Texte de Maylis de Kerangal, analyse de l'image (sujet zéro, 2017)
Énoncé
Texte
John Johnson, dit le Boa, a été élu maire de Coca, ville imaginaire des États-Unis. Il a de grands projets pour sa ville. Quelques semaines après son élection, il fait un séjour à Dubaï. C'est son premier voyage hors du continent américain.
« Ce qu'il voit entre l'aéroport et la ville provoque chez lui une sensation ambivalente d'euphorie(1) et d'écrasement.
Les grues d'abord lui éberluent(2) la tête : agglutinées par centaines, elles surpeuplent le ciel, leurs bras comme des sabres laser plus fluorescentsque ceux des guerriers du Jedi, leur halo blafard auréolant la ville chantier d'une coupole de nuit blanche. Le Boa se tord le cou à les compter toutes, et l'homme en dishdash(3) blanche qui le coudoie sur la banquette, le voyant faire, lui signale qu'un tiers des grues existant à la surface du globe est réquisitionné en ces lieux : une sur trois répète-t-il, une sur trois est ici, chez nous. Sa toute petite bouche soulignée d'un trait de moustache articule très doucement nous construisons la cité du futur, une entreprise pharaonique. Le Boa ne dit plus rien. Il salive, émerveillé. La prolifération des tours le sidère, si nombreuses qu'on les croit multipliées par un œil malade, si hautes qu'on se frotte les paupières, craignant d'halluciner, leurs fenêtres blanches comme des milliers de petits parallélogrammes aveuglants, comme des milliers de pastilles de Vichy effervescentes dans la nuit délavée ; ici on travaille vingt-quatre heures sur vingt-quatre, les ouvriers sont logés à l'extérieur de la ville, les rotations se font par navette – l'homme susurre chaque information, escortant l'étonnement de Boa avec délicatesse. Plus loin, il pointe d'un index cireux un édifice en construction, déjà haut d'une centaine d'étages, et précise : celle-ci sera haute de sept cents mètres. Le Boa hoche la tête, s'enquiert soudain des hauteurs de l'Empire State Building de New York, ou du Hancok Center de Chicago, questionne sur les tours de Shanghai, de Cape Town, de Moscou, il est euphorique et médusé(4). À Dubaï donc, le ciel est solide, massif : de la terre à bâtir. Le trajet est long dans la longue voiture, la mer tarde à venir, le Boa l'attend plate, inaffectée, lourde nappe noire comme le pétrole dont le pourtour s'effacerait dans la nuit, et il sursaute à la découvrir construite elle aussi, rendue solide, croûteuse, et apte à faire socle pour un archipel artificiel qui reproduirait un planisphère – la Grande-Bretagne y est à vendre trois millions de dollars – ou un complexe d'habitations de luxe en forme de palmier : elle aussi, donc, de la terre à bâtir.
Le Boa arrive à l'hôtel bouleversé, les joues rouges et les yeux exorbités, il peine à s'endormir, la nuit est trop claire, comme filtrée par une gaze(5) chaude, lui-même trop excité – le Burj Al-Arab est l'hôtel le plus haut du monde, une immense voile de verre et de Teflon gonflée face au golfe Persique qui est absolument noir à cette heure, et clos comme un coffre […]. Au réveil, le Boa est convaincu d'avoir trouvé l'inspiration qui manquait à son mandat. C'est un espace maîtrisé qui s'offre à ses yeux, un espace, pense-t-il, où la maîtrise se combine à l'audace, et là est la marque de la puissance. »
Les grues d'abord lui éberluent(2) la tête : agglutinées par centaines, elles surpeuplent le ciel, leurs bras comme des sabres laser plus fluorescentsque ceux des guerriers du Jedi, leur halo blafard auréolant la ville chantier d'une coupole de nuit blanche. Le Boa se tord le cou à les compter toutes, et l'homme en dishdash(3) blanche qui le coudoie sur la banquette, le voyant faire, lui signale qu'un tiers des grues existant à la surface du globe est réquisitionné en ces lieux : une sur trois répète-t-il, une sur trois est ici, chez nous. Sa toute petite bouche soulignée d'un trait de moustache articule très doucement nous construisons la cité du futur, une entreprise pharaonique. Le Boa ne dit plus rien. Il salive, émerveillé. La prolifération des tours le sidère, si nombreuses qu'on les croit multipliées par un œil malade, si hautes qu'on se frotte les paupières, craignant d'halluciner, leurs fenêtres blanches comme des milliers de petits parallélogrammes aveuglants, comme des milliers de pastilles de Vichy effervescentes dans la nuit délavée ; ici on travaille vingt-quatre heures sur vingt-quatre, les ouvriers sont logés à l'extérieur de la ville, les rotations se font par navette – l'homme susurre chaque information, escortant l'étonnement de Boa avec délicatesse. Plus loin, il pointe d'un index cireux un édifice en construction, déjà haut d'une centaine d'étages, et précise : celle-ci sera haute de sept cents mètres. Le Boa hoche la tête, s'enquiert soudain des hauteurs de l'Empire State Building de New York, ou du Hancok Center de Chicago, questionne sur les tours de Shanghai, de Cape Town, de Moscou, il est euphorique et médusé(4). À Dubaï donc, le ciel est solide, massif : de la terre à bâtir. Le trajet est long dans la longue voiture, la mer tarde à venir, le Boa l'attend plate, inaffectée, lourde nappe noire comme le pétrole dont le pourtour s'effacerait dans la nuit, et il sursaute à la découvrir construite elle aussi, rendue solide, croûteuse, et apte à faire socle pour un archipel artificiel qui reproduirait un planisphère – la Grande-Bretagne y est à vendre trois millions de dollars – ou un complexe d'habitations de luxe en forme de palmier : elle aussi, donc, de la terre à bâtir.
Le Boa arrive à l'hôtel bouleversé, les joues rouges et les yeux exorbités, il peine à s'endormir, la nuit est trop claire, comme filtrée par une gaze(5) chaude, lui-même trop excité – le Burj Al-Arab est l'hôtel le plus haut du monde, une immense voile de verre et de Teflon gonflée face au golfe Persique qui est absolument noir à cette heure, et clos comme un coffre […]. Au réveil, le Boa est convaincu d'avoir trouvé l'inspiration qui manquait à son mandat. C'est un espace maîtrisé qui s'offre à ses yeux, un espace, pense-t-il, où la maîtrise se combine à l'audace, et là est la marque de la puissance. »
Maylis de Kerangal, Naissance d'un pont, (éditions Verticales, 2010 ; réédition Folio Gallimard, p. 52-53).
Image
Source : Dubaï, Photographie de Fritz Mueller Visuals, © Fritz Mueller, 2015. |
Travail sur le texte littéraire et sur l'image
Les réponses aux questions doivent être entièrement rédigées.
Compréhension et compétences d'interprétation
1.
Quelles sont les caractéristiques principales de la ville décrite dans le texte ?
Observez les champs lexicaux, les expansions du nom, les procédés de style (images, métaphores, hyperboles, etc.), qui permettent de caractériser la ville décrite. Appuyez-vous aussi sur les sensations du personnage qui découvre la ville (vue, ouïe, par exemple).
2.
Étudiez précisément la progression des émotions et sensations ressenties par le personnage principal au fil de l'extrait.
Relevez avec précision les champs lexicaux des sensations (rappel : vue, ouïe, goût, toucher, odorat) et des sentiments éprouvés par le personnage. Observez s'ils changent au fil de la découverte de la ville en suivant son parcours.
3.
« Un espace, pense-t-il, où la maîtrise se combine à l'audace, et là est la marque de la puissance » :
a) Expliquez le sens de cette phrase en vous aidant de ce qui la précède.
b) À votre avis, l'auteur partage-t-il ici la pensée du personnage ?
Relisez les sensations, les émotions du Boa (réponse à la question précédente). Définissez précisément le sens de « maîtrise », « audace » et « puissance ». Quelle(s) relation(s) établissez-vous entre ces mots (cause, conséquence, opposition) ?
Rappel : dans une narration à la 3e personne, le narrateur peut adopter le point de vue d'un personnage. L'auteur peut aussi marquer son accord ou son désaccord avec ce point de vue. Il emploie alors des procédés de modalisation qui l'indiquent au lecteur : conditionnel, sous-entendu, ironie, formules spéciales (selon lui, à son avis, etc.). Trouvez-vous de tels procédés dans le dernier paragraphe ?
Rappel : dans une narration à la 3e personne, le narrateur peut adopter le point de vue d'un personnage. L'auteur peut aussi marquer son accord ou son désaccord avec ce point de vue. Il emploie alors des procédés de modalisation qui l'indiquent au lecteur : conditionnel, sous-entendu, ironie, formules spéciales (selon lui, à son avis, etc.). Trouvez-vous de tels procédés dans le dernier paragraphe ?
4.
Proposez un titre pour ce texte, puis expliquez vos intentions et ce qui justifie votre proposition.
Relisez vos réponses aux questions 1 et 2. Imaginez le titre qui caractériserait le mieux la description de cette ville.
5.
Quels sont les éléments qui rapprochent l'image et le texte ?
Observez les différents éléments de l'espace photographié, ceux de la ville décrits dans le texte et les sensations produites sur le Boa. Comparez le texte et l'image. Quels éléments sont communs ?
6.
Quelles impressions suscite en vous cette photographie ? Sont-elles comparables à celles produites par le texte ? Pourquoi ?
Analysez cette image. Quelles impressions provoque-t-elle en vous ? Les mêmes que celles ressenties par le Boa ? Pour répondre à la question, pensez aussi aux différents espaces dans lesquels vous vivez. Quel document produit le plus d'effet sur vous : le texte ou l'image ? Essayez d'expliquer pourquoi (force de l'image, couleurs, imaginaire, puissance des mots, etc.).
Grammaire et compétences linguistiques
1.
À quel temps les verbes sont-ils majoritairement conjugués dans le texte ? Comment comprenez-vous ce choix de l'auteur ?
Observez les verbes conjugués du texte en analysant leurs terminaisons. Appuyez-vous aussi sur le genre du texte pour identifier le temps utilisé. Rappelez-vous les valeurs que peut avoir ce temps. Expliquez les raisons pour lesquelles l'auteur a choisi ce temps.
2.
« Sa toute petite bouche soulignée d'un trait de moustache articule très doucement nous construisons la cité du futur, une entreprise pharaonique » : comment dans cette phrase les propos tenus par le personnage sont-ils rapportés ? Est-ce une manière de faire habituelle ? À votre avis, pourquoi l'auteur procède-t-il ainsi ?
Rappel : les paroles d'un personnage sont rapportées au discours direct, indirect ou indirect libre. Chaque type de discours rapporté possède des caractéristiques propres (ponctuation, construction, emploi des pronoms personnels et des temps, etc.). Observez ces caractéristiques et identifiez le discours employé.
Comparez l'emploi de ce discours avec d'autres œuvres lues ou étudiées. Quelle remarque pouvez-vous faire ? Observez par exemple la ponctuation dans la phrase.
Essayez d'expliquer pourquoi l'auteur a procédé ainsi. Quel effet cherche-t-il à produire ?
Comparez l'emploi de ce discours avec d'autres œuvres lues ou étudiées. Quelle remarque pouvez-vous faire ? Observez par exemple la ponctuation dans la phrase.
Essayez d'expliquer pourquoi l'auteur a procédé ainsi. Quel effet cherche-t-il à produire ?
3.
« une entreprise pharaonique » :
a) Comment le mot souligné est-il construit ?
b) Que signifie-t-il généralement ?
c) Le contexte lui donne-t-il une valeur particulière ?
Identifiez la classe du mot souligné (nom, adjectif, verbe, adverbe, etc.). Décomposez si possible ce mot en isolant le radical, le préfixe et le suffixe.
En analysant le sens du radical du mot, indiquez son sens habituel. Pensez à vos cours d'histoire au collège.
Un mot change parfois de sens selon le contexte dans lequel il est employé. Ici, le contexte est-il exactement le même que pour le sens habituel ?
En analysant le sens du radical du mot, indiquez son sens habituel. Pensez à vos cours d'histoire au collège.
Un mot change parfois de sens selon le contexte dans lequel il est employé. Ici, le contexte est-il exactement le même que pour le sens habituel ?
4.
« Le Boa arrive à l'hôtel bouleversé, les joues rouges et les yeux exorbités, il peine à s'endormir, la nuit est trop claire, comme filtrée par une gaze chaude, lui-même trop excité ».
Réécrivez cette phrase en remplaçant « Le Boa » par « Ils » et en procédant à toutes les transformations nécessaires.
Réécrivez cette phrase en remplaçant « Le Boa » par « Ils » et en procédant à toutes les transformations nécessaires.
Effectuez l'accord :
- des verbes « arriver » et « peiner » avec le nouveau sujet « Ils », en gardant le même temps ;
- des adjectifs ou participes passés qui se rapportent à ce nouveau sujet, « Ils » ;
- du pronom personnel renforcé par « même » (passage de « Le Boa » à « Ils »).
Dictée
« Les Parisiens n'ont jamais de leur ville le plaisir qu'en prennent les provinciaux. D'abord, pour eux, Paris se limite à la taille de leurs habitudes et de leurs curiosités. Un Parisien réduit sa ville à quelques quartiers, il ignore tout ce qui est au-delà qui cesse d'être Paris pour lui. Puis il n'y a pas ce sentiment presque continu de se perdre qui est un grand charme. Cette sécurité de ne connaître personne, de ne pouvoir être rencontré par hasard. Il lui arrive d'avoir cette sensation bizarre au contraire dans de toutes petites villes où il est de passage, et le seul à ne pas connaître tous les autres. »
Aragon, Aurélien, éd. Gallimard, 1944.
Rédaction
Vous traiterez au choix l'un des deux sujets de rédaction suivants.
Votre rédaction sera d'une longueur minimale d'une soixantaine de lignes (300 mots environ).
Votre rédaction sera d'une longueur minimale d'une soixantaine de lignes (300 mots environ).
Sujet de réflexion
Selon vous, la vie au sein d'une ville moderne est-elle source de bonheur et d'épanouissement ?
Procéder par étapes
Étape 1. Lisez attentivement le sujet. Repérez et soulignez les mots-clés : « la vie au sein d'une ville moderne », « source de bonheur et d'épanouissement ». Le thème général est la ville. La question posée est de savoir si la ville moderne apporte bonheur et épanouissement aux hommes qui y vivent.Étape 2. Repérez la forme du texte à produire. Vous présenterez votre réponse (« Selon vous ») à la question dans « un développement argumenté ». Il faut donc respecter :
- le genre argumentatif : le développement organisé, avec sa progression, ses analyses et ses arguments, ses exemples (puisés dans « votre expérience, vos lectures, votre culture personnelle et les connaissances acquises dans l'ensemble des disciplines », notamment la géographie et l'étude des aires urbaines, périurbaines) ;
- le temps de l'argumentation : le présent et les temps qui s'articulent avec lui ;
- la composition en parties et paragraphes.
Thèse 1. Oui, la vie en ville apporte bonheur et épanouissement. Trouvez au moins trois arguments et exemples pour défendre cette thèse (par exemple, les jeunes d'aujourd'hui accèdent à tous les bienfaits de la vie urbaine moderne : cinéma, salles de concert ou de sport, théâtre, cafés, associations, magasins, médiathèque, transports, structures de santé, établissements d'enseignement, etc.).
Thèse 2. Non, la vie dans une ville moderne n'apporte ni bonheur et ni épanouissement. Trouvez au moins trois arguments et exemples pour défendre cette thèse (par exemple : l'agitation, le bruit, la promiscuité, la violence, l'insécurité, la surpopulation, le stress, l'anonymat, l'individualisme, la pollution, la publicité etc.).
Étape 4. Trouvez d'autres idées et arguments pour défendre la thèse choisie : la mixité sociale ou, au contraire, la création de quartiers selon l'origine socioculturelle, le coût élevé de la vie dans la ville moderne, le travail ou le chômage, etc.
Étape 5. Établissez le plan de votre argumentation.
- L'introduction présente le thème et pose la question. Passez une ligne avant le développement.
- Le développement expose votre point de vue, soutenu par au moins trois arguments et trois exemples. Un paragraphe développe un argument. Défendez votre thèse en utilisant des modalisateurs de certitude (assurément, j'affirme, incontestablement…) ou de nuance (peut-être, sans doute, emploi du conditionnel, certes… mais), des figures de style comme l'hyperbole, l'énumération, les fausses questions (ou questions rhétoriques) ou le vocabulaire positif, mélioratif pour affirmer votre point de vue. Passez une ligne avant la conclusion.
- La conclusion rappelle que vous avez répondu à la question posée en dressant un bilan rapide.
Étape 7. Relisez-vous.
Sujet d'imagination
Vous êtes un architecte et vous proposez au pays imaginaire d'Utopia la fondation d'une ville idéale. Écrivez la lettre que vous adressez aux dirigeants d'Utopia pour expliquer votre vision de la ville, justifier vos choix et les inviter à retenir votre projet.
Procéder par étapes
Étape 1. Lisez attentivement le sujet. Repérez et soulignez les mots-clés : « vous êtes un architecte », « pays imaginaire d'Utopia », « fondation d'une ville idéale », « dirigeants d'Utopia », « expliquer votre vision de la ville », « justifier vos choix », « les inviter à retenir votre projet ».Étape 2. Repérez et encadrez la forme du texte à produire : « Écrivez la lettre ». Il faut donc respecter :
- le cadre spatio-temporel : la fin du xxie siècle, le pays imaginaire d'Utopia ;
- le genre de la lettre : la forme (en-tête, formules d'ouverture et de clôture) ;
- l'emploi de la 1re et de la 2e personne du singulier, « lettre que vous adressez aux dirigeants d'Utopia » ;
- l'intention : fonder une ville idéale, faire partager ses sentiments et impressions, faire adopter son projet ;
- les temps de la lettre (par exemple, présent et passé composé comme principaux temps, ou futur puisque c'est un projet de ville idéale) ;
- le nombre de lignes imposé (« une soixantaine »).
Étape 4. Établissez le plan de votre rédaction :
- formules d'ouverture de la lettre (lieu, date, destinataire) ;
- exposé de votre projet, description de la ville idéale ;
- explication et argumentation : les bienfaits de ce projet pour les habitants, les raisons de soutenir ce projet ;
- sentiments et impressions : insérez-les dans les différentes parties de la lettre ;
- formule de clôture : formule de politesse adressée aux dirigeants d'Utopia.
Étape 6. Relisez-vous.
Annexes
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