La notion d'opinion publique est inséparable du processus historique qui a vu, à partir du xviiie siècle, émerger les fondements de nos régimes démocratiques. Marquée par les évolutions de « l'espace public », cette notion est aujourd'hui largement liée aux enquêtes et sondages d'opinion qui émaillent le quotidien de la vie politique. Si elle fait l'objet de controverses théoriques, la notion d'opinion publique est désormais un élément majeur de l'exercice du pouvoir et de la participation citoyenne dans toutes les démocraties.
I. Quelques repères historiques : opinion publique et espace public
• Avec le courant des Lumières, au xviiie siècle, la notion d'opinion publique désigne, dans un sens très restreint, les opinions d'une bourgeoisie « éclairée », d'une élite sociale et intellectuelle détentrice d'un haut niveau d'instruction, et confiante dans la capacité de la raison humaine à construire, face aux opinions frustres et réputées impulsives du peuple, un débat « digne d'être publié ». La notion d'opinion publique est donc, dès l'origine, indissociable de celle « d'espace public », ce « lieu, accessible à tous les citoyens, où un public s'assemble pour formuler une opinion publique », selon la définition qu'en donne le sociologue Dominique Wolton.
• La Révolution française et le développement de la presse écrite, puis, au xixe siècle, l'adoption du suffrage universel, l'émergence de la classe ouvrière et la publicité que le mouvement social va donner aux idéologies qui l'accompagnent vont élargir cet espace public. Il devient peu à peu accessible à des couches sociales plus larges et plus diversifiées. La perception du concept d'opinion publique se transforme alors, en devenant l'expression légitime de l'ensemble des citoyens. La presse à grand tirage, en particulier, revendique ce rôle de reflet de l'opinion collective, en assimilant la lecture du journal à une adhésion aux avis et opinions qui y sont publiés. La publication dans L'Aurore de la lettre « J'accuse » d'Émile Zola, sur l'affaire Dreyfus, en 1898, s'inscrit incontestablement dans cette transformation de l'espace public en tribune de dénonciation visant à interpeller le pouvoir politique et à peser dans le débat public.
Exercice n°1Exercice n°2
Exercice n°1Exercice n°2
II. Opinion publique et sondages : une assimilation discutable
• Aujourd'hui, la notion d'opinion publique est assimilée à l'image reflet qu'en donnent les enquêtes et sondages d'opinion. Ceux-ci ont envahi l'espace médiatique dans des proportions sans cesse croissantes. Ainsi, la dernière élection présidentielle en France a donné lieu à 560 sondages, au cours de l'année 2017. Le principe du sondage d'opinion est de donner une « photographie » instantanée de l'état des opinions de la population dans son ensemble, sur tel ou tel aspect des enjeux collectifs ou du processus électoral (avis sur une mesure votée ou sur un projet de réforme, position sur une question polémique, intention de vote à un scrutin).
• Les techniques de sondage peuvent globalement se résumer à deux grandes méthodes pour s'assurer que l'échantillon de population qui sera « sondé » est bien représentatif de l'ensemble de la population.
• Cet échantillon peut être construit selon la méthode des quotas : à partir de quelques critères considérés comme pertinents (sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle, zone d'habitation, préférence confessionnelle, etc.), on construit l'échantillon à l'image de la représentation de ces critères dans la population totale, de manière à obtenir une « population en miniature ».
• L'autre méthode, dite méthode aléatoire, consiste à faire confiance au hasard, selon les lois de la probabilité, en tirant au sort dans la population totale suffisamment d'individus pour que l'échantillon reproduise les caractéristiques principales de l'ensemble. Cette dernière méthode, plus fiable scientifiquement que la première, a le désavantage d'être plus coûteuse, la taille de l'échantillon devant être plus importante.
Exercice n°3
Exercice n°3
III. L'opinion publique existe-t-elle ?
• De nombreux sociologues et spécialistes de sciences politiques ont contesté le concept même d'opinion publique et, plus précisément, son assimilation, désormais omniprésente, aux résultats des sondages d'opinion. Est-il légitime de chercher à connaître la conscience collective en additionnant les consciences individuelles ? L'une des critiques les plus virulentes de cette notion controversée est celle du sociologue français Pierre Bourdieu, dans un article intitulé « L'opinion publique n'existe pas » (1972). Les principaux arguments développés par P. Bourdieu sont les suivants :
- Le concept installe l'idée qu'il existerait une opinion publique homogène. Or, les motivations qui sous-tendent la réponse à une question dans un sondage peuvent être très diverses, voire contradictoires.
- Le seul fait de poser une question sur un sujet institue le sujet comme « problème » sur lequel le sondé est, en quelque sorte, « sommé » de se positionner, alors qu'il n'avait peut-être pas d'opinion « constituée ».
- Toutes les opinions n'ont pas la même force, le même degré d'intensité, car les « compétences politiques » des sondés ne sont pas équivalentes. Les additionner revient à agglomérer des éléments hétérogènes.
• Pierre Bourdieu conclut que le concept même d'opinion publique est un artefact, une construction qui fige des éléments mouvants et disparates pour en faire une prise de position homogène qui n'a aucune réalité, alors que, selon lui, une opinion se forge, de manière dynamique, dans la confrontation avec celle d'autrui.
Exercice n°4
Exercice n°4
IV. Le poids des sondages sur les pratiques politiques
• Qu'on en soit un adepte ou qu'on les critique, il n'en reste pas moins vrai qu'aujourd'hui, cette traduction chiffrée de l'opinion publique est devenue omniprésente dans le champ politique. Les autres vecteurs traditionnels de l'opinion publique, éditoriaux de presse, interviews de citoyens, interventions de leaders d'opinion, cahiers de doléances et de revendications, sont en quelque sorte relégués à l'arrière-plan de l'espace public ou asservis à la logique et au calendrier de publication des sondages, ainsi qu'à la forme du questionnement qui les constitue.
• Les « fabricants de sondages » ont, dans une attitude d'autodéfense, longtemps soutenu que les sondages ne modifiaient pas les attitudes et les votes des électeurs. Aujourd'hui, les avis sont plus circonspects. Dans certaines élections, notamment l'élection à deux tours du président de la République, en France, les sondages semblent jouer un rôle « d'avant-premier tour », l'électeur évaluant les chances de son candidat préféré et de celui qu'il rejette le plus d'être sélectionnés au deuxième tour. En fonction de ce que prédisent les sondages, il peut être tenté de détourner son vote vers le « vainqueur annoncé » pour consolider sa victoire, en délaissant ceux que les sondages désignent déjà comme des « outsiders », dans une attitude de « vote utile ». Par ailleurs, on peut aussi avancer que le degré de participation électorale (et donc le niveau de l'abstention) subit l'influence des prévisions de vote : un scrutin dont le résultat semble acquis, avec une marge importante entre les candidats, peut détourner des urnes une partie des électeurs estimant que « les jeux sont faits ». À l'inverse, un scrutin que les sondages annoncent serré peut avoir des effets de mobilisation.
• L'omniprésence des sondages, sur tous les sujets, a aussi des effets sur le comportement politique des « professionnels de la politique ». Pour ceux qui sont au pouvoir, les sondages peuvent jouer le rôle de test virtuel des mesures qui sont envisagées. Connaître l'état de l'opinion, le « baromètre » de la notoriété et de l'approbation ou du rejet devient un élément majeur du marketing politique.
• Ce miroir que les sondages tendent en permanence au personnel politique peut devenir un instrument de contrainte pour la décision politique, dans une « démocratie d'opinion » qui asservit la gouvernance des affaires publiques aux soubresauts de l'opinion publique.
• Cette dérive s'accompagne, dans la plupart des démocraties contemporaines, d'un accroissement sans précédent du rôle et de l'influence, dans les états-majors politiques, des spécialistes du marketing politique, conseillers en images et en communication, au détriment des conseillers strictement « politiques », chargés de réfléchir et de proposer des réponses aux enjeux de fond auxquels les représentants du peuple sont confrontés.
Exercice n°5
Exercice n°5
Exercice n°1
La notion d'opinion publique, au cours du temps :
Cochez la bonne réponse.
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Exercice n°2
La notion d'espace public :
Cochez la bonne réponse.
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La notion d'espace public a notamment été étudiée par le philosophe allemand Jürgen Habermas. Il la définit comme l'ensemble des « lieux » où circulent librement les idées et les opinions, de manière écrite ou orale, la caractéristique première de cet espace étant la « publicité », c'est-à-dire le fait que ces opinions sont énoncées pour être accessibles à tous, ce qui permet leur confrontation. Une tribune dans un journal, un pamphlet, une manifestation, une réunion électorale, un livre ou une affiche, un sondage publié ou une émission de radio sont donc des composantes de cet espace.
Exercice n°3
Pour construire un échantillon de population destiné à un sondage, quels sont les avantages de la méthode des quotas ?
Cochez la (ou les) bonne(s) réponse(s).
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Exercice n°4
Parmi ces quatre propositions, deux sont vraies. Lesquelles ? Les critiques de Pierre Bourdieu sur les sondages comme reflet de l'opinion publique :
Cochez la (ou les) bonne(s) réponse(s).
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Exercice n°5
Ce que les politistes appellent le « vote utile » est :
Cochez la bonne réponse.
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