Décrire, figurer, imaginer
Fiche
Les humanistes qui inspirent les réformateurs ne sont pas des révolutionnaires : dans leur volonté d'un retour à « un âge d'or » (l'Antiquité), ils mettent au point de nouveaux outils de lecture des textes anciens. Ils pratiquent la philologie, l'étude critique des textes, par la comparaison systématique des manuscrits ou des éditions. Ils publient des traductions plus fidèles des textes, étudient à la fois la Bible et les penseurs de l'Antiquité comme Platon. Ils ont une vision optimiste de l'homme qui, pour eux, est au cœur de la création. Ils défendent aussi une éducation poussée (universalisme, « formation de l'honnête homme »), l'exercice de l'esprit critique, le respect de la conscience, « un esprit sain dans un corps sain », une certaine tolérance envers les idées des autres… Mais ce sont souvent aussi de fervents catholiques qui, comme Machiavel, défendent l'autorité des princes qui les protègent.
I. L'imprimerie
• Ils forment un réseau d'intellectuels qui échangent leurs idées dans des lettres, dans des livres ou en voyageant en Europe (comme Érasme, considéré comme le « prince des humanistes ») : ils forment la République des lettres.
• Dans ce contexte, la mise au point de l'imprimerie par Gutenberg, au milieu du xve siècle, a permis la diffusion des connaissances techniques et du savoir dans toute l'Europe. Elle a donc eu un impact sur le développement technique, économique et culturel de l'Occident.
• Avant l'imprimerie, les livres étaient manuscrits (écrits à la main) : il fallait énormément de temps, le plus souvent à des moines copistes, pour les recopier. Ces copies n'étaient, de plus, pas toujours fidèles à l'original. Seules les personnes très fortunées pouvaient posséder quelques manuscrits.
• L'imprimerie change radicalement les choses : désormais, un livre peut être publié en de nombreux exemplaires, comme la Bible de Gutenberg (premier livre imprimé). À partir du xve siècle, les bibliothèques privées se multiplient, en particulier dans la bourgeoisie sensible aux idées humanistes. Les livres sont peu à peu organisés en chapitres, en paragraphes, avec une table des matières.
• Les grands imprimeurs comme les Plantin (originaires de Tours et installés à Anvers) éditent les livres des humanistes dans des imprimeries parfois artisanales. Ils publient aussi les textes de l'Antiquité grecque et romaine et des reproductions des œuvres des grands artistes de la Renaissance qui peuvent ainsi échanger des idées et des styles.
II. La cosmologie
• Les capitaines des navires marchands européens qui sillonnent la planète sont chargés de ramener en Europe de nouvelles plantes, de nouvelles espèces. En effet, grâce aux découvertes scientifiques, certaines plantes américaines rencontrent au cours des siècles un grand succès auprès des populations : le tabac, en particulier, devient une plante indispensable pour de nombreux Européens ; plus tard, le maïs, la tomate, la pomme de terre et le chocolat deviendront des aliments recherchés.
• Des savants naturalistes étudient ces nouvelles espèces et sont amenés à remettre totalement en cause les anciennes classifications. De même, les avancées des mathématiques, de la physique et la découverte de nouveaux horizons confirment la remise en cause de la vision ancienne du monde et du ciel.
• Avant l'époque moderne, la vision européenne du monde et de l'univers était basée sur deux types de sources :
- les écrits des savants de l'Antiquité, et en particulier l'ouvrage de Ptolémée (mathématicien, astronome, savant d'Alexandrie en 110 ?/160 ? après J.-C.) qui considère que la Terre est immobile au centre de l'univers et que les étoiles tournent autour : on parle de géocentrisme. Le système de Ptolémée est basé sur la physique d'Aristote et reste la référence jusqu'au xvie siècle ;
- la Bible et les croyances de l'Église catholique qui refuse une remise en cause de certains de ses dogmes (le mot « dogme » renvoyant à ce qu'il faut croire dans une religion) par les découvertes scientifiques.
• Le géocentrisme des anciens, soutenu par les thèses de l'Église, est réexaminé par les observations de savants comme Copernic et Galilée. C'est vers 1513 que Copernic, un savant, mathématicien et astronome polonais, publie anonymement pour la première fois sa théorie selon laquelle la Terre est une planète comme les autres, tournant autour du soleil (héliocentrisme) : le système copernicien. Mais il faudra attendre 1543 pour que sa théorie soit officiellement publiée. Elle rencontre d'emblée l'hostilité des protestants (luthériens) et de l'Église, mais aussi de la plupart des savants de l'époque. C'est en effet une révolution : elle remet non seulement en cause le géocentrisme, mais aussi les bases de la physique de l'époque.
• Adopter la théorie de Copernic, c'est donc aussi revoir la physique. C'est ce que fait Galilée qui exploite les innovations techniques de l'époque (la lunette astronomique) pour défendre la théorie copernicienne. Cependant son travail en astronomie lui vaudra la condamnation du tribunal de l'Inquisition en 1633. Il ne sera pas exécuté grâce au soutien de hauts dignitaires de l'Église, mais terminera sa vie reclus dans sa villa (il sera réhabilité par l'Église en 1992). Mais ses idées remportent un grand succès auprès des scientifiques de l'époque et son travail sur la physique inspirera Isaac Newton.
• Cette critique des anciens modèles se retrouve aussi dans le domaine de la médecine qui progresse, là encore, malgré l'Église (celle-ci interdit les dissections de cadavres) : les médecins Ambroise Paré et Vésale rejettent les anciennes théories sur la circulation des « humeurs » et sur l'anatomie du Grec Galien (iie siècle après J.-C.).
• Les xvie et xviie siècles sont donc une période de transition : les idées et théories anciennes continuent d'être enseignées et soutenues par les conservateurs, tandis que les théories nouvelles s'imposent peu à peu et tournent la page de la science antique et médiévale.
• Les progrès en matière de méthode scientifique ouvrent de nouveaux horizons. Les savants de l'époque moderne sont, comme les humanistes, attachés à un travail méthodique et rigoureux, nécessaire selon eux pour étudier le plus précisément possible la nature et développer les sciences. Ils sont en rupture avec le savoir empirique uniquement basé sur l'observation et l'interprétation de phénomènes arrivant par hasard.
• En s'inspirant des travaux de certains savants, le philosophe et homme politique anglais Francis Bacon (1560 ou 1561-1626) affirme que « les mêmes causes produisent les mêmes effets » : pour trouver une loi physique ou scientifique, il faut recommencer plusieurs fois la même expérience jusqu'à sa validation.
• L'expérimentation scientifique, qui a pour but de soumettre une théorie à l'épreuve des faits, n'est pas simplement une expérience brute, parce qu'elle utilise des processus visant à restreindre et à contrôler les paramètres entrant en jeu dans le résultat final. Ainsi, l'expérimentation scientifique se fait en laboratoire, et non en pleine nature, parce qu'il s'agit de simplifier les mécanismes naturels en restreignant les causes d'un phénomène pour ne retenir que celles qui seront testées dans le protocole. Alors que l'expérience sensible nous est donnée immédiatement, l'expérimentation, elle, est construite. Elle suppose au préalable un travail théorique de l'entendement : elle n'a en sciences qu'une fonction de confirmation ou d'infirmation d'hypothèses théoriques qui ne sont pas, quant à elles, tirées directement de l'expérience.
• De même, des scientifiques collectent des informations avec de plus en plus de rigueur scientifique : dissections de Vésale reportées sur des planches anatomiques très précises, nouvelles espèces de plantes répertoriées dans des herbiers, etc. Comme Galilée, les scientifiques ont aussi recours aux nouveaux instruments techniques de l'époque, ce qui est critiqué par les conservateurs.
• Le texte suivant de Descartes extrait du Discours de la méthode (1637) illustre très bien cette nouvelle ambition de la science de se faire plus rationnelle et plus efficace, au point de conduire à une véritable maîtrise de la nature par l'homme :
« Car [ces connaissances] m'ont fait voir qu'il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie, et qu'au lieu de cette philosophie spéculative, qu'on enseigne dans les écoles, on peut en trouver une pratique, par laquelle connaissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. Ce qui n'est pas seulement à désirer pour l'invention d'une infinité d'artifices, qui feraient qu'on jouirait, sans aucune peine, des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s'y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie. » (René Descartes, Discours de la méthode, 1637).
« Car [ces connaissances] m'ont fait voir qu'il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie, et qu'au lieu de cette philosophie spéculative, qu'on enseigne dans les écoles, on peut en trouver une pratique, par laquelle connaissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. Ce qui n'est pas seulement à désirer pour l'invention d'une infinité d'artifices, qui feraient qu'on jouirait, sans aucune peine, des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s'y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie. » (René Descartes, Discours de la méthode, 1637).
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