Tracer des frontières : approches géopolitiques
Fiche
Du point de vue géopolitique, la frontière est ambivalente. Elle est une ligne de partage, mais aussi un lieu d'échange. Souvent née d'un rapport de force, la frontière est devenue, à l'époque contemporaine, une ligne fixe qui a remplacé les frontières médiévales qui constituaient une zone dans laquelle on passait, progressivement, d'une souveraineté à une autre. La diffusion du modèle de l'État nation tout au long du xxe siècle, notamment après la Première Guerre mondiale et à la fin de la guerre froide, a conduit à la multiplication des États et donc des frontières. Si certaines frontières sont pacifiées, certaines demeurent des lieux de tensions. C'est le cas lorsque deux pays sont antagonistes, leurs frontières sont alors fermées. D'autres frontières sont semi-ouvertes : les marchandises peuvent circuler librement entre les États-Unis et le Mexique, de même que les touristes venant des États-Unis, mais la frontière est fermée aux migrants n'entrant pas dans le cadre de l'immigration légale. Enfin, certaines frontières demeurent contestées. Dans tous les cas, les espaces transfrontaliers sont des lieux majeurs de la géopolitique mondiale. Quelles logiques ont conduit à tracer les frontières ?
Tracer des frontières pour sécuriser une souveraineté
Marches et frontières
Le fait de tracer des frontières est lié à l'affirmation de la souveraineté de l'État. Celui-ci doit en effet définir son territoire et le protéger des agressions extérieures. Le terme de frontière est d'ailleurs issu du vocabulaire militaire. La plupart des frontières sont nées de compromis stratégiques. Dans l'Antiquité, mais également, dans certains cas, à des époques plus tardives, la frontière, davantage qu'une ligne, est une marche, c'est-à-dire un territoire frontalier assurant une zone tampon entre une souveraineté et une autre, destinée à encaisser le choc en cas d'agression. Dans ce contexte, la frontière peut revêtir plusieurs aspects. Dans le cas de l'Empire romain, la frontière nord est avant tout civilisationnelle : entre le monde romain et les peuples germaniques, qualifiés de barbares. À partir du ier siècle, les romains entreprennent de fortifier cette limite, qui devient alors un limes, devant le risque d'une poussée des peuples germaniques. Le choix est fait de s'appuyer sur un obstacle naturel, le Rhin, et d'installer, à intervalle régulier, des villes et des camps de légionnaires. Il ne s'agit donc pas d'une muraille plus ou moins continue, comme ce qui fut décidé par les Chinois à la même époque et pour les mêmes raisons, mais d'un ensemble fortifié assez poreux qui permet, en cas de crise, de disposer sur place des troupes nécessaires pour contrôler les principaux passages stratégiques. Au Moyen Âge, la frontière ne se trace pas. Elle se vit à travers le changement de souveraineté et de juridiction, souvent à l'échelle du fief. L'absence de cartographie conduit à des approches empiriques, permettant d'équilibrer, lors des partages, le potentiel de chaque territoire, comme lors du traité de Verdun, en 843, qui partage l'Empire carolingien entre les trois fils de Louis le Pieux.Le mythe des « frontières naturelles »
L'époque moderne a révolutionné le tracé des frontières. L'exemple de la France est éloquent. Richelieu, principal ministre de 1624 à 1642, définit le concept de « frontière naturelle » : le royaume de France aurait pour limites celles de l'ancienne Gaule : le Rhin, les Alpes, les Pyrénées. Il s'agit en réalité de justifier, par un concept qui n'a aucun fondement historique, un vaste mouvement d'expansion vers les États voisins, qui ne fut que partiellement atteint. La frontière nord de la France reste une ligne de front, sans aucun repère naturel, héritée des guerres de Louis XIV. La fortification de ces frontières par les forteresses de Vauban sous Louis XIV a contribué à définir le « pré carré » des frontières françaises.Justifier le tracé des frontières
Le tracé des frontières peut s'opérer dans un cadre négocié, suite à une conférence réunissant plusieurs acteurs, mais il peut aussi être le résultat d'un conflit ayant conduit à l'annexion d'un territoire. La justification de cette annexion peut être d'accroître la sécurité de l'État, ou un des aspects de la population qui l'habite, comme sa langue ou sa religion, ou encore l'histoire, lorsque le territoire revendiqué a appartenu, à une époque ou une autre, à l'État annexant. Dans tous les cas, ces modifications des frontières ont pour but de contrôler un espace stratégique, soit par sa situation, comme les façades maritimes, soit par les richesses qu'il abrite.Exercice n°1Exercice n°2
Tracer des frontières pour prendre le contrôle d'un territoire
Le tracé d'une frontière peut également relever d'un choix destiné à définir une nouvelle organisation géopolitique d'un espace.
Tracer des frontières pour dominer un territoire
C'est le cas dans le monde colonial. Lors de la mise en place des seconds empires coloniaux, au xixe siècle, après ceux hérités des xvie et xviie siècles, on a assisté à l'organisation de conférences internationales destinées à partager les territoires africains et asiatiques. Il s'agissait de légitimer par des tracés les zones d'influences établies par les expéditions militaires, les exploitations commerciales et les missions chrétiennes. En 1885, le chancelier allemand Otto Von Bismarck réunit à Berlin les principales puissances coloniales impliquées dans le partage du Congo : France, Grande-Bretagne et Belgique. Les principes mis en œuvre à Berlin conduisirent à un partage de l'Afrique en fonction des intérêts des puissances, sans tenir compte des réalités ethno-religieuses des populations locales. Le choix du maintien de ces frontières lors des indépendances, des années 1950 aux années 1970, posait donc des questions importantes sur la cohérence des nouveaux États qui ont dû définir une identité nationale à partir du territoire, et non l'inverse, comme pour les États européens.Frontières et principe des nationalités
L'application du principe des nationalités et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes est également un fait majeur dans le tracé des frontières depuis le xixe siècle. La Révolution française a vu naître le principe d'une souveraineté nationale sur un territoire donné. Ceci a conduit à l'éclatement d'un grand nombre d'empires multinationaux ou d'États fédéraux afin de faire accéder les nations à l'indépendance. Le critère linguistique est généralement celui qui a été retenu pour tracer les nouvelles frontières, ainsi que les rapports de force lors des conflits. Les nations chrétiennes des Balkans se libèrent de l'occupation ottomane au xixe siècle. À la fin de la Première Guerre mondiale, de nombreux États nations sont institués lors des traités de Versailles, Sèvres, Trianon, Saint-Germain et Lausanne, en lieu et place de l'Empire d'Autriche-Hongrie et sur les marges occidentales de l'Empire russe, devenu la Russie soviétique puis l'URSS. L'effondrement du bloc de l'Est en 1991 a conduit à l'éclatement de l'URSS en plusieurs États nations, ainsi que de la Yougoslavie. Ces frontières sont souvent contestées car le critère linguistique conduit nécessairement à la présence de minorités nationales. Afin de légitimer la frontière nouvellement tracée par négociation ou rapport de force, on a ainsi souvent procédé à des échanges de populations, comme entre la Grèce et la Turquie en 1923. Des déportations ou des massacres ont également parfois accompagné de tels choix d'homogénéiser la population au sein de chaque État afin de légitimer a posteriori le tracé de la frontière.Frontières et sécessionnisme
Ce processus de sécessionnisme s'est récemment produit, sur critère ethno-religieux, avec la naissance du Soudan du Sud en 2011. La question du sécessionisme et donc de la remise en cause des frontières existe toujours en Europe occidentale, malgré la construction européenne, comme le prouve la volonté d'indépendance d'une partie de la population catalane face à l'État espagnol.Exercice n°3Exercice n°4
Tracer la frontière : marquer une limite politique
Frontières et idéologie
Les frontières marquent également des limites de nature politique, opposant des espaces de type différents. Ces oppositions peuvent être de nature idéologique. Pendant la guerre froide, le « rideau de fer » partageant l'Europe était à la fois idéologique, militaire, politique. Sur certains de ses tronçons, elle se présentait comme une frontière fermée, dont le symbole fut le mur de Berlin qui ceintura Berlin-ouest de 1961 à 1989. Il reste aujourd'hui une frontière de ce type, entre la Corée du Nord et celle du Sud. Elle prend la forme d'un no man's land de quatre kilomètres de large, défini lors de l'armistice de Panmunjon, signé à l'issue de la guerre de Corée en 1953. Cette frontière est issue du statu quo à la fin du conflit et suit le tracé des zones contrôlées à cette époque par les armées de chacune des deux Corées à ce moment. Elle remplace la frontière qui avait été négociée en 1945 entre la zone occupée par les Soviétiques et celle occupée par les Américains et qui, arbitrairement, suivait le 38e parallèle.Les frontières fermées
Le mur près de Jérusalem
Les frontières physiquement marquées par des murs (40 000 km dans le monde sur un total de 250 000 km de frontières) sont parfois liées à des volontés des États de se protéger des menaces extérieures, comme dans la barrière de protection installée par Israël face aux territoires de l'Autorité palestinienne. Conçue pour lutter contre les incursions terroristes, elle est également une barrière sanctionnant les inégalités économiques et politiques entre Israéliens et Palestiniens. Dans certains pays d'Europe, comme la Hongrie, ou entre les États-Unis et le Mexique, les frontières sont fermées pour éviter les migrations illégales. Murs sécuritaires ou murs contre les migrations, les frontières tendent aujourd'hui à se matérialiser davantage, suivant des logiques qui ne sont plus seulement celles de l'État nation, mais de réactions à divers aspects de la mondialisation, ressentis comme dangereux par certains gouvernements.
Les nouvelles frontières
Toutefois, à mesure que certaines frontières s'affirment, d'autres, comme au sein de l'Union européenne, ou entre le Canada et les États-Unis, tendent au contraire à s'ouvrir pour définir des espaces plus fluides pour la circulation des personnes et des biens. Par ailleurs, les questions environnementales, ou encore les risques sanitaires, posent de nouveaux enjeux pour les frontières dont le contrôle, par le biais de l'intensification des circulations aériennes, s'effectue désormais aussi en plein cœur d'un territoire national.Exercice n°5
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