Énoncé
Texte
Maurice Genevoix raconte à la 1re personne son expérience de soldat de la Première Guerre mondiale.
« C'est très long, quand on ne voit même pas la fumée de sa pipe, quand l'homme qui est tout près n'est plus qu'une masse d'ombre indistincte, quand la tranchée pleine d'hommes s'enfonce dans la nuit, et se tait. Sous les planches les gouttes d'eau tombent, régulières. Elles tombent, à petits claquements vifs, dans la mare qu'elles ont creusée. Une… deux… trois… quatre… cinq… Je les compte jusqu'à mille. Est-ce qu'elles tombent toutes les secondes ?… Plus vite : deux gouttes d'eau par seconde, à peu près ; mille gouttes d'eau en dix minutes… On ne peut pas en compter davantage.
On peut, remuant à peine les lèvres, réciter des vers qu'on n'a pas oubliés. Victor Hugo ; et puis Baudelaire ; et puis Verlaine ; et puis Samain… C'est une étrange chose, sous deux planches dégouttelantes, au tapotement éternel de toutes ces gouttes qui tombent… Où ai-je lu ceci ? Un homme couché, le front sous des gouttes d'eau qui tombent, des gouttes régulières qui tombent à la même place du front, le taraudent(1) et l'ébranlent, et toujours tombent, une à une, jusqu'à la folie… Une… deux… trois… quatre… Il n'y a pourtant, sur les planches, qu'une mince couche de boue. Depuis des heures il ne pleut plus. D'où viennent toutes les gouttes qui tombent devant moi, et mêlées à la boue enveloppent ainsi mes jambes, montent vers mes genoux et me glacent jusqu'au ventre ?
Le bois était triste aussi,
Et du feuillage obscurci,
Goutte à goutte,
La tristesse de la nuit
Dans nos cœurs noyés d'ennui
Tombait toute…
Les gouttes tombent au rythme de ce qui fut la Chanson Violette, je ne sais quelle burlesque antienne(2) qui s'est mise à danser sous mon crâne… Une… deux… trois… quatre…
La planche était triste aussi
Et de son bois obscurci,
Goutte à goutte…
Je vais m'en aller. Il faut que je me lève, que je marche, que je parle à quelqu'un… »
On peut, remuant à peine les lèvres, réciter des vers qu'on n'a pas oubliés. Victor Hugo ; et puis Baudelaire ; et puis Verlaine ; et puis Samain… C'est une étrange chose, sous deux planches dégouttelantes, au tapotement éternel de toutes ces gouttes qui tombent… Où ai-je lu ceci ? Un homme couché, le front sous des gouttes d'eau qui tombent, des gouttes régulières qui tombent à la même place du front, le taraudent(1) et l'ébranlent, et toujours tombent, une à une, jusqu'à la folie… Une… deux… trois… quatre… Il n'y a pourtant, sur les planches, qu'une mince couche de boue. Depuis des heures il ne pleut plus. D'où viennent toutes les gouttes qui tombent devant moi, et mêlées à la boue enveloppent ainsi mes jambes, montent vers mes genoux et me glacent jusqu'au ventre ?
Le bois était triste aussi,
Et du feuillage obscurci,
Goutte à goutte,
La tristesse de la nuit
Dans nos cœurs noyés d'ennui
Tombait toute…
Les gouttes tombent au rythme de ce qui fut la Chanson Violette, je ne sais quelle burlesque antienne(2) qui s'est mise à danser sous mon crâne… Une… deux… trois… quatre…
La planche était triste aussi
Et de son bois obscurci,
Goutte à goutte…
Je vais m'en aller. Il faut que je me lève, que je marche, que je parle à quelqu'un… »
Maurice Genevoix, « La Boue », Ceux de 14, 1916.
Image
Source : une tranchée près de Verdun, © iStock/stockcam. |
Travail sur le texte littéraire et sur l'image
Toutes vos réponses devront être rédigées.
Compréhension et compétences d'interprétation
1. Présentez précisément la situation du narrateur.
Relisez l'introduction et le texte, le titre de l'œuvre. Relevez les informations concernant le temps, le lieu, les circonstances des événements vécus par le narrateur. Citez des passages précis.
2.
a) Qu'est-ce qui attire l'attention du narrateur ? Pour quelles raisons ?
b) Comment le texte crée-t-il un effet d'obsession ? Justifiez votre réponse en vous appuyant sur l'ensemble de la page.
a) Observez les sensations éprouvées par le narrateur. Quel sens (vue, ouïe, toucher, goût, odorat) est le plus sollicité ? Expliquez pourquoi en comparant les sensations évoquées.
b) Définition d'« obsession » : pensée, sentiment qui occupe totalement l'esprit et de façon continuelle. Interrogez-vous : quels moyens ou procédés sont employés pour créer cet effet d'obsession ? Quels mots ou expressions sont répétés ?
3. Quelles sont les actions tentées par le narrateur pour s'opposer à cette obsession ?
Interrogez-vous : comment le narrateur détourne-t-il son attention de cette sensation obsédante ? Sur quoi cherche-t-il à se concentrer ?
4. Comment ressentez-vous l'écoulement du temps dans ce texte ? Quels indices confirment cette impression ?
Relisez le texte en vous intéressant au temps et à son écoulement. Interrogez-vous : le temps s'écoule-t-il rapidement ou lentement ? Dans quelle situation se trouve le narrateur ? Comment perçoit-il le temps ? Les indices de temps sont-ils nombreux dans le texte ?
5. « Il faut que je me lève, que je marche, que je parle à quelqu'un ». Comment comprenez-vous cette dernière réaction du narrateur ?
Relevez les verbes de cette phrase. Interrogez-vous : en quoi les actions qu'ils expriment sont-elles différentes de celles évoquées précédemment dans le texte ? Relisez vos réponses aux questions 1, 2 et 3 de cette partie.
6. Comment pourrait-on adapter cette scène au cinéma ? Vous décrirez et expliquerez vos choix (mouvements de caméra, cadrages, lumière, son…) en tant que réalisateur ou réalisatrice du film.
Cette question est ouverte ; elle fait appel à votre connaissance du cinéma, de la lecture, de l'image fixe et mobile. Identifiez les éléments du décor, l'atmosphère, la situation du narrateur, les actions décrites. Imaginez comment vous filmeriez cette scène pour créer les effets que vous avez repérés en répondant aux questions précédentes : lumière, son, couleurs, plans, cadrage, etc. Pensez à des films ou à des séries que vous avez vus.
7. Que représente selon vous cette photographie ? Pourquoi pouvez-vous la rapprocher du texte de Maurice Genevoix ?
Analysez cette image en utilisant les outils que vous avez appris à maîtriser (titre, éléments du paysage, plans, cadrage, lumière, etc.). Quels éléments sont communs au texte et à l'image ?
8.
a) Selon vous, cette photographie restitue-t-elle l'enfer vécu par le narrateur du texte ? Expliquez pour quelles raisons.
b) Quelle valeur cette photographie prend-elle alors aux yeux de la jeunesse d'aujourd'hui ?
a) À quelle époque cette photographie a-t-elle été prise ? Relisez rapidement le texte. Mobilisez vos connaissances sur la guerre de 14-18 acquises en cours d'histoire. Quel document (texte, image) produit sur vous la plus forte impression ? Pourquoi ?
b) Appuyez-vous sur les connaissances acquises en cours d'histoire, sur les œuvres lues ou vues en classe (français, histoire), sur vos connaissances personnelles, pour répondre à cette question. Rappel : valeur : importance accordée objectivement ou subjectivement à une chose ; intérêt ; fonction.
Grammaire et compétences linguistiques
1. « Dégouttelantes » : comment ce mot est-il construit ? Quel sens lui donnez-vous ?
Décomposez le mot en identifiant le radical puis le préfixe (s'il en comporte un) et le suffixe (s'il en comporte un). Définissez le sens du mot en vous appuyant sur le sens du radical, du préfixe, du suffixe, et aussi sur le contexte.
2. Quel est le temps verbal dominant dans le texte ? Quel est l'intérêt de son emploi dans ce récit ?
Observez la terminaison des verbes dans le texte. S'agit-il de temps simples ou de temps composés ? Identifiez le temps le plus employé. Un temps peut avoir plusieurs valeurs, plusieurs effets. Interrogez-vous : dans ce récit, quelle est la valeur du temps dominant ? Quelle impression éprouvez-vous en tant que lecteur ?
3.
« D'où viennent toutes les gouttes qui tombent devant moi, et mêlées à la boue enveloppent ainsi mes jambes, […] mes genoux et me glacent jusqu'au ventre ? »
Réécrivez ce passage en commençant par « Il se demandait d'où venaient… » et en faisant toutes les transformations nécessaires :
Réécrivez ce passage en commençant par « Il se demandait d'où venaient… » et en faisant toutes les transformations nécessaires :
Vous devez effectuer deux modifications :
- la personne : passage de « moi », « mes », à « il » ;
- le temps : passage de « viennent », « tombent », etc. à « se demandait », « venaient »…
Dictée
On notera au tableau : « effleure ».« Mais il est six heures du soir. La nuit vous entre dans les yeux. On n'a plus que ses mains nues, que toute sa peau offerte à la boue. Elle vous effleure les doigts, légèrement et s'évade. Elle effleure les marches rocheuses, les marches solides qui portent bien les pas. Elle revient, plus hardie, et claque sur les paumes tendues. Elle baigne les marches […], les engloutit : brusquement, on la sent qui se roule autour des chevilles… Son étreinte d'abord n'est que lourdeur inerte. On lutte contre elle, et on lui échappe. C'est pénible, cela essouffle ; mais on lui arrache ses jambes, pas à pas… »
Maurice Genevoix, « La Boue », Ceux de 14, 1916.
Rédaction
Vous traiterez au choix l'un des deux sujets de rédaction suivants.
Sujet d'imagination
« Il faut que je me lève, que je marche, que je parle à quelqu'un… »
Vous imaginerez la suite du récit, en montrant comment l'intervention d'un autre personnage permet au narrateur de sortir de sa situation. Votre texte devra mêler narration, description et dialogue.
Votre texte fera au moins deux pages (soit une cinquantaine de lignes).
Vous imaginerez la suite du récit, en montrant comment l'intervention d'un autre personnage permet au narrateur de sortir de sa situation. Votre texte devra mêler narration, description et dialogue.
Votre texte fera au moins deux pages (soit une cinquantaine de lignes).
Procéder par étapes
Étape 1. Lisez attentivement le sujet. Repérez et soulignez les mots-clés : « la suite du récit », « l'intervention d'un autre personnage », « permet au narrateur de sortir de sa situation ».Étape 2. Repérez et encadrez la forme du texte à produire : « la suite du récit » (suite du texte). Il faut donc respecter :
- la situation du narrateur, la phrase de départ et ses perspectives narratives : « Il faut que je me lève, que je marche, que je parle à quelqu'un…
- le genre narratif : le récit, avec sa chronologie, ses péripéties, ses passages descriptifs et dialogués (le narrateur parle avec l'autre personnage), sans terminer le récit des aventures du narrateur ;
- la narration à la 1re personne du singulier ;
- le cadre spatio-temporel (la Première Guerre mondiale) et la situation des personnages (les tranchées, l'obscurité, le silence, la boue, l'eau qui goutte des planches, l'obsession, la menace de la folie) ;
- l'effet à produire : la libération, le soulagement : un nouveau personnage fait sortir le narrateur de cette obsession, de cette menace de folie ;
- les temps du récit (présent de l'indicatif comme principal temps) ;
- la longueur imposée : une cinquantaine de lignes.
Étape 4. Établissez le plan de votre rédaction :
- mise en place de la suite du récit (la marche, l'arrivée dans de nouveaux lieux) ;
- description rapide, survenue d'un nouveau personnage ;
- réactions et actions, attitudes et sentiments des personnages, dialogue ;
- dénouement.
Étape 6. Relisez-vous et corrigez d'éventuelles erreurs de ponctuation, d'orthographe.
Sujet de réflexion
Maurice Genevoix a cherché dans la poésie une source de réconfort. En vous appuyant sur votre connaissance des œuvres étudiées en classe, sur votre expérience personnelle ou sur vos émotions, vous expliquerez à votre tour, dans un développement organisé, ce que les œuvres d'art peuvent vous apporter. Vous pourrez emprunter vos exemples aux formes artistiques de votre choix (littérature, musique, chanson, cinéma, peinture…).
Votre texte fera au moins deux pages (soit une cinquantaine de lignes).
Votre texte fera au moins deux pages (soit une cinquantaine de lignes).
Procéder par étapes
Étape 1. Lisez attentivement le sujet. Repérez et soulignez les mots-clés : « la poésie une source de réconfort », « ce que les œuvres d'art peuvent vous apporter », « formes artistiques de votre choix (littérature, musique, chanson, cinéma, peinture, etc.). Le thème général est la fonction, la mission de l'art, de l'expression artistique pour le lecteur, le spectateur, l'auditeur.Étape 2. Repérez la forme du texte à produire : « vous expliquerez… dans un développement organisé ». Il faut donc respecter :
- le genre argumentatif : le développement organisé, avec sa progression, ses analyses et ses arguments, ses exemples (« En vous appuyant sur votre connaissance des œuvres étudiées en classe, sur votre expérience personnelle ou sur vos émotions », « vos exemples… de votre choix ») ;
- le temps de l'argumentation : le présent et les temps qui s'articulent avec lui ;
- la composition en parties et paragraphes ;
- le nombre de pages imposé : « deux pages (soit une cinquantaine de lignes) ».
Étape 4. Trouvez éventuellement d'autres idées et arguments pour défendre la thèse à soutenir : qu'est-ce que l'art peut apporter d'autre ? L'art peut-il être engagé dans notre société pour nous aider à la comprendre ? Pensez à votre expérience personnelle, aux œuvres que vous avez lues ou étudiées en classe, à la maison, aux chansons écoutées, aux films vus, etc.
Étape 5. Établissez le plan de votre argumentation :
- l'introduction présente le thème et la thèse : l'art est omniprésent dans notre vie, il m'apporte quelque chose. Passez une ligne avant le développement ;
- le développement expose votre point de vue, soutenu par au moins trois arguments et trois exemples. Un paragraphe développe un argument. Défendez votre thèse en utilisant des modalisateurs de certitude (assurément, j'affirme, incontestablement…) ou de nuance (peut-être, sans doute, emploi du conditionnel…), des figures de style comme l'hyperbole, l'énumération, les fausses questions (ou questions rhétoriques) ou le vocabulaire positif, mélioratif pour affirmer votre point de vue. Passez une ligne avant la conclusion ;
- la conclusion rappelle que vous avez répondu à la question posée en dressant un bilan rapide.
Étape 7. Relisez-vous et corrigez d'éventuelles erreurs (orthographe, ponctuation, vocabulaire, etc.).
Corrigé
Travail sur le texte littéraire et sur l'image
Compréhension et compétences d'interprétation
1. Le narrateur, qui est aussi l'auteur, Maurice Genevoix, raconte, dans « La Boue », Ceux de 14, ses souvenirs de soldat de la Première Guerre mondiale, dans les tranchées, sous la pluie et dans la boue : « Maurice Genevoix raconte à la première personne son expérience de soldat de la Première Guerre mondiale. »
2.
a) L'attention du narrateur est attirée par le bruit des gouttes d'eau qui tombent régulièrement, continuellement. Comme la tranchée est plongée dans l'obscurité et le silence, le narrateur ne voit rien, les autres soldats ne parlent pas, ne font pas de bruit : il n'entend donc que le bruit de la pluie sur les planches.
b) L'effet d'obsession est créé par le décompte continuel des gouttes d'eau : « Une… deux… trois… quatre… cinq… Je les compte jusqu'à mille » ; « des gouttes régulières qui tombent à la même place du front, le taraudent et l'ébranlent, et toujours tombent, une à une, jusqu'à la folie… Une… deux… trois… quatre… » La répétition de certains mots renforce l'effet d'obsession : par exemple, « goutte » (12 fois), « elles » (pronom personnel reprenant « gouttes »), « régulières » . Ce « tapotement éternel » crée une « antienne », une sorte de refrain qui revient régulièrement.
3. Le narrateur tente de détourner son attention de ce bruit obsédant, répété, en se souvenant de certains poèmes qu'il a lus, poèmes de Baudelaire, de Verlaine, de Samain, de Hugo ; il se récite leurs vers, des extraits de la « Chanson Violette », pour échapper à cette torture, pour ne pas sombrer dans la folie.
4. L'écoulement du temps est long et lent car le narrateur perd ses repères, plongé dans une obscurité profonde, puisqu'il ne voit même pas la fumée de sa pipe ni son voisin, réduit à « une masse d'ombre indistincte ». Le temps semble s'écouler au rythme des gouttes de pluie qui tombent régulièrement des planches. Le narrateur compte ces gouttes : « Une… deux… trois… quatre… cinq… Je les compte jusqu'à mille. Est-ce qu'elles tombent toutes les secondes ?… Plus vite : deux gouttes d'eau par seconde, à peu près ; mille gouttes d'eau en dix minutes… » Il est dans une sorte d'éternité, qui n'est pas totalement figée mais qui évolue très lentement : « au tapotement éternel ». Le seul indice de temps relativement précis concerne la pluie : « Depuis des heures il ne pleut plus ». L'emploi du pluriel « des heures » montre que le narrateur ne sait pas exactement quand la pluie a cessé. On a bien une impression de flou, de silence, de lenteur.
5. Cette dernière réaction du narrateur s'explique par le désir d'échapper à cette dangereuse obsession, à la folie qui le guette s'il continue à compter les gouttes d'eau, à la solitude, à l'isolement, au silence, à l'immobilité, voire à la mort. Il ressent un impérieux besoin de bouger son corps pour libérer son esprit, de parler à quelqu'un, de se sentir vivant.
6. Le décor est celui d'une tranchée de la Première Guerre mondiale, plongée dans l'obscurité et le silence. On cadre sur les masses indistinctes, sur les ombres que sont les soldats. Un zoom avant permet de passer de l'ensemble au narrateur, cadré en plan de plus en plus rapproché. Le bruit des gouttes qui tombent régulièrement monte en intensité pour rendre sensible l'obsession ; parallèlement à cette montée du bruit, le narrateur est filmé en gros plan pour montrer la montée de la folie grâce aux expressions du visage ; en voix off, le narrateur exprime ses sensations, ses sentiments ; on l'entend réciter les vers dont il se souvient. Ainsi le spectateur pénètre dans l'esprit du narrateur. Un changement de plan montre les planches d'où tombent les gouttes de pluie, des gouttes en gros plan, puis en contrechamp, le visage du narrateur. Les mouvements de caméra doivent être lents pour restituer cette atmosphère particulière et souligner la lenteur, l'immobilité. La scène peut même être filmée en noir et blanc afin de jouer sur les nuances de gris, qui traduisent mieux l'atmosphère sombre, les expressions du visage.
7. Cette photographie représente une partie d'une tranchée, creusée lors de la Première Guerre mondiale, près de Verdun, avec ses fortifications de défense (barbelés, murets), ses abris (casemates). Le texte de Genevoix est extrait de Ceux de 14, c'est-à-dire les Poilus, les soldats français engagés dans la guerre contre l'Allemagne. Le narrateur se trouve dans une tranchée, dans les premières lignes du front ; il décrit leurs conditions de vie horribles (l'eau, la boue, les combats meurtriers, la folie).
8.
a) À l'évidence, cette image ne peut pas rendre compte de l'horreur vécue par le narrateur et les autres soldats. La photographie a été prise des dizaines d'années plus tard ; elle présente les vestiges d'une tranchée, d'un abri, entourés de verdure et d'arbres. Ce paysage n'a rien de comparable au paysage apocalyptique des tranchées durant la guerre, au champ de bataille ravagé par les tirs d'artillerie, sans herbe ni arbres. On ne voit ni l'eau ni la boue dans lesquelles vivaient les soldats. Seul le texte de Maurice Genevoix donne une idée de l'enfer des combats en première ligne grâce aux impressions éprouvées par le narrateur, grâce à ses descriptions poignantes.
b) Une telle photographie prend valeur de témoignage sur la Première Guerre mondiale, guerre de position, guerre des tranchées ; elle nous renseigne sur la forme moderne qu'a prise ce conflit, avec l'emploi de l'artillerie, des mitrailleuses, des gaz toxiques, des barbelés. Elle doit nous rappeler que cette première forme moderne de la guerre technologique a causé la mort de millions d'hommes. Pourtant, les générations suivantes n'ont pas su tirer les leçons de l'histoire puisque la Seconde Guerre mondiale a éclaté en 1939. La jeunesse a donc un devoir de mémoire pour éviter que de telles catastrophes se reproduisent, d'autant qu'il ne reste pratiquement plus de témoin direct, de Poilu de cette époque.
Grammaire et compétences linguistiques
1. Le mot « dégouttelantes », du verbe dégoutteler (couler gouttelette à gouttelette), est formé sur le radical « goutte », avec le préfixe « dé- » et le suffixe « -elante » (suffixe « -eler »), de l'adjectif verbal formé sur le participe présent. Le verbe dégoutteler est un diminutif, comme « gouttelette » est un diminutif de « goutte », pour désigner une petite goutte. L'emploi de ce mot renforce l'idée d'obsession de cette eau qui coule sans cesse et tombe des planches.
2. Le présent de l'indicatif domine dans ce texte ; il permet de rendre réels, actuels les événements et les impressions du narrateur. Le récit est donc plus vivant mais surtout il souligne la sensation de lenteur de l'écoulement du temps, comme si le narrateur était plongé dans un « éternel présent », sans véritable référence au passé ou au futur : le passé composé est employé quatre fois, le passé simple une fois ; l'imparfait apparaît seulement dans les vers dont se souvient le narrateur. Ainsi le lecteur partage cette expérience avec le narrateur.
3. Il se demandait d'où venaient toutes les gouttes qui tombaient devant lui, et mêlées à la boue enveloppaient ainsi ses jambes, […] ses genoux et le glaçaient jusqu'au ventre.
Dictée
Ce texte est un autre extrait de « La Boue », Ceux de 14, de Maurice Genevoix. Le temps dominant est donc le présent de l'indicatif. Les verbes s'accordent avec leur sujet ; la terminaison du présent varie selon le groupe du verbe et la personne : « il est » ; « la nuit… entre » ; « On n'a plus » (ne pas oublier le « n' » de la négation ne… plus) ; « Elle effleure… et s'évade » ; « Elle effleure (…) les marches solides qui portent » (le verbe s'accorde avec le sujet, le pronom relatif « qui », et prend le genre et le nombre de son antécédent « les marches ») ; « Elle revient… et claque » ; « Elle baigne… (les) engloutit » (le verbe s'accorde avec le sujet « Elle », et non pas avec le pronom personnel COD « les », placé devant) ; « on (la) sent qui se roule » (« roule » s'accorde avec le sujet, le pronom relatif « qui », et prend le genre et le nombre de son antécédent, le pronom personnel « la ») ; « Son étreinte… n'est » ; « On lutte » ; « on… échappe » ; « C'est » ; « cela essouffle » ; « on… arrache ».
Les adjectifs et les participes passés s'accordent avec le nom ou le pronom qu'ils qualifient : « ses mains nues » ; « sa peau offerte » ; « les marches rocheuses » ; « les marches solides » ; « Elle… plus hardie » (le pronom et l'adjectif sont éloignés) ; « les paumes tendues » ; « lourdeur inerte ».
Attention aux homonymes souvent sources d'erreur : « mais » (conjonction de coordination) / mai (mois du calendrier) ; « (il) est », « (d'abord n') est » / « et » (« s'évade », « claque ») ; « ses » (« mains », « jambes ») / « c'est » (« pénible ») ; « (on n') a » (avoir) / « à » (« la boue ») ; « plus » (négation ne… plus) / plu (participe passé de pleuvoir) ; « paumes » (de la main) / pommes (fruit) ; « on » (« n'a plus », « la sent », « lutte », « échappe », « arrache ») / ont (verbe avoir).
Plusieurs mots comportent une consonne redoublée : offerte, chevilles, lutte, échappe, essouffle, arrache.
Plusieurs mots se terminent par une consonne que l'on n'entend pas ; en mettant le mot au féminin ou en cherchant un mot de la même famille, on peut identifier cette consonne : « six » (sixième, sexagénaire), « nuit » (nuitée), « doigt » (digital), « pas » (passer, passant), « d'abord » (aborder).
Rédaction
Sujet d'imagination
Il faut que je me lève, que je marche, que je parle à quelqu'un… Sinon, je sens… je sais que je vais devenir fou. Cette eau… cette boue… Ce silence est angoissant. Et encore, aujourd'hui on n'entend pas l'ennemi qui creuse des galeries sous nos lignes pour y placer des explosifs et pulvériser nos positions ! Je ne supporte plus de vivre dans cette boue, qui envahit tout, dans cette eau glacée qui nous pénètre jusqu'aux os… Il faut que je me lève, que je me secoue… Allez ! Un effort ! C'est le premier pas qui compte. Déplier mon corps ankylosé. Me voilà debout. Marcher. Marcher loin d'ici, loin de ces ténèbres mortifères qui engloutissent les spectres que nous sommes devenus.Chercher la vie. Le bruit, le mouvement. Il n'est pas facile d'arracher ses jambes à la boue qui veut nous avaler comme des sables mouvants. La progression est très pénible. Parfois, j'entends un vague grognement poussé par une ombre que je bouscule dans ma progression à l'aveugle. Je suis le boyau tortueux sans savoir où je vais. Je m'enfonce jusqu'aux mollets. Là-bas, une étincelle apparaît. Elle grossit. C'est une lampe qui brille dans la nuit infernale. Enfin la lumière ! Je presse le pas, impatient. Elle disparaît parfois, cachée sans doute par la couverture qui sert de porte à l'abri. Quelques pas encore… je soulève la couverture raidie par la boue séchée.
Une bouffée de chaleur, de vie m'assaille immédiatement. Mes yeux commencent à s'habituer et je perçois une silhouette penchée sur une petite table. La fumée épicée d'une pipe fait frémir mes narines. Le poêle rougeoyant dégage une chaleur agréable. L'homme, un jeune blondinet aux joues roses, lève la tête et me dévisage.
– Eh bien, camarade, qu'est-ce qui t'amène ? me lance-t-il d'une voix chantante. Moi, je fais une pause. Je me réchauffe, j'étais transi et trempé par cette pluie glaciale tombée il y a quelques heures. Je suis le nouveau vaguemestre et j'apporte le courrier à votre compagnie. Je fais le tour des tranchées depuis le début de la nuit. Je me suis réfugié ici après l'averse. Et toi ?
L'homme est jovial ; sa voix chante, sans doute à cause de son accent du Sud. C'est bon de l'entendre.
– Moi ? J'étais avec les autres, là-bas… en première ligne. Nous attendons l'aube et le signal de l'offensive. Nous vivons dans l'eau et la boue, dans la crasse, rongés par les puces et les poux, au milieu des rats depuis… j'ai oublié depuis quand nous sommes coincés dans cette tranchée, au pied de cette maudite colline. Je ne supporte plus toutes ces horreurs, cette boucherie inutile…
– Allez, camarade, assieds-toi, interrompt-il. J'ai trouvé un peu de mauvais café ; il est chaud et ça te fera du bien, tu as l'air d'un mort-vivant ! sans vouloir t'offenser. Té, bois. Raconte. Le courrier peut bien attendre un peu.
Quel plaisir de retrouver un peu d'humanité ! de pouvoir parler à quelqu'un qui vient d'ailleurs. Quelqu'un qui n'a pas sombré dans la folie des tranchées, dans l'angoisse de la mort, dans le bruit assourdissant des canons ou dans le silence terrifiant des nuits déchirées parfois par quelques fusées éclairantes. À quoi bon raconter ce cauchemar, les attaques, les contre-attaques, les bombes, le corps à corps baïonnette au canon ! Je préfère qu'il me parle de lui.
– Comment ça se passe dans les lignes arrière ? On n'a guère de nouvelles fraîches. Les officiers nous laissent dans la plus grande ignorance. D'où viens-tu ?
– Té, quand j'ai quitté mon petit village du Luberon, en Provence, il y a quatre mois, pour rejoindre mon régiment, c'était l'automne ; on finissait de récolter les fruits et on allait commencer à vendanger. La guerre, on en entendait parler comme quelque chose de lointain. La vie continuait, simple et tranquille. Pour le reste, on ne sait pas. Les informations précises sont rares et on ne peut guère se fier aux journaux. Les rumeurs vont bon train. Mais désolé, l'ami, l'heure tourne, je dois reprendre ma tournée pour distribuer les lettres que les camarades attendent impatiemment. On aura peut-être l'occasion de se croiser à nouveau. Adiou.
L'homme se lève, me tape amicalement sur l'épaule puis plonge dans la nuit qui l'avale. J'entends sa sacoche battre sur sa jambe. Il s'éloigne et le silence règne à nouveau dans l'abri.
Ai-je rêvé ? N'était-ce qu'une illusion, un mirage dû à la folie qui me guette ? Non. Sur la table, je vois les deux quarts dans lesquels nous avons bu le café. Cette apparition fugitive m'a fait beaucoup de bien. Une bouffée d'oxygène. Au moins, j'ai échappé quelque temps au bruit obsédant de gouttes de pluie qui taraudait mon esprit.
Je regagne mon poste, le cœur rempli de l'espoir de rencontrer à nouveau ce vaguemestre qui a mis tant de joie et de lumière dans ma nuit.
Sujet de réflexion
Pouvons-nous aujourd'hui échapper aux diverses formes d'art ? Bien évidemment, non. L'école dispense une formation à l'art. Les médias diffusent quotidiennement de la musique (classique, variété, rock, jazz, rap, etc.), des films, des documentaires sur la peinture, des émissions littéraires. L'Internet nous permet d'accéder à des bibliothèques, de faire la visite virtuelle de musées, de voir des tableaux de peintres… Nous pouvons assister à des concerts, voir des expositions… Mais il est légitime de s'interroger sur ce que peut nous apporter l'art dans ses différentes manifestations, sur ce que nous y cherchons.À Maurice Genevoix, la poésie apporte un réconfort évident pour échapper aux horreurs de la guerre, aux menaces de folie qui pèsent sur les Poilus de 14-18. C'est vrai, l'art est source de réconfort, de consolation car il montre que d'autres êtres vivent les mêmes épreuves ; il apporte parfois des réponses à nos interrogations, des solutions à nos problèmes. Il favorise aussi la distance, le recul par rapport à ce que nous vivons ; il offre des exemples de ce que nous sommes, de ce que nous pourrions être. Qui n'a pas ressenti une vive émotion en lisant des poèmes de Baudelaire, en parcourant des recueils de poésie lyrique, en écoutant certaines chansons, qui expriment tout ce qu'un être humain peut éprouver, qui rapportent des expériences parfois déchirantes, comme le racisme, la maladie, la perte d'un être cher.
L'art procure également distraction et évasion, dépaysement, en nous plongeant dans les aventures trépidantes de héros, comme dans les romans de Jules Verne, Deux ans de vacances ou Voyage au centre de la terre. D'autres œuvres encore suscitent le rire par leur dimension comique, humoristique : La Fée Carabine de Daniel Pennac, Le Petit Nicolas, de Sempé et Goscinny, les films de Charlie Chaplin ou de Buster Keaton, et plus récemment Les Visiteurs 2. Pendant un moment nous oublions les difficultés de la vie, nos tracas quotidiens ; cette bouffée d'oxygène nous fait réagir, nous procure l'élan nécessaire pour affronter les épreuves, pour « rebondir ». C'est une fonction des arts souvent décriée mais elle est importante, surtout en période de crise.
Cependant, l'art sert des objectifs plus sérieux, plus ambitieux ; en effet, la peinture, la littérature, par exemple, nous renseignent sur la vie quotidienne dans les siècles passés, nous aident à comprendre l'évolution de la société. Les romans de Zola sont essentiels pour connaître la condition ouvrière au xixe siècle (Germinal), l'essor du commerce moderne et l'apparition des grands magasins (Au Bonheur des dames). Certains romans, certains films complètent parfaitement nos connaissances sur l'histoire, en mettant en scène des personnages imaginaires, en inventant des situations très proches de la réalité. Les artistes engagés, quant à eux, dénoncent et critiquent les dérives, les fléaux de nos sociétés : guerres, racisme, xénophobie, condition de la femme, travail des enfants, misère, etc. Le célèbre tableau de Picasso, Guernica, est une dénonciation très forte de la guerre civile espagnole et du bombardement de la ville de Guernica par l'aviation allemande. Certains chanteurs de rap dénoncent la condition des jeunes, le chômage, dans les quartiers pauvres des banlieues. Nous le voyons bien, l'art a une fonction de témoignage, il permet le travail de mémoire, empêche l'oubli et nous guide pour construire un monde meilleur ; Le Journal d'Anne Frank, Si c'est un homme de Primo Levi ou Maus, bande dessinée d'Art Spiegelman sont des œuvres majeures qui témoignent des atrocités commises durant la Seconde Guerre mondiale. Le Dictateur de Charlie Chaplin dénonce la montée du nazisme mais sous une forme comique : l'humour, la dérision n'empêchent pas la prise de conscience, la réflexion.
Ce dernier exemple montre la complexité de l'art et la nécessité pour le lecteur, le spectateur ou l'auditeur de rester actif face aux œuvres afin d'en saisir la portée réelle. En conclusion, l'art est une expression riche, variée, dont les fonctions sont multiples ; il nous accompagne au long de notre existence, en remplissant les missions qui sont les siennes : apprendre, divertir, faire réfléchir, dénoncer, témoigner, etc. Mais selon moi, il est essentiel de ne pas se cantonner à une seule forme d'art, à une seule fonction. L'art nous enrichit, enrichit notre connaissance de l'homme et du monde, à condition de nous ouvrir à ses diverses formes.