L'épopée
Fiche
L'épopée appartient au genre narratif mais aussi, d'une certaine façon, au domaine historique. Elle est considérée comme le genre à l'origine de tous les autres ; on la trouve en effet dans de nombreuses civilisations, très tôt : la plus ancienne, l'Épopée de Gilgamesh a été composée entre 1900 et 1600 av. J.-C.
I. Définition
• L'épopée est une œuvre longue, poétique (en vers réguliers) ; elle célèbre des actions et des personnages héroïques, des exploits exceptionnels qui, dans un passé légendaire, ont joué un rôle décisif dans le destin d'un peuple ; elle fait appel au merveilleux, à l'intervention d'êtres et de moyens surnaturels, à l'intervention divine.
• L'épopée se rapporte à toutes les dimensions de la vie humaine : politique, guerrière, morale, religieuse…
• L'épopée « naturelle » reproduit le monde aristocratique auquel elle est destinée : princes grecs, brahmanes indiens, chevaliers du Moyen Âge…
• L'épopée « savante » est une œuvre littéraire, destinée à la lecture, contrairement à l'épopée « naturelle » récitée ou chantée ; l'auteur y peint un passé lointain, teinté d'un sentiment national fort, à destination de lecteurs cultivés.
II. Un peu d'histoire
• L'épopée grecque célèbre les combats des âges héroïques, notamment la guerre de Troie et le retour des chefs grecs dans leur patrie : l'Iliade, l'Odyssée (Homère). Elle relate aussi les malheurs d'Œdipe, la lutte fratricide d'Étéocle et Polynice, l'expédition des Sept contre Thèbes, les travaux d'Héraclès (Hercule).
• L'épopée romaine commence par traduire ou imiter l'épopée grecque ; puis elle célèbre l'histoire de Rome, depuis ses origines fabuleuses (Romulus et Rémus). Mais la plus grande épopée romaine est l'Énéide : Virgile raconte les voyages du prince troyen Énée, depuis Troie, détruite par les Grecs, jusque sur les côtes italiennes (le poète imite les voyages d'Ulysse dans l'Odyssée), puis les guerres menées pour conquérir le Latium et fonder un nouveau royaume (imitation de l'Iliade), à l'origine de la fondation de Rome.
« Je chante les combats et ce héros qui, le premier, des rivages de Troie s'en vint banni par le sort, en Italie, aux côtes de Lavinium : longtemps il fut ballotté, et sur terre et sur mer, par la puissance des dieux supérieurs, que le ressentiment et le courroux de la cruelle Junon excitaient ; longtemps aussi il souffrit les maux de la guerre, avant de fonder une ville et de transporter ses dieux dans le Latium : de là sont sortis la race latine, les pères Albains et les remparts de la superbe Rome. d'après l'Énéide, livre I, Garnier Frères, 1965) »
« Je chante les combats et ce héros qui, le premier, des rivages de Troie s'en vint banni par le sort, en Italie, aux côtes de Lavinium : longtemps il fut ballotté, et sur terre et sur mer, par la puissance des dieux supérieurs, que le ressentiment et le courroux de la cruelle Junon excitaient ; longtemps aussi il souffrit les maux de la guerre, avant de fonder une ville et de transporter ses dieux dans le Latium : de là sont sortis la race latine, les pères Albains et les remparts de la superbe Rome. d'après l'Énéide, livre I, Garnier Frères, 1965) »
• L'épopée au Moyen Âge se rencontre en France dans :
- les chansons de geste (gestes, nom féminin pluriel, signifiant « exploits guerriers ») célébrant Charlemagne et son neveu Roland (Chanson de Roland) ou d'autres héros (Girart de Roussillon, Raoul de Cambrai, xiiie ) ;
- les romans courtois du cycle breton, narrant les aventures du roi Arthur et des chevaliers de Table Ronde, la quête du Graal (Chrétien de Troyes : Lancelot ou le Chevalier à la charrette, Yvain ou le Chevalier au lion, Perceval ou le Conte du Graal, xiiie .
- la parodie de la chanson de geste, comme le récit épique familier du Roman de Renart.
• Du xvie au xixe, l'épopée n'apparaît plus que ponctuellement, concurrencée par d'autres genres qui connaissent un succès grandissant ; toutefois Ronsard rédige la Franciade (1572), imitation de l'Énéide, racontant la légende de Francus, fils d'Hector le Troyen, et fondateur de la dynastie mérovingienne. Voltaire reprend le projet littéraire de Ronsard et compose la Henriade (1723), dont le protagoniste est le roi Henri IV. Chateaubriand écrit les Martyrs (1809), vaste épopée chrétienne qui raconte les persécutions des premiers chrétiens dans le monde romain, les amours du jeune chrétien Eudore et de la païenne Cymodocée. Victor Hugo, poète, dramaturge, romancier, a également composé une épopée en vers : La Légende des siècles ; il précise les enjeux de cette « épopée humaine » dans la préface (12 août 1859).
III. Épopée et épique
• Certaines caractéristiques de l'épopée se retrouvent dans d'autres genres (théâtre, roman, poésie, argumentation, satire, etc.) ; on parle alors de registre épique. Les procédés dominants sont :
- les effets de grandissement ou d'idéalisation du héros ;
- l'amplification (hyperbole), la personnification, l'allégorie, les images ;
- le niveau de langue soutenu ;
- l'emploi d'épithètes homériques pour définir les personnages ;
- l'intervention du merveilleux ou de forces surnaturelles, divines.
• Dans cet extrait, François Rabelais raconte, comme dans les chansons de geste ou les romans courtois, un combat « épique » opposant un moine, Frère Jean, aux ennemis venus piller les vignes du monastère ; au registre épique s'ajoute ici le registre comique. « Ce disant, [Frère Jean des Entommeures] mit bas son grand habit et se saisit du bâton de la croix, qui était en cœur de cormier, aussi long qu'une lance, remplissant bien la main et quelque peu semé de fleurs de lys, presque toutes effacées. Il sortit de la sorte, dans son beau sarrau, avec son bâton de croix, mit son froc en écharpe et frappa brutalement sur les ennemis qui vendangeaient à travers le clos, sans ordre, sans enseigne, sans trompette ni tambour […]. Il les cogna donc si vertement, sans crier gare, qu'il les culbutait comme des porcs, en frappant à tort et à travers, comme les anciens escrimeurs. Aux uns, il écrabouillait la cervelle, à d'autres, il brisait bras et jambes, à d'autres, il démettait les vertèbres du cou, à d'autres, il disloquait les reins, effondrait le nez, pochait les yeux, enfonçait les dents dans la gueule, défonçait les omoplates, meurtrissait les jambes, déboîtait les fémurs, émiettait les os des membres. » (Gargantua, chapitre XXVII, 1534)
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