel de nos sens ou des rapports de notre mémoire. […]
Tous les raisonnements sur les faits paraissent se fonder sur la relation de la cause à l'effet. C'est au moyen de cette seule relation que nous dépassons l'évidence de notre mémoire et de nos sens. Si vous demandiez à quelqu'un pourquoi il croit à la réalité d'un fait qu'il ne constate pas effectivement, par exemple que son ami est à la campagne ou en France, il vous donnerait une raison ; cette raison serait un autre fait : une lettre qu'il a reçue ou la connaissance de ses résolutions antérieures et de ses promesses. […]
Si donc nous désirons nous satisfaire au sujet de la nature de l'évidence qui nous donne la certitude des faits, il faut que nous recherchions comment nous arrivons à la connaissance de la cause et de l'effet.
J'oserai affirmer, comme une proposition générale qui n'admet pas d'exception, que la connaissance de cette relation ne s'obtient, en aucun cas, par des raisonnements a priori ; mais qu'elle naît entièrement de l'expérience quand nous trouvons que des objets particuliers sont en conjonction constante l'un avec l'autre. Qu'on présente un objet à un homme dont la raison et les aptitudes soient, par nature, aussi fortes que possibles ; si cet objet lui est entièrement nouveau, il sera incapable, à examiner avec la plus grande précision ses qualités sensibles, de découvrir l'une de ses causes ou l'un de ses effets. »
Hume, Enquête sur l'entendement humain, Section IV.
Selon Freud, nos croyances ont deux sources : l'erreur et l'illusion. Or, il importe de savoir les distinguer. L'erreur désigne une idée fausse provenant d'une mauvaise opération du jugement. La découverte de la vérité suffit à la dissiper. En revanche, l'illusion désigne une idée imaginaire reposant sur un désir qui nous porte à croire une chose sans examen de sa vérité ou de sa fausseté. La découverte de la vérité n'a donc aucun pouvoir de dissiper une illusion. Ce serait donc méconnaître la nature de l'esprit humain que de juger chacune de nos croyances d'après leur vérité ou leur fausseté, comme si toutes avaient pour origine un jugement rationnel (tantôt bien mené, tantôt pas assez rigoureux). Car en-deçà de la conscience qui raisonne, est en nous un inconscient qui désire.
« Ces idées [religieuses] qui professent d'être des dogmes, ne sont pas le résidu de l'expérience ou le résultat final de la réflexion : elles sont des illusions, la réalisation des désirs les plus anciens, les plus forts, les plus pressants de l'humanité ; le secret de leur force est la force de ces désirs. Nous le savons déjà : l'impression terrifiante de la détresse infantile avait éveillé le besoin d'être protégé - protégé en étant aimé - besoin auquel le père a satisfait ; la reconnaissance du fait que cette détresse dure toute la vie a fait que l'homme s'est cramponné à un père, à un père cette fois plus puissant. L'angoisse humaine en face des dangers de la vie s'apaise à la pensée du règne bienveillant de la Providence divine, l'institution d'un ordre moral de l'univers assure la réalisation des exigences de la justice, si souvent demeurées irréalisées dans les civilisations humaines, et la prolongation de l'existence terrestre par une vie future fournit les cadres de temps et de lieu où ces désirs se réaliseront. […]
Quand je dis : tout cela, ce sont des illusions, il me faut délimiter le sens de ce terme. Une illusion n'est pas la même chose qu'une erreur, une illusion n'est pas non plus nécessairement une erreur. L'opinion d'Aristote, d'après laquelle la vermine serait engendrée par l'ordure - opinion qui est encore celle du peuple ignorant -, était une erreur ; de même l'opinion qu'avait une génération antérieure de médecins, et d'après laquelle le tabès [la syphilis] aurait été la conséquence d'excès sexuels. Il serait impropre d'appeler ces erreurs des illusions, alors que c'était une illusion de la part de Christophe Colomb, quand il croyait avoir trouvé une nouvelle route maritime des Indes. La part de désir que comportait cette erreur est manifeste. »
Quand je dis : tout cela, ce sont des illusions, il me faut délimiter le sens de ce terme. Une illusion n'est pas la même chose qu'une erreur, une illusion n'est pas non plus nécessairement une erreur. L'opinion d'Aristote, d'après laquelle la vermine serait engendrée par l'ordure - opinion qui est encore celle du peuple ignorant -, était une erreur ; de même l'opinion qu'avait une génération antérieure de médecins, et d'après laquelle le tabès [la syphilis] aurait été la conséquence d'excès sexuels. Il serait impropre d'appeler ces erreurs des illusions, alors que c'était une illusion de la part de Christophe Colomb, quand il croyait avoir trouvé une nouvelle route maritime des Indes. La part de désir que comportait cette erreur est manifeste. »
Sigmund Freud, L'Avenir d'une illusion.
Procéder par étapes
Identifier les difficultés particulières de ce sujet
La croyance dans les miracles et les superstitions humaines nous semble à ce point irrationnelle qu'on pourrait penser ou bien qu'elle n'a pas de cause compréhensible, ou bien qu'elle est le produit d'une simple erreur de jugement. Hume tente ici de montrer que ces croyances ont bien une cause, quoique celle-ci ne soit pas une erreur de raisonnement, mais l'effet d'une passion.Problématiser le texte
Comment articuler un principe général qui pose que l'esprit humain ne prête foi qu'aux idées reposant sur l'expérience la plus habituelle et ordinaire, et ce fait d'observation qui enseigne qu'il nous arrive de croire certaines choses, précisément parce qu'elles sont inhabituelles et extraordinaires ? Nos croyances apparemment irrationnelles (superstitions, miracles) dérivent-elles d'une erreur de jugement ? Ou bien ont-elles une origine différente de celle de nos croyances ordinaires ? En somme : l'irrationnel de ces croyances désigne-t-il un simple défaut de raison ou l'existence en nous d'un principe irrationnel ?Répondre aux questions
2.
a) Expliquer : « nous devons donner la préférence à ceux qui se fondent sur le plus grand nombre d'observations passées ».
Pour expliquer ce passage, il faut d'abord préciser l'objet du propos : Hume s'interroge sur le critère nous permettant de départager des « arguments » opposés. D'après lui, un examen purement rationnel ne mène à rien : deux arguments opposés peuvent être aussi rigoureux l'un que l'autre et n'offrir donc aucun critère de choix. Dès lors, seule l'expérience (« le plus grand nombre d'observations passées ») est à même d'opérer un partage.
On pourra également s'interroger sur le sens de l'expression « nous devons » : s'agit-il d'une nécessité (c'est ainsi que cela se passe) ou d'un devoir (il faut qu'il en soit ainsi) ?
Pour expliquer ce passage, il faut d'abord préciser l'objet du propos : Hume s'interroge sur le critère nous permettant de départager des « arguments » opposés. D'après lui, un examen purement rationnel ne mène à rien : deux arguments opposés peuvent être aussi rigoureux l'un que l'autre et n'offrir donc aucun critère de choix. Dès lors, seule l'expérience (« le plus grand nombre d'observations passées ») est à même d'opérer un partage.
On pourra également s'interroger sur le sens de l'expression « nous devons » : s'agit-il d'une nécessité (c'est ainsi que cela se passe) ou d'un devoir (il faut qu'il en soit ainsi) ?
b) Expliquer : « il admet d'autant plus promptement un tel fait, en raison de la circonstance même qui devrait en détruire l'autorité ».
Cette phrase est centrale dans la démonstration de l'auteur. Hume y fait part d'une observation en effet extrêmement étonnante : il nous arrive de croire en des choses extraordinaires, non pas en dépit de leur caractère « suprêmement absurde et miraculeux », mais en raison même de ce caractère : il semble que nous croyions parce que c'est absurde (pour reprendre la locution latine souvent citée pour définir la foi chrétienne : « credo quia absurdum » - « je crois parce que c'est absurde » -, empruntée à Tertullien). Ce qui devrait raisonnablement (c'est-à-dire selon la « règle » de l'expérience habituelle évoquée au début du texte) nous faire douter et susciter notre incrédulité est étrangement la cause de notre adhésion et de notre crédulité.
En commentaire, il serait judicieux d'indiquer que cette observation écarte l'hypothèse selon laquelle nos croyances en des choses improbables viendraient d'une simple erreur de jugement (une mauvaise application de la règle de la confirmation par l'expérience, un mauvais calcul de probabilités) et permet à Hume d'introduire sa thèse dans la suite de son propos : c'est une « passion » naturelle pour le merveilleux qui explique notre crédulité à l'égard des faits les plus improbables et même absurdes.
Cette phrase est centrale dans la démonstration de l'auteur. Hume y fait part d'une observation en effet extrêmement étonnante : il nous arrive de croire en des choses extraordinaires, non pas en dépit de leur caractère « suprêmement absurde et miraculeux », mais en raison même de ce caractère : il semble que nous croyions parce que c'est absurde (pour reprendre la locution latine souvent citée pour définir la foi chrétienne : « credo quia absurdum » - « je crois parce que c'est absurde » -, empruntée à Tertullien). Ce qui devrait raisonnablement (c'est-à-dire selon la « règle » de l'expérience habituelle évoquée au début du texte) nous faire douter et susciter notre incrédulité est étrangement la cause de notre adhésion et de notre crédulité.
En commentaire, il serait judicieux d'indiquer que cette observation écarte l'hypothèse selon laquelle nos croyances en des choses improbables viendraient d'une simple erreur de jugement (une mauvaise application de la règle de la confirmation par l'expérience, un mauvais calcul de probabilités) et permet à Hume d'introduire sa thèse dans la suite de son propos : c'est une « passion » naturelle pour le merveilleux qui explique notre crédulité à l'égard des faits les plus improbables et même absurdes.
Corrigé
1. Dans cet extrait de son Enquête sur l'entendement humain, Hume s'interroge sur l'origine de nos croyances. Selon lui, l'observation nous contraint d'admettre qu'il existe deux sources de toutes nos croyances : l'expérience et la passion pour le merveilleux. Ainsi, ce qui commande nos croyances, c'est l'impression plus ou moins vive que nous procurent tantôt l'expérience la plus ordinaire, habituelle et répétée, tantôt l' « émotion agréable » des choses merveilleuses pour lesquelles nous avons une « passion » naturelle.
Par conséquent, en affirmant qu'aucune croyance ne tire sa force d'autre chose que de l'expérience ou du plaisir pris à la satisfaction d'une « passion de surprise et d'émerveillement », Hume semble exclure qu'il puisse exister des croyances rationnelles. Ainsi, l'émerveillement que louent tant de philosophes (Platon, Aristote) paraît tenir davantage de la passion que de la raison.
Dans une première partie (« La règle […] d'observations passées. »), Hume affirme que l'esprit humain juge de toutes choses en s'appuyant sur l'expérience. C'est à partir d'elle que nous formons nos idées des choses, avons des croyances et jugeons de leur probabilité. L'expérience est le grand guide de nos raisonnements et de nos croyances ordinaires.
Toutefois (« Mais quoique […] en détruire l'autorité. »), nous sommes contraints d'admettre qu'il nous arrive de croire en des choses qu'aucune expérience ne vient étayer. Davantage même : ce qui paraît « insolite et incroyable », voire « suprêmement absurde et miraculeux » suscite une croyance d'autant plus vive qu'il ne repose sur aucune expérience.
Il importe donc, dans un dernier temps (« La passion […] d'où elle dérive. »), d'expliquer ce paradoxe entre un principe général gouvernant l'esprit humain (la force et l'autorité de l'expérience) et la réalité de certaines de nos croyances (sans lien aucun avec l'expérience). C'est ce que fait Hume en invoquant l'existence en nous d'une « passion » pour le merveilleux et du plaisir que celle-ci nous procure.
Ainsi, la force de toutes nos croyances, des plus ordinaires aux plus extraordinaires, repose sur deux types d'impressions que les événements laissent en nous. Les plus ordinaires tirent leur force d'une expérience extérieure (par l'un des cinq sens), tandis que les plus extraordinaires (les miracles, par exemple) tiennent leur vivacité d'une expérience intérieure, lorsque nous éprouvons l'« agréable émotion » des choses merveilleuses.
Par conséquent, en affirmant qu'aucune croyance ne tire sa force d'autre chose que de l'expérience ou du plaisir pris à la satisfaction d'une « passion de surprise et d'émerveillement », Hume semble exclure qu'il puisse exister des croyances rationnelles. Ainsi, l'émerveillement que louent tant de philosophes (Platon, Aristote) paraît tenir davantage de la passion que de la raison.
Dans une première partie (« La règle […] d'observations passées. »), Hume affirme que l'esprit humain juge de toutes choses en s'appuyant sur l'expérience. C'est à partir d'elle que nous formons nos idées des choses, avons des croyances et jugeons de leur probabilité. L'expérience est le grand guide de nos raisonnements et de nos croyances ordinaires.
Toutefois (« Mais quoique […] en détruire l'autorité. »), nous sommes contraints d'admettre qu'il nous arrive de croire en des choses qu'aucune expérience ne vient étayer. Davantage même : ce qui paraît « insolite et incroyable », voire « suprêmement absurde et miraculeux » suscite une croyance d'autant plus vive qu'il ne repose sur aucune expérience.
Il importe donc, dans un dernier temps (« La passion […] d'où elle dérive. »), d'expliquer ce paradoxe entre un principe général gouvernant l'esprit humain (la force et l'autorité de l'expérience) et la réalité de certaines de nos croyances (sans lien aucun avec l'expérience). C'est ce que fait Hume en invoquant l'existence en nous d'une « passion » pour le merveilleux et du plaisir que celle-ci nous procure.
Ainsi, la force de toutes nos croyances, des plus ordinaires aux plus extraordinaires, repose sur deux types d'impressions que les événements laissent en nous. Les plus ordinaires tirent leur force d'une expérience extérieure (par l'un des cinq sens), tandis que les plus extraordinaires (les miracles, par exemple) tiennent leur vivacité d'une expérience intérieure, lorsque nous éprouvons l'« agréable émotion » des choses merveilleuses.
2.
a) Lorsque plusieurs arguments opposés et par conséquent incompatibles se présentent à nous, comment convient-il de les départager ? Auquel d'entre eux accorder plus de foi ? L'examen strictement rationnel des arguments ne suffit pas à nous éclairer, car malgré leur incompatibilité, ils peuvent être aussi rationnels les uns que les autres. Faut-il croire que le soleil se lèvera demain ou qu'il ne se lèvera pas ? Ces deux affirmations ne disent rien d'absurde ou d'inintelligible. Pour opérer le partage, il faut, selon Hume, se référer à la règle de fonctionnement que notre esprit observe pour former ses jugements et ses croyances. Or, l'observation semble enseigner sur ce point qu'une idée exerce une force d'autant plus grande sur notre esprit qu'elle repose sur davantage d'expériences. Si nous croyons que le soleil se lèvera demain, c'est que nous avons chaque jour observé qu'il s'est levé. Cette observation habituelle nous conduit à croire ce qui se trouve être le plus probable et donc le plus raisonnable de croire. L'expérience semble donc être à la fois l'origine (la cause) de nos croyances et leur fondement (leur source légitime). S'il nous est naturel, et donc nécessaire, de « donner la préférence » aux arguments qui s'appuient sur « le plus grand nombre d'observations passées », il faut admettre également que cette préférence est légitime, car ce jugement s'accorde avec la raison qui juge plus probable ce qui est plus fréquent. Comme il est naturel de croire ce qui est plus probable, c'est avec raison que nous donnons « préférence » aux arguments qui correspondent à ce principe.
b) L'esprit humain n'est pas rationnel en chacune de ses croyances. Si en règle générale nous jugeons légitime de croire ce que l'expérience nous présente le plus fréquemment, il nous arrive pourtant d'admettre, défiant semble-t-il toute raison, quantité de choses qui ne reposent sur aucune expérience ou sur une observation fort improbable. Les récits fabuleux des voyageurs ou encore les événements surprenant qui semblent bouleverser le cours ordinaire des choses (les miracles) nous frappent si vivement que nous sommes portés à les croire, alors même qu'au regard de l'expérience et de la raison ils apparaissent comme les moins dignes de créance. Comment comprendre que de telles croyances tirent leur force de ce qui devrait au contraire les affaiblir, à savoir leur rapport très lointain, voire inexistant à l'expérience ? Pour l'expliquer, Hume s'appuie sur une autre observation : l'esprit humain n'est pas guidé par la seule règle de l'expérience, mais aussi par une « passion de surprise et d'émerveillement » qui nous procure une « agréable émotion » toutes les fois où nous entendons conter quelque merveille ou observons quelque fait insolite et, d'après la raison, « suprêmement absurde et miraculeux ». Ainsi, ces croyances ne sont pas des erreurs de jugement (causées par une mauvaise estimation des probabilités), comme pourrait le penser le philosophe rationaliste. Car c'est précisément leur caractère absurde qui nous persuade. Tel l'enfant dupe d'un conte merveilleux, il nous plaît de croire ce qui sort de l'ordinaire, pour cette raison même qu'il sort de l'ordinaire. N'est-il pas aisé d'observer que ce qui suscite la surprise en bouleversant le cours des choses nous procure, à coup sûr, une « agréable émotion » qui nous incline naturellement (« tendance sensible ») à croire des choses par ailleurs irrecevables du point de vue de la raison ?
3.
Pourtant, à l'évidence, les croyances humaines ne reposent pas toutes, loin de là, sur des expériences. Le jour de notre naissance, l'existence d'un dieu, les superstitions en tous genres jusqu'au délire du paranoïaque sont autant de croyances qui ne reposent sur aucune expérience. Mieux : il semble que certaines d'entre elles prospèrent en dépit même du démenti de l'expérience. Comment comprendre qu'elles puissent exister s'il faut admettre que rien ne s'impose si fortement à nous que les faits d'expérience ? Par ailleurs, devons-nous accepter que nos croyances se fondent sur autre chose que l'expérience ?
Mais ajoutons que si l'impression sensible immédiate nous porte à croire en la réalité de ce que nous percevons, la répétition d'une même expérience au fil du temps accentue notre croyance, en engendrant l'habitude. Ayant perçu chaque jour que le soleil se lève, je m'attends à le voir se lever à nouveau demain. La croyance née de l'expérience s'enracine en nous par l'habitude, et devient un principe d'anticipation des événements.
Toutefois, si l'expérience semble bien être la source la plus puissante à laquelle nos croyances s'alimentent, comment expliquer qu'il nous arrive de croire des choses que l'expérience dément régulièrement ?
Toute croyance repose sur une expérience, mais celle-ci ne désigne pas nécessairement l'expérience externe d'un phénomène devant nous : elle peut également renvoyer à l'expérience interne d'un état de nous-mêmes (plaisir pris à l'imagination de quelque chose de merveilleux).
Ces croyances qui reposent sur l'impression interne et affective, Freud les nomme « illusions ». À la différence d'une simple erreur, l'illusion tire sa force d'un désir de croire une chose au point de déformer la perception même que nous avons de la réalité. Tandis que l'expérience nous permet de corriger certaines de nos erreurs, l'illusion demeure en dépit de l'enseignement de l'expérience. Si je crois deviner une oasis dans le désert, ce n'est pas parce qu'une expérience trompeuse m'en assure, mais parce que je désire que cette oasis existe.
Telle est d'ailleurs souvent la force du préjugé : nous prenons souvent pour la réalité la simple idée (croyance) qu'on en a.
Qu'elles proviennent d'une expérience externe (nos cinq sens) ou d'une expérience interne (sentiment, passion, désir), nos croyances semblent ne pas dépendre de notre volonté. Pourtant, n'existe-t-il pas des croyances rationnelles et volontaires ?
Aussi Descartes nous en apporte-t-il la preuve par l'exemple. En dépit du fait qu'une longue et rigoureuse éducation a inscrit en nous un certain nombre de croyances, nous avons le pouvoir - et même en un sens le devoir -, au regard de la vérité, de mettre celles-ci en doute en suspendant l'adhésion qu'on avait coutume de leur accorder. L'exercice du doute méthodique montre ainsi que l'esprit est libre, et qu'en conséquence ses croyances peuvent ne pas être le simple effet de nos expériences. C'est d'ailleurs ce caractère douteux qui justifie qu'on les qualifie de « croyances » et qu'on ne les confonde pas avec le savoir vrai.
Il peut donc exister des croyances rationnelles. Ce n'est pas l'expérience qui fonde ma croyance en la réalité de telle ou telle page de l'histoire, mais bel et bien ma raison qui n'y relève aucune incohérence ni aucune raison de douter. Aussi n'est-il pas inutile de nous en rappeler lorsqu'un penchant incontrôlé nous porte tantôt à l'incrédulité, tantôt à la crédulité.
Introduction
Ce dont nous avons l'expérience, il nous est difficile de le mettre en doute. Parce qu'elle nous frappe avec plus de vivacité que l'imagination vague ou le raisonnement, l'expérience nous présente des faits qui emportent notre croyance. Comment s'empêcher de croire ce que l'on voit de ses propres yeux, ce que l'on touche de sa main ou entend de ses deux oreilles ?Pourtant, à l'évidence, les croyances humaines ne reposent pas toutes, loin de là, sur des expériences. Le jour de notre naissance, l'existence d'un dieu, les superstitions en tous genres jusqu'au délire du paranoïaque sont autant de croyances qui ne reposent sur aucune expérience. Mieux : il semble que certaines d'entre elles prospèrent en dépit même du démenti de l'expérience. Comment comprendre qu'elles puissent exister s'il faut admettre que rien ne s'impose si fortement à nous que les faits d'expérience ? Par ailleurs, devons-nous accepter que nos croyances se fondent sur autre chose que l'expérience ?
I. Nous croyons irrésistiblement ce dont nous avons l'expérience.
L'expérience désigne le contact sensible qui relie l'individu au réel. La force et l'étroitesse de ce lien la distinguent à cet égard aussi bien de la raison que de l'imagination. Ni le raisonnement ni l'imagination ne nous placent avec autant d'évidence devant la réalité. C'est pourquoi l'impression sensible engendre à coup sûr la croyance. Face au soleil que j'aperçois de ma fenêtre monter de l'horizon, aucune imagination ni aucune raison ne peut m'empêcher de croire que le jour se lève. C'est ce que Hume résume fort bien au début de son Enquête sur l'entendement humain : « La pensée la plus vive est encore inférieure à la sensation la plus terne ».Mais ajoutons que si l'impression sensible immédiate nous porte à croire en la réalité de ce que nous percevons, la répétition d'une même expérience au fil du temps accentue notre croyance, en engendrant l'habitude. Ayant perçu chaque jour que le soleil se lève, je m'attends à le voir se lever à nouveau demain. La croyance née de l'expérience s'enracine en nous par l'habitude, et devient un principe d'anticipation des événements.
Toutefois, si l'expérience semble bien être la source la plus puissante à laquelle nos croyances s'alimentent, comment expliquer qu'il nous arrive de croire des choses que l'expérience dément régulièrement ?
II. Mais la croyance a une autre source : le désir.
Conscient de cette difficulté, Hume reconnaît que nos croyances peuvent parfois reposer non pas sur le témoignage d'une expérience, mais sur notre passion du merveilleux. Toutefois, cette passion n'a d'effet sur nous, précise-t-il, qu'en tant qu'elle suscite une vive impression sensible : « une agréable émotion ».Toute croyance repose sur une expérience, mais celle-ci ne désigne pas nécessairement l'expérience externe d'un phénomène devant nous : elle peut également renvoyer à l'expérience interne d'un état de nous-mêmes (plaisir pris à l'imagination de quelque chose de merveilleux).
Ces croyances qui reposent sur l'impression interne et affective, Freud les nomme « illusions ». À la différence d'une simple erreur, l'illusion tire sa force d'un désir de croire une chose au point de déformer la perception même que nous avons de la réalité. Tandis que l'expérience nous permet de corriger certaines de nos erreurs, l'illusion demeure en dépit de l'enseignement de l'expérience. Si je crois deviner une oasis dans le désert, ce n'est pas parce qu'une expérience trompeuse m'en assure, mais parce que je désire que cette oasis existe.
Telle est d'ailleurs souvent la force du préjugé : nous prenons souvent pour la réalité la simple idée (croyance) qu'on en a.
Qu'elles proviennent d'une expérience externe (nos cinq sens) ou d'une expérience interne (sentiment, passion, désir), nos croyances semblent ne pas dépendre de notre volonté. Pourtant, n'existe-t-il pas des croyances rationnelles et volontaires ?
III. Ce qui fonde nos croyances n'est pas l'expérience, mais la raison.
Nos représentations ne sont pas le simple effet de causes (d'impressions) qui pèsent sur nous. Épictète nous enseigne à cet égard qu'à côté des circonstances extérieures de notre vie, nos représentations mentales, et donc nos croyances, dépendent de nous.Aussi Descartes nous en apporte-t-il la preuve par l'exemple. En dépit du fait qu'une longue et rigoureuse éducation a inscrit en nous un certain nombre de croyances, nous avons le pouvoir - et même en un sens le devoir -, au regard de la vérité, de mettre celles-ci en doute en suspendant l'adhésion qu'on avait coutume de leur accorder. L'exercice du doute méthodique montre ainsi que l'esprit est libre, et qu'en conséquence ses croyances peuvent ne pas être le simple effet de nos expériences. C'est d'ailleurs ce caractère douteux qui justifie qu'on les qualifie de « croyances » et qu'on ne les confonde pas avec le savoir vrai.
Il peut donc exister des croyances rationnelles. Ce n'est pas l'expérience qui fonde ma croyance en la réalité de telle ou telle page de l'histoire, mais bel et bien ma raison qui n'y relève aucune incohérence ni aucune raison de douter. Aussi n'est-il pas inutile de nous en rappeler lorsqu'un penchant incontrôlé nous porte tantôt à l'incrédulité, tantôt à la crédulité.