Découverte du monde et pluralité des cultures
Fiche
Les xve et xvie siècles sont des périodes importantes dans l'histoire du monde, car elles assistent à la naissance d'une première mondialisation. Des échanges existaient déjà entre les continents, mais ils se multiplient alors. Ce sont les Occidentaux qui vont prendre l'avantage, partir à la découverte des autres continents et développer tout un réseau d'échanges et d'interconnexions, d'abord avec les Amériques aux xve et xvie siècles, mais aussi avec l'Asie et l'Afrique.
I. Une nouvelle vision du monde
• L'expansion européenne entraîne plusieurs conséquences : la découverte par les Occidentaux d'autres peuples et d'autres cultures, une ouverture au monde symbolisée par des cartes de plus en plus précises, l'émigration d'aventuriers et de colons européens vers d'autres continents qu'ils vont commencer à européaniser en apportant leurs valeurs, leur culture et leurs croyances aux peuples dominés.
• Aux xve et xvie siècles, les savants et les lettrés redécouvrent les textes de l'Antiquité grecque et romaine dans les bibliothèques monastiques. De ces textes émerge une vision du monde qui place l'homme au premier plan. On donne à ces savants le nom d'humanistes (du latin, humanus, qui signifie « instruit », « cultivé »). Les hommes du Moyen Âge avaient une certaine connaissance de l'Antiquité, mais elle était partielle ; la littérature grecque, par exemple, n'était transmise que par de médiocres traductions latines. En Italie, Pétrarque (1304-1374) et son ami Boccace (1313-1375), curieux de découvrir les manuscrits anciens, traduisent en latin les poèmes d'Homère ou les Histoires d'Hérodote. Ce sont les tout premiers humanistes.
• Les xive, xve et xvie siècles sont des époques de vie intellectuelle intense en Europe : les lettrés collectionnent les manuscrits grecs et s'enthousiasment pour la pensée des Anciens. Ils comparent plusieurs copies d'une même œuvre pour rétablir le texte original.
• Sur le plan artistique, l'humanisme est l'une des sources de la peinture de la Renaissance : il ouvre la voie aux représentations de l'être humain et remet à l'honneur l'étude des œuvres de l'Antiquité et de ses sujets (en particulier la mythologie).
• Au xve siècle, la redécouverte de l'œuvre de Platon contrebalance l'influence prédominante d'Aristote dans la pensée philosophique du Moyen Âge. Alors que la science et la technique reposaient jusqu'ici sur la seule pensée d'Aristote, les humanistes s'intéressent à d'autres auteurs : Pline pour les sciences naturelles, Pythagore, Ptolémée, Euclide pour la géométrie et les mathématiques.
II. La découverte du monde
• La Renaissance est marquée par la découverte de nouvelles terres partout dans le monde, à la suite des grands voyages entrepris par les Européens. Le Portugais Cabral arrivera au Brésil en 1500. Les Espagnols aussi continuent d'explorer le continent américain. Au xvie siècle, c'est au tour des Français et des Anglais d'aller en Amérique du Nord. Il faudra compléter le traité de Tordesillas (1494) par le traité de Saragosse (1529) après le tour du monde du Portugais Magellan (qui est tué en route) entre 1519 et 1522. Les cartes européennes du Moyen Âge étaient parmi les moins complètes du monde. Les Européens voyaient la Terre comme un espace fini avec des animaux mythologiques. Ils rêvaient de contrées mythiques. Avec les grandes découvertes, ce regard est totalement dépassé : le monde et ses richesses (économiques, culturelles) s'ouvrent à eux.
• À la fin du xvie siècle, les Européens ont exploré de nombreuses régions du monde et ils ramènent en Europe des objets, des hommes… pour les exhiber devant les cours royales. Des comptoirs commerciaux sont fondés sur les côtes africaines et indiennes. Pourtant, de nombreux territoires non explorés restent en blanc sur les cartes (terra incognita), comme le centre de l'Afrique, l'Océanie… Il faudra attendre la seconde moitié du xixe siècle pour que l'exploration du monde par les Européens soit presque complète.
• Il est possible d'illustrer cet attrait exercé par le voyage sur les hommes de l'époque moderne par ce passage du Discours de la méthode de René Descartes paru en 1637, dans lequel Descartes, déçu par ses études, dont il fait le bilan, annonce sa décision de voyager afin de lire dans « le grand livre du monde » et d'y découvrir plus de vérités qu'on en peut trouver dans les ouvrages d'école :
« [J]'employai le reste de ma jeunesse à voyager, à voir des cours et des armées, à fréquenter des gens de diverses humeurs et conditions, à recueillir diverses expériences, à m'éprouver moi-même dans les rencontres que la fortune me proposait, et partout à faire telle réflexion sur les choses qui se présentaient, que j'en pusse tirer quelque profit. Car il me semblait que je pourrais rencontrer beaucoup plus de vérité, dans les raisonnements que chacun fait touchant les affaires qui lui importent, et dont l'événement le doit punir bientôt après, s'il a mal jugé, que dans ceux que fait un homme de lettres dans son cabinet, touchant des spéculations qui ne produisent aucun effet, et qui ne lui sont d'autre conséquence, sinon que peut-être il en tirera d'autant plus de vanité qu'elles seront plus éloignées du sens commun, à cause qu'il aura dû employer d'autant plus d'esprit et d'artifice à tâcher de les rendre vraisemblables. Et j'avais toujours un extrême désir d'apprendre à distinguer le vrai d'avec le faux, pour voir clair en mes actions, et marcher avec assurance en cette vie. Il est vrai que, pendant que je ne faisais que considérer les mœurs des autres hommes, je n'y trouvais guère de quoi m'assurer, et que j'y remarquais quasi autant de diversité que j'avais fait auparavant entre les opinions des philosophes. En sorte que le plus grand profit que j'en retirais était que, voyant plusieurs choses qui, bien qu'elles nous semblent fort extravagantes et ridicules, ne laissent pas d'être communément reçues et approuvées par d'autres grands peuples, j'apprenais à ne rien croire trop fermement de ce qui ne m'avait été persuadé que par l'exemple et par la coutume, et ainsi je me délivrais peu à peu de beaucoup d'erreurs, qui peuvent offusquer notre lumière naturelle, et nous rendre moins capables d'entendre raison. » (René Descartes, Discours de la méthode, I, 1637)
III. La découverte de l'autre
• Avec l'ouverture de routes maritimes tout autour de la planète, les Européens découvrent par ailleurs un monde plus complexe que celui qu'avaient décrit les anciens.
• Le contact avec de nouvelles cultures, de nouvelles civilisations fondées sur des valeurs et des modes de vie différents alimente la réflexion de certains philosophes et penseurs sur la place de l'homme dans l'univers, mais aussi sur le fonctionnement des sociétés. Montaigne a ainsi montré dans ses Essais à quel point la notion de barbarie était relative et dépendait en grande partie de notre vision réductrice des choses. Cet ouvrage met ainsi en lumière l'ethnocentrisme de l'homme occidental, l'ethnocentrisme étant cette attitude intellectuelle consistant à voir l'autre à travers le prisme de sa propre culture (et donc de ses propres idées et valeurs). Montaigne cherche au contraire à montrer que les dits sauvages sont tout autant, voire plus, développés que les Occidentaux européens :
« Il n'y a rien de barbare et de sauvage en ce peuple, à ce qu'on m'en a rapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n'est pas conforme à ses usages ; à vrai dire, il semble que nous n'ayons autre critère de la vérité et de la raison que l'exemple et l'idée des opinions et des usages du pays où nous sommes. Là est toujours la parfaite religion, le parfait gouvernement, la façon parfaite et accomplie de se comporter en toutes choses. Ils sont sauvages, de même que nous appelons sauvages les fruits que la nature, d'elle-même et de son propre mouvement, a produits : tandis qu'à la vérité ce sont ceux que nous avons altérés par notre artifice et détournés de l'ordre commun, que nous devrions appeler plutôt sauvages. (…) Ces peuples me semblent donc barbares, dans le sens où ils ont reçu fort peu de formation intellectuelle, et il me semble encore fort proche de leur nature originelle. Les lois naturelles leur commandent encore, fort peu abâtardies par les nôtres ; mais c'est un état si pur, qu'il m'arrive de regretter qu'ils n'aient pas été connus plus tôt (...) Il me semble que ce que nous voyons par expérience en ces peuples surpasse non seulement toutes les peintures dont la poésie a embelli l'âge d'or et toutes ses fictions pour représenter une condition humaine heureuse, mais encore les conceptions et les désirs même de la philosophie. Ils n'auraient pu imaginer un état naturel si pur et si simple, comme nous le voyons par expérience, ni croire que la communauté humaine puisse se maintenir avec si peu d'artifice et de liens entre les hommes. » (Montaigne, Essais, « Des cannibales », Livre I, chap. XXXI.)
« Il n'y a rien de barbare et de sauvage en ce peuple, à ce qu'on m'en a rapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n'est pas conforme à ses usages ; à vrai dire, il semble que nous n'ayons autre critère de la vérité et de la raison que l'exemple et l'idée des opinions et des usages du pays où nous sommes. Là est toujours la parfaite religion, le parfait gouvernement, la façon parfaite et accomplie de se comporter en toutes choses. Ils sont sauvages, de même que nous appelons sauvages les fruits que la nature, d'elle-même et de son propre mouvement, a produits : tandis qu'à la vérité ce sont ceux que nous avons altérés par notre artifice et détournés de l'ordre commun, que nous devrions appeler plutôt sauvages. (…) Ces peuples me semblent donc barbares, dans le sens où ils ont reçu fort peu de formation intellectuelle, et il me semble encore fort proche de leur nature originelle. Les lois naturelles leur commandent encore, fort peu abâtardies par les nôtres ; mais c'est un état si pur, qu'il m'arrive de regretter qu'ils n'aient pas été connus plus tôt (...) Il me semble que ce que nous voyons par expérience en ces peuples surpasse non seulement toutes les peintures dont la poésie a embelli l'âge d'or et toutes ses fictions pour représenter une condition humaine heureuse, mais encore les conceptions et les désirs même de la philosophie. Ils n'auraient pu imaginer un état naturel si pur et si simple, comme nous le voyons par expérience, ni croire que la communauté humaine puisse se maintenir avec si peu d'artifice et de liens entre les hommes. » (Montaigne, Essais, « Des cannibales », Livre I, chap. XXXI.)
• Dans un monde occidental très chrétien, le contact avec ces nouvelles civilisations provoque également de tumultueux débats en particulier au sein de l'Église catholique espagnole : les colons ont-ils le droit d'exploiter des Amérindiens considérés comme des esclaves (même si l'esclavage des Indiens est officiellement aboli en 1542) ? Lors de la « controverse de Valladolid » entre 1550 et 1551, le dominicain Bartolomé de Las Casas défend en vain la cause indienne en montrant que les Indiens sont des hommes au même titre que les Européens.
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