Voter : une affaire individuelle ou collective ?
Fiche
I. L'implication du citoyen dans la vie politique
• L'acte du vote est, dans une démocratie, le symbole de la participation du citoyen à la détermination de son destin politique, à la fois sur le plan individuel et dans sa dimension collective. Cet élément fondamental de la vie d'une démocratie fait cependant l'objet d'attitudes très divergentes qui, selon les individus, vont de la méconnaissance et de la négligence au militantisme et à l'activisme.
• La condition première, pour pouvoir voter, est d'être inscrit sur les listes électorales. En France, en 2018, le taux d'inscription est de 88 % de la population en âge de voter. Un nombre relativement important de citoyens n'est donc pas inscrit. Depuis le 1er janvier 2019, l'inscription est automatique pour les jeunes atteignant l'âge de la majorité (sous réserve que les démarches de recensement citoyen aient été effectuées autour de l'âge de 16 ans), mais l'absence d'inscription peut résulter également des déménagements des personnes qui négligent parfois de se réinscrire.
• Les taux de non-inscription sont plus élevés pour les hommes que pour les femmes, plus élevés pour les trentenaires et les non-diplômés. Par ailleurs, c'est en Île-de-France et dans le Sud-Est que l'on trouve les taux d'inscription les plus faibles.
Exercice n°1
Exercice n°1
• Un autre indicateur de l'implication du citoyen dans le processus électoral est, pour un scrutin donné, le taux de participation (et son corollaire, le taux d'abstention). Ces taux sont très variables d'un scrutin à un autre, en fonction notamment des enjeux de l'élection. Ils sont également influencés par les variables classiques de l'âge, du sexe et de la catégorie socioprofessionnelle. Deux exemples extrêmes permettent de fixer les ordres de grandeur dans ce domaine : pour l'élection présidentielle de 2017, le taux d'abstention au 1er tour a été de 22 %, alors qu'aux élections européennes de 2014, moins de 43 % des électeurs se sont déplacés pour aller voter. Globalement, sur les quatre dernières décennies, le taux d'abstention s'est fortement accru, en France comme dans la plupart des démocraties occidentales.
II. Participation et abstention, au carrefour de déterminants collectifs et individuels
• Les analyses du phénomène de l'abstention mettent aujourd'hui en avant deux grands modèles d'explication de ce comportement de retrait de l'électeur par rapport aux enjeux des scrutins auxquels il est convié. On peut en effet y voir, dans une première approche, les effets d'un défaut de politisation d'une partie des citoyens, ce que le politologue Daniel Gaxie a appelé un « cens caché ». Accéder à l'acte de voter exigerait d'abord une sorte de capital culturel et politique, une « compétence politique » que certains individus n'ont pas le sentiment de posséder. Ce déficit de politisation engendrerait un faible niveau d'intérêt pour les enjeux politiques et déterminerait une attitude de retrait à l'égard de la participation. Cette situation cache en réalité, d'après ses analyses, le degré d'intégration sociale et la densité des relations interindividuelles en jeu.
Exercice n°2
Exercice n°2
• Une autre approche consiste à distinguer, au sein des abstentionnistes, ceux qui sont « hors jeu » de ceux qui sont « dans le jeu ». Les abstentionnistes hors jeu correspondraient, en fait, à l'analyse de Daniel Gaxie, c'est-à-dire aux individus qui sont, par leurs caractéristiques sociales et culturelles, à l'écart du champ politique : faible niveau d'intérêt pour les questions politiques, faible intégration sociale et faible capital culturel. Les abstentionnistes « dans le jeu », quant à eux, ont des caractéristiques très différentes : hauts niveaux de diplôme, forte intégration sociale, forte implication dans la vie collective et intérêt pour les enjeux politiques. Leur non-participation au vote est donc un acte de mécontentement voire de protestation face à une offre politique jugée non satisfaisante. À l'extrême de ces comportements, une petite minorité, dont les anarchistes, exprimerait par l'abstention son rejet de la démocratie représentative.
Exercice n°3
Exercice n°3
• Il faut cependant souligner que ces « profils » doivent être maniés avec prudence : d'une élection à l'autre, en fonction des enjeux électoraux de circonstance, les frontières sont poreuses et tel abstentionniste régulier peut changer d'attitude en allant voter, alors que d'autres citoyens généralement fidèles au passage dans l'isoloir peuvent ne pas estimer nécessaire d'accomplir leur « devoir électoral ». Ainsi s'expliquerait l'extrême variabilité des taux d'abstention en fonction des scrutins. L'élection présidentielle et les élections municipales, par exemple, sont assez fortement mobilisatrices. Le référendum de 1969 sur la régionalisation et le Sénat (scrutin qui a entraîné le départ du général de Gaulle) a connu un faible taux d'abstention (19,8 %) alors que, pour celui de 1988 sur le statut de la Nouvelle-Calédonie, l'abstention est montée à plus de 63 %.
Exercice n°4
Exercice n°4
III. Les déterminants du vote
• En sciences politiques, on analyse la façon dont sont déterminés les choix des citoyens lorsqu'ils votent pour un candidat, pour un programme ou pour un parti. Le vote est, en effet, à la fois, la manifestation d'un choix individuel, mais aussi la traduction d'un positionnement dans le débat collectif, en même temps qu'il revêt, à travers le rituel électoral du passage dans l'isoloir et du dépôt du bulletin dans l'urne, une dimension symbolique qui réaffirme l'appartenance à une communauté politique. Sur cette question des déterminants du vote, deux grands axes d'analyse se dégagent, le poids des « variables lourdes » et la théorie de « l'électeur-stratège ».
• Les variables lourdes généralement retenues sont l'âge, l'origine sociale, le sexe, le niveau d'instruction et de diplômes, la région d'habitation, la catégorie socioprofessionnelle et l'appartenance religieuse. Leur influence se lit à travers un certain nombre de régularités statistiques, plus ou moins pertinentes selon les époques. Ainsi, on a longtemps observé des spécificités du vote dans le monde rural par rapport aux villes, des femmes par rapport aux hommes, des ouvriers par rapport aux cadres et aux classes moyennes, des indépendants par rapport aux salariés, des « propriétaires » par rapport aux locataires, des salariés du secteur public par rapport à ceux du secteur privé, etc.
• Si ces corrélations n'ont pas totalement disparu, et si certaines d'entre elles persistent (le vote à droite des catholiques pratiquants réguliers, par exemple), leur intensité s'est, depuis quelques décennies, singulièrement affaiblie au point que certaines analyses « historiques » sont aujourd'hui invalidées. La Bretagne, par exemple, a longtemps voté massivement à droite, avant de basculer nettement à gauche au cours de la décennie 1980. Le vote ouvrier, traditionnellement acquis à la gauche, et en particulier au parti communiste, se porte aujourd'hui très largement vers l'extrême droite. Les déterminants sociaux et culturels traditionnels semblent donc laisser la place à une volatilité des électeurs et des votes qui ouvre la porte à d'autres types d'explications.
• La vision d'un « électeur-stratège » a, depuis quelques années, supplanté celle d'un acteur déterminé dans ses choix par les éléments de sa socialisation politique. Le citoyen est alors analysé, sur le modèle transposé de l'Homo economicus, comme un calculateur rationnel, cherchant à maximiser ses intérêts à l'occasion du vote. Ce positionnement l'amène à analyser, à chaque scrutin, l'offre politique en fonction des avantages qu'il peut en tirer à titre personnel. Cela peut conduire une part non négligeable des électeurs à ajuster leur stratégie de vote en fonction des enjeux spécifiques du scrutin qu'on leur propose et de l'offre politique, elle aussi changeante. Ainsi, le vote intermittent (entrecoupé d'épisodes d'abstention), le vote protestataire ou le vote « utile » peuvent-ils se succéder, dans une apparente incohérence idéologique, à travers une volatilité qui témoigne d'une indépendance croissante des choix électoraux à l'égard des influences et des pesanteurs collectives. Ces stratégies de « calcul coûts/avantages » sont essentiellement le fait d'électeurs appartenant aux classes moyennes salariées, dotés d'un haut niveau de diplômes et s'estimant politiquement compétents et impliqués dans le débat public. Cet électeur-stratège détermine son attitude en fonction du principe du « vote sur enjeu », à l'opposé du vote « automatique ». Les élections présidentielles, en France, sont un des terrains privilégiés d'observation de ce type de stratégie. Se déroulant sur deux tours, mais ne laissant en lice, au deuxième tour, que les deux candidats arrivés en tête, elles sont particulièrement propices à l'élaboration de stratégies complexes de présélection et d'élimination. Celles-ci ont lieu dès avant le premier tour, lors d'éventuelles primaires dans chaque camp, et se prolongent au 1er tour lorsqu'il s'agit d'évaluer les chances des différents candidats d'être présents au second tour et de l'emporter.
• Enfin, il faut souligner l'importance prise par la question du vote blanc, dans le débat politique depuis quelques années. S'il est encore aujourd'hui techniquement et politiquement « ignoré », la revendication de sa reconnaissance est croissante, assise sur l'argument qu'il s'agit d'un acte politique assumé.
Exercice n°5
Exercice n°5
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