Comment les marchés imparfaitement concurrentiels fonctionnent-ils ?
Fiche
I. Des marchés de concurrence imparfaite
• La réalité des marchés est assez éloignée du modèle théorique de la concurrence pure et parfaite. Dans le réel, la concurrence est imparfaite, les marchés étant le plus souvent constitués d'oligopoles (parfois à deux offreurs dans le cas du duopole) ou de monopoles.
• La situation de monopole est relativement exceptionnelle. Elle peut s'expliquer par diverses circonstances :
- Le monopole légal est le résultat d'une décision de l'État, accordant l'exclusivité d'une production à une entreprise, souvent pour des raisons d'intérêt national.
- Le monopole naturel existe quand les coûts fixes d'une entreprise (réseau ferroviaire ou centrales nucléaires, par exemple) sont tels que leur duplication par une autre entreprise serait économiquement irrationnelle, voire impossible.
- Le monopole technologique résulte, pour une entreprise, d'une avance technologique telle qu'elle n'a pas de concurrent, surtout lorsque cette avance est protégée par un brevet.
• Sur les marchés oligopolistiques et monopolistiques, les offreurs disposent d'un pouvoir de marché supérieur à celui dont ils disposeraient en concurrence pure et parfaite : cela leur permet, en particulier, d'agir sur les prix (on dit qu'ils sont price makers, « faiseurs de prix »).
• Pourtant, même dans ces situations, oligopoles comme monopoles n'ont pas les mains libres : ils peuvent craindre l'entrée sur le marché de nouveaux offreurs concurrents.Exercice n°1
II. Les stratégies d'entreprises en situation de concurrence imparfaite
• La limitation de la concurrence permet aux membres d'un oligopole de préserver voire d'accroître le pouvoir de marché. Quatre grandes options stratégiques permettent d'atteindre ce résultat : la concentration, la mise en place de barrières à l'entrée, la différenciation des produits et les ententes.
• La concentration, par fusion ou acquisition totale ou partielle, en réduisant le nombre d'offreurs, permet des économies d'échelle, un accroissement des parts de marché et, donc, une plus grande capacité à influencer le marché.
• Les barrières à l'entrée, par des moyens juridiques (comme l'obligation d'une compétence légalement reconnue) ou par la détention d'un brevet exclusif, interdisent ou freinent l'arrivée de concurrents qui rendrait le marché plus atomistique et réduirait le pouvoir de marché.
• La différenciation des produits, sur le plan technique ou aux yeux du consommateur, peut aboutir à placer l'entreprise en situation de quasi-monopole : il suffit que son produit apparaisse au consommateur comme non substituable par un produit concurrent. La notoriété, le label, l'image de marque sont les instruments de cette stratégie qui met en cause l'hypothèse d'homogénéité du produit. Le marché devient alors un marché dit de concurrence monopolistique.
• Enfin, la constitution d'ententes entre les membres d'un oligopole, si elle est interdite par la loi, peut constituer une tentation forte de réduire le niveau de la concurrence et d'augmenter le pouvoir de marché des offreurs.Exercice n°2
III. Le cas particulier des ententes oligopolistiques
• L'oligopole, constitué d'un nombre limité d'offreurs face à un grand nombre de demandeurs, se situe à mi-chemin entre les deux configurations extrêmes que constituent le marché atomistique et le monopole. Les entreprises membres d'un oligopole sont en concurrence les unes avec les autres, et leur intérêt égoïste est d'accroître, aux dépens des concurrents, leurs parts de marché et leur profit. Une des solutions qui s'offre à elles est de se lancer dans une stratégie de « guerre des prix » (à la baisse), pour attirer vers elles la demande des concurrents. Une autre solution peut consister à accroître les dépenses de recherche, de publicité ou de réseau commercial, pour gagner des parts de marché. Mais chaque entreprise peut faire l'hypothèse que les autres suivront la même stratégie : dans ce cas, la répartition du marché sera inchangée, chaque entreprise voyant ses profits baisser.
• Elles se trouvent devant ce que les économistes appellent le dilemme du prisonnier, imaginé par le mathématicien A. Tucker. Deux prisonniers complices d'un crime sont face à trois situations :
- Chacun peut accuser son complice du crime, en espérant que l'autre ne le fera pas : il est libéré, l'autre est lourdement condamné.
- Chacun des deux accuse l'autre : les deux dénonciations s'annulant, ils sont tous les deux condamnés, mais à une peine plus légère, la culpabilité étant partagée.
- Les deux s'entendent pour ne pas dénoncer l'autre et coopèrent : en l'absence de preuves, ils sont soit libérés, soit condamnés à des peines légères.
• En fonction de cette logique, les membres d'un oligopole peuvent avoir intérêt à éviter la recherche d'un avantage égoïste qui serait dommageable à tous. Dans ce cas, une entente, explicite ou tacite, est une solution moins « coûteuse » qu'une guerre des prix ou de différenciation. La constitution d'un cartel s'accordant sur les prix, sur les stratégies commerciales ou sur la répartition géographique des marchés permet de maximiser l'avantage collectif, évidemment au détriment des consommateurs.
IV. Le pouvoir de marché du monopole et le prélèvement sur le surplus
• L'offreur en situation de monopole ou de quasi-monopole bénéficie d'un pouvoir de marché considérable : il est pratiquement libre de la fixation de son prix (price maker) et des quantités qu'il souhaite produire. De ce fait, le prix de monopole est plus élevé que celui qui résulterait d'une situation de concurrence pure et parfaite, où chacun des offreurs, en raison de l'atomicité du marché, est « preneur de prix » et ne peut agir sur les quantités produites.
• En situation de concurrence, le gain à l'échange se répartit entre le surplus du consommateur et le surplus du producteur selon une proportion qui résulte du libre jeu du marché. En situation de monopole, en raison du pouvoir sur le prix dont dispose l'offreur, une partie du surplus du consommateur est « détournée » au profit du producteur, au détriment du consommateur.
Situation de concurrence
Situation de monopole
• Le consommateur est donc, en quelque sorte, spolié par le prix de monopole par rapport au prix de concurrence. La récupération, par le monopole, du surplus perdu par le consommateur n'est cependant que partielle : la théorie économique montre qu'il y a donc, pour la collectivité, une « perte sèche » en termes de surplus total. Cette perte est représentée par le triangle du deuxième graphique. Ainsi, la situation de monopole n'est pas une situation optimale pour la collectivité.
Exercice n°4
Exercice n°4
V. La politique de la concurrence : objectifs et moyens d'action
• Le pouvoir de marché acquis par le monopole ou par les membres d'un oligopole ayant conclu des ententes porte préjudice, d'une part aux consommateurs, d'autre part aux producteurs écartés de l'entente ou aux fournisseurs des entreprises cartellisées. Pour ces raisons, des instances administratives officielles sont chargées de mettre en œuvre une politique de la concurrence qui protège le fonctionnement concurrentiel du marché et les intérêts de l'ensemble des participants.
• Au sein de la Commission européenne, un commissaire à la concurrence veille à maintenir une certaine atomicité du marché européen et la transparence de l'information. Un des objectifs de cette politique est de limiter la concentration. On considère, en effet, qu'au-delà de certaines limites (mesurables par les parts de marché), le pouvoir de marché d'une entreprise devient excessif et peut conduire à un abus de position dominante. Cela peut mener la Commission à interdire certaines opérations de fusion ou d'acquisition, à l'image du projet de fusion Alstom-Siemens dans le matériel ferroviaire.
• Pour évaluer le risque d'abus de position dominante, on utilise la notion de marché pertinent : celui-ci se définit comme le marché sur lequel le consommateur peut trouver un ou des produits substituables dans des limites géographiques accessibles. S'il ne peut pas en trouver, on estime que la concentration créerait un abus de position dominante, puisque le consommateur serait contraint de se fournir auprès d'un seul offreur.
• Cet aspect de la politique de la concurrence fait polémique parmi les économistes : certains lui reprochent en effet d'empêcher la constitution de grands groupes européens, capables par leur puissance et leur capacité d'innovation, de faire jeu égal avec les grandes firmes multinationales d'origine américaine ou chinoise.
• Un autre aspect de la politique de la concurrence consiste à lutter contre les ententes entre offreurs : celles-ci sont interdites par la loi, mais elles sont pourtant fréquentes. Les membres d'un cartel ont intérêt à s'entendre, par exemple, sur des prix minima ou sur des quotas de production qu'ils se répartissent entre eux, ou encore sur une segmentation géographique des marchés. Ces ententes sont cependant difficiles à déceler puisque, par définition, elles ne se font pas au grand jour. Pour pouvoir les sanctionner par des amendes, les institutions officielles (par exemple, en France, l'Autorité de la concurrence, chargée d'appliquer en interne le droit européen) doivent réunir des preuves des accords entre firmes. Une des méthodes employées est la politique de la clémence, qui consiste à garantir à l'entreprise qui dénonce une entente et apporte des éléments de preuve l'absence ou la réduction des sanctions.Exercice n°5
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