Les frontières en débat
Fiche
Les frontières sont au cœur de nombreux débats. Souvent issues d'un rapport de force, elles peuvent être contestées, négociées, ou acceptées. Certaines frontières ont ainsi connu d'importantes transformations au cours des siècles. La définition des frontières se pose également dans des types d'espaces dont les enjeux ne sont pas ceux des frontières territoriales. C'est le cas des mers et des océans. La définition de frontières est ici rendue complexe par la présence d'un droit accordant des eaux territoriales et une zone économique exclusive aux États riverains. Le rapport entre la mer et les frontières relève donc de logiques différentes de celles qui existent dans le rapport entre frontières et territoires et pose la question des espaces n'appartenant à aucun État. S'ils restent patrimoine commun de l'ensemble de l'humanité, ils n'en sont pas moins convoités. L'étude comparée des débats autour de frontières terrestres contestées et du rapport entre les espaces maritimes et les États permet de cerner les enjeux de l'appropriation des territoires.
Les frontières terrestres contestées : l'exemple de la frontière germano-polonaise de 1939 à 1990
Certaines frontières terrestres sont contestées. Elles le sont généralement par des États qui souhaitent accroître leur territoire au détriment d'autres. Plusieurs légitimités sont alors invoquées : appartenances historiques, héritages culturels et linguistiques. Ces arguments sont souvent des justifications au service d'ambitions territoriales.
L'héritage d'une frontière complexe
Depuis 1939, la frontière germano-polonaise a connu d'importantes transformations. Au xviiie siècle, la Pologne avait été partagée entre ses puissants voisins : l'Autriche, la Prusse et la Russie. Les Polonais vivaient donc au sein de trois États où ils étaient minoritaires. Malgré le soutien de Napoléon, puis d'une révolte au sein de la Pologne russe 1830, il fallut attendre 1918 pour que le pays retrouve son indépendance. Il est alors créé par le traité de Versailles, avec les territoires à population majoritairement polonaise, ainsi que par le corridor de Dantzig, pour disposer d'un accès à la mer (prévu par un des quatorze points de Wilson). Certains territoires, comme la Haute Silésie, où sont présents Polonais et Allemands, sont soumis à plébiscite. À l'est, la limite entre Russie soviétique et Pologne est fixée sur la ligne Curzon (du nom du ministre des affaires étrangères du Royaume-Uni, auteur du projet). Mais en 1921, à l'issue de la guerre entre la Pologne et la Russie soviétique, dont la Pologne sort vainqueur, la frontière est repoussée plus à l'est.L'Allemagne nazie et l'URSS ont donc des revendications sur la Pologne et veulent reconquérir les territoires perdus depuis 1918. À cela s'ajoutent les motivations racistes d'Hitler qui souhaite éliminer les élites polonaises et les juifs présents dans le pays pour en faire un espace de colonisation allemande, partie intégrante de ce qu'il considère comme l'« espace vital » du Reich. En août 1939, le pacte germano-soviétique prévoit ainsi un partage de la Pologne entre Allemagne et URSS, qui est mis en œuvre en septembre, après la défaite polonaise. La Pologne disparaît. Les Soviétiques établissent leur frontière à peu près sur la ligne Curzon et l'Allemagne annexe, à l'ouest, une part importante du territoire polonais, établissant dans les territoires restants un « gouvernement général » visant à l'intégration du pays dans l'« espace vital » nazi où Hitler perpètre une politique d'extermination.
Des frontières redessinées par le contexte géopolitique de 1945
Vue de l'Oder, un des cours d'eau qui marquent la frontière entre l'Allemagne et la Pologne
En 1945, après la défaite du nazisme, les frontières polonaises connaissent une nouvelle transformation. Lors de la conférence de Potsdam, le 2 août 1945, les Alliés placent sous administration polonaise les régions d'Allemagne situées à l'est d'une ligne suivant deux fleuves : la ligne Oder-Neisse. Dans le même temps, Staline annexe à l'URSS les régions conquises par la Pologne en 1921 et ramène les frontières sur une ligne proche de la ligne Curzon. Les populations polonaises sont alors chassées par Staline pour éviter tout risque d'irrédentisme et réinstallées dans les régions prises à l'Allemagne : la Silésie, la Poméranie et le sud de la Prusse orientale. La Pologne « glisse vers l'ouest ». Les populations allemandes sont alors chassées des régions placées sous administration polonaise et partent vers le territoire allemand. Ces mouvements de populations avaient pour but d'éviter que la présence de minorités allemandes ne conduise à un nouveau prétexte expansionniste.
Vers une reconnaissance de la frontière, de 1945 à 1990
La division de l'Allemagne pendant la guerre froide complique la question de la reconnaissance de cette frontière. Dès 1949, par l'accord de Görlitz, la RDA reconnaît la ligne Oder-Neisse comme frontière germano-polonaise, mais la RFA s'y refuse, considérant les frontières de 1937 comme légitimes. C'est seulement dans le cadre de l'Ostpolitik menée par Willy Brandt dans les années 1960 afin de parvenir à une coexistence pacifique entre les deux Allemagnes, que la RFA reconnaît la ligne Oder-Neisse comme frontière, lors du traité de Varsovie en 1970. En 1991, après la réunification de l'Allemagne, la frontière est définitivement reconnue. Depuis l'intégration de la Pologne à l'Union européenne, la normalisation de cette frontière semble achevée.Exercice n°1Exercice n°2
Les mers : un lieu de dépassement des frontières ?
Les espaces maritimes permettent de mettre en lumière d'autres formes de débats sur les territoires. Une part des mers est en effet attribuée, suivant des voies spécifiques, aux États, mais les espaces maritimes sont aussi des espaces sans frontières, ce qui les différencie profondément des espaces terrestres.
Des espaces qui échappent à toute souveraineté ?
Les espaces maritimes ont été longtemps considérés comme libres, au-delà des espaces réservés au cabotage et à la pêche côtière. Toutefois, les conflits, depuis le xve siècle, sont nombreux pour l'attribution des richesses liées à la mer. Les premières sont les ressources halieutiques. Lors du traité de Paris, en 1763, la France perd ses colonies en Amérique du Nord, mais négocie de manière à garder l'accès aux bancs de poissons de Terre-Neuve et le point d'appui des îles de Saint-Pierre-et-Miquelon, qui sont toujours des territoires français d'outre-mer. Viennent ensuite les ressources du sous-sol, avec, depuis les années 1950, l'exploitation du pétrole offshore, ou encore des gisements de gaz naturel. Enfin, les routes maritimes stratégiques sont situées sur les mers libres, mais certains passages stratégiques, comme les détroits, sont contrôlés par un ou plusieurs États (le Bosphore et les Dardanelles dans le premier cas, deux pour le détroit de Béring, trois pour celui de Gibraltar).L'établissement d'un droit de la mer
La guerre froide freine la rédaction d'un droit international de la mer. C'est seulement dans le contexte de la coexistence pacifique qu'en 1956, l'ONU met en œuvre la première Conférence sur le droit de la mer. Plusieurs traités mettent progressivement en place un certain nombre de règles. La mer territoriale, la haute mer et le plateau continental reçoivent progressivement des définitions concrètes. Lors de la troisième Conférence sur le droit de la mer, en 1973, on décide la rédaction définitive du droit de la mer. En 1982, à Montego Bay, est signée la Convention des Nations unies sur le droit de la mer. Un Tribunal international du droit de la mer est également créé.Les espaces maritimes sont donc attribués de la manière suivante depuis la ligne de base (calculée d'après le trait de côte). La mer territoriale, en pleine souveraineté de l'État qui la borde, y compris le sous-sol, s'étend sur 12 miles nautiques. Vient ensuite une zone tampon, appelée zone contiguë. Elle est large de 12 miles également. L'État peut y procéder à des contrôles. Vient ensuite la zone économique exclusive qui s'étend jusqu'à 200 miles nautiques depuis la côte. L'État riverain y a un droit d'exploitation des eaux, du sol et du sous-sol. Toutefois, si le plateau continental se prolonge jusqu'à 350 miles nautiques, il est possible d'étendre la ZEE jusqu'à cette limite. Les autres espaces maritimes, soit 65 % du total des mers et océans, sont une zone internationale. Dans cette haute mer, la navigation est libre, comme l'installation d'infrastructures de transport des matières premières et de communication, ainsi que la pêche et le survol. Quant aux fonds marins dans cet espace, ils sont gérés par l'Autorité internationale des fonds marins. Si la plupart des États ont ratifié le traité instituant ces dispositions, certains l'ont refusé, comme les États-Unis.
Un droit contourné ?
Ces dispositions ont des conséquences géopolitiques importantes. D'une part, elles permettent à certaines puissances moyennes de disposer de ZEE importantes. C'est le cas de la France qui, grâce à ses territoires ultramarins, possède la seconde plus vaste ZEE au monde, derrière les États-Unis. Vient ensuite l'Australie. La revendication d'élargissement des ZEE montre que les logiques frontalières se poursuivent toutefois au sein des espaces maritimes. La Chine, par exemple, en revendiquant les îles Quemoy et Matsu, vise un important élargissement de sa ZEE. Dans l'Arctique, la fonte de la calotte glaciaire ouvre des perspectives d'élargissement de la ZEE des cinq États côtiers jusqu'aux 350 miles nautiques : Canada, États-Unis, Russie, Norvège et Danemark. La liberté de la navigation dans ce qui pourrait être une nouvelle route internationale intéresse également la Chine, alors que la Russie tente d'imposer des réglementations garantissant des droits souverains au sein de sa ZEE. Quant à la proposition de Donald Trump d'acheter le Groenland au Danemark, comme l'Alaska le fut à la Russie en 1867, elle montre l'intérêt que les États-Unis accordent à ces nouveaux horizons géopolitiques.Ainsi, le statut spécifique des espaces maritimes n'empêche pas ceux-ci de s'inscrire dans le « grand jeu » géopolitique d'un monde davantage multipolaire.
Exercice n°3Exercice n°4Exercice n°5
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