Comment l'assurance et la protection sociale contribuent-elles à la gestion des risques dans les sociétés développées ?


Fiche

Tout être humain est exposé, au cours de son existence, à des risques qui peuvent mettre en danger sa sécurité, sa santé, voire sa vie, ou encore son emploi ou son niveau de vie ainsi que son intégration dans le corps social. La notion de risque renvoie à des évènements non certains, susceptibles de se produire selon des probabilités qu'il est possible, au sein d'un groupe humain, de calculer avec un niveau de confiance statistique significatif. Les risques économiques et sociaux qu'affronte un individu sont les évènements qui peuvent réduire ses ressources, soit parce qu'ils entraînent des niveaux de dépenses supplémentaires soit parce qu'ils engendrent des pertes de revenus. Dans les grands pays développés, avec des intensités diverses, les principaux risques sociaux comme la maladie, le handicap, la vieillesse et la dépendance, la famille, le chômage, la pauvreté et l'exclusion font l'objet d'une prise en charge collective par la protection sociale. À celle-ci s'ajoutent des doses variables de mécanismes de protection individuelle.
I. Les attitudes face aux risques : des niveaux objectifs et subjectifs variables
• Le rapport que les êtres humains entretiennent avec le risque est extrêmement variable d'un individu ou d'un groupe social à l'autre.
• Tout d'abord, il existe des variables objectives qui font que certains individus ou groupes sont effectivement soumis à des risques plus ou moins élevés : le sexe, l'âge, le niveau d'instruction, la profession exercée, le lieu ou la région d'habitation, l'état de santé déterminent des probabilités de risques qu'il est possible de mesurer statistiquement de manière assez rigoureuse. Ainsi en est-il, par exemple, de l'indicateur bien connu de l'espérance de vie (à la naissance, mais aussi à divers âges).
• La théorie économique postule, dans son analyse du risque, un acteur humain rationnel, qui fait ses choix en fonction d'une analyse coûts /avantages qui devrait l'amener à minimiser les risques. Cependant, des éléments exogènes comme le caractère personnel ou le besoin d'héroïsation peuvent amener certaines personnes à des conduites à risques délibérément assumées. La conduite à des vitesses excessives, la pratique du ski hors piste, le tabagisme, l'alcoolisme ou la consommation de drogues sont quelques exemples de conduites à risques. À l'inverse, certains individus développent une aversion au risque qui les maintient dans des conduites prudentes ou de prévention. Par ailleurs, la perception même du risque est sujette à des variations importantes au sein des groupes humains, en fonction de leur histoire. Enfin, cette perception du risque est évolutive dans le temps, comme en témoignent les attitudes récentes à l'égard du tabagisme ou de la pollution atmosphérique.
II. Le partage des risques, des effets paradoxaux
• Dans toutes les sociétés humaines, une des manières privilégiées de se protéger du risque consiste à le partager entre les membres du groupe. Ce partage du risque entre les éléments du corps social se traduit, pour les individus comme pour la collectivité, par des effets positifs, mais peut aussi conduire à des dérives négatives.
• Au niveau individuel, le partage des risques soulage l'individu en lui apportant un sentiment de plus grande sécurité, puisqu'il sait que la survenance éventuelle du risque (maladie, perte d'emploi, charges de famille, etc.) engendrera des conséquences limitées sur son propre destin. Aux effets psychiques de bien-être et de soulagement de l'angoisse viennent s'ajouter les effets de dynamisation et d'incitation à l'innovation que la levée des conséquences du risque génère. Concrètement, la mutualisation du risque, par exemple, permet d'éviter que chacun soit contraint de constituer une épargne de précaution et de prévoyance.
• Au niveau collectif, le partage des risques est un élément de consolidation du lien social, par le sentiment de solidarité et de confiance globale qu'il produit. Il a par ailleurs des effets objectifs mesurables : une population couverte contre le risque maladie est incitée à se soigner ou à développer des comportements de prévention, ce qui améliore le niveau général de santé et a des effets positifs sur la productivité du travail et l'efficacité économique.
• Cependant, la protection partagée contre le risque a aussi des effets négatifs. Le « contrat implicite » qui lie, par exemple, la Sécurité sociale et l'assuré entre dans le cadre de ce que les économistes appellent une « relation principal-agent », c'est-à-dire un contrat entre un acteur principal (la Sécurité sociale) et un agent (l'assuré), dans une relation caractérisée par une asymétrie d'information : le « principal » ne peut pas systématiquement contrôler les actes de « l'agent ». Celui-ci peut être tenté d'agir en dehors de l'esprit du contrat (la solidarité) pour lui substituer une conduite égoïste. Il peut, par exemple, faire preuve de négligence à l'égard des comportements de prévention (en matière d'hygiène alimentaire, de surveillance médicale, de prudence sur la route, etc.). Cette situation met en scène ce que les économistes appellent un « aléa moral ex ante », c'est-à-dire une prise de risque supérieure à ce qui adviendrait en l'absence de protection. De même, une fois le risque survenu, peut apparaître un « aléa moral ex post », par exemple sous la forme de dépenses de santé excessives, compte tenu de la certitude que ces dépenses seront remboursées. Ces situations portent préjudice à l'ensemble du corps social puisque la Sécurité sociale, par exemple, met alors en place des « sanctions » (ticket modérateur, c'est-à-dire la part des dépenses non remboursée) pour dissuader ce genre de comportement.
Exercice n°1
III. Les grands axes et les institutions de la gestion collective des risques
• La gestion collective des risques, dans les sociétés modernes, obéit à trois grands principes qui sont la prévention, la mutualisation et la diversification des risques.
• La prévention consiste à agir, au niveau collectif, pour éviter que tel ou tel risque advienne. Les acteurs de cette prévention sont divers, de l'État aux organismes de sécurité sociale en passant par les collectivités territoriales, sans oublier la prise en charge de la prévention par chaque individu. Le repérage et les alertes concernant les risques naturels ou industriels, les campagnes d'hygiène corporelle ou alimentaire, les vaccinations, l'incitation à l'activité sportive, la surveillance de la sécurité des filières de l'alimentation, les alertes canicule font partie des mesures qui illustrent ces politiques de prévention.
• La mutualisation des risques consiste, quant à elle, à répartir le risque sur l'ensemble du corps social, alors que les risques, nous l'avons vu, ne sont pas homogènes au sein d'une population. Cette mutualisation conduit à demander à chacun une contribution financière identique, alors que seuls certains « assurés », ceux qui subiront les conséquences des risques, seront indemnisés. Le calcul du « juste niveau » de cotisation, en termes de calcul économique rationnel, doit s'appuyer sur une évaluation de la probabilité de survenance du risque, et sur le coût moyen du « sinistre » qu'il engendre, ce qui permet d'évaluer la dépense totale prévisible, à répartir sur l'ensemble des assurés.
• La diversification des risques consiste à ne pas les faire tous prendre en charge par les mêmes organismes, mais à répartir cette charge sur des partenaires complémentaires. C'est cette logique de diversification qui conduit, par exemple, à l'éclatement de la prise en charge des risques sociaux entre des organismes relevant de la Sécurité sociale, des mutuelles d'assurances, des compagnies d'assurances privées et de certains organismes relevant directement de l'État. Cette diversification des acteurs de la gestion des risques permet aussi une diversification des modes de financement qui est une des garanties de la solidité financière de la prise en charge du risque.
• Dans l'architecture générale de la protection sociale, l'acteur central a longtemps été la famille qui, au-delà de la solidarité financière de ses membres, reste le lieu privilégié de la solidarité affective, et mobilise sa capacité de solidarité matérielle, sous forme monétaire mais aussi en nature en cas « d'accidents de la vie ». Après la Seconde Guerre mondiale, la naissance de la Sécurité sociale puis l'extension des garanties qu'elle propose ont conduit cet organisme à devenir la pièce maîtresse de la prise en charge des risques sociaux.
• Des régimes complémentaires (notamment en matière de retraite) viennent compléter le socle de protection de base de la « Sécu ». Les mutuelles de santé jouent désormais un rôle croissant dans la couverture des dépenses de maladie, en concurrence partielle avec les sociétés d'assurances privées. Les unes et les autres interviennent en complément des remboursements de base de la Sécurité sociale et prennent en charge tout ou partie du « ticket modérateur », cette part des dépenses que la Sécu laisse à la charge des assurés. Si les mutuelles sont des organismes à but non lucratif et sont donc tenues de reverser aux mutualistes, sous des formes diverses, leurs éventuels excédents, les sociétés d'assurances sont, quant à elles, des entreprises privées soumises aux lois du marché : elles ont pour objectif de dégager des profits destinés à être reversés à leurs actionnaires.
• Pour ce qui concerne la prise en charge du risque chômage, l'organisme de référence est l'Unedic, qui, en liaison avec Pôle Emploi, assure le versement des indemnités aux chômeurs.
Exercice n°2
• Enfin, l'État intervient directement dans la prise en charge de la protection sociale en prenant en charge l'aide sociale aux plus démunis : couverture maladie universelle (CMU), « minimum vieillesse » (allocation de solidarité aux personnes âgées, ASPA), RSA (revenu de solidarité active), etc.
IV. Les différentes logiques de la protection sociale et de la solidarité collective
• Tous les systèmes de protection sociale ne fonctionnent pas, dans les grands pays développés, selon les mêmes principes de base. Une première distinction amène à dissocier le principe de l'assurance et celui de l'assistance : l'assurance repose sur le versement d'une cotisation, généralement liée au fait d'occuper un emploi (cotisation du salarié mais aussi de l'employeur), et d'en tirer des « droits » dans différentes dimensions de la protection, maladie, chômage, accident du travail, maternité et famille, retraite, etc. On parle alors de prestations contributives, liées à une cotisation préalable. Mais le dispositif de protection peut aussi relever d'une autre logique, la logique d'assistance, par laquelle la collectivité assure à tous les citoyens, sans distinction de statut, une protection qui ne dépend pas d'une contribution préalable, le système étant alors financé par l'impôt.
• Une autre distinction consiste à différencier les effets de cette protection sociale entre redistribution horizontale et verticale. La redistribution horizontale consiste en une solidarité entre des ménages qui sont soumis à des risques différents (mais qui peuvent avoir des revenus équivalents). Ainsi, ceux qui ont un emploi financent les indemnités des chômeurs, les jeunes financent les pensions de retraite des plus âgés, les « bien-portants » les dépenses maladie des malades, les ménages sans enfants les allocations familiales, etc.
• La redistribution verticale, quant à elle, organise une solidarité visant à réduire les inégalités de revenus et de niveaux de vie entre les ménages aisés et les ménages pauvres, et elle est généralement financée par l'impôt.
• Dans la réalité du fonctionnement des systèmes de protection, les deux logiques sont généralement imbriquées, mais avec des « dosages » divers, selon les pays ou les périodes.
• Quand on observe les effets globaux de cette redistribution au niveau d'une population, par exemple dans le cas de la France, on constate qu'elle est un puissant instrument de redistribution sociale : ainsi, les deux déciles les plus pauvres en France, (les 20 % de la population ayant les plus faibles revenus) voient leur niveau de vie progresser de manière significative du fait de cette redistribution : leur revenu après redistribution est environ 1,7 fois plus élevé que leur revenu avant redistribution.
V. Les grands modèles de protection sociale
• L'ensemble de ces observations amène certains économistes, notamment le danois Gosta Esping Andersen, à distinguer, dans les pays développés, trois grands « modèles » de protection sociale :
  • l'État-providence « universaliste », marqué par la tradition britannique, dite « beveridgienne » (du nom du ministre Beveridge, qui l'a initiée dans les années 1940) : tous les citoyens bénéficient, sans condition de contribution préalable, d'un haut niveau de protection sociale.
  • L'État-providence « corporatiste », dit aussi « bismarckien », en raison de ses racines germaniques au xixe siècle, où la protection sociale est différenciée et contributive, liée à des cotisations sociales dans le cadre du contrat de travail.
  • L'État-providence « résiduel », qui est à peine un État-providence, tant la protection sociale y est minimaliste et se réduit souvent à une assistance de sécurité, en dessous de certains seuils de revenus. Dans ce dernier cas, la couverture des risques sociaux est généralement abandonnée aux assurances privées, pour ceux qui ont les moyens d'y accéder.
• Cette typologie est, évidemment, plus complexe dans la réalité des États contemporains, les trois logiques pouvant se trouver entrelacées. Ainsi, le modèle « scandinave » s'inspire de la logique universaliste, alors que les États-Unis ont plutôt une protection sociale de type résiduel. L'Allemagne et la France, de leur côté, empruntent, à des doses variables, leur logique de protection sociale au modèle bismarckien et au modèle beveridgien.
Exercice n°3Exercice n°4Exercice n°5
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