En Inde, la question des rapports entre État et religion est complexe. Si l'Inde est un État laïc, la société est profondément marquée par l'empreinte du fait religieux. Le pays est né, en 1947, du partage des Indes britanniques entre l'Union indienne et le Pakistan. Toutefois, une importante minorité musulmane reste présente en Inde, principalement hindoue, avec présence de minorités bouddhistes, sikhes et chrétiennes. Par ailleurs, la situation non réglée du Jammu-et-Cachemire, partagée entre Inde et Pakistan, donne une dimension territoriale à cette question, au cœur de plusieurs décennies de conflits. La prégnance du fait religieux dans les sociétés conduit à un retour du religieux sur la scène politique, avec la résurgence récente d'un nationalisme indien marqué par l'utilisation de l'hindouisme comme fait identitaire.
État et religions : sécularisme et dimension politique de la religion
Les héritages religieux
Le contexte de l'indépendance de l'Inde est lié à la question de l'appartenance religieuse. En 1947, les Indes britanniques sont en effet partagées en deux États suivant des critères confessionnels. Cela renvoie à l'histoire du pays. Le monde indien est marqué depuis plusieurs millénaires par l'hindouisme. Depuis le xie siècle, certaines parties du pays ont été dominées par des Empires musulmans établis par des conquêtes militaires. Au xvie siècle, ce sont ainsi les souverains moghols qui imposent une domination musulmane sur la quasi-totalité du pays. Cette situation s'accompagne de destruction de lieux de culte hindous et d'un mouvement de conversion de certains hindous à l'islam. Cette conversion leur permet d'échapper aux discriminations qui pèsent sur les non-musulmans mais aussi au système des castes lié à l'hindouisme, en vertu duquel chaque individu est assigné à une fonction sociale que seul le cycle des réincarnations peut changer. Les exclus du système des castes, les « intouchables », peuvent s'extraire de cette condition marginalisée en se convertissant à l'islam. Dans certaines régions, comme la vallée de l'Indus ou le delta du Bengale, cette conversion est massive. Ailleurs dans le pays, l'hindouisme domine. La colonisation britannique, au xviiie siècle, s'inscrit dans le cadre d'un pays divisé entre souverains locaux (maharadjahs) musulmans ou hindous.
L'émergence d'un nationalisme et les identités religieuses
Face aux Britanniques, le nationalisme indien emprunte dès la fin du XIXe siècle deux voies différentes. La première est celle d'une élite hindoue acquise à l'idée que la nation doit se constituer au-delà des clivages religieux. Le Parti du congrès, fondé en 1885, en est le principal représentant. Gandhi incarne cette voie et s'engage dans le parti en 1919, privilégiant le pluralisme et la non-violence. Toutefois, d'autres militants fondent leurs aspirations sur l'identité religieuse, et non seulement nationale. La Ligue musulmane, créée en 1906 et dirigée par Jinnah depuis 1916, milite pour un État spécifique pour les musulmans, dans les régions où ils sont majoritaires. Des partis hindous voient le jour pour défendre l'identité hindouiste de l'Inde.
Un État né d'une division confessionnelle
Lors de l'indépendance, le Pakistan (« Pays des purs ») est constitué dans les régions à majorité musulmane. Dans le reste du pays, le Parti du congrès l'emporte, sous l'égide de Nehru, premier chef d'État. L'
Union indienne ainsi créée est constituée en État laïc, qui garantit les libertés religieuses et abolit le système des castes. Pourtant, d'importants mouvements des populations ont lieu, dans des conditions souvent dramatiques, des musulmans étant déplacés vers le Pakistan et des hindous vers l'Union indienne. Des minorités religieuses demeurent et la question du Cachemire n'est pas résolue. Les nationalistes hindous sont mécontents de cette situation et l'un d'eux assassine Gandhi en 1948.
Exercice n°1Les minorités religieuses
Les religions en Inde
Les divisions du Cachemire
Le partage des Indes britanniques laisse donc subsister au sein de l'Union indienne une importante diversité religieuse. 80 % de la population est hindoue, religion majoritaire dans la plupart des États de l'Union, soit 966 millions des personnes. 15 % de la population est musulmane, soit près de 172 millions de personnes, faisant de l'Inde le troisième pays comptant le plus de musulmans dans le monde. Ils sont toutefois minoritaires dans tous les États, sauf au Jammu-et-Cachemire. On trouve également 2,3 % de chrétiens, soit 27 millions de personnes, surtout au Kerala, évangélisé dès le iiie siècle et 1,7 % de sikhs, au nombre de 20 millions, majoritaires dans l'État du Pendjab. On compte également des bouddhistes et des jaïns. C'est dans ce cadre qu'une législation laïque a été établie en 1950. La liberté religieuse est garantie ainsi que l'égalité entre tous les citoyens. Cette laïcité connaît toutefois des limites, le droit matrimonial étant ainsi lié aux règles de chacune des communautés. Elle tient donc compte de l'importance du fait religieux.
Entre laïcité et prégnance des identités religieuses
Cette laïcité s'inscrit dans un climat de grande ferveur religieuse et dans une société où l'identité de la personne est fortement liée à la communauté à laquelle elle appartient. Certains partis revendiquent ainsi le fait que l'identité religieuse soit remise au cœur de la législation. Dès 1925, le parti de l'Association patriotique nationale (RSS) a été créé pour mettre en place une législation favorable à l'hindouisme. Dans les années 1980, il a été rebaptisé Parti du peuple indien (BJP). Depuis 2014, le Premier ministre indien, Narendra Modi, appartient à cette formation politique, majoritaire dans le nord du pays, où sont présentes d'importantes minorités musulmanes. La tentation d'établir des lois religieuses et communautaires est donc réelle. La consommation de viande bovine, les vaches étant sacrées, peut ainsi être interdite dans certains États, de même que la consommation d'alcool. Une loi interdisant les conversions de l'hindouisme à d'autres religions est également à l'étude, malgré la laïcité de l'État. Dans les autres confessions, on assiste aussi à une politisation du religieux. Les communautés musulmanes n'ont pas encore été tentées d'apporter leur soutien au Pakistan et l'islam indien est resté loyaliste pendant les conflits avec le pays voisin. Toutefois, depuis les années 1980, une partie des musulmans indiens est marquée par les progrès de l'islam politique. Il peut également prendre une forme violente : du 26 au 29 novembre 2009, la ville de Mumbai est le cadre d'attentats perpétrés par des combattants islamistes venus du Pakistan.
Des minorités parfois confrontées à la violence
Les minorités peuvent également être la cible de violences. En 1992, des manifestants hindous prennent pour cible la mosquée d'Ayodhya. Celle-ci avait été bâtie par les souverains moghols qui avaient fait détruire le temple hindou qui se trouvait à cet emplacement pour commémorer le lieu de naissance de Rama. Les chrétiens, notamment au Kerala, sont régulièrement pris à partie par les nationalistes hindous qui les accusent de prosélytisme. Les tensions existent également avec les sikhs : en 1984, les gardes du corps de la Première ministre Indira Gandhi l'assassinent pour venger l'occupation par l'armée du Temple d'or, leur lieu le plus sacré, lors de la répression du mouvement séparatiste au Pendjab, en 1980.
Exercice n°2Exercice n°3Les enjeux géopolitiques : l'Inde et le Pakistan
La question du Cachemire
La problématique religieuse est également internationale. Entre l'Inde et le Pakistan, la question des religions peut servir à définir l'appartenance de territoires et à revendiquer des droits sur des espaces contestés. En 1947, lors du partage de l'Inde, le Jammu et le Cachemire posent problème. Le maharadja régnant sur cet État est hindou, mais sa population est majoritairement musulmane. Il choisit donc de rester indépendant et de n'intégrer ni l'Union indienne ni le Pakistan. Des troubles sont alors organisés au Cachemire par des factions armées pro-pakistanaises et le souverain demande l'aide de l'armée indienne. Une ligne de démarcation provisoire est établie en 1950 sous l'égide de l'ONU. Cette ligne de front sert depuis lors de frontière de fait, non reconnue par le droit international, entre Inde et Pakistan, en coupant en deux la province. La partie occupée par le Pakistan a été intégrée administrativement au pays. La partie occupée par l'Inde constitue l'État du Jammu-et-Cachemire. La réunification a été rendue impossible car un référendum organisé dans la partie indienne, peuplée majoritairement de musulmans, pourrait faire craindre une victoire des partisans du rattachement au Pakistan. La situation est encore plus complexe car la partie occidentale du territoire, le Ladakh, est peuplée majoritairement de bouddhistes.
Quelle place pour la religion dans les enjeux géostratégiques indo-pakistanais ?
La question du Cachemire est donc à la fois nationale et religieuse. Elle s'inscrit dans le cadre plus large des conflits entre Inde et Pakistan.
En 1965 et 1971, de nouvelles guerres ont lieu. La dernière conduit à l'indépendance du Pakistan oriental sous le nom de Bangladesh, ce qui montre que l'appartenance à la même religion ne garantissait pas l'unité du pays. Ces conflits ont contribué à l'acquisition de la bombe nucléaire par l'Inde en 1974 puis par le Pakistan en 1988, au rapprochement, pendant la guerre froide, du Pakistan et des États-Unis, et de l'Inde et de l'URSS (tout en privilégiant la voie du non-alignement). Depuis 1974, s'il n'y a plus de guerre ouverte, l'Inde est ciblée par des attentats islamistes parfois perpétrés par des groupes combattants provenant du Pakistan. Par ailleurs,
la Chine intervient également dans le conflit. Dès 1950, elle occupe l'Aksai Chin, partie la plus orientale du Jammu-et-Cachemire, ce qui lui permet de sécuriser sa frontière. Elle privilégie aujourd'hui les liens avec le Pakistan, alors qu'elle considère l'Inde comme une puissance potentiellement rivale. Un couloir économique Chine-Pakistan aboutit au port de Gwadar qui s'inscrit dans la stratégie du « collier de perles ».
Ainsi, la religion n'est qu'un des aspects du conflit indo-pakistanais et de ses conséquences territoriales. Les enjeux sont également économiques et stratégiques et liés à la rivalité des puissances.
Exercice n°4Exercice n°5