L'art de la parole
Fiche
La parole peut se définir comme l'usage singulier que quelqu'un fait de sa langue. En effet, la parole est singulière tandis que la langue est toujours générale : c'est moi qui parle en français, tandis que le français est la langue de tous les francophones. Rappelons d'abord que la langue, et donc la parole, sont des cas particuliers du langage. On peut le définir comme un système structuré de signes permettant l'expression et la communication d'un sens. Le langage n'est pas nécessairement humain. En effet, la plupart des animaux ont un langage : c'est le cas des chats ou des oiseaux, par exemple. Néanmoins, on ne peut pas dire qu'ils parlent au sens fort : ils s'expriment ou communiquent plutôt. La parole étant l'usage que l'on fait d'une langue, on comprend que la façon de parler n'est pas seulement naturelle, mais aussi culturelle et qu'elle peut donc se travailler. Voilà pourquoi on use du terme « art de la parole », le terme d'art étant pris ici au sens étymologique de technique : un moyen pratique de parvenir à une fin.
I. L'éloquence et la rhétorique
• Si l'éloquence peut être définie comme l'art de bien parler, la rhétorique est l'ensemble des procédés techniques permettant cette maîtrise de la parole. La rhétorique se développa particulièrement en Grèce antique (au Ve siècle avant J. C. notamment) à travers la figure des sophistes (Thrasymaque, Hippias, Protagoras ou Prodicos, entre autres), maîtres de rhétorique qui s'exerçaient à remporter l'adhésion par des discours particulièrement puissants et convaincants. C'est ainsi que les sophistes de l'Antiquité, et en particulier Protagoras, prétendaient être capables de démontrer tout autant une thèse que la thèse contraire.
• À l'époque romaine, Cicéron fut un des grands maîtres de la rhétorique dont il donna les principes fondamentaux dans son traité intitulé De l'orateur. Voici un extrait du traité De l'orateur dans lequel Cicéron fait l'éloge de la parole :
« Rien ne me semble plus beau que de pouvoir, par la parole, captiver l'attention des hommes assemblés, charmer les esprits, pousser ou ramener à son gré toutes les volontés. Chez tous les peuples libres, dans les États florissants et calmes, cet art surtout a toujours été puissant et honoré. Eh ! Qu'y a-t-il de plus digne d'admiration que de voir un petit nombre de mortels privilégiés s'élever au-dessus de la foule des hommes, et se faire une puissance particulière d'une faculté naturelle à tous ? Quoi de plus agréable à l'esprit et à l'oreille qu'un discours embelli par la noblesse de l'expression et la sagesse de la pensée ! Quel magnifique pouvoir, que celui qui soumet à la voix d'un seul homme les passions de tout un peuple, la religion des juges et la majesté du sénat ! Est-il rien de plus grand, de plus généreux, de plus royal que de secourir, de relever les malheureux suppliants et abattus, que d'arracher ses concitoyens au péril, à la mort, à l'exil ? Enfin quel plus précieux avantage que d'avoir toujours en main des armes redoutables pour se défendre soi-même, attaquer les méchants, ou se venger de leurs outrages ? Mais pour ne pas nous occuper sans cesse du barreau, de la tribune et du sénat, quel délassement plus doux, quel plaisir plus délicat, qu'une conversation aimable et élégante ? » (Cicéron, De l'orateur, I, 8)
« Rien ne me semble plus beau que de pouvoir, par la parole, captiver l'attention des hommes assemblés, charmer les esprits, pousser ou ramener à son gré toutes les volontés. Chez tous les peuples libres, dans les États florissants et calmes, cet art surtout a toujours été puissant et honoré. Eh ! Qu'y a-t-il de plus digne d'admiration que de voir un petit nombre de mortels privilégiés s'élever au-dessus de la foule des hommes, et se faire une puissance particulière d'une faculté naturelle à tous ? Quoi de plus agréable à l'esprit et à l'oreille qu'un discours embelli par la noblesse de l'expression et la sagesse de la pensée ! Quel magnifique pouvoir, que celui qui soumet à la voix d'un seul homme les passions de tout un peuple, la religion des juges et la majesté du sénat ! Est-il rien de plus grand, de plus généreux, de plus royal que de secourir, de relever les malheureux suppliants et abattus, que d'arracher ses concitoyens au péril, à la mort, à l'exil ? Enfin quel plus précieux avantage que d'avoir toujours en main des armes redoutables pour se défendre soi-même, attaquer les méchants, ou se venger de leurs outrages ? Mais pour ne pas nous occuper sans cesse du barreau, de la tribune et du sénat, quel délassement plus doux, quel plaisir plus délicat, qu'une conversation aimable et élégante ? » (Cicéron, De l'orateur, I, 8)
II. Les divisions classiques de la rhétorique
• Cicéron, dans son traité De l'orateur, distingue cinq domaines essentiels de la rhétorique : l'invention (le fait de trouver des arguments), la disposition (le fait de mettre en ordre le discours), l'élocution (la manière de s'exprimer), la mémoire (le fait de retenir) et enfin l'action (l'attitude corporelle en général).
La mise en ordre du discours s'appuie sur une organisation stricte du discours. Celui-ci est d'abord introduit dans l'exorde, qui prépare l'auditoire et annonce le plan. L'exorde est suivi de la narration, où sont exposés faits et arguments, et de la confirmation, qui amplifie et développe l'argumentation. La péroraison conclut enfin le discours.
La mise en ordre du discours s'appuie sur une organisation stricte du discours. Celui-ci est d'abord introduit dans l'exorde, qui prépare l'auditoire et annonce le plan. L'exorde est suivi de la narration, où sont exposés faits et arguments, et de la confirmation, qui amplifie et développe l'argumentation. La péroraison conclut enfin le discours.
• Cicéron donne des techniques pour parvenir à maîtriser ces domaines, utiles pour les trois grands genres de discours : le discours judiciaire, le discours délibératif et le discours épidictique.
Le discours judiciaire porte sur un fait du passé, dont il vise à accuser ou défendre l'auteur. Il met en œuvre les valeurs du juste et de l'injuste. Il est principalement utilisé dans les tribunaux.
Le discours délibératif porte sur le futur. L'orateur cherche à persuader ou dissuader l'auditoire d'entreprendre des mesures, il a donc toute sa place en politique, dans les assemblées. Il prend pour valeurs de référence l'utile et le nuisible.
Le discours épidictique, quant à lui, peut concerner le présent, le passé comme le futur. Il a pour but de blâmer ou de louer une personne ou une action, par exemple lors d'une victoire, d'un mariage, d'un enterrement… Il s'appuie sur les valeurs de l'admirable ou du méprisable.
Le discours judiciaire porte sur un fait du passé, dont il vise à accuser ou défendre l'auteur. Il met en œuvre les valeurs du juste et de l'injuste. Il est principalement utilisé dans les tribunaux.
Le discours délibératif porte sur le futur. L'orateur cherche à persuader ou dissuader l'auditoire d'entreprendre des mesures, il a donc toute sa place en politique, dans les assemblées. Il prend pour valeurs de référence l'utile et le nuisible.
Le discours épidictique, quant à lui, peut concerner le présent, le passé comme le futur. Il a pour but de blâmer ou de louer une personne ou une action, par exemple lors d'une victoire, d'un mariage, d'un enterrement… Il s'appuie sur les valeurs de l'admirable ou du méprisable.
• Lors de ces assemblées, l'orateur cherche à plaire et à convaincre de trois manières différentes dans la rhétorique classique.
D'abord, l'orateur utilise des arguments logiques, s'adressant à la raison de son auditoire : c'est le logos.
Il peut également faire attention à son ethos, c'est-à-dire à l'image qu'il donne de lui-même en tant qu'orateur. Il peut, par exemple, mettre en avant sa longue expérience, ou au contraire l'énergie de sa jeunesse.
Enfin, l'orateur cherche à s'adapter au public spécifique qui est en face de lui, en éveillant chez lui les émotions les plus propices à le faire adhérer à sa thèse. C'est le pathos.
D'abord, l'orateur utilise des arguments logiques, s'adressant à la raison de son auditoire : c'est le logos.
Il peut également faire attention à son ethos, c'est-à-dire à l'image qu'il donne de lui-même en tant qu'orateur. Il peut, par exemple, mettre en avant sa longue expérience, ou au contraire l'énergie de sa jeunesse.
Enfin, l'orateur cherche à s'adapter au public spécifique qui est en face de lui, en éveillant chez lui les émotions les plus propices à le faire adhérer à sa thèse. C'est le pathos.
III. Les arguments logiques et les types de raisonnement
• Une argumentation est un discours destiné à convaincre de la validité d'un propos ; elle prend en compte un interlocuteur (réel ou fictif) dont elle veut obtenir l'adhésion. Dans une argumentation, on distingue le thème (ce dont on parle) de la thèse (ce qu'on en dit, l'opinion émise à propos du thème).
• Pour soutenir sa thèse, le locuteur recourt à des arguments organisés qui fondent la validité du propos. Quoique argumentum en latin signifie « preuve », l'argument n'est pas une preuve, mais une pièce dans le mécanisme de l'argumentation, un maillon du raisonnement qui sert à étayer la thèse, à convaincre l'interlocuteur de sa validité (et non à en garantir la vérité). On distingue différents types d'arguments :
- l'argument logique (qui fait appel à la raison de l'interlocuteur) ;
- l'argument d'expérience (« l'expérience montre que... ») ;
- l'argument d'autorité qui s'appuie sur une personne célèbre ou reconnue ;
- l'argument ad hominem qui met en cause la vie privée de l'interlocuteur.
• L'ensemble d'une argumentation (exposé du thème et de la thèse, arguments, exemples) est structuré de manière cohérente : l'interlocuteur doit pouvoir saisir les articulations logiques, comprendre le déroulement du raisonnement. Par l'emploi de connecteurs et d'habiles transitions, le locuteur doit faire progresser son argumentation vers une conclusion qui réaffirme la thèse avec force et emporte définitivement l'adhésion de l'adversaire.
• Enfin, le locuteur peut adopter différents types de raisonnement. S'il part d'un cas particulier pour en tirer une règle générale, on parle de raisonnement inductif. Le raisonnement inverse (du général au particulier) se nomme le raisonnement déductif. Si le locuteur veut prouver la validité de son propos en s'appuyant sur une comparaison avec une autre réalité, on parle alors de raisonnement par analogie.
IV. L'ethos et le pathos
• Une parole qui ne vise pas seulement à convaincre, mais aussi à persuader fait appel aux sentiments de l'interlocuteur en plus de s'adresser à sa raison. L'objectif est d'agir sur sa sensibilité afin qu'il adhère entièrement à la thèse soutenue. Pour ce faire, le locuteur recourt à des procédés oratoires qui ont pour but d'impliquer l'adversaire. Il s'exprime en général à la première personne, plaçant ainsi le débat sur un plan plus personnel, et s'adresse directement à son interlocuteur : emploi de la deuxième personne, apostrophes, phrases interrogatives (qui sont parfois de pures questions rhétoriques), mode injonctif qui incite à agir, etc.
• Plus encore que la thèse elle-même, c'est la manière dont elle est présentée qui est chargée de persuader. Pour frapper l'esprit de l'auditoire, le locuteur multiplie les formules percutantes (aphorismes, maximes), joue sur le rythme des phrases (périodes), utilise la ponctuation pour exprimer des émotions vives (points d'exclamation ou de suspension). Le vocabulaire, selon qu'il est péjoratif ou mélioratif, lui permet également de faire valoir son point de vue. Le locuteur peut également recourir à l'ironie (par exemple avec l'antiphrase) ou à des paradoxes. Les figures de style, enfin, sont mises au service de l'argumentation :
- les figures par amplification (hyperbole, gradation) donnent du poids, de l'ampleur à un argument ;
- les figures par atténuation (euphémisme, litote) suggèrent plus implicitement ;
- les figures par analogie (comparaison, métaphore) créent des images susceptibles de rendre l'argumentation plus concrète ;
- les figures par opposition (chiasme, antithèse) soulignent des contradictions.
V. Les stratégies argumentatives
• Toute argumentation s'appuie sur une stratégie, c'est-à-dire une démarche spécifiquement choisie en fonction de la thèse à soutenir et de l'interlocuteur à convaincre. L'une des stratégies consiste simplement à soutenir une thèse, en déployant des arguments qui en montrent le bien fondé.
• Cette stratégie peut être complétée par la réfutation de la thèse adverse : dans ce cas, le locuteur s'attache à dévaloriser, à décrédibiliser les arguments qui s'opposent à son point de vue. Il emploie des contre-arguments et des contre-exemples, souligne les faiblesses du raisonnement de l'adversaire.
• Il peut aussi ironiquement faire mine d'adhérer totalement à la thèse adverse, qu'il développe dans ses moindres aspects pour mieux en montrer les incohérences : l'interlocuteur est alors invité à s'apercevoir de lui-même que ce point de vue ne peut être soutenu. Une autre stratégie peut consister à faire des concessions à la thèse adverse. Sans la récuser purement et simplement, le locuteur reconnaît qu'elle est valable par certains aspects… mais c'est pour mieux montrer qu'à d'autres égards, elle n'est pas tenable, tel que le montre cet exemple relatif à l'art moderne : « Les adversaires de l'art moderne ont l'habitude de dénoncer le déclin progressif de l'art, d'annoncer la fin d'un monde. En quoi ils n'ont, certes, pas tort. Mais où l'on peut différer d'avis avec eux, c'est dans leur nostalgie d'un art qui conserverait, vivante parmi nous, l'image d'un monde révolu. » (Pierre Francastel, Histoire de la peinture française, 1955).
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