Texte de Marc Dugain, analyse de l'image (sujet 2024)

Énoncé

A – Texte littéraire
Adrien Fournier, le narrateur, et ses deux amis, Penanster et Weil, sont trois officiers gravement blessés au visage durant la Première Guerre mondiale. Ils sont soignés à l'hôpital du Val-de-Grâce. Un jour, ils y aperçoivent Marguerite, elle aussi victime d'une terrible blessure. Ils attendent depuis longtemps une occasion de lui parler.
« Nos blessures ne pouvaient qu'effrayer cette femme qui se réfléchissait(1) en nous, miroirs de son infortune, mais lorsque, après des jours d'attente et de guet, elle sortit et se trouva devant Penanster, elle ne se déroba(2) point.
– Nous formons, lui expliqua-t-il, un club d'officiers qui compte à ce jour trois membres actifs et volontiers bienfaiteurs. Nous nous sommes aperçus qu'il y manquait une femme. Voulez-vous en faire partie ?
Pour toute réponse, elle nous adressa un sourire chaleureux, le sourire immaculé(3) d'une bouche totalement épargnée, comme ses yeux et son front. Elle était comme un parterre de roses saccagé par le milieu. Elle avait été touchée au nez et aux pommettes et la déflagration lui avait également crevé les tympans car, comme Penanster poursuivait la conversation, elle continua de sourire, du sourire de ceux qui vivent dans un monde à part.
Penanster comprit alors qu'elle était sourde et ne pouvait que lire sur les lèvres. Lui seul avait une bouche intacte, où les mots prenaient forme. Je compris aussitôt que ni Weil ni moi ne pourrions jamais nous entretenir avec elle, les mouvements de nos lèvres étaient devenus sans signification car le son des mots reconstitués tels que nous les formions ne parviendrait jamais à son oreille.
Dans le langage qui commençait à s'instituer entre elle et Penanster, notre ami s'étonna de sa présence parmi nous. D'une voix à la douceur tiède qui faisait paraître encore plus injuste sa blessure, elle nous conta alors son histoire. Ébahis, appuyés les uns sur les autres, nous l'écoutions, intimidés par cette grande femme au charisme inaltéré.
Vers la fin de 1915, on manquait d'infirmières. Marguerite s'était portée volontaire. Elle était à cette époque aussi belle qu'inutile. Son père était un orfèvre fortuné, et elle ne manquait pas de prétendants, tous réformés ou embusqués(4). Elle rêvait de s'éprendre d'un homme courageux. Elle fut affectée(5) d'abord dans un hôpital de l'arrière, où sa beauté créa un tel trouble chez les convalescents(6) aussi bien que chez les médecins que la situation devint insupportable. Sans imaginer probablement ce que serait la réalité, elle persuada un officier auquel elle s'était refusée de l'envoyer dans une antenne de secours à l'avant(7).  »
Marc Dugain, La Chambre des officiers, 1998, © J.-C. Lattès.

B – Image
 - illustration 1
Georges Conrad, Les Gueules cassées, affiche de l'Union des blessés de la face, lithographie.
I. Compréhension et compétences d'interprétation (32 points)
1. Qui sont les différents personnages de ce texte ? (2 points)
Observez attentivement le paratexte qui indique qui est le narrateur et en compagnie de qui il se trouve. Quels sont leurs prénoms ? Leurs métiers ?
2. Qu'ont-ils en commun ? Deux éléments de réponse sont attendus. (2 points)
Là encore, recherchez les informations dans le paratexte qui vous permettent de dégager les points communs entre les personnages : dans quel état physique se trouvent-ils ? Pourquoi ? Où se trouvent-ils ?
3. « Pour toute réponse […] un monde à part. » :
Peut-on dire dans ce passage que tous les personnages arrivent à communiquer facilement ensemble ? Justifiez votre réponse en citant des passages précis du texte. (4 points)
« Communiquer » implique d'avoir la possibilité de se comprendre, de se parler, de s'entendre. Observez le handicap physique de chacun des personnages : lequel ne peut pas bien comprendre les autres ? Lesquels ont du mal à s'exprimer ? Lequel peut servir d'intermédiaire ?
N'oubliez pas de justifier chaque élément de réponse par une citation du texte.
4. « Vers la fin de 1915 […] l'envoyer dans une antenne de secours à l'avant. » :
Pour quelles raisons Marguerite souhaitait-elle s'engager comme infirmière de guerre ? Deux éléments de réponse justifiés par des citations du texte sont attendus. (5 points)
Le dernier paragraphe contient les informations demandées. Dans quel milieu social évoluait Marguerite ? Quel était son idéal ? Pourquoi se mobilise-t-elle dans le contexte évoqué ? Ne paraphrasez pas le texte. Reformulez vos idées avec vos propres mots, puis justifiez par une citation.
5. a) « Elle était comme un parterre de roses saccagé par le milieu. »
Quelle figure de style pouvez-vous identifier dans cette phrase ? Pourquoi est-elle particulièrement adaptée pour décrire le visage de Marguerite ? Un élément de réponse et une citation sont attendus. (3 points)
Quelle figure de style le mot outil « comme » vous permet-elle d'identifier ? Que laisse penser l'évocation de la « rose » concernant le visage de Marguerite avant l'accident ? « Par le milieu » : où précisément Marguerite a-t-elle été blessée au visage ? Quelle partie a été épargnée ? N'oubliez pas de justifier votre réponse à l'aide d'une citation.
b) Complétez ce portrait physique de Marguerite par son portrait moral en identifiant deux traits de caractère du personnage. Vous justifierez chaque trait de caractère en vous appuyant sur le texte. (4 points)
Quels traits de caractère ressortent :
– de l'engagement de Marguerite en tant qu'infirmière de guerre ?
– de son attitude face aux trois officiers ?
– de la description de sa voix ?
6. Quelles réflexions sur la Grande Guerre peut inspirer l'expérience des personnages ? Deux éléments de réponse, chacun justifié par des citations du texte, sont attendus. (6 points)
Quelle est la situation physique et sociale des personnages du texte ? Que tentent-ils de recréer à travers la formation d'un « club d'officiers » ? De quelle manière le rôle des femmes pendant la Grande Guerre est-il mis à l'honneur dans le texte ?
7. Image
Cette affiche vous paraît-elle être une bonne illustration du texte ? Vous développerez votre réponse en vous appuyant sur deux arguments. Chaque argument doit être justifié en vous référant au texte et à l'image. (6 points)
Quels sont les points communs entre l'extrait et l'affiche : Personnages présents ? Situation et attitude de l'infirmière ? État physique du soldat ? Appuyez-vous également sur le titre et le sous-titre de l'affiche.
Quelles sont les différences entre l'extrait et l'affiche : Nombre de personnages ? État de l'infirmière ? Cadre spatial ? Vous pouvez opter pour l'un ou l'autre des points de vue (ressemblances et différences). Vous devez formuler deux éléments de réponse, en vous appuyant systématiquement sur une citation du texte et sur une description d'un élément de l'image.
II. Grammaire et compétences linguistiques (18 points)
8. « Nous formons, lui expliqua-t-il, un club d'officiers qui compte à ce jour trois membres actifs et volontiers bienfaiteurs. »
Relevez les expansions du nom « club » et indiquez la classe grammaticale de chacune d'elles. (2 points)
Rappel : une expansion est un mot, un groupe de mots ou une proposition qui apporte des précisions sur le nom. Le mot « club » comporte deux expansions. Relevez-les puis donnez leur classe grammaticale en vous aidant des mots « d' » et « qui ».
9. « Je compris aussitôt que ni Weil ni moi ne pourrions jamais nous entretenir avec elle ».
a) Recopiez cette phrase puis mettez la proposition subordonnée entre crochets et entourez le mot subordonnant. (1 point)
Rappel : une proposition est un groupe de mots organisé autour d'un verbe conjugué. Une proposition subordonnée dépend d'une proposition principale. La proposition qui ne peut exister seule est la proposition subordonnée. Le mot subordonnant est une conjonction de subordination.
b) Précisez la fonction grammaticale de cette proposition subordonnée et mentionnez au moins une manipulation que vous avez utilisée pour trouver la réponse. (2 points)
Les trois manipulations peuvent être le déplacement, la suppression ou la pronominalisation (remplacement par un pronom). Peuvent-elles toutes s'appliquer ? Quelle est alors la fonction de la proposition subordonnée ?
10. « la situation devint insupportable ».
a) Identifiez et nommez les trois éléments qui composent le mot souligné. (1,5 point)
Identifiez le radical, le préfixe et le suffixe.
b) Expliquez le sens de ce mot puis trouvez-en un synonyme. (1,5 point)
Que signifie ce mot ? Attention au contexte de l'extrait.
Rappel : un synonyme est un mot de même sens ou de sens très proche.
11. Réécrivez le passage suivant en remplaçant « Marguerite » par « Elles ». (10 points)
« Marguerite s'était portée volontaire. Elle était à cette époque aussi belle qu'inutile. Son père était un orfèvre fortuné, et elle ne manquait pas de prétendants, tous réformés ou embusqués. Elle rêvait de s'éprendre d'un homme courageux. »
La réécriture vous demande de procéder à un passage du sujet du singulier au pluriel. Attention à l'accord du participe passé « s'était portée », à la transformation du déterminant « son », à l'accord des verbes à l'imparfait avec un sujet au pluriel.
Ne faites pas de transformation inutile.
Dictée
Lors de la dictée, on procédera successivement :
1. à une lecture préalable, lente et bien articulée du texte ;
2. à la dictée effective du texte, en précisant la ponctuation et en marquant nettement les liaisons ;
3. à la relecture, sans préciser cette fois-ci la ponctuation mais en marquant toujours les liaisons.
On demandera aux candidats d'écrire une ligne sur deux.
On ne répondra pas aux questions éventuelles des candidats après la relecture du texte ; ils en seront avertis avant cette relecture.
Avant de commencer la dictée, on inscrira au tableau de manière lisible : Penanster.
Marguerite devint naturellement le centre de nos préoccupations. Pour lui parler, nous nous adressions d'abord à Penanster, qui lui répétait nos propos par une lente décomposition des syllabes. Comme souvent chez ceux qui sont atteints de surdité, elle redoutait de parler trop fort, et nous ne nous lassions pas de cette voix douce qui contrastait singulièrement avec nos grognements. Elle s'intégra très rapidement à notre clan, même si nos rencontres quotidiennes étaient toujours de courte durée.
Elle n'avait pas informé de son état les membres de sa famille. Elle ne leur écrivait pas. Ils finirent par retrouver sa trace, mais elle refusa de se montrer. Penanster fut dépêché au-devant d'eux pour leur signifier le refus de Marguerite de les recevoir.
Marc Dugain, La Chambre des officiers, 1999
La dictée sollicite la conjugaison de plusieurs temps :
– L'imparfait : « adressions », « redoutait », « étaient »…
– Le passé simple : « devint », « s'intégra », « fut »…
Attention à l'accord du participe passé : avec l'auxiliaire être, celui-ci s'accorde avec le sujet ; avec l'auxiliaire avoir, il s'accorde avec le COD uniquement si celui-ci est placé avant le verbe : « chez ceux qui sont atteints », « Elle n'avait pas informé de son état les membres de sa famille ».
Veillez également à l'accord des nombreux GN pluriels (déterminant + nom + éventuellement adjectif) : « nos préoccupations », « nos grognements », « nos rencontres quotidiennes », « les membres »…
Attention à la confusion entre les terminaisons en é/er : après une préposition, le verbe est à l'infinitif « Pour lui parler », « de parler »…
L'orthographe de quelques mots peut poser difficulté : « préoccupations », « syllabes », « quotidiennes », « dépêché »…
Rédaction
Les candidats doivent composer, pour cette partie « Rédaction », sur une copie distincte.
Vous traiterez au choix l'un des sujets suivants :
Sujet d'imagination
Imaginez la suite du récit de Marguerite, du point de vue de la jeune femme, en utilisant la première personne et en terminant par l'accident qui a causé ses blessures. Vous mêlerez narration et description.
Vous commencerez ainsi :
« Me voilà désormais sur le front. Je ne ressentais pas la peur, je n'en avais pas le temps. »
Procédez par étapes :
Étape 1. Lisez attentivement le sujet :
Repérez le mot-clé vous indiquant la forme de texte à produire : la « suite du récit de Marguerite ».
Vous devez utiliser la première personne.
Votre texte doit prendre la forme d'un récit (narration) qui comportera des éléments descriptifs.
Vous devez terminer en racontant comment Marguerite s'est retrouvée défigurée. Dans l'extrait de La Chambre des officiers, il est dit qu'elle a été blessée par un « éclat d'obus ».
Étape 2. Notez au brouillon les contraintes de formes que vous devrez respecter :
– Narration à la première personne : c'est Marguerite qui raconte.
– Temps à utiliser : imparfait et passé simple principalement, comme dans le texte de départ. Vous pouvez éventuellement rajouter quelques passages au présent d'énonciation renvoyant au moment où Marguerite raconte son histoire aux trois officiers.
– Contexte spatio-temporel : sur le front, pendant la Première Guerre mondiale.
Étape 3. Notez vos idées au brouillon : Quelles sont les informations essentielles à raconter ?
– description des conditions de vie et de travail de Marguerite, épreuves surmontées ;
– sentiments et sensations ;
– rôle et utilité de Marguerite en tant qu'infirmière ;
– personnalité de Marguerite ;
– évocation de son ancienne vie ;
– récit de l'accident qui lui a infligé ses blessures ;
– conclusion et adresse aux trois autres personnages.
Étape 4. Organisez votre rédaction :
– Commencez par les deux phrases imposées par le sujet.
– Rédigez l'épisode en paragraphes correspondant aux idées à développer (voir étape 3). Prenez le temps de développer.
– Terminez votre récit de manière claire et cohérente.
Étape 5. Soignez la langue et l'expression : respectez bien la ponctuation, corrigez d'éventuelles erreurs de ponctuation, d'orthographe. Pensez à utiliser le dictionnaire.
Sujet de réflexion
Adrien et ses deux amis écoutent Marguerite raconter son histoire. Que peuvent apporter les récits de vie, réels ou fictifs, à celles et ceux qui les découvrent ?
Vous présenterez votre réflexion dans un développement argumenté et organisé. Vous illustrerez votre propos à l'aide d'exemples issus de vos lectures et de votre culture artistique personnelle (cinéma, peinture, bande dessinée…).
Afin de respecter l'anonymat de votre copie, vous ne devez pas signer votre composition, citer votre nom, celui d'un camarade ou celui de votre établissement.
Procédez par étapes :
Étape 1. Lisez attentivement le sujet. Repérez et soulignez les mots-clés : « récits de vie », « réels ou fictifs », « celles et ceux qui les découvrent ». On vous demande de trouver ce que le lecteur ou spectateur peut tirer de la découverte de récits racontant la vie de personnages ayant existé ou non. Ce sujet ne nécessite pas de se cantonner à l'autobiographie ou la biographie, même si des exemples tirés de ce genre artistique semblent devoir être utilisés en majorité.
Étape 2. Repérez la forme du texte à produire : « Vous présenterez votre réflexion dans un développement argumenté ». Il faut donc respecter :
– le genre argumentatif : le développement organisé, la progression des arguments et des exemples (puisés dans « vos lectures et votre culture artistique personnelle ») ;
– le temps de l'argumentation : le présent et les temps qui s'articulent avec lui ;
– la composition en parties et paragraphes, le tout relié par des connecteurs logiques.
Étape 3. Le sujet est fermé : la thèse vous est imposée. Vous devez développer le raisonnement demandé par le sujet.
Étape 4. Interrogez-vous pour trouver des arguments et des exemples. Quelles œuvres connaissez-vous, étudiées en classe ou issues de votre culture : « lectures », « cinéma, peinture, bande dessinée »… N'hésitez pas utiliser l'extrait de La Chambre des officiers comme exemple.
Étape 5. Établissez le plan de votre devoir. L'introduction introduit le thème et expose le problème.
Pour chacune des parties, il faudra trouver au moins un argument et l'expliciter à l'aide d'un exemple. Il faudra veiller à utiliser :
– le présent ;
– le retour à la ligne pour matérialiser les paragraphes ;
– des connecteurs logiques (tout d'abord, ensuite, enfin, toutefois, pourtant, or, etc.) ;
– un saut de ligne après l'introduction et avant la conclusion.
La conclusion fait un bilan sur le sujet.
Étape 6. Une fois votre plan clairement établi au brouillon, rédigez votre texte, puis relisez-vous et corrigez d'éventuelles erreurs de ponctuation, d'orthographe. Pensez à utiliser le dictionnaire.
(1)Se réfléchissait : se reflétait.
(2)Elle ne se déroba point : elle ne partit pas, elle resta.
(3)Immaculé : sans défauts.
(4)Embusqués : qui ont bénéficié d'un poste qui n'était pas au front, donc d'un poste moins dangereux.
(5)Elle fut affectée : elle fut envoyée comme infirmière.
(6)Convalescents : soldats malades ou blessés qui sont en train de guérir.
(7)À l'avant : au niveau de la zone de combat.

Corrigé

Compréhension et compétences d'interprétation
1. Les personnages sont Adrien Fournier (le narrateur), ses deux amis officiers, Penanster et Weil, et Marguerite, une ancienne infirmière.
2. Ces quatre personnages ont plusieurs choses en commun :
– Ils ont tous participé à la Première Guerre mondiale (1914-1918) : les hommes en tant qu'officiers, Marguerite en tant qu'infirmière.
– Ils ont tous été grièvement blessés au visage : ce sont des « Gueules cassées ».
– Ils sont soignés dans le même hôpital.
3. La communication est difficile entre les personnages.
– Marguerite est sourde : « la déflagration lui avait également crevé les tympans » et elle « ne pouvait que lire sur les lèvres ».
– Le narrateur et Weil ont été blessés au niveau de la bouche et « les mouvements de [leurs] lèvres étaient devenus sans signification ». Ils ne peuvent donc pas se faire comprendre de Marguerite : « ni Weil ni moi ne pourrions jamais nous entretenir avec elle ».
– Seul Penanster peut lui parler puisque « lui seul avait une bouche intacte » ; les deux autres hommes ne peuvent donc se faire comprendre de Marguerite que par l'intermédiaire de Penanster.
4. Marguerite souhaite s'engager comme infirmière de guerre pour plusieurs raisons :
– Elle veut participer à l'effort de guerre : « on manquait d'infirmières ».
– Elle veut tomber amoureuse d'un idéal : elle « rêvait de s'éprendre d'un homme courageux », tout en fuyant les hommes chez qui elle a créé le « trouble ».
– Enfin, elle cherche à se mettre à l'épreuve en partant « dans une antenne de secours à l'avant ».
5. a) Cette figure de style est une comparaison. Le visage de Marguerite a été atteint par une explosion : le milieu du visage a été touché mais le haut et le bas (« son sourire immaculé », « ses yeux et son front ») ont été épargnés. L'évocation des roses suggère le charme de la jeune femme et sa beauté avant l'accident.
b) – Marguerite semble être une jeune femme affirmée, déterminée, pourvue d'un fort caractère : « elle s'était portée volontaire », « elle persuada un officier », « elle ne se déroba point ».
– Elle est également charismatique : « cette grande femme au charisme inaltéré ».
– Elle est enfin courageuse puisqu'elle quitte le confort de son quotidien pour aider au front, et douce, affable comme le montrent son « sourire chaleureux » et la « douceur tiède » de sa voix.
– Elle peut également être considérée comme naïve puisqu'elle souhaite aller au plus près du front « sans imaginer probablement ce que serait la réalité ».
6. L'expérience des personnages montre que la Grande Guerre a été terriblement destructrice, condamnant les « Gueules cassées » à vivre mutilées (« un parterre de roses saccagé », « touchée au nez et aux pommettes ») et marginalisées (« miroir de nos infortunes »). Malgré cela, ce texte met en évidence la solidarité et la nécessité de recréer une vie sociale pour ces malheureux qui créent ainsi un « club d'officiers ».
Enfin, cet extrait met en valeur le rôle et le courage des femmes durant la guerre, à travers le personnage de Marguerite, infirmière de guerre qui « s'était portée volontaire » pour gagner le front.
7. D'une part, cette image illustre bien le texte :
– Elle fait directement référence aux « Gueules cassées », comme le montre le titre de l'affiche « Union des blessés de la face », et ce qu'elle représente : au premier plan, un soldat mutilé au visage, affaibli, courbé, est soutenu par une infirmière. Ces deux personnages rappellent donc ceux du texte : l'infirmière protectrice, Marguerite à la « douceur tiède », et les soldats défigurés par les « blessures ».
– Le regard du spectateur se porte d'abord sur l'infirmière qui peut rappeler le « charisme » de Marguerite.
– Le mot « Union » dans le titre de l'affiche rappelle le « club d'officiers » créé par les personnages du texte.
Par ailleurs, on note aussi des différences :
– Le nombre de soldats diffère dans les deux documents.
– L'affiche représente des personnages sur la ligne de front comme le suggèrent la fumée des explosions à l'arrière-plan et l'expression de désarroi des personnages. Or, le texte narre le quotidien de soldats mutilés après la guerre et dans un hôpital.
– Enfin, l'infirmière sur l'image n'est pas blessée, contrairement à Marguerite qui est « touchée au nez et aux pommettes ».
Grammaire et compétences linguistiques
8. Les expansions du nom « club » sont « d'officiers », qui est un groupe nominal prépositionnel, et « qui compte à ce jour trois membres actifs et volontiers bienfaiteurs » qui est une proposition subordonnée relative.
9. a) Je compris aussitôt [que ni Weil ni moi ne pourrions jamais nous entretenir avec elle].
b) La fonction de cette proposition subordonnée est COD du verbe compris. La proposition ne peut être ni déplacée, ni supprimée, et peut être pronominalisée (remplacée par un pronom) par le pronom « le » : je le compris.
10. a) Le mot « insupportable » est formé du préfixe in-, du radical -support- et du suffixe -able.
b) Le mot « insupportable » signifie « que l'on ne peut pas supporter ». On pourrait le remplacer par insoutenable, intolérable…
11. Elles s'étaient portées volontaires. Elles étaient à cette époque aussi belles qu'inutiles. Leur père était un orfèvre fortuné, et elles ne manquaient pas de prétendants, tous réformés ou embusqués. Elles rêvaient de s'éprendre d'un homme courageux.
Rédaction
Sujet d'imagination
Me voilà de nouveau sur le front. Je ne ressentais pas la peur, je n'en avais pas le temps. Un camp de fortune avait été dressé à quelques dizaines de mètres de la zone de combat, une simple toile de tente fournie par la Croix-Rouge, ayant pour but de répondre le plus rapidement possible aux soldats en situation d'urgence vitale.
Au plus près de la ligne de feu, le bruit incessant des détonations se mêlait à l'odeur omniprésente et âcre du sang, de la poudre, de la poussière et de la transpiration des malheureux que l'on recevait par vagues incessantes. Ils arrivaient principalement la nuit, sur des civières portées par des brancardiers épuisés d'avoir dû se frayer un chemin entre les tranchées boueuses. Souillés, vêtus d'uniformes en loques, certains hurlaient de la douleur causée par les trous de balles, les éclats d'obus qui leur avaient arraché des membres ou causé des blessures qui s'infectaient très vite. Vous savez hélas de quoi je parle, Messieurs.
Nous prodiguions les premiers soins uniquement, nos postes n'étant pas équipés pour des interventions de chirurgie lourde. Les blessés les plus graves étaient embarqués dans des camions-ambulances. Mes compagnes et moi posions des garrots, des pansements, désinfections les blessures, amputions des membres gangrenés. Quelle boucherie !
Nous étions presque toutes issues de familles aisées. Nous n'avions aucune expérience de la médecine. C'étaient notre patriotisme et notre envie de quitter l'ennui de notre quotidien confortable – qui nous semblait indécent lorsque nous avions vent des horreurs qui avaient lieu sur le front – qui nous avaient poussées à nous porter volontaires. Vous me trouvez sans doute naïve. En effet, nous n'étions pas préparées à un tel désastre. Certaines de mes amies ne supportèrent pas ce carnage.
Quant à moi, je parvins tant bien que mal à supporter la violence, la fatigue extrême et la désolation. Je n'avais pas le temps de réfléchir, soignant les blessés, enregistrant les morts, comme détachée de moi-même, de mes gestes, de ma main tendue, de ma voix que je voulais rassurante. Oui, notre rôle n'était pas seulement de soigner : nous apportions aussi douceur et réconfort à ces malheureux, pour qui nous cherchions un mot encourageant, maternel, pour qui nous écrivions ou lisions les lettres de leurs proches… J'ai tissé des liens avec de nombreux soldats dont j'étais devenue la confidente. Me sentir utile fut mon seul réconfort.
Après quelques mois dans cette antenne de secours à l'avant survint le drame qui me mena ici, auprès de vous. Au plus près du front, nous étions sans cesse exposées aux bombardements, à l'artillerie et aux gaz. Souvent, nous devions nous-mêmes participer à la récupération des blessées sur le no man's land. C'est lors d'une de ces missions que je fus, comme d'autres camarades, atteinte par un éclat d'obus. Je ne me souviens de rien, hormis le bruit de la déflagration qui me projeta à plusieurs mètres. Lorsque je me réveillai, le visage recouvert d'un pansement, j'eus du mal à comprendre que j'étais passée de l'autre côté de ce théâtre sanglant. La douleur qui me brûlait le visage était insoutenable. Des amies infirmières s'affairaient autour de moi, que j'interrogeai sur mon état. Elles se voulaient rassurantes, comme je l'avais moi-même si souvent été, mais leur gêne était palpable et j'obtins finalement que l'on m'apporte un miroir. C'est là que je compris que mon visage avait été ravagé par cet éclat d'obus et que je subissais désormais le sort de tant de soldats défigurés que j'avais moi-même accompagnés.
Je ne regrette rien. J'avais le devoir d'accomplir ma triste besogne et je crois l'avoir fait avec abnégation et efficacité. Nous sommes maintenant reclus dans cet hôpital, Messieurs, et je vous remercie de m'avoir proposé d'intégrer votre cercle. Vous fréquenter adoucira ma douleur et ma solitude.

Sujet de réflexion
« Ébahis, appuyés les uns sur les autres, nous l'écoutions… » C'est ainsi qu'Adrien, le narrateur de La Chambre des officiers, accompagné de ses deux camarades, recueille l'histoire de Marguerite, infirmière blessée par un éclat d'obus. Les trois hommes écoutent ainsi avec attention le récit de vie de cette femme charismatique. Le récit de vie narre les événements vécus par un personnage réel ou fictif. Quel que soit son genre artistique, ce type de récit, biographique ou non, contribue à la formation et à la compréhension du monde par le lecteur/spectateur. Quel est l'intérêt de découvrir des récits de vie réels ou fictifs ?
Dans une première partie, nous verrons que les récits de vie peuvent nous permettre de nous évader, de vivre une vie d'aventures par procuration, de découvrir des univers très éloignés du nôtre. Dans un second temps, nous définirons comment la vie de personnages réels ou fictifs peut revêtir un caractère exemplaire et nous permettre de nous dépasser. Enfin, nous aborderons le récit de vie en tant que témoignage, mémoire collective, qui ouvre à la tolérance et forge notre conscience humaniste.
Tout d'abord, les récits de vie réels ou fictifs peuvent permettre au lecteur/spectateur de vivre une autre vie à travers des personnages ou des univers nouveaux, lorsque l'œuvre évoque des univers très éloignés du nôtre. Ainsi, les romans d'aventures sont l'occasion de vivre par procuration les péripéties affrontées par le personnage. Dans Robinson Crusoé de Daniel Defoe, le lecteur découvre le parcours incroyable des protagonistes confrontés à la survie, à l'adaptation, à la découverte de l'Autre ; il se trouve transporté dans un univers nouveau qui développe son imaginaire. Plus contemporain, Harry Potter de J.K. Rowling nous plonge dans un univers merveilleux racontant l'évolution et les épreuves affrontées par le personnage principal. Par ailleurs, certaines œuvres relatent le vécu de personnages dans un cadre spatio-temporel précis et très différent de celui du lecteur, ce qui enrichit celui-ci. Par exemple, La Chambre des officiers de Marc Dugain raconte le quotidien et la reconstruction difficile des « Gueules cassées » après la Première Guerre mondiale. Persépolis, bande dessinée et film autobiographique de Marjane Satrapi, relate le vécu de l'autrice, de son enfance en Iran pendant la révolution islamique à son entrée dans la vie adulte en Europe.
Les récits de vie permettent donc au lecteur de vivre des aventures par procuration et de rencontrer d'autres vies que la sienne.
En outre, les récits de vie donnent à voir des personnages qui deviennent pour le lecteur des modèles, à travers les qualités humaines qu'ils déploient pour affronter leur destin hors normes. Nombre d'œuvres autobiographiques peuvent remplir ce rôle, comme Patients, roman dans lequel l'artiste Grand Corps malade raconte son combat contre la paralysie dont il est frappé après son accident. Il parle également de cette épreuve dans nombre de ses chansons, comme « Midi 20 ». Il fait ainsi vivre au lecteur ses rencontres, sa lutte, sa résilience. On peut également citer Culottées, bande dessinée de Pénélope Bagieu, qui fait le portrait de femmes souvent méconnues, qui ont inventé leur destin en dépit des carcans imposés par la société. Au cinéma, le film Into the wild de Sean Penn raconte l'histoire incroyable d'un jeune homme promis à un brillant avenir, qui quitte sa zone de confort pour prendre la route jusqu'en Alaska afin de vivre en communion avec la nature. De nombreux récits de vie permettent donc au lecteur de rencontrer des personnages courageux et résilients, qui peuvent lui servir de modèle et le pousser à se dépasser.
Enfin, certains récits de vie, en tant que témoignages, donnent à voir non seulement des personnages aux valeurs humaines exemplaires, mais constituent aussi une mémoire collective qui ouvre à la tolérance et nous met en garde contre des dérives et des erreurs à éviter. C'est ainsi le cas de l'œuvre autobiographique de Simone Veil, Une jeunesse au temps de la Shoah, extraite d'Une vie, dans laquelle l'autrice raconte son enfance, son adolescence en tant que juive et sa déportation à Auschwitz. Son œuvre, tout comme l'autobiographie Si c'est un homme où Primo Lévi narre également sa déportation, participe au devoir de mémoire. On peut également citer Le Journal d'Anne Frank où une jeune fille raconte son quotidien, contrainte de se cacher parce qu'elle est juive. Un récit de vie individuel devient alors récit de mémoire collective. La peinture peut également être le terrain de l'expression de ces parcours de vie et témoigner des horreurs de la guerre : Otto Dix, par exemple, peint de nombreuses œuvres reflétant le traumatisme qu'il a vécu ou vu en tant que soldat allemand de la Première Guerre mondiale, telles que La Guerre ou Les joueurs de skat.
La connaissance de tels parcours nous éclaire sur les dangers et les erreurs du passé à ne pas reproduire.
En conclusion, le récit de vie réel ou fictif présente un intérêt inestimable pour le lecteur : il lui permet d'élargir sa perception de la réalité, son imaginaire, son champ de connaissances. Il le pousse à se dépasser en prenant exemple sur des personnages hors du commun. Il convoque son devoir de mémoire en dépassant le stade de récit individuel pour devenir collectif. Quelle que soit l'époque, quel que soit le genre artistique, lire ou voir la vie des autres nous amène à nous ouvrir et à grandir. Gaël Faye, autobiographe de Petit Pays, le résume ainsi : « Bien sûr, un livre peut te changer ! Et même changer ta vie. Comme un coup de foudre. »