Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne : écrire et combattre pour l'égalité
Lorsqu'elle écrit en 1791 la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, Olympe de Gouges n'en est pas à son premier écrit politique (et polémique !) : elle a déjà signé un nombre important de textes engagés tels que Sur « l'espèce d'hommes nègres » (1788), Lettre au peuple ou projet d'une caisse patriotique par une citoyenne (1788), Le Cri du sage par une femme (1789), etc. Avec cette Déclaration, Olympe de Gouges fait entendre une nouvelle fois des revendications féministes, mais elle propose aussi une véritable refondation de la société française, soulignant du même coup combien les femmes ont été les grandes oubliées de la Révolution française.
I. D'une voix de femme à la voix des femmes ?
Une prise de parole audacieuse
La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne est tout d'abord une prise de parole audacieuse dans un contexte sociopolitique troublé et violent : celui de la Révolution française. La structure même de ce texte porte la trace de cette période de transition qui fait passer de la monarchie à la république : s'affirmant comme le pendant féminin (et la réécriture ironique) de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 rédigée par les « représentants du peuple français, constitués en assemblée nationale », la Déclaration d'Olympe de Gouges est pourtant dédiée « À la reine », Marie-Antoinette (qui sera guillotinée en 1793). Si cette dédicace manifeste un souci de concorde politique de la part d'Olympe de Gouges, elle s'explique également par le fait que son autrice a conscience de son audace lorsqu'elle réclame, en tant que femme, les mêmes droits pour les femmes que pour les hommes. Aussi cherche-t-elle à obtenir l'appui de celle qui est encore la femme la plus puissante de France, la reine : « Il n'appartient qu'à celle que le hasard a élevée à une place éminente, de donner du poids à l'essor des droits de la femme, et d'en accélérer les succès », écrit-elle.
S'exprimer au nom de toutes les femmes : créer une sororité
Olympe de Gouges a donc conscience qu'en tant que femme, sa voix risque de n'être pas entendue. C'est pourquoi elle voudrait ne plus être seulement une voix singulière mais devenir la voix des femmes. Dans le « Préambule » de sa Déclaration, c'est au nom des « mères », des « filles », des « sœurs », « représentantes de la nation », qu'elle s'exprime : elle entend ainsi représenter toutes les femmes françaises. De même, dans le « Postambule », elle exhorte les femmes à reconnaître leurs droits : « Ô femmes ! Femmes, quand cesserez-vous d'être aveugles ? » Elle les appelle à s'unir afin d'obtenir l'égalité : « opposez courageusement la force de la raison aux vaines prétentions de supériorité ; réunissez-vous sous les étendards de la philosophie ».
Cette (ré)union des femmes qu'Olympe de Gouges appelle de ses vœux peut se lire aussi dans l'emploi récurrent qu'elle fait du singulier « femme » ou « la femme » dans sa Déclaration. À ce terme de « femme », elle accole celui de « citoyenne », façon de revendiquer l'égalité civile entre les femmes et les hommes.
II. Un nouveau « contrat social »
L'affirmation d'une égalité naturelle entre les femmes et les hommes
Avec cette Déclaration, Olympe de Gouges entend affirmer l'égalité en droits des femmes et des hommes, comme l'énonce l'article premier : « La femme naît libre et demeure égale à l'homme en droits. » Elle justifie cette assertion par le caractère naturel de cette égalité : « l'exercice des droits naturels de la femme n'a de bornes que la tyrannie perpétuelle que l'homme lui oppose ; ces bornes doivent être réformées par les lois de la nature et de la raison » (art. iv).
En rappelant le caractère naturel de l'égalité en droits des femmes et des hommes, Olympe de Gouges légitime les revendications des femmes à l'égalité : fait de société, la suprématie des hommes est une injustice qu'il convient d'effacer à présent que s'institue un régime démocratique, la Première République, qui doit faire respecter les « lois de la raison ». Ce n'est donc que justice et bon sens que de concourir à protéger et à faire respecter les droits des femmes, qui sont les mêmes que ceux des hommes.
L'affirmation du statut de « citoyennes » des femmes et ses conséquences
Mais Olympe de Gouges ne se contente pas de vouloir faire reconnaître l'égalité en droits des femmes et des hommes : elle atteste aussi du statut de « citoyennes »des femmes et, par là, de la nécessité de leur participation au façonnement de la société et de la nation, comme l'énoncent les articles xiii et xiv. Cette nécessaire participation des citoyennes à la vie de la société va de pair avec la garantie de leur liberté d'opinion et d'expression, inscrite dans les articles x et xi de cette déclaration : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions mêmes fondamentales ; la femme a le droit de monter sur l'échafaud, elle doit avoir également celui de monter à la tribune » (art. x). Les femmes étant soumises aux mêmes rigueurs de la loi que les hommes (art. vi à ix), elles doivent réciproquement disposer des mêmes libertés.
En garantissant la liberté d'expression des femmes, Olympe de Gouges introduit dans sa Déclaration la question épineuse de la reconnaissance de la paternité des enfants, obligeant les hommes à prendre leur part de responsabilité dans la naissance d'» enfants naturels », refusant que les femmes portent seules cette responsabilité (appréhendée par la société comme une culpabilité) et que l'identité de leurs enfants s'en ressente. Car Olympe de Gouges entend aussi faire évoluer la façon dont les femmes sont perçues et se perçoivent.
III. Changer l'image et la place des femmes : changer les femmes
La critique des femmes dans les sociétés d'Ancien Régime
Dans le « Postambule », Olympe de Gouges brosse un « effroyable tableau de ce que [les femmes ont] été dans la société » : substituant à la force qui leur manquait la ruse et le charme, les femmes y apparaissent comme de dangereuses éminences grises, « le gouvernement français […] [ayant] dépendu, pendant des siècles, de l'administration nocturne des femmes ».
En peignant les femmes sous les traits de manipulatrices et de meurtrières, Olympe de Gouges reprend des clichés répandus dans la société quant à la « nature » des femmes. Mais elle ne les reprend que pour mieux en dénoncer le caractère culturel : « Une femme n'avait besoin que d'être belle ou aimable ; quand elle possédait ces deux avantages, elle voyait cent fortunes à ses pieds. Si elle n'en profitait pas, elle avait un caractère bizarre ou une philosophie peu commune […] ; alors elle n'était plus considérée que comme une mauvaise tête ; la plus indécente se faisait respecter avec de l'or ; le commerce des femmes était une espèce d'industrie reçue dans la première classe, qui, désormais, n'aura plus de crédit. » Autrement dit, dans une société corrompue, les femmes ne pouvaient qu'être elles-mêmes corrompues si elles désiraient survivre et être respectées.
Éduquer les femmes (autrement)
Avec cette Déclaration, Olympe de Gouges exprime l'urgence de se pencher sur la question de l'éducation des femmes : « puisqu'il est question, en ce moment, d'une éducation nationale, voyons si nos sages législateurs penseront sainement sur l'éducation des femmes ». Dépassant le cadre stricto sensu d'une déclaration de droits, Olympe de Gouges ébauche déjà la perspective dans laquelle devra s'inscrire un projet d'éducation des femmes : il s'agit de faire d'elles des êtres libres de leurs pensées et de leurs actes, ce qui coïncide avec la réforme du statut civil des femmes et des « conventions conjugales ».
IV. Corpus : écrire et combattre pour l'égalité
Marie de Gournay et François Poullain de La Barre : deux précurseurs
Marie de Gournay et François Poullain de La Barre méritent d'être mentionnés comme étant parmi les premiers philosophes à publier des textes affirmant l'égalité des femmes et des hommes. Marie de Gournay, « fille d'alliance » de Montaigne selon l'expression de ce dernier, fait paraître en 1622 Égalité des hommes et des femmes. François Poullain de La Barre publie quant à lui en 1673 De l'égalité des deux sexes. Discours physique et moral où l'on voit l'importance de se défaire des préjugés. Dans ces deux brefs ouvrages aux titres explicites, Marie de Gournay et François Poullain de La Barre entendent démontrer que, contre l'opinion communément admise, les femmes ne sont pas inférieures aux hommes.Mary Wollstonecraft et sa Défense des droits de la femme (A Vindication of the Rights of Women, 1792)
En 1792, l'Anglaise Mary Wollstonecraft publie ce court texte en réponse au Rapport sur l'instruction publique rédigé par le Français Talleyrand en 1791 pour l'Assemblée nationale et qui évacue la question de l'éducation des femmes comme étant peu pertinente. Dans ce livre, Mary Wollstonecraft, qui a déjà publié en 1786 Réflexions sur l'éducation des filles, dénonce les préjugés dont sont victimes les femmes et réclame le droit pour elles à une éducation semblable à celle des hommes ainsi que l'égalité des droits entre eux.Virginia Woolf et Une chambre à soi (A Room of One's Own,1929)
Ce livre réunit les conférences que Virginia Woolf donna en 1928 dans les colleges(1) féminins des universités de Cambridge (Newnham College et Girton College) concernant les femmes et le roman. En réfléchissant à ce sujet, elle se met à dénoncer les nombreuses difficultés auxquelles se heurtaient les femmes qui souhaitaient s'instruire et écrire, revendiquant le droit pour elles de devenir des écrivaines à part entière et d'être reconnues comme telles.Simone de Beauvoir et Le Deuxième Sexe (1949)
C'est à la suite d'une discussion avec son compagnon Jean-Paul Sartre que Simone de Beauvoir commence à réfléchir à ce que « ça avait signifié pour [elle] d'être une femme », comme elle le raconte dans La Force des choses. Pensant d'abord pouvoir répondre rapidement à cette question, Simone de Beauvoir prend peu à peu conscience de la nécessité d'entreprendre une véritable réflexion sur la condition féminine : « Je fus si intéressée que j'abandonnai le projet d'une confession personnelle pour m'occuper de la condition féminine dans sa généralité. J'allai faire des lectures à la Nationale et j'étudiai les mythes de la féminité » (La Force des choses). En juin et novembre 1949 paraissent ainsi successivement les deux tomes du Deuxième Sexe, ce vaste essai sur la condition féminine appelé à devenir la bible du féminisme, en dépit d'une réception houleuse en France, alors qu'aux États-Unis ce livre connaît un succès retentissant. Simone de Beauvoir y examine tous les mythes et clichés sur les femmes et la « féminité », brosse un tableau exigeant et lucide de la condition féminine, et plaide pour l'instauration d'une véritable égalité entre les femmes et les hommes.© 2000-2024, rue des écoles