L'explication de texte (I)
Le but d'une explication de texte est de déployer le sens du texte, c'est-à-dire l'idée qu'il défend et son argumentation. Il s'agit de suivre attentivement un raisonnement pour l'interroger, le clarifier et en situer les enjeux.
Il est tentant de choisir l'explication de texte en pensant que c'est un exercice plus facile que la dissertation parce qu'elle demanderait moins de connaissances ou parce que l'on peut compter sur le texte comme support. Mais il ne faut pas s'y tromper : c'est une épreuve tout aussi exigeante que la dissertation, avec ses difficultés propres. En effet, s'il est clairement indiqué que « la connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise. Il faut et il suffit que l'explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question », les connaissances du contexte philosophique et conceptuel d'une question ou d'une thématique sont nécessaires à la réalisation d'une explication de texte précise.
I. Les attendus d'une explication
Comme pour la dissertation, le correcteur s'attend à retrouver certaines parties dans une explication de texte :
• un problème : un texte n'est pas écrit en vain. L'auteur s'est confronté à un problème de philosophie et c'est ce problème que vous devez situer ;
• la position défendue par l'auteur à propos de ce problème : le texte permet de situer un certain nombre d'arguments et de positions autour du problème donné. Il soutient une théorie ou s'y oppose, et il faut montrer les arguments qui justifient sa position ;
• la construction de l'argumentation : un texte défend une position philosophique en déployant une certaine argumentation. Comme tout discours, il choisit de passer par certaines étapes plutôt que d'autres : il faut donc repérer et discuter les choix argumentatifs de l'auteur ;
• des connaissances philosophiques : il faut connaître des définitions, des références philosophiques, des thèses d'auteurs, des oppositions conceptuelles… C'est sur ces différentes connaissances que vous pourrez construire une analyse pertinente des idées ;
• une mise en perspective : le texte est situé dans un problème et dans un contexte. Vous pouvez donc apporter des réflexions qui le mettent en perspective : il a pu être discuté par d'autres philosophes, il peut nous confronter à une position immorale, il peut surprendre…
Ce qu'il faut éviter de faire
• Choisir le texte sans être sûr de le comprendre : vous risquez alors le contresens.
• Paraphraser : souvent les élèves pensent avoir réussi l'exercice quand ils ont répété le texte en le traduisant plus ou moins en langage courant. Or, un texte doit voir son problème, ses idées, son argumentation et ses perspectives clarifiés.
• Éviter un passage difficile : le correcteur sait quels sont les passages compliqués, il faut donc se confronter à la difficulté et montrer qu'on l'a interrogée plutôt que de faire comme si elle n'existait pas.
• Répéter le cours : si l'auteur du texte a été abordé en cours, il est tentant de répéter ce qui a été dit à son propos. C'est un écueil : un texte est toujours spécifique et, même s'il défend une thèse vue en cours, vous devez situer ce qui est spécifique à ce texte dans la manière d'aborder ce problème.
• Faire une explication stylistique : il ne faut pas confondre l'explication attendue en cours de français et celle du cours de philosophie. En philosophie, on n'attend pas une explication du style du texte, mais de ses idées.
• Atomiser le texte : il peut être tentant de définir chaque mot un à un, mais on attend la compréhension de la thèse d'un auteur et non une liste de définitions.
II. Types de sujet
La grande difficulté de l'explication de texte est qu'il n'y a pas une seule façon de construire une argumentation philosophique. Chaque texte a ses spécificités et il n'y a pas de « recette » qui fonctionnerait tout le temps : il faut chaque fois adapter son explication au texte que l'on cherche à expliquer.
On peut cependant situer deux grandes manières dont les auteurs peuvent construire leur réflexion :
On peut cependant situer deux grandes manières dont les auteurs peuvent construire leur réflexion :
• les textes qui s'opposent explicitement à une autre position et qui cherchent à la (re)mettre en question. Ils peuvent être marqués par des formules comme « On pense généralement que… mais », « Certains philosophes pensent que… », « Les défenseurs de… ». Il faut donc appuyer l'opposition et montrer comment elle se construit ;
• les textes qui défendent une thèse et s'opposent implicitement à une autre position : il faut alors réussir à montrer à quelle idée s'oppose le texte et pourquoi il défend plutôt cette position.
III. Aborder une explication de texte
Une explication de texte commence toujours par la lecture du texte, autant de fois que nécessaire, pour saisir ses enjeux et ses arguments. Ensuite, on peut procéder avec méthode :
• Se laisser surprendre par le texte. Il défend une position précise avec des arguments propres. Il ne faut pas projeter des thèses ou des idées déjà vues en cours dans le texte, mais saisir sa spécificité.
• Repérer la question et les concepts. Il convient de s'appuyer sur les connaissances apprises en cours. Par exemple, le texte porte sur la question de la liberté. En cours, vous avez vu plusieurs positions autour de cette notion (la théorie du libre arbitre, le déterminisme). Il faut se demander quelle position rejoint le texte et quelle position s'en éloigne. Cela permet de situer la thèse du texte.
• Interroger le point de vue. Par rapport au cours, l'auteur défend-il sa position avec les mêmes arguments ou avec de nouveaux ? Qu'ont-ils de particulier ? Pourquoi défend-il ce point de vue de cette façon ? Un texte sur la liberté peut argumenter à partir du point de vue moral, de la connaissance, de l'existence individuelle, de la politique, etc. ;
• S'appuyer sur les repères conceptuels vus en cours. Par exemple, le terme universel doit être distingué de particulier, légitime de légal, etc. Ce travail de précision dans les concepts permet de mieux situer la construction de l'argumentation ;
• Identifier les connecteurs du discours. Quelle fonction tel mot a-t-il par rapport à tel autre ? À quoi renvoie-t-il par cette expression ? Pourquoi tel concept est-il introduit à ce moment du texte ?
Zoom sur…
Les différentes lectures du texte
La première lecture sert d'abord à se familiariser avec l'ensemble du texte avant de se concentrer sur certains éléments ou certaines parties. Une difficulté de l'explication est de ne pas perdre de vue le propos d'ensemble.
Plusieurs lectures actives sont nécessaires à la compréhension d'un texte philosophique. Vous pouvez néanmoins diriger votre attention sur plusieurs éléments pour pénétrer le sens du texte :
Plusieurs lectures actives sont nécessaires à la compréhension d'un texte philosophique. Vous pouvez néanmoins diriger votre attention sur plusieurs éléments pour pénétrer le sens du texte :
• rechercher les termes et les concepts que vous pensez devoir définir ;
• rechercher les articulations du texte (« mais », « ainsi », « par exemple »…) et la ponctuation : ces éléments servent à comprendre comment l'auteur construit son argumentation.
Les lectures pas à pas
Sujet 1 : Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes.« Il est aisé de voir qu'entre les différences qui distinguent les hommes, plusieurs passent pour naturelles qui sont uniquement l'ouvrage de l'habitude et des divers genres de vie que les hommes adoptent dans la société. Ainsi un tempérament robuste ou délicat, la force ou la faiblesse qui en dépendent, viennent souvent plus de la manière dont on a été élevé que de la constitution primitive des corps. Il en est de même des forces de l'esprit, et non seulement l'éducation met de la différence entre les esprits cultivés, et ceux qui ne le sont pas, mais elle augmente celle qui se trouve entre les premiers à proportion de la culture. Or, si l'on compare la diversité prodigieuse d'éducations et de genres de vie qui règnent dans les différents ordres de l'état civil, avec la simplicité et l'uniformité de la vie animale et sauvage où tous se nourrissent des mêmes aliments, vivent de la même manière, et font exactement les mêmes choses, on comprendra combien la différence d'homme à homme doit être moindre dans l'état de nature que dans celui de société et combien l'inégalité naturelle doit augmenter dans l'espèce humaine par l'inégalité d'institution. »
On a repéré en gras les connecteurs logiques (« ainsi », « mais », « or », etc.) et en italique les concepts (« différences », « naturelles », « habitudes », etc.). Les éléments soulignés à la fin du texte sont les arguments avancés par Rousseau.
Sujet 2 : Cicéron, Paradoxes des stoïciens.
« Le sage seul est libre. Qu'est-ce, en effet, que la liberté ? Le pouvoir de vivre comme on veut ! Qui donc vit comme il veut sinon celui qui suit le droit chemin, qui trouve son plaisir dans le devoir, qui a examiné et prévu un plan de vie, qui n'obéit pas seulement aux lois par crainte, mais qui les observe et les respecte parce qu'il juge cette attitude la plus salutaire ; celui qui ne dit rien, ne fait rien, enfin ne pense rien que de son propre mouvement et de son propre gré, celui dont toutes les décisions et tous les actes trouvent en lui-même leur principe et leur fin, qui ne laisse rien prévaloir sur sa volonté et sur son jugement ; celui devant qui la Fortune même, à qui l'on attribue un très grand pouvoir, recule, s'il est vrai, comme l'a dit un sage poète, que ”ce sont ses propres mœurs qui façonnent à chacun sa fortune“ ? Au sage seul échoit donc la chance de ne rien faire malgré lui, rien à regret, rien par contrainte. »
Ce texte a moins de marqueurs dans l'articulation des termes que le texte de Rousseau mais plus dans la ponctuation (en gras). On trouve une question au départ, suivie d'une exclamation qui donne une définition du concept de liberté. Une partie de l'argumentation se construit comme une longue question, structurée par des points-virgules. Les concepts évoqués (en italique) sont la « liberté », le « pouvoir », le « plaisir », le « devoir », etc. L'argument (souligné) se trouve à la fin du paragraphe.
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