Avec Internet, les pratiques de l'information se sont profondément transformées. Son accès y est démultiplié, la possibilité de participer à des débats et de publier du contenu ont révolutionné les étapes de sa production et de sa diffusion. Cette information via Internet possède plusieurs caractéristiques. La première est qu'elle est perçue comme plus horizontale, c'est-à-dire produite par des pairs et non plus par des professionnels. Ce nouveau schéma n'est pourtant pas généralisé et il inclut, en partie, les acteurs traditionnels. La Toile est également le lieu d'apparition d'une nouvelle catégorie d'informateurs : les lanceurs d'alerte. Ceux-ci y diffusent des renseignements qu'ils considèrent comme nécessaires aux citoyens pour pouvoir exercer leur jugement critique. Avec, toutefois, la nécessité de discuter de la liberté de ces nouveaux intervenants vis-à-vis des groupes politiques ou économiques. Enfin, Internet peut aussi être le lieu de diffusion des fake news et des théories du complot. Comment éviter que ces pratiques ne perturbent le jeu démocratique ?
Vers une information fragmentée et horizontale
Internet, un nouveau schéma pour l'information
L'information sur Internet est souvent qualifiée d'horizontale, c'est-à-dire qu'elle relève de la transmission d'éléments entre pairs. Ceci est une révolution. Dans le schéma médiatique traditionnel, l'information est recueillie par les agences de presse, puis les journalistes choisissent quels aspects ils souhaitent développer et quel angle adopter, en fonction des opinions défendues par leur média. La même information ne reçoit ainsi pas le même traitement dans un journal de gauche ou dans un journal de droite. Sur Internet, plusieurs situations sont possibles. On constate, d'une part, que la Toile reproduit ce schéma. Tous les grands journaux d'information et d'opinion sont présents en ligne et représentent un nombre important de consultations. Toutefois, le fait que leur contenu soit payant écarte de cette voie un certain nombre d'internautes. D'autre part, il existe des sites de partage de l'information entre pairs. Ils sont donc marqués par un principe d'égalitarisme. La parole d'un expert y compte autant que celle d'un non-expert, au risque que l'idée qui l'emporte soit liée à la capacité de persuasion de celui qui écrit ou au nombre de personnes qu'il compte dans son réseau plutôt qu'à sa véracité.
Une information fragmentée
Par ailleurs, Internet tend à homogénéiser les informations, car on a souvent tendance, notamment sur les réseaux sociaux, à être en lien avec des personnes dont on partage les idées ou que l'on connaît. Enfermée dans un mode de pensée ou dans une appartenance sociale ou démographique, la distinction entre information et discours auto-légitimant n'est plus possible. Ce phénomène est parfois appelé « bulle de filtrage ». Il est renforcé par le fait qu'il permet de bien identifier les cibles marketing des publicités, qui ont donc intérêt à cette exposition sélective. Internet devient alors le lieu d'affrontement d'idées préconçues s'étant renforcées davantage qu'un espace propice au débat. En témoignent les nécessaires modérations introduites sur les réseaux sociaux face aux messages insultants, souvent favorisés par l'anonymat d'Internet, qui offre un espace où la haine et le racisme peuvent s'exprimer plus largement que dans la vie réelle, où la confrontation n'est pas virtuelle
Une information homogénéisée
Internet, par la rapidité des informations qui y circulent et par l'existence d'un
référencement hiérarchisé sur les moteurs de recherche, contribue également à
l'uniformisation de l'information. Retweeter, partager sur Facebook, réaliser un copier-coller contribue souvent à reproduire en masse la même information plutôt que de renforcer sa diversité.
Toutefois, il permet aussi un accès plus large à l'information et
apprendre à l'utiliser permet au citoyen de croiser les sources et de participer plus directement aux débats politiques.
Exercice n°1Témoignages et lanceurs d'alerte
Internet dans la tradition des rapports entre presse et révélation des informations
Avec Internet apparaît une nouvelle catégorie d'informateurs : les lanceurs d'alerte. Ces personnes se présentent comme des éveilleurs de conscience portant à la connaissance du grand public des éléments qui lui ont été dissimulés et qui sont souvent de nature illicite, preuves à l'appui. La question du rôle des lanceurs d'alerte est complexe. Ils peuvent en effet être eux-mêmes manipulés ou au service de groupes politiques ou économiques ayant intérêt à en déstabiliser un autre. Il n'est donc pas rare de voir des États restreignant par ailleurs les libertés soutenir ou accueillir sur leur sol des lanceurs d'alerte condamnés dans leur pays. La pratique des fuites d'information était déjà une stratégie utilisée pendant la guerre froide pour déstabiliser l'adversaire, mais cela devait se faire avec des techniques plus lentes pour la diffusion de l'information, comme la photocopie, et la diffusion des données était soumise à l'acceptation de la rédaction du journal, qui pouvait craindre un procès ou une interdiction. Le premier lanceur d'alerte serait ainsi Daniel Ellsberg, qui révéla, via le New York Times, en 1971, les Pentagon Papers. Les lanceurs d'alerte bénéficient aujourd'hui de l'« effet Streisand », inhérent à Internet : tenter de faire interdire une information attise la curiosité et contribue à une plus large diffusion (l'expression est tirée de la déconvenue vécue par Barbra Streisand ; les photographies de sa demeure n'ont jamais été autant regardées que lorsqu'elle a tenté de faire interdire leur diffusion sur le Web).
Les lanceurs d'alerte au service d'une démocratisation de l'information ?
Julian Assange en 2014 à Londres
Les lanceurs d'alerte les plus célèbres se fondent sur la possibilité d'une démocratisation de l'information sur Internet et la nécessité de la transparence pour le bon fonctionnement des démocraties. En 2006, Julian Assange crée Wikileaks, afin de compenser ce qu'il appelle l'asymétrie de l'information, qui accorde davantage de poids à celle émanant de l'État. Le site diffuse des sources et des informations, les commente, tout en protégeant l'identité des contributeurs. Depuis les débuts des années 2010, c'est toutefois parce que son contenu est relayé par les grands médias traditionnels que le site se place au cour du débat public. Depuis 2012, Julian Assange fait l'objet de poursuites aux États-Unis et se réfugie à l'ambassade d'Équateur à Londres, donnant à l'affaire une connotation géopolitique puisque l'Équateur est un pays membre de l'ALBA, organisation internationale d'Amérique latine hostile à la domination des États-Unis. En 2019, l'Équateur met fin à sa protection et Julian Assange est arrêté par la police britannique. Les États-Unis demandent son extradition.
Les lanceurs d'alerte dans le grand jeu géopolitique
Quant à Edward Snowden, ancien employé de la National Security Acengy (
NSA) des États-Unis, il dévoile, à partir de 2013, des documents qui attesteraient du contrôle que l'agence exerce sur les citoyens du monde entier
via les écoutes téléphoniques ou les données collectées par les géants du Web. Accusé d'espionnage par l'État américain, il a trouvé refuge en Russie depuis 2013. L'affaire des
Panama Papers éclate en 2016, révélant que plusieurs chefs d'État et membres de gouvernements de plusieurs pays auraient participé à des sociétés
offshore basées au Panama. Le lanceur d'alerte est connu seulement par son pseudonyme John Doe, littéralement « Monsieur Tout-le-Monde ». L'affaire a trouvé un relais important dans le monde politique et judiciaire et s'est traduite par l'ouverture d'enquêtes dans de nombreux pays.
Les lanceurs d'alerte, quel que soit le
risque de manipulation, montrent que les pratiques de l'information ont été renouvelées par Internet, avec des conséquences politiques et géopolitiques nouvelles.
Exercice n°2Exercice n°3Les théories du complot : comment trouvent-elles une nouvelle jeunesse sur Internet ?
Complotisme et fake news sur Internet
Internet permet également d'accorder une audience renouvelée à des théories sans fondement réel mais rencontrant une large audience dans l'opinion : les théories du complot. Ces idées répondent à certaines attentes d'une partie de l'opinion : bénéficier d'une information qui semble dissimulée, attrait pour les pseudosciences ou l'histoire alternative. Un fait, anodin ou erroné, est interprété de manière pseudo-rationnelle pour montrer que certains groupes politiques ou économiques ont intérêt à dissimuler la vérité au simple citoyen. Internet permet ainsi de largement diffuser la désinformation en la légitimant par le nombre de personnes y adhérant, le nombre de clics ou de « like » ayant valeur de validation.
Une défiance vis-à-vis du pouvoir et des grands médias
Parmi les théories du complot, les plus florissantes concernent le domaine de la santé publique. Profitant du retentissement négatif de vrais scandales sanitaires sur l'opinion, un certain nombre de sites diffusent la peur des vaccins, conduisant certaines personnes à les refuser pour leurs enfants. Viennent ensuite les théories visant à discréditer l'action de certaines puissances dans le monde. Les États-Unis en sont la principale cible : l'alunissage de 1969 serait une supercherie, le président Kennedy aurait été tué sur ordre de la CIA, ou encore les attentats islamistes relèveraient de manipulations de leur part. Enfin, viennent les théories remettant en cause des fondements de la science, affirmant que des extraterrestres reptiliens domineraient le monde, que la théorie de l'évolution serait une imposture, ou encore que la Terre serait plate. L'audience de ces théories est difficile à évaluer, mais on compterait près de 50 % des Français qui craindraient les vaccins et près de 12 millions d'Américains seraient ouverts à l'idée que la Terre soit plate.
Complotisme et politique sur Internet
L'entre-soi sur Internet renforce la capacité d'adhésion à ces théories, de même que la méfiance d'une part de l'opinion vis-à-vis des grands médias et de leur prétendu soutien aux acteurs du pouvoir. Ainsi, la question des théories du complot et des
fake news est également politique.
Certains pays sont d'ailleurs accusés de diffuser des fausses informations pour manipuler l'opinion de puissances rivales – ou la leur –, ce qui contribue parfois aux tensions internationales.
Exercice n°4Exercice n°5