Pouvoir et religion : des liens historiques traditionnels


Fiche

Les liens entre États et religions sont anciens. Ils ont pris plusieurs formes. L'enjeu étant de conférer une dimension sacrale au pouvoir politique tout autant que de permettre à une religion de bénéficier de l'appui de l'État. Ces rapports à double sens ont conduit à des relations complexes entre les deux protagonistes. Ceux-ci peuvent aller de la théocratie, lorsque le chef religieux est aussi un chef politique, jusqu'à la soumission du politique au religieux, ou vice versa. Depuis le xviiie siècle, l'idée d'une séparation plus nette entre champs politique et religieux est apparue en Europe occidentale, avant de se diffuser. Par ailleurs, ce rapport du politique au religieux s'inscrit dans des cadres différents, suivant le degré d'adhésion et de ferveur des populations. Afin de mieux percevoir les enjeux, l'étude de situations historiques spécifiques permet de comprendre dans quels héritages s'inscrivent les situations juridiques actuelles de religion d'État, de séparation des Églises et de l'État et de laïcité.
L'association des pouvoirs religieux et politique : l'exemple des califes
Un chef politique et religieux
Dans l'islam, le calife est le chef politique, militaire et spirituel des musulmans. Son magistère religieux s'accompagne ainsi également d'un pouvoir absolu et de sa légitimité à mener des conquêtes militaires au nom de l'islam, à l'image de l'action du prophète Mohamed. Il exerce également son pouvoir politique sur les non-musulmans habitant dans l'Empire. Les califes sont considérés comme les successeurs de Mohamed. Le pouvoir califal se met en place après sa disparition, au viie siècle, avec de nombreuses querelles opposant les partisans d'Ali (gendre et cousin de Mohamed et quatrième calife) et les Omeyyades. Cette divergence liée au pouvoir militaire induit aussi un schisme religieux, les partisans d'Ali étant appelés chiites, ceux des Omeyyades, sunnites.
Les pouvoirs du calife
Le calife dispose de nombreux pouvoirs. Du point de vue religieux, il peut diriger la prière et le prêche est prononcé en son nom. Il dispose, au sein de la mosquée, d'un espace réservé, souvent dissimulé aux regards par des cloisons de bois. Les califes ont, à plusieurs reprises, pris des décisions religieuses précisant la foi musulmane. Ainsi, ils interviennent aux viie et viiie siècles pour définir une version écrite du Coran. Ils sont également les juges suprêmes au sein de l'Empire arabe, rendant les décisions au nom de la charia. Leur administration est composée d'émirs, qui, dans chaque province de l'Empire, dirigent l'administration en leur nom. Deux édifices majeurs matérialisent le pouvoir califal dans l'espace public : le palais et la grande mosquée. Ce fut le cas à Damas pour les Omeyyades, où la grande mosquée bâtie au viiie siècle existe toujours. Les califes abbassides, de 750 à 1248, font édifier la ville de Bagdad, de plan circulaire, avec leur palais au centre.
Des contestations politiques et religieuses
La légitimité politique et religieuse des califes n'a pas empêché des contestations. On a déjà parlé des guerres entre les partisans d'Ali et les Omeyyades. Plusieurs dynasties de califes se sont succédé. Vers 750, les Abbassides prennent le pouvoir. Une période de fragmentation du pouvoir califal intervient cependant dès le viiie siècle. Dans certaines provinces, des envahisseurs venus d'Asie centrale, ou encore des émirs locaux établissent des royaumes indépendants reprenant, sur leur territoire, les pouvoirs du calife, faisant ainsi éclater l'Empire arabe. À partir de 1516, ce n'est plus un Arabe, mais un Turc qui exerce la charge de calife : le sultan ottoman Sélim Ier règne alors sur un Empire ayant conquis à la fois l'Empire byzantin et la plupart des territoires majoritairement peuplés d'Arabes. Depuis la déposition du dernier sultan ottoman par la République turque en 1924, il n'y a plus de calife et l'islam sunnite s'est organisé dans le cadre des différents États où cette religion est pratiquée. Certains souverains musulmans sont toujours dépositaires de l'héritage du pouvoir califal au sein de leur royaume, comme le roi du Maroc.
Exercice n°1
L'Empire byzantin ou le césaropapisme
Le césaropapisme
Dans l'Empire byzantin, la situation est différente. L'empereur protège et contrôle l'Église, mais il ne dispose pas de pouvoir de nature religieuse. Ceux-ci sont assumés par le patriarche de Constantinople, principale autorité religieuse au sein de l'Empire et chef de sa religion officielle, le christianisme orthodoxe. Toutefois, une dimension religieuse marque le pouvoir impérial, puisque l'empereur nomme le patriarche. On parle ainsi, au sujet de l'empereur, de césaropapisme.
Des rapports complexes entre l'Église et l'empereur
Constantin présente le plan de la ville de Constantinople à la Vierge, Église Sainte Sophie, vers l'an 1000
Pouvoir et religion : des liens historiques traditionnels - illustration 1
L'Empire byzantin est l'Empire romain d'Orient, dont la capitale est Constantinople. Il a survécu à la chute de l'Empire d'Occident, en 476. L'empereur Justinien, au vie siècle, reconquiert même une partie de l'Italie. L'Empire perpétue des formes politiques issues de l'Empire romain, des formes héritées de l'Empire encore unifié et déjà christianisé de Constantin et de Théodose, au ive siècle. L'empereur est désormais appelé Basileus, le mot grec signifiant roi, puisque cette partie de l'Empire est hellénophone. Il est désigné par l'armée, mais il est couronné par le patriarche de Constantinople, qui est l'évêque de la capitale. L'empereur s'engage à défendre la foi chrétienne. En retour, il est considéré comme le « lieutenant du Christ » sur la Terre. Son pouvoir va s'en trouver sacralisé. Il dispose d'un espace spécifique à l'église. Lorsqu'il donne audience, il apparaît après son dévoilement par un rideau, alors qu'une prosternation – ou proskynèse – est imposée à ses visiteurs. Il nomme le patriarche de Constantinople et, s'il ne dirige pas l'Église, il exerce ainsi sur elle un contrôle important.
Les contestations entre politique et religion
Les rapports entre autorités politiques et religieuses sont toutefois souvent très tendus à Byzance. Certains patriarches ont soutenu des révoltes visant à renverser l'empereur pour placer sur le trône un autre candidat à l'Empire, considéré comme plus favorable. Certains basileus ont déposé des patriarches considérés comme hérétiques ou hostiles à leur pouvoir. La complexité de ces relations éclate au grand jour lors de la crise iconoclaste, de 726 à 843. Certains empereurs interdisent la vénération des images dans les églises. La politisation de cette crise religieuse aboutit à d'incessantes guerres civiles, avant que les partisans des images ne s'imposent. Après la chute de Constantinople, le césaropapisme en tant que tel survit au sein de l'État russe, seul État orthodoxe après la conquête ottomane. En tant que notion montrant la soumission du religieux par le politique, qui tire toutefois de lui sa légitimité, le terme est employé également en Occident pour désigner certaines situations.
Exercice n°2Exercice n°3
En Occident, l'affirmation du pouvoir temporel et spirituel : l'exemple du couronnement de Charlemagne
En Occident, le pouvoir religieux et le pouvoir politique connaissent une évolution différente en s'affirmant tous les deux de manière plus autonome.
Pouvoir du pape, restauration impériale
La disparition de l'Empire romain en 476 laisse la place à des royaumes barbares. Le pape, à Rome, dispose de la primauté sur tous les évêques d'Occident. À la différence du patriarche de Constantinople, il n'est pas nommé par une autorité politique. Il est élu par les principaux prêtres de la ville, appelés cardinaux. Il possède donc une autonomie qui fait défaut au patriarche de Constantinople. En revanche, il n'est pas protégé par un souverain temporel. Théoriquement, la ville de Rome est censée être protégée par l'empereur byzantin, mais lorsque les Lombards envahissent l'Italie, au viiie siècle, Byzance, occupée à endiguer l'invasion arabe, ne peut intervenir. Le pape fait alors appel au roi des Francs, Pépin le Bref, pour sauver son autorité. Pépin accorde au pape un territoire en Italie centrale, qui devient les États pontificaux et dont le Vatican actuel est le lointain héritier. Le pape est donc, dans ses États, chef politique et religieux, instituant ainsi une théocratie. Dans les autres États, il exerce le pouvoir spirituel sur ses fidèles. Le pape peut également légitimer le pouvoir d'un souverain temporel. En l'an 800, le pape Léon III fait appel à Charlemagne, roi des Francs, fils de Pépin le Bref, pour l'aider face aux Lombards qui menacent son État. En remerciement, le pape couronne Charlemagne empereur d'Occident, le 24 décembre de la même année. Il crée ainsi une situation inédite : le pape s'arroge le droit de choisir l'empereur, à l'inverse de ce qui se passe à Byzance. En échange, Charlemagne protège le pape et s'engage à diffuser la foi dans les territoires qu'il conquiert, comme la Saxe.
La lutte du sacerdoce et de l'Empire
Dans ce système théocratique, le pape est ainsi celui qui possède le pouvoir spirituel, qu'il conserve et le pouvoir temporel, qu'il délègue (théorie des deux glaives). Tout au long des xiie  et xiiie siècles, les empereurs du Saint Empire romain germanique tentèrent de se libérer de cette tutelle du pape et les papes tentèrent de la conserver, en utilisant l'arme de l'excommunication, les sujets de l'empereur n'étant plus censés lui obéir s'il était l'objet de cette sanction.
Les héritages du rapport entre le pape et les souverains en Occident
Cependant, dans la plupart des royaumes de l'Occident chrétien, le souverain ne dépend pas du pape. En France, par exemple, l'institution de la cérémonie du sacre, par Pépin le Bref, permet au roi d'être sacré à Reims, avec une onction de l'huile de la sainte ampoule, sans que ni l'Église, ni le pape n'aient à choisir le souverain. Toutefois, ces rois peuvent toujours être frappés par une excommunication s'ils s'opposent au pouvoir spirituel du pape. À l'époque moderne, certains rois choisissent ainsi le protestantisme pour se libérer de cette tutelle et devenir eux-mêmes chefs ou protecteurs des Églises, comme le fit Henri VIII en Angleterre. En France, Louis XIV choisit de rester catholique, tout en gardant un important pouvoir temporel sur l'Église, dans le cadre du gallicanisme. Le sacre est alors utilisé pour montrer que le roi est élu par Dieu, suivant le principe de la monarchie de droit divin.
Exercice n°4Exercice n°5
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