Texte d'Albert Camus, analyse de l'image (sujet 2019)


Énoncé

Texte littéraire
Dans son roman Le Premier Homme, Albert Camus raconte son enfance en Algérie dans les années 1920. Il s'est représenté dans le personnage de Jacques et évoque ici les jeux qu'il partage avec ses camarades.
« Tous les jours, à la saison, un marchand de frites activait son fourneau. La plupart du temps, le petit groupe n'avait même pas l'argent d'un cornet. Si par hasard l'un d'entre eux avait la pièce nécessaire, il achetait son cornet, avançait gravement vers la plage, suivi du cortège respectueux des camarades et, devant la mer, à l'ombre d'une vieille barque démantibulée, plantant ses pieds dans le sable, il se laissait tomber sur les fesses, portant d'une main son cornet bien vertical et le couvrant de l'autre pour ne perdre aucun des gros flocons croustillants. L'usage était alors qu'il offrît une frite à chacun des camarades, qui savourait religieusement l'unique friandise chaude et parfumée d'huile forte qu'il leur laissait. Puis ils regardaient le favorisé qui, gravement, savourait une à une le restant des frites. Au fond du paquet, restaient toujours des débris de frites. On suppliait le repu(1) de bien vouloir les partager. Et la plupart du temps, sauf s'il s'agissait de Jean, il dépliait le papier gras, étalait les miettes de frites et autorisait chacun à se servir, tour à tour, d'une miette. […] Le festin terminé, plaisir et frustration aussitôt oubliés, c'était la course vers l'extrémité ouest de la plage, sous le dur soleil, jusqu'à une maçonnerie à demi détruite qui avait dû servir de fondation à un cabanon disparu et derrière laquelle on pouvait se déshabiller. En quelques secondes, ils étaient nus, l'instant d'après dans l'eau, nageant vigoureusement et maladroitement, s'exclamant, bavant et recrachant, se défiant à des plongeons ou à qui resterait le plus longtemps sous l'eau. La mer était douce, tiède, le soleil léger maintenant sur les têtes mouillées, et la gloire de la lumière emplissait ces jeunes corps d'une joie qui les faisait crier sans arrêt. Ils régnaient sur la vie et sur la mer, et ce que le monde peut donner de plus fastueux(2), ils le recevaient et en usaient sans mesure, comme des seigneurs assurés de leurs richesses irremplaçables.
Ils en oubliaient même l'heure, courant de la plage à la mer, séchant sur le sable l'eau salée qui les faisait visqueux, puis lavant dans la mer le sable qui les habillait de gris. Ils couraient, et les martinets(3) avec des cris rapides commençaient de voler plus bas au-dessus des fabriques et de la plage. Le ciel, vidé de la touffeur(4). du jour, devenait plus pur puis verdissait, la lumière se détendait et, de l'autre côté du golfe, la courbe des maisons et de la ville, noyée jusque-là dans une sorte de brume, devenait plus distincte. Il faisait encore jour, mais des lampes s'allumaient déjà en prévision du rapide crépuscule d'Afrique. Pierre, généralement, était le premier à donner le signal : « Il est tard », et aussitôt, c'était la débandade, l'adieu rapide. Jacques avec Joseph et Jean couraient vers leurs maisons sans se soucier des autres. Ils galopaient hors de souffle. La mère de Joseph avait la main leste(5). Quant à la grand-mère de Jacques… »
Albert Camus, Le Premier Homme, 1994, © Éditions Gallimard.

Image
Sujet national, juin 2019 - illustration 1
La Voiture fondue 1944 © Atelier Robert Doisneau.
Travail sur le texte littéraire et l'image
Grammaire et compétences linguistiques
1. « L'usage était alors qu'il offrît une frite à chacun des camarades, qui savourait religieusement l'unique friandise chaude et parfumée d'huile forte qu'il leur laissait. »
a) Quel est le groupe complément d'objet de « savourait » ?
Rappels : le complément d'objet est direct ou indirect ; il se situe avant ou après le verbe ; il peut être un nom, un pronom, une subordonnée conjonctive, un groupe nominal, un infinitif.
b) Pour vérifier la délimitation de ce groupe complément d'objet, réécrivez la phrase en le remplaçant par un pronom.
Le complément d'objet peut être remplacé par un pronom personnel sans préposition (le, la, les, l', lui, leur, en y) ou avec préposition (d'elle, de lui, d'eux, etc.). Pour identifier le pronom personnel qui convient, repérez le nom noyau du complément d'objet (masculin, féminin, singulier, pluriel). Attention : le pronom personnel complément d'objet n'occupe pas nécessairement la même place que le groupe nominal. Un complément d'objet peut être court (déterminant + nom) ou long (déterminant + nom + expansion(s)). Conservez les éléments autres que le complément d'objet.
c) Relevez deux expansions du nom « friandise » de nature (ou classe) grammaticale différente. Précisez la nature (ou classe) grammaticale de chacune d'elles.
Un groupe nominal peut être enrichi par des expansions plus ou moins nombreuses et variées (adjectif qualificatif, participe passé ou présent, subordonnée relative, complément du nom). Relevez deux expansions de nature différente autour de « friandise » ; précisez ensuite leur nature.
2. « Le festin terminé, plaisir et frustration aussitôt oubliés, c'était la course vers l'extrémité ouest de la plage ».
Remplacez les deux groupes soulignés par deux propositions subordonnées conjonctives compléments circonstanciels de temps.
Établissez la chronologie des faits afin de choisir les conjonctions de subordination de temps qui conviennent. Certaines actions se déroulent avant d'autres. Lesquelles ? Quelles conjonctions de temps expriment cette chronologie ? Une marque temporelle d'un des groupes soulignés peut vous servir à trouver une conjonction.
3. 
« Si par hasard l'un d'entre eux avait la pièce nécessaire, il achetait un cornet, avançait gravement vers la plage, suivi du cortège respectueux des camarades et, […], plantant ses pieds dans le sable, il se laissait tomber sur les fesses, portant d'une main son cornet bien vertical et le couvrant de l'autre. »
Réécrivez ce passage en remplaçant « l'un d'entre eux » par « deux d'entre eux ». Faites toutes les modifications nécessaires.
Effectuez toutes les transformations nécessaires :
  • le passage du pronom sujet « l'un d'entre eux » à « deux d'entre eux » implique un changement de nombre et une modification de l'accord sujet-verbe ; gardez les mêmes temps mais modifiez les terminaisons verbales ;
  • le changement de nombre des pronoms personnels reprenant « l'un d'entre eux » implique aussi une modification de l'accord sujet-verbe ;
  • d'autres transformations sont nécessaires : l'accord des adjectifs et participes passés qualifiant « deux d'entre eux », le remplacement des déterminants possessifs. Attention : les participes présents, à la différence des participes passés sont invariables.
Compréhension et compétences d'interprétation
4. De « Tous les jours » à « d'une miette. »
a) La scène évoquée se répète plusieurs fois. Qu'est-ce qui l'indique précisément ? Deux éléments de réponse sont attendus.
Relisez attentivement les lignes concernées. Relevez les deux marques temporelles qui suggèrent une répétition de cette scène. Interrogez-vous : dans ces phrases, qu'est-ce qui indique le temps (adverbe, nom ou groupe nominal, groupe introduit par une préposition, subordonnée circonstancielle) ? Quel temps verbal exprime une habitude, une action répétée ?
b) Pourquoi ce moment est-il particulièrement important pour les enfants ? Vous justifierez votre réponse en vous appuyant sur le texte. Deux éléments de réponse sont attendus.
Relisez votre réponse à la question précédente. Cette scène est fréquente. Pour quelles raisons ? Observez la situation des enfants décrite dans les premières lignes du texte. Qu'en concluez-vous ? Proposez deux éléments pour expliquer votre réponse.
5. De « Le festin terminé » à « les habillait de gris. »
a) Comment l'écrivain montre-t-il que les enfants sont heureux au moment de la baignade ? Vous justifierez votre réponse en vous appuyant sur le texte. Deux éléments de réponse sont attendus.
Relisez ce passage. Repérez le champ lexical du bonheur, de la joie, du plaisir, des sensations agréables : noms, verbes, adjectifs, adverbes. Choisissez deux éléments et développez-les pour expliquer votre réponse.
b) Pourquoi peut-on dire qu'ils sont transformés par la baignade ? Vous justifierez votre réponse en vous appuyant sur le texte. Deux éléments de réponse sont attendus.
Rappel : transformer signifie faire passer d'une forme, d'une attitude, d'une sensation à une autre. Montrez pourquoi la baignade transforme les enfants : comment sont-ils avant le bain et après le bain ? Proposez deux explications de ce changement.
6. De « Ils couraient » à la fin : quels changements apparaissent à la fin du texte ? Développez trois éléments de réponse en vous appuyant sur des passages précis.
Relisez le dernier paragraphe. Plusieurs changements apparaissent après la baignade et les moments de bonheur. Les enfants sont-ils toujours aussi joyeux ? Le paysage est-il toujours aussi beau ? Les sensations sont-elles aussi agréables ? Développez trois explications de ces changements ; citez des passages précis du texte.
7. En vous aidant de vos réponses aux questions précédentes, donnez un titre significatif à chacun des trois moments de la journée évoqués dans le texte.
Relisez vos réponses aux questions 4, 5 et 6. La journée des enfants se divise en trois moments différents. Résumez-les en donnant un titre à chacun d'eux. Faites ressortir la dominante essentielle de chaque moment.
8. Quels liens pouvez-vous établir entre la photographie de Robert Doisneau et le texte d'Albert Camus ? Développez votre réponse en vous appuyant sur des éléments précis.
Observez attentivement la photo : titre, date, contexte historique, composition, décor, personnages, activités, atmosphère, etc. Relevez les points communs et les différences avec le texte de Camus. Par exemple, Camus et Doisneau mettent en scène des enfants : leurs activités, leurs sensations, leurs sentiments sont-ils les mêmes ? Pourquoi ? Observez les visages sur la photographie. Qu'en concluez-vous ? Développez votre réponse en vous appuyant sur votre ressenti, vos sensations face au texte et à l'image, votre expérience personnelle.
Dictée
Dès qu'ils étaient au complet, ils partaient, promenant la raquette le long des grilles rouillées des jardins devant les maisons, avec un grand bruit qui réveillait le quartier et faisait bondir les chats endormis sous les glycines poussiéreuses. Ils couraient, traversant la rue, essayant de s'attraper, couverts déjà d'une bonne sueur, mais toujours dans la même direction, vers le champ, non loin de leur école, à quatre ou cinq rues de là. Mais il y avait une station obligatoire, à ce qu'on appelait le jet d'eau, sur une place assez grande, une énorme fontaine ronde à deux étages, où l'eau ne coulait pas, mais dont le bassin, depuis longtemps bouché, était rempli jusqu'à ras bord, de loin en loin, par les énormes pluies du pays.
D'après Albert Camus, Le Premier Homme, 1994, © Éditions Gallimard.
Rédaction
Sujet d'imagination
Devenu adulte, un des enfants de la photographie de Robert Doisneau raconte, comme Albert Camus, les jeux de son enfance. Il évoque la scène représentée sur la photographie.Vous imaginerez son récit en montrant comment le jeu permet aux enfants, dans un moment de joie partagée, de transformer la réalité qui les entoure. Vous choisirez d'écrire votre récit à la première ou à la troisième personne.
Procéder par étapes
Étape 1. Observez bien la photographie pour en relever les éléments principaux (voiture, nombre des enfants, positionnement et tenue vestimentaire des enfants, leurs émotions, les rapports entre les enfants), le contexte historique (la Seconde Guerre mondiale), les lieux (quartier parisien).
Étape 2. Lisez attentivement le sujet pour bien le comprendre et repérer les mots-clés. Il faut donc respecter les points suivants :
« devenu adulte » invite à utiliser les temps du présent pour situer le récit que le narrateur va faire de son enfance et ce récit sera, lui, aux temps du passé (imparfait et passé simple de l'indicatif) ;
« comme Albert Camus » : il faut reprendre des éléments du texte d'étude (un texte en trois temps, la répétition du moment, l'expression du bonheur, le rapport au lieu qui transforme les enfants au contact de la réalité, le rapport avec les parents) ;
le jeu imaginé doit être en lien avec la photographie : un jeu qui se passe avec la voiture.
Étape 3. Respectez les consignes de contenu données :
  • le jeu apporte un moment de joie partagée (l'utilisation du lexique des émotions et des sentiments est attendue) ;
  • la réalité dans laquelle jouent les enfants se trouve transformée par le jeu.
Étape 4. Respectez la consigne d'écriture donnée : écrire le récit à la première ou à la troisième personne : selon votre choix, le point de vue sera différent.
Étape 5. Trouvez des idées : choisissez l'enfant de la photographie qui vous intéresse le plus ; trouvez le jeu en lien avec la voiture ; cherchez à caractériser le moment de joie ; réfléchissez à la transformation de la réalité en lien avec la voiture et le terrain bombardé.
Étape 6. Établissez l'organisation de votre récit : un premier paragraphe pour présenter la situation du récit avec l'enfant de la photographie devenu adulte et qui va raconter un moment de son passé ; un second pour la scène du jeu qui peut se terminer, comme chez Camus, avec le retour chez soi ; un troisième paragraphe est possible pour faire le lien avec la situation actuelle du premier paragraphe. Veillez à faire un retour à la ligne et un alinéa pour chaque paragraphe.
Étape 7. Soignez votre expression, la construction des phrases, l'orthographe, la ponctuation.
Étape 8. Veillez à relire attentivement votre copie pour corriger d'éventuelles erreurs.
Sujet de réflexion
La littérature, le cinéma et les autres arts permettent de découvrir la vie de personnages fictifs ou réels. Que peut vous apporter cette découverte ? Vous développerez votre point de vue en prenant appui sur des exemples précis, issus de votre culture personnelle et des œuvres étudiées lors de votre scolarité.
Procéder par étapes
Étape 1. Lisez attentivement le sujet.
Étape 2. Repérez les deux étapes du sujet : la phrase affirmative qui donne le contenu du sujet « La littérature, le cinéma et les autres arts permettent de découvrir la vie de personnages fictifs ou réels. » et la phrase interrogative qui oriente la réflexion, « Que peut vous apporter cette découverte ? »
Étape 3. Repérez les mots-clés, les expressions importantes « littérature », « cinéma », « autres arts », « personnages fictifs ou réels » et précisez leur sens ; « autres arts » : peinture, musique, sculpture, danse, etc. ; « personnages fictifs » : personnages inventés.
Étape 4. Cernez le sens de la question et l'orientation de la réflexion : la question attend une réponse sous forme de plan thématique qui permettra de donner son point de vue et de le justifier.
Étape 5. Cherchez vos idées sans vous censurer dans un premier temps ; vous classerez ensuite vos arguments et vos exemples. Posez-vous des questions : ma position de lecteur/spectateur ? Rôles de ces personnages réels ou fictifs pour moi ? Mes sensations et émotions ressenties à leur contact ? Thèmes traités (adolescence, vie, amour, maladie, etc.) ? Ressemblances et/ou différences entre ces personnages et moi ? Influence sur moi, ma vie ?
Étape 6. Organisez, classez vos idées : la découverte de personnages fictifs ou réels permet un enrichissement, une meilleure connaissance de soi (de sa personnalité, de sa réflexion, de ses émotions) et un enrichissement culturel (découverte de lieux, d'époques historiques, de mœurs).
Étape 7. Établissez le plan de votre argumentation.
  • L'introduction présente le thème, pose la question, annonce le plan suivi. Elle s'ouvre par un alinéa de deux carreaux. Sautez deux lignes entre l'introduction et la première partie.
  • Le développement comporte deux parties. Chacune se compose idéalement de trois paragraphes. Chaque paragraphe exprime votre point de vue soutenu par un argument développé et illustré d'un exemple précis. Pour chaque paragraphe, faites un alinéa de deux carreaux. Ne sautez pas de ligne au sein de la partie. Sautez deux lignes entre la première et la deuxième partie, entre la deuxième partie et la conclusion. Défendez votre point de vue en utilisant des modalisateurs de certitude (assurément, j'affirme, incontestablement…) ou de nuance (peut-être, sans doute, emploi du conditionnel…), des figures de style comme l'hyperbole, l'énumération, les fausses questions (ou questions rhétoriques) ou le vocabulaire positif, mélioratif pour affirmer votre point de vue.
  • La conclusion rappelle que vous avez répondu à la question posée en dressant un bilan rapide et en proposant une ouverture. Commencez-la par un alinéa de deux carreaux sans sauter de ligne à l'intérieur.
Étape 8. Rédigez votre introduction et votre conclusion au brouillon. Recopiez l'introduction. Rédigez la suite de votre travail directement sur la copie en prenant soin de respecter la méthode et les codes de présentation.
Étape 9. Soignez votre expression, la construction des phrases, l'orthographe, la ponctuation.
Étape 10. Veillez à relire attentivement votre copie pour corriger d'éventuelles erreurs.
(1)Le repu : celui qui n'a plus faim.
(2)Fastueux : très luxueux.
(3)Martinets : oiseaux au vol rapide, qui ressemblent aux hirondelles.
(4)Touffeur : chaleur étouffante.
(5)Avoir la main leste : donner facilement des gifles, des coups, en guise de réprimande.

Annexes

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