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Réviser le cours Rabelais, Gargantua : la bonne éducation
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Réviser le cours Rabelais, Gargantua : la bonne éducation
À partir du personnage de Pantagruel, Rabelais invente l'histoire d'une famille de géants qui va passionner la France et l'Europe. Le succès rencontré par Pantagruel, publié en 1532, est tel que Rabelais décide de raconter dans le livre suivant, paru deux ou trois ans après, l'histoire de son père, Gargantua. Si l'on retrouve dans ce second roman la même drôlerie, le même esprit parodique que dans le premier, il se dote néanmoins d'une dimension satirique et pédagogique plus marquée, diffusant les valeurs de l'humanisme.
I. Un roman de chevalerie parodique
Un chevalier particulier
Outre son gigantisme, Gargantua apparaît d'emblée comme un héros à part. Sa naissance tout d'abord le désigne comme tel, lui qui « naquit en façon bien étrange », en sortant par « l'oreille senestre de sa mère » (chap. vi). Certes, cette naissance est une parodie de la conception du Christ par l'oreille, mais elle signale aussi le caractère exceptionnel de cet enfant qui de plus ne crie pas « Mies ! mies ! » mais « À boire ! à boire ! à boire ! ».
Le ton est ainsi donné, et les particularités de Gargantua seront à l'image de sa naissance et de ses premiers cris : Grandgousier découvre « l'esprit merveilleux » de son fils « à l'invention d'un torchecul » (chap. xiii). Le décalage comique est d'autant plus marqué que le récit ne manque pas de rappeler que Philippe, roi de Macédoine, comprit, lui, quelle était l'intelligence de son fils en le voyant dresser le cheval Bucéphale, effarouché par son ombre (chap. xiv) !
Des prouesses déroutantes
Les prouesses accomplies par un héros si particulier ne peuvent elles-mêmes qu'être atypiques. Ainsi, lorsque Gargantua entre en guerre contre Picrochole, il s'arme en chemin d'« un haut et grand arbre » qui lui « servira de bourdon et de lance » (chap. ). Et sa jument, quelque peu particulière elle aussi (voir chap. xvi), comme tout fidèle destrier qui se respecte, n'est pas en reste, puisqu'en « piss[ant] pour se lâcher le ventre », elle noie tous les ennemis occupant le gué de Vède ! Lorsque commence l'assaut du château, Gargantua n'a qu'à donner quelques coups de son « grand arbre » pour détruire le château et les ennemis qu'il abritait.
Bien évidemment, les prouesses guerrières de Gargantua, par leur aspect inattendu et cocasse, prêtent à rire. Et c'est à travers ce rire que se réalise la dimension satirique de ce livre.
II. La satire des dogmatismes
La critique du sophisme
Aussi drôle que soit ce récit, il ne se livre pas moins à une critique virulente de toutes les formes de dogmatismes : intellectuels, religieux, politiques. Les sophistes constituent de ce fait une cible de choix, eux qui, au lieu d'éveiller l'esprit, le corrompent par toutes sortes de raisonnements fallacieux. Cette critique du sophisme est initiée au chapitre xiv : l'enseignement du sophiste en lettres latines Thubal Holoferne puis celui de Jobelin Bridé ont pour unique conséquence de rendre Gargantua « fou, niais, tout rêveux et rassoté » (chap. xv). Il faudra l'intervention du bien nommé Ponocrates (dont le nom signifie « le pouvoir par l'effort ») pour éveiller l'esprit de Gargantua.
La satire des sophistes culmine au chapitre xix avec la harangue de maître Janotus de Bragmardo. Enivré à dessein par Gargantua et ses compères, celui-ci ne parvient qu'à articuler un joyeux galimatias de français et de latin qui a pour seul avantage de faire éclater de rire toute l'assemblée et jusqu'à Janotus lui-même. Voici l'apparence de logique et de rhétorique des sophistes une fois pour toutes ridiculisée.
La critique de la tyrannie
C'est en usant de la même façon de l'art de la caricature littéraire que Rabelais critique la tyrannie à travers le personnage, une fois encore bien nommé, de Picrochole, le roi mû par la « bile amère »qui compose son nom et son humeur. Au chapitre , la harangue faite par Ulrich Gallet à Picrochole au nom de Grandgousier afin d'éviter une guerre expose la démarche diplomatique que Picrochole aurait dû suivre en cas d'offense et condamne la fureur avec laquelle il a agi en attaquant le peuple de Grandgousier.
Les chapitres et révèlent l'appétit guerrier de Picrochole et son désir mégalomane de conquête, ses gouverneurs lui proposant un plan d'attaque s'étendant du nord de l'Europe au Proche-Orient, en passant par la Russie et le Maghreb. Au détroit de Gibraltar, Picrochole érigerait des colonnes « plus magnifiquesque celles d'Hercule », et la Méditerranée serait rebaptisée « mer Picrocholine » ! Le détournement et l'exagération ridiculisent Picrochole et sa tyrannie, qui deviennent non plus un sujet de crainte mais d'amusement, le tragique de la guerre étant de ce fait lui aussi désamorcé.
III. Un hymne à la vie
Une philosophie « pantagruélique »
Gargantua est un livre qui célèbre la vie, neutralisant les puissances de mort. Son sous-titre donne d'emblée le ton puisqu'il est dit « livre plein de pantagruélisme » et que, dès le premier chapitre, ses lecteurs sont invités à « pantagruéliser » : « ainsi que voir pourrez en pantagruélisant, c'est-à-dire, buvant à gré, et lisant les gestes horrifiques de Pantagruel ». La philosophie pantagruéliste consiste en effet à se réjouir des plaisirs de la vie, particulièrement le boire et le manger, et à préférer le rire aux larmes face aux malheurs du monde.
De ce fait, les occasions de boire et de faire ripaille se multiplient dans Gargantua. Cet éloge des plaisirs de la vie se double d'une réhabilitation du corps s'opposant à l'ascétisme chrétien qui faisait du corps un sujet tabou. Lorsque Ponocrates rectifie l'éducation de Gargantua, il ne manque pas de lui enseigner une nouvelle hygiène de vie où les soins du corps trouvent toute leur place,etil fait appel à l'écuyer Gymnaste (au nom toujours significatif !) pour lui apprendre l'art de la chevalerie (chap. xxiii).
Une soif de connaissance et un appétit des mots inextinguibles
Cette faim de vie se double d'une soif de connaissance et d'un appétit des mots qui se marquent notamment par l'abondance des références culturelles et la truculence de la langue employée. Les chapitres ix et x multiplient à outrance le recours aux citations d'auteurs, puisant aussi bien dans le christianisme que dans l'Antiquité gréco-romaine : « Et comme être au temps passé advenu témoignent Marc Tulle li. I. quaestio. Tuscul., Verrius, Aristote, Tite-Live, après la bataille de Cannes, Pline lib. vii. c. . et Iiii. A. Gellius Ii. iii. xv. et autres, à Diagoras Rhodien, Chilon, Sophocle, Denys, tyran de Sicile, Philippide, Philémon, Polycrate, Philistion, M. Juventius, et autres, qui moururent de joie » (chap. x). Avec humour et fantaisie, Rabelais convoque ainsi les plus grands auteurs de la culture occidentale.
À cet amour de la culture se mêle celui de la langue, qu'il pétrit et repétrit à souhait, inventant des mots inoubliables tels que « matagraboliser » (chap. xix), immortalisant certaines expressions comme « à la venue des coquecigrues » (chap. ) ou rebondissant de jeu de mots en jeu de mots : « Par mêmes raisons […] ferais-je peindre un penier : dénotant qu'on me fait peiner. Et un pot à moutard, que c'est mon cœur à qui moult tarde » (chap. ix).
Exemples pour la dissertation : les enjeux du parcours
– The Square de Ruben Östlund, 2017
Christian est conservateur du musée d'art contemporain de Stockholm. Les œuvres et les performances qui s'y déroulent sont souvent originales et cherchent à déstabiliser le public, par leur étrangeté ou leur désir assumé de choquer. Lorsqu'il se fait voler son téléphone portable, Christian renonce à beaucoup de ses principes et entreprend une enquête motivée par un désir de justice personnelle et de vengeance. Progressivement, tout va s'effondrer autour de lui. Ce film norvégien a obtenu la Palme d'or au Festival de Cannes 2017.
La question du rire et du savoir est ici centrale. Ruben Östlund propose une comédie grinçante sur le milieu de l'art contemporain, où dominent la recherche de l'originalité et la formulation d'un discours sur la société. On présente ici les artistes comme donneurs de leçon, certains semblent même être des imposteurs : ce qui les préoccupe le plus est de faire parler d'eux, fût-ce par le scandale. Les cadres du musée sont d'une certaine façon leur service marketing, organisant des soirées, des performances ou des installations dont ils font une publicité plus que douteuse sur YouTube pour attirer l'attention. Le discours savant sur l'art est donc moqué, à travers les questions des journalistes et les formulations presque absurdes dans le discours critique sur l'art. Personne n'est vraiment dupe de toute la comédie qui se joue dans ce milieu. La comédie tient aussi dans sa manière de remettre toujours au premier plan l'individu, notamment à travers la question du politiquement correct. Les personnages sont terrorisés à l'idée de commettre des écarts dans leur façon de considérer les SDF, les handicapés ou toute minorité, et le réalisateur imagine plusieurs situations dans lesquelles on les voit se contenir face à leurs réflexes. Mais à de nombreuses reprises, le naturel revient au galop, et les règles morales volent en éclats. La comédie a ici pour vocation de souligner les contradictions des individus ainsi que le ridicule et le snobisme des élites intellectuelles. On peut ainsi faire un parallèle avec la manière dont Rabelais évoque les élites, et notamment les représentants de la Sorbonne : jargonneux, hors des réalités, et finalement à l'écart de la société. Il en va de même pour l'éducation sophiste, qui fait rire par son caractère absurde, de la même manière que certaines œuvres paraissent ici ne parler à personne. Enfin, la place du corps est déterminante, comme chez l'auteur humaniste : par l'émancipation féministe d'une des conquêtes du protagoniste, mais aussi dans une séquence très marquante où un artiste propose une performance dans laquelle il a un comportement de singe et sème le chaos dans un dîner très guindé de la haute société suédoise : on retrouve ici le même goût pour le renversement carnavalesque que chez Rabelais.
– La Valse des pantins de Martin Scorsese, 1983
Rupert Pupkin est un inconnu bien décidé à devenir une star du rire sur scène Débordant d'enthousiasme et d'initiative, il force les portes et reste convaincu qu'il finira par percer, malgré le manque flagrant d'opportunités qu'on lui offre. Il s'impose dans la limousine d'une célébrité, Jerry Langford, pour obtenir un rendez-vous afin de lui montrer son travail, mais celui-ci s'empresse de l'oublier. Fou de rage et désespéré, Pupkin décide alors de kidnapper la star pour qu'on lui offre en échange l'occasion de se produire sur scène, ce qui, il en est sûr, révélera son talent à une large audience.
La question du rire est ici le sujet même du récit : le personnage désire en faire son métier et se persuade qu'il saura faire succomber des salles entières à son talent comique. Le savoir est donc le savoir-faire : être drôle suppose un véritable talent, une finesse d'écriture, une inventivité et une énergie que Pupkin ne semble pas posséder. Il s'entraîne tout seul dans la cave de sa mère et diffuse des rires enregistrés à chacune de ses blagues, provoquant donc chez le spectateur un autre type de rire, bien plus sarcastique, voire pathétique. On pourra rapprocher ce film d'un autre, bien plus récent, qui explore exactement les mêmes thématiques : Joker, de Todd Phillips, sorti en 2019. Le personnage principal y cherche désespérément à faire rire, jusqu'à sa transformation en clown monstrueux qui deviendra l'antagoniste célèbre du justicier Batman. Le clin d'œil est d'autant plus assumé que dans ce film, la célébrité comique qui suscite la jalousie du candidat dans l'ombre est jouée par Robert de Niro, qui incarne Pupkin chez Scorsese trente-huit ans plus tôt…
Rire est le résultat d'un travail, la mise en œuvre d'une intelligence. On retrouve ici les principes mêmes qu'évoque Rabelais dans sa préface, lorsqu'il explique que le rire est le propre de l'homme : ce n'est pas une facilité que de recourir au rire, car celui-ci est toujours le trajet vers un message, un discours. Ce principe, expliqué à travers la métaphore du chien et de son os, à la recherche de la substantifique moelle, donne toute sa noblesse au rire, alors que celui-ci est méprisé par les autorités religieuses et qu'on peut avoir tendance à le considérer comme moins noble que les autres tonalités.
Exemples pour l'oral : élargissements culturels
– Le Lauréat de Mike Nichols, 1967
Benjamin vient de terminer ses études et se retrouve dans un état d'indécision mélancolique. Il n'a pas du tout envie de rejoindre le monde des adultes. Une amie de ses parents, Mrs Robinson, lui fait des avances auxquelles il cède, et il entame une liaison cachée avec elle, sans se poser de questions sur son avenir. Ses parents, soucieux de le voir si passif, le forcent à inviter Elaine, une jeune fille de son âge, qui s'avère être la fille de Mrs Robinson…
Le film de Mike Nichols a marqué un tournant dans l'histoire du cinéma américain. Sorti la même année que Bonnie and Clyde d'Arthur Penn, qui eut un éclat retentissant pour sa représentation de la violence, il met fin à une longue période de censure et propose un discours plus direct, dans lequel la sexualité et l'affirmation de la jeunesse sont abordées sans détours C'est la naissance d'un mouvement qu'on appellera le Nouvel Hollywood, dans lequel s'engouffrera la nouvelle génération de réalisateurs comme Coppola, Scorsese, Cimino ou De Palma. On peut voir cette phase de transition entre une période et une autre comme un lointain écho à la rupture entre la Renaissance et le Moyen Âge chez Rabelais : pour innover, rien de tel que de se moquer de ceux qui occupent les places de pouvoir.
Le rire permet ainsi de balayer la bourgeoisie américaine installée confortablement dans les Trente Glorieuses, et qui semble avoir tout misé sur la réussite matérielle. Le mot « plastics » proposé à Benjamin comme clé de son avenir en est l'indice le plus marquant.
Mais la jeunesse et ses élans de révolte permettront à Benjamin d'échapper au pouvoir des adultes, que ce soit dans l'avenir que veulent lui tracer ses parents ou la relation toxique que lui impose sa maîtresse. La bravade blasphématoire dans l'église lors de la cérémonie de mariage, où Benjamin s'empare de la croix pour écarter ses assaillants, semble ainsi une directe citation de Frère Jean chez Rabelais.
– La Folle Journée de Ferris Bueller de John Hughes, 1986
Ferris, un adolescent typique des années 1980, vit dans la banlieue de Chicago et décide de s'accorder une journée de liberté en séchant les cours. Il se fait porter malade et met en place différents stratagèmes pour être rejoint par son meilleur ami et sa petite amie. Commence pour eux une journée d'aventures, tandis que le principal du lycée va tout mettre en œuvre pour révéler les écarts de conduite du cancre.
Le savoir est ici représenté par le système : c'est le cadre scolaire, synonyme de contrainte et de privation de liberté, que cherche à tout prix à fuir le protagoniste. Sa rigidité renvoie à la vision que Rabelais donne de la Sorbonne ou de l'éducation sophiste, dispensée par de vieux ridicules noyés dans leur austérité, et dont la jeunesse malicieuse se joue en les humiliant. Le rire des trois amis, que ce soit par leurs mauvais tours (tous les pièges tendus aux parents ou au principal) ou les moments de détente passés durant la journée, est une affirmation de la liberté et de la joie, dans une fête très proche du carnavalesque illustré par Rabelais, notamment lors du défilé de chars dans la rue sur lesquels Ferris va chanter, transformant la ville entière en une jubilatoire comédie musicale.
Mais le film ne se limite pas à une banale pochade d'élèves rebelles. Il donne à voir aussi leur mélancolie et les questions qu'ils se posent quant à la place qu'ils occupent dans le monde, et l'avenir qui leur est réservé. On rejoint ici l'éducation humaniste proposée par Rabelais, où le savoir n'est pas que dans les livres, mais aussi dans l'accès à l'extérieur, l'activité physique et le partage avec l'autre. Sur ce plan-là, la journée qu'ils s'accordent est aussi en lien avec une quête du savoir, comme on peut le voir dans la très belle séquence de visite d'un musée. Très esthétique, cette scène se présente comme un moment ludique, mais aussi une prise de contact avec certaines réalités. La manière dont l'un des personnages fixe la toile pointilliste évoquant une mère et son enfant questionne ainsi son propre lien à sa mère absente, et le sentiment qu'il a de ne pas exister. C'est en contemplant un tableau qu'il a accès à un miroir de ses émotions.
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