Métropole et colonies
Fiche
La IIIe République a hérité du passé colonial de la France. Cependant, dès les années 1870, la France s'engage dans une nouvelle politique de conquête coloniale qui permet au pays de disposer en 1914 du deuxième empire colonial après celui de la Grande-Bretagne. Les motivations sont à la fois stratégiques, mues par l'impérialisme, économiques et politiques, une partie importante de l'opinion française étant acquise à l'idée d'une « mission civilisatrice » du pays. Toutefois, la dimension inégalitaire des sociétés coloniales face aux idéaux républicains pose question dès cette époque. Comment la IIIe République a-t-elle mis en œuvre la conquête coloniale et dans quels buts ? Comment s'organisent les liens entre métropole et colonies dans l'empire français ?
I. La France dans la « course au clocher »
1. Des héritages coloniaux
• En 1870, lors de l'installation du régime républicain, la France possède déjà un domaine colonial important. Une partie des territoires coloniaux est un héritage de l'époque moderne. Si le Canada a été perdu en 1763, la France a conservé des territoires d'outre-mer dans les Caraïbes et dans l'océan Indien (dont cinq comptoirs en Inde), ainsi que Saint-Louis du Sénégal.
• En 1830, la Restauration s'est engagée dans la conquête de l'Algérie, en prenant pour justification la lutte contre la piraterie en Méditerranée. Jusqu'en 1847, cette conquête a été poursuivie par la monarchie de Juillet, dans le but d'établir durablement la domination française et d'implanter une colonie de peuplement. Sous le second Empire, le général Faidherbe fonde Dakar et accroît les territoires contrôlés par la France.
• En Asie, les Français sont établis en Cochinchine depuis 1858.
2. La reprise de l'expansion coloniale dans les années 1880
• À partir de 1880, cette expansion reprend. Elle est vécue par les Français comme une compensation de la perte de l'Alsace-Lorraine, permettant de restaurer la grandeur du pays. L'Allemagne voit d'ailleurs d'un bon œil le fait que la France se détourne ainsi de l'idée de « revanche ».
• Le premier axe d'expansion française se trouve en Afrique. En 1881, un protectorat français est établi sur la Tunisie par le traité du Bardo. Dès 1878, l'explorateur Savorgnan de Braza et les généraux Faidherbe, Gallieni et Archinard entreprennent la conquête du « Soudan français » depuis le Sénégal, en remontant vers l'est.
• La conférence de Berlin, en 1884-1885, légitime cette conquête de l'Afrique par les Européens, qui se partagent le continent : c'est la « course au clocher ». En 1895, la France s'établit à Madagascar. En 1912, le protectorat sur le Maroc est installé.
• En Asie, le protectorat sur l'Annam est établi en 1883 et l'Union indochinoise, mise en place en 1887.
3. Le choc des impérialismes
• Cette expansion coloniale rencontre l'opposition d'autres puissances européennes. En 1881, les Italiens sont furieux du traité de protectorat établi par la France sur la Tunisie, où vivent alors un grand nombre d'Italiens. Bismarck, chancelier allemand, en profite pour intégrer l'Italie dans son système d'alliances.
• En 1898, les corps expéditionnaires français, dirigé par Marchand, et britannique, dirigé par Kitchener, se rencontrent à Fachoda, au Soudan. Les Français, s'appropriant l'Afrique d'ouest en est, s'opposent aux Britanniques, qui mettent en place des possessions s'étirant du nord au sud, d'Alexandrie au Cap, après avoir évincé les Français de la société du canal de Suez en 1875. La question de savoir qui s'appropriera le Soudan débouche sur une crise diplomatique et une exacerbation des nationalismes dans les deux pays. La négociation aboutit à satisfaire les négociations britanniques, mais elle conduit paradoxalement à une entente entre France et Royaume-Uni.
• Au début du xxe siècle, la politique coloniale française s'oppose à l'Allemagne. Depuis l'accession au trône de Guillaume II, le pays s'est lancé dans la conquête coloniale dans le cadre de la Weltpolitik. En 1905 et 1911, lors du coup de Tanger et de la crise d'Agadir, l'Allemagne souhaite contrecarrer le souhait de la France d'établir son protectorat sur le Maroc. La France obtient gain de cause en 1912 avec le traité de Fès, mais doit céder des territoires du Congo au profit du Cameroun allemand.
• En 1914, la France possède le deuxième empire colonial après celui des Britanniques. Il compte 50 millions d'habitants.
Exercice n°1Exercice n°2II. La colonisation : débats et enjeux
La colonisation a fait débat en France sous la IIIe République. Quels sont les enjeux qui ont conduit au choix de poursuivre la conquête de vastes territoires en Afrique et en Asie ?
1. Pour ou contre la colonisation ?
Georges Clemenceau par Nadar
• Parmi les partisans de la colonisation, on trouve de nombreuses personnalités républicaines dans les rangs des opportunistes, qui dirigent le pays en 1881. Jules Ferry en est le principal représentant. Ses buts sont essentiellement économiques : « la question des colonies […] c'est la question des débouchés ». Cet empire permet d'offrir à l'industrie et à l'agriculture française un vaste marché. L'approvisionnement en produits coloniaux permet également d'éviter de dépendre du commerce britannique. À l'Assemblée nationale, un « Parti colonial » se forme, dirigé par Eugène Étienne, qui constitue un groupe influent en faveur de l'expansion outre-mer.
• Les opposants à la colonisation appartiennent à la droite nationaliste. La Ligue des patriotes considère qu'elle conduit à détourner le pays de l'objectif primordial que devrait être la reconquête de l'Alsace-Lorraine. Ils évoquent également la concurrence que représentent les produits de l'agriculture coloniale. Au sein de la gauche, des radicaux s'opposent aussi à la colonisation. De 1881 à 1885, le député du Parti radical Georges Clemenceau s'oppose à la politique coloniale de Jules Ferry, considérée comme humainement injuste et profitant économiquement à des hommes d'affaires peu scrupuleux. Toutefois, une fois au gouvernement, Clemenceau n'engage aucun processus de décolonisation. Les socialistes sont quant à eux éthiquement opposés à toute exploitation coloniale.
2. L'enjeu « civilisateur »
• Outre les justifications économiques, la question d'une supposée « mission civilisatrice de l'homme blanc » est mise au service du colonialisme. Selon Jules Ferry et les partisans de la colonisation, la France a pour devoir d'apporter le progrès économique et social dans les colonies.
• Clemenceau répond en détruisant ce mythe de la supériorité civilisationnelle. Il est toutefois largement admis au sein de la population française, alors acquise à la théorie de la hiérarchie des « races ».
3. Colonisation et culture
• La colonisation est aussi l'occasion pour les missionnaires catholiques et protestants de diffuser leur foi dans le cadre de missions. Celles-ci sont souvent soutenues par le gouvernement, même pendant la période où celui-ci est anticlérical, car elles contribuent à encadrer les territoires et servir de relais à l'administration française.
• La colonisation a toutefois favorisé les échanges culturels. Les cultures asiatiques et africaines sont confrontées à l'occidentalisation. Certains artistes français s'inspirent d'œuvres produites par les cultures africaines, océaniques et asiatiques, comme Van Gogh, Gauguin et Picasso.
Exercice n°3Exercice n°4III. Les sociétés coloniales
Les sociétés coloniales sont le reflet des aspirations à la supposée mission civilisatrice de la France, mais elles révèlent surtout l'inégalité foncière entre colons et populations locales, qualifiées d'« indigènes ».
1. L'administration coloniale
• La France organise son empire en appliquant plusieurs systèmes d'administration. Le premier cas est celui de l'intégration des territoires à l'administration de la métropole. C'est le cas de l'Algérie depuis 1848 avec les départements d'Alger, d'Oran et de Constantine. Le deuxième est celui des protectorats, où le gouvernement local est laissé en place, mais sous la dépendance française, comme en Tunisie, au Maroc, au Laos, au Cambodge et en Annam. Viennent ensuite les colonies, placées sous la tutelle du ministère de la Marine, puis d'un ministère des Colonies à partir de 1889, avec quelques variations dans les attributions ou les dénominations. Les possessions françaises en Afrique subsaharienne sont constituées de colonies, groupées en deux ensembles depuis 1904 : l'Afrique-Orientale française et l'Afrique-Équatoriale française. Dans le cadre de l'Union indochinoise, la Cochinchine est également une colonie. La plupart des colonies françaises sont des colonies d'exploitation et comportent peu de populations d'origine européenne. L'Algérie est la seule colonie de peuplement, avec un million d'Européens installés dans le pays. Ils sont d'origine française, mais aussi italienne ou espagnole. On compte également une population européenne notable au Maroc et en Tunisie.
• La mise en place de cette administration s'accompagne de la construction d'infrastructures dans le domaine des transports, centrées sur les ports permettant l'exportation des produits coloniaux et matières premières vers la métropole. Des écoles et des services de santé sont également construits, parfois par l'État ou dans le cadre des missions chrétiennes.
2. Des sociétés inégalitaires
• Les sociétés coloniales sont inégalitaires. Si la France a aboli l'esclavage, elle n'introduit pas une réelle égalité dans ses colonies. Les membres de la population locale n'ont en effet pas le statut de citoyens, mais celui de sujets français. Le code de l'indigénat leur applique un droit différent, permettant un maintien de certaines coutumes locales (dispositions traditionnelles sur les héritages et le droit matrimonial par exemple), mais il maintient les inégalités entre colons et populations locales. Il prévoit notamment des peines plus lourdes pour certaines infractions et le travail forcé. Ce code avait été établi dans le cas de l'Algérie dès les années 1830, puis diffusé à l'ensemble des colonies en 1887.
• En Algérie, la situation est particulière. Les colons français sont des citoyens, les musulmans sont soumis au code de l'indigénat, et les juifs algériens obtiennent la citoyenneté française par le décret Crémieux du 24 octobre 1870. À cette grande complexité de la société algérienne viennent s'ajouter les inégalités économiques liées au fait que la plupart des grandes propriétés agricoles sont aux mains des Européens.
• Il existe donc un fossé important entre la doctrine officielle de la France, celle de l'assimilation, et sa mise en œuvre. En effet, les partisans de la colonisation affirment que le but de la domination française est l'émancipation des peuples colonisés, une fois un niveau de développement suffisant atteint. Dans les faits, peu de colonisés sont gratifiés de la nationalité française. À peine 2 500 musulmans algériens sont naturalisés avant 1914.
3. Des facteurs de mutations
• Le monde colonial est aussi un creuset permettant une rencontre des cultures.
• Les grands ports coloniaux tendent en effet à être des lieux d'échanges. À Saigon, par exemple, la ville est transformée par la construction de nouveaux quartiers marqués par l'urbanisme français, qui se juxtaposent à la ville traditionnelle. Toutefois, les architectes ont des références locales et mettent en œuvre un style spécifique.
• En France, l'orientalisme inspire un certain nombre d'artistes, avant la découverte des arts premiers au début du xxe siècle.
Exercice n°5© 2000-2024, rue des écoles