François Rabelais, Gargantua
Après le succès de Pantagruel, François Rabelais écrit l'histoire de Gargantua, père de son premier héros. Pour lui, c'est l'occasion de creuser son sillon littéraire si spécifique, associant :
- parodie de genre,
- satire des dogmatismes,
- et éloge des excès sans lesquels la vie n'est que fadeur.
Gargantua est avant tout une parodie de roman de chevalerie. Le chevalier géant est né de « façon bien étrange » en sortant « par l'oreille senestre de sa mère ». Très vite, il réclame à boire en boucle ; brillant, il invente le « torchecul » ; il accomplit des prouesses aussi déroutantes que celles de sa jument, capable de noyer les ennemis dans son urine à l'occasion de la guerre contre Picrochole. La farce, le grotesque, le décalage et l'accumulation participent d'une narration comique… mais pas uniquement.
En effet, Gargantua est un récit satirique. Sa cible ? Les dogmatiques, notamment les savants, les reli-gieux et les puissants. Les sophistes, représentés par maître Janotus de Bargmardo, incarnent le danger de la ratiocination pédante, capable de rendre Gargantua en personne « fou, niais, tout rêveux et rasso-té ». Ainsi, derrière le rire qu'il suscite, le roman brocarde-t-il avec sérieux les tyrans, que ceux-ci s'appuient :
- sur le langage qui abêtit ou
- sur la force qui tue.
Or, à cette dénonciation du pouvoir mortifère des tyrans, s'oppose l'éloge des excès qui rendent la vie sapide. Ce livre, autoproclamé « plein de pantagruélisme » invite les lecteurs à se « pantagruéliser », c'est-à-dire à jouir des plaisirs de la vie parmi lesquels le boire, le manger, le rire aux éclats, l'usage gourmand du corps et des mots. En effet, l'envie de vivre va de pair avec la gourmandise verbale et culturelle. Aussi l'auteur, loin d'être un simple comique troupier, cisèle-t-il son texte. Il entraîne le lecteur de facéties textuelles en jeux de mots, de parophonies en néologismes, et d'intertextes variés en apartés truculents.
Dans cette perspective, Gargantua est un livre-sens, dans la mesure où ses foucades, ses excès et ses effets comiques immédiats incarnent littérairement un appel à la joie de vivre. Face à l'ascétisme des dévots de comédie et au danger des puissants, le livre donne envie, aujourd'hui encore, de passer son temps à « matagraboliser », c'est-à-dire à pratiquer des activités a priori dénuées de sens sauf un, le principal : prendre du plaisir.
© 2000-2024, rue des écoles